À l'aune de ma propre expérience, je soulignerai d'abord l'effort notable auquel, en matière d'équipement numérique, les collectivités territoriales consentent depuis au moins vingt ans par leurs investissements. Le saut, aussi bien quantitatif que qualitatif, se révèle important.
L'hétérogénéité des situations constitue un autre constat majeur. Nombre de facteurs l'expliquent.
Parmi eux, les décisions politiques de direction des collectivités territoriales interviennent. Au-delà, nous observons des pratiques elles-mêmes fort différentes. Elles tiennent par exemple au choix des ENT. Des collectivités optent pour des ENT complets, d'autres pour des ENT dans lesquels nous ne retrouvons qu'une partie des services. Certaines orientations prennent un tour quasiment stratégique : s'agit-il par exemple de développer l'informatique d'abord dans l'établissement ou plutôt en faveur des élèves, ou encore les deux concomitamment ?
Des choix de type de pilotage entrent également en ligne de compte. La collectivité délègue-t-elle des crédits aux établissements qui effectueront leurs propres choix ou la première choisit-elle pour les seconds, avec ou sans concertation ?
Je remarquerai que la mobilité des chefs d'établissement demeure limitée. Sur un plan national, elle s'avère même peu effective. Certes, chaque année, 80 % de nos collègues obtiennent une mobilité ; mais s'ils gagnent un autre établissement, c'est le plus souvent dans une zone géographique assez circonscrite. Quand ils changent de département, pour la plupart d'entre eux, ils restent dans la même région. Seuls 10 à 15 % des chefs d'établissement font des sauts suffisamment importants pour constater les différences entre collectivités territoriales concernant la mise en place du numérique éducatif.
J'évoquerai ensuite la relative faiblesse des opérations de coordination, voire de coopération, entre l'Éducation nationale et les collectivités territoriales. Sur des sujets d'orientations stratégiques, de politique d'équipement, de volonté de développer tel ou tel aspect du numérique éducatif, la relation s'avère parfois plus aisée lorsqu'elle s'opère directement entre la représentation des chefs d'établissement et la collectivité territoriale. Quand c'est un triangle avec l'Éducation nationale, nous, les chefs d'établissement, faisons office de boule de billard.
Nous relevons par ailleurs les lacunes de la formation tant initiale que continue sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui. La crise sanitaire et le confinement les ont révélées d'une manière un peu brutale. Nous constatons des niveaux de pratiques, d'investissement et d'accès aux ressources extrêmement différents selon les enseignants et les disciplines. La responsabilité en revient d'abord à l'État.
Un autre point apparaît comme évident : l'absence de visibilité des directions académiques du numérique. Elle tient sans doute à l'insuffisance de leurs moyens humains et matériels. Ces directions n'occupent pas la place qu'il leur revient au regard du contexte et des attentes qu'il nourrit.
Ce panorama nuancé n'est pas sans conséquence dans la conduite de nos missions à la tête des établissements scolaires. Nous nous situons toujours à la croisée de deux canaux numériques distincts. D'un côté, un canal pédagogique se partage entre la collectivité territoriale et les corps d'inspection, porteurs des grandes orientations nationales en matière de référentiels et de programmes. De l'autre, un canal administratif ressortit en principe à l'État. Source d'incohérences, l'absence de coordination entre ces deux canaux, qui ne manquent pourtant pas d'interférer entre eux, constitue une véritable difficulté pour les chefs d'établissement. L'an dernier, elle a conduit notre organisation à rédiger un livre noir du numérique.
Nous attendons avec impatience les prochains États Généraux du numérique. Nous y réitérerons nos constats et y formulerons nos propositions. En substance, nous souhaiterions une redéfinition générale du cahier des charges relatif au numérique éducatif. Elle permettrait de fixer quelques axes fondamentaux nécessaires pour construire des politiques durables, voire pérennes.