La crise que nous traversons est multidimensionnelle : sanitaire, économique et sociale. Les enfants, les adolescents et les jeunes adultes en subissent les conséquences, même si celles-ci sont moins immédiatement visibles que pour d'autres catégories de la population.
La mission d'information sur la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de covid-19 a été dotée des prérogatives d'une commission d'enquête pour disposer des informations qu'elle jugera nécessaire sur la prévention sanitaire, la gestion de la crise sanitaire, l'adaptation du système de soins, l'organisation territoriale face à la crise, la stratégie de déconfinement, les réponses apportées dans les territoires – en métropole et outre-mer –, et les conséquences économiques et budgétaires de la crise.
Ses attributions ne la conduiront cependant pas à réserver un sort particulier aux effets de la crise sanitaire sur les enfants, adolescents et jeunes adultes de notre pays. Il m'est donc apparu important que nous puissions disposer, grâce à une commission d'enquête spécifique, de toutes les données pour mesurer mais aussi prévenir les effets de cette pandémie et du confinement sur les plus jeunes.
Contribuer à désamorcer cette « bombe à retardement », pour reprendre la formule du Premier ministre, tel est l'objet de cette commission d'enquête. Les pédiatres et pédopsychiatres ont alerté très rapidement sur les effets du confinement et de l'absence d'école sur les jeunes enfants. L'Unicef, l'OMS, le Défenseur des droits, mais aussi de nombreuses institutions internationales et nationales ont alerté sur la nécessité, durant la période de crise sanitaire de rassurer les enfants, de les protéger, de limiter les retards dans leur apprentissage et de prévenir la précarité alimentaire, aggravée par la fermeture des cantines scolaires.
Les violences intrafamiliales ont été en hausse pendant le confinement, les enfants en ont été les victimes directes, soit en subissant eux-mêmes la maltraitance, soit en étant les témoins involontaires de violences conjugales. Là aussi, nous devons analyser les dispositifs qui ont été mis en place, sachant que la détection a été rendue beaucoup plus complexe par l'absence d'école. Les enfants en situation de fragilité familiale relevant de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) ou les mineurs non accompagnés ont également été confrontés aux nombreuses difficultés causées par la fermeture des établissements ou découlant de ruptures familiales. Un retour d'expérience très précis est donc indispensable pour que les situations contraires aux droits fondamentaux des enfants ne se reproduisent plus.
Je vous propose également d'étudier les conséquences du confinement pour les enfants en situation de handicap, les familles ayant bien souvent été obligées de se substituer aux professionnels qui assuraient leur prise en charge.
Par ailleurs, je veux élargir la focale, pour que nous puissions nous pencher sur les conséquences de l'arrêt des activités extrascolaires en matière de sport et d'accès à la culture. Les membres de cette commission savent en effet que l'arrêt de ces activités pourrait se traduire à la rentrée de septembre par une chute des licences et de la pratique sportives chez les enfants, mais également par une baisse de la fréquentation des conservatoires.
L'école est le deuxième axe de travail proposé pour la commission d'enquête. En effet, l'un des événements majeur et inédit de cette crise a été la fermeture de l'ensemble des établissements scolaires. L'école étant l'un des piliers fondamentaux de la République, à travers l'instruction obligatoire, la fermeture des écoles a été un choc pour l'ensemble de la société française. Les conséquences de cette crise dans le domaine scolaire, visibles ou non, se manifesteront de manière durable et profonde. De la fermeture de tous les établissements scolaires aux classes virtuelles, de la suppression des épreuves du brevet, des CAP et des baccalauréats à la reprise des cours sur la base du volontariat, les fondamentaux de l'école républicaine ont été bousculés.
Comme toutes les institutions publiques, l'éducation nationale a mis en œuvre son grand plan de continuité d'activité – la continuité pédagogique pour laquelle se sont mobilisés enseignants, élèves, personnels de l'éducation, mais aussi les familles.
Les initiatives comme les bonnes volontés ont été réelles et nombreuses, mais les inégalités sociales et territoriales qui minent l'éducation nationale se sont trouvées aggravées par la pandémie. Aussi devrons-nous identifier toutes les difficultés auxquelles ont été confrontées les équipes pédagogiques, les services du ministère, le Centre national de l'enseignement à distance (CNED), les parents d'élèves, les élèves eux-mêmes, dans tous les territoires de notre République. Nous devrons disposer, pour chaque territoire, de tous les chiffres concernant les situations de décrochage, les conséquences de la crise sur les apprentissages et les conditions dans lesquelles seront lissés les programmes.
En ce qui concerne l'université, là encore, une analyse des mesures mises en place par les établissements s'impose afin de recenser les différentes modalités d'examen et de concours mises en œuvre et de mettre au jour d'éventuelles différences entre grandes écoles et universités.
Enfin, l'apprentissage devra, lui aussi, faire l'objet d'une analyse permettant d'évaluer l'impact de la crise sur les élèves. Les mesures prises par le Gouvernement devraient permettre de limiter la baisse des offres mais les inquiétudes demeurent tant les apprentis sont dépendants du contexte économique.
Le troisième grand axe que je propose pour cette commission d'enquête concerne l'impact de la crise sanitaire sur la pauvreté infantile et la précarité étudiante, deux phénomènes malheureusement antérieurs à la pandémie, mais que celle-ci a accentué de manière insupportable.
Avec la fermeture des restaurants du CROUS et la perte de leurs « jobs » alimentaires, de nombreux étudiants ont dû avoir recours à l'aide alimentaire distribuée par les associations. Chez les plus jeunes, la fermeture des cantines scolaires a eu des effets d'autant plus néfastes que leur situation familiale était fragile : j'ai notamment pu constater, chez les familles placées dans des hôtels réquisitionnés par les services du 115, que les enfants privés de cantine avaient été très mal ou très peu nourris pendant le confinement.
La hausse du chômage et la récession auront malheureusement de lourdes conséquences chez les enfants des classes populaires, et tout laisse craindre une hausse de la pauvreté infantile, ce qui exige que soient prises au plus vite des mesures fortes.
Tel est, chers collègues, l'esprit de cette commission d'enquête. Si nous avons voulu en développer le champ dans la proposition de résolution, c'est pour montrer l'acuité de ces questions et justifier la création d'une commission d'enquête ad hoc, complémentaire de celle déjà en cours. Travailler ensemble sur l'enfance et la jeunesse est un signal politique important des priorités que nous devons retenir. C'est pour cela que le groupe GDR a choisi d'utiliser son droit de tirage à cet effet. Je précise que la commission d'enquête que je vous propose n'aura pas vocation à s'intéresser aux cas particuliers et n'interférera donc pas avec les procédures judiciaires en cours.
Cette commission d'enquête, enfin, pourra se nourrir des travaux menés par les groupes de travail mis en place par notre commission des affaires culturelles sur l'impact du covid-19 ; cela ne fera qu'enrichir notre réflexion.
J'espère vous avoir convaincu de l'intérêt de notre proposition, qui n'a d'autre motif que d'identifier les conséquences qu'aura pour nos enfants et notre jeunesse la crise du coronavirus, pour que nous puissions, ensemble, y apporter des solutions.