COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 30 septembre 2020
La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
(Présidence de M. Bruno Studer, président)
Dans le cadre des Rendez–vous du numérique éducatif (deuxième partie), la commission procède à deux nouvelles tables rondes.
Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos Rendez-vous du numérique éducatif avec deux nouvelles tables rondes. Elles porteront sur des thématiques qui ont émergé au cours de nos échanges de la semaine passée : la formation des enseignants au numérique éducatif et les conditions matérielles de son déploiement.
Les progrès du numérique éducatif ont tous en commun un préalable : la formation des enseignants aux usages et aux pédagogies de cette technique, qui a été le thème de notre première table ronde. Celle-ci réunit :
– M. Alain Frugière, président du réseau des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ), créés par la loi pour une école de la confiance du 28 juillet 2019, et directeur de l'INSPÉ de Paris,
– M. Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO),
– Mme Marie-Caroline Missir, directrice générale du réseau Canopé (réseau de création et d'accompagnement pédagogiques),
– et Mme Caroline Vincent, maîtresse de conférences à l'université d'Aix-Marseille (Aix-Marseille Université) et enseignante à l'INSPÉ d'Aix-en-Provence.
La semaine dernière, nous avons beaucoup évoqué le sujet de la formation. Il ressortait de nos échanges que la formation des enseignants au numérique éducatif souffre encore de lacunes et de difficultés. Il sera intéressant d'entendre nos invités à ce sujet.
Les résultats de la dernière étude PROFETIC de 2019 (Professeurs et Technologies de l'Information et de la Communication) qui évalue les usages numériques des enseignants du premier degré sont édifiants : 47 % d'entre eux jugent leur maîtrise du numérique insuffisante, 35 % utiliseraient davantage le numérique s'ils étaient mieux formés à l'utilisation pédagogique des outils et 24 % s'ils disposaient d'une meilleure maîtrise dans les domaines numériques.
Le confinement, qui justifie nos travaux en amont des États Généraux du numérique pour l'éducation qui se tiendront les 4 et 5 novembre 2020 à Poitiers, a tout autant révélé la formidable capacité des enseignants à s'adapter et à innover dans leurs pratiques pédagogiques, que la difficulté que quelques-uns ont pu éprouver à maîtriser certains usages et pédagogies du numérique éducatif.
J'adresserai à nos invités, en leur qualité de spécialistes dans ce domaine, plusieurs questions.
Qu'a révélé pour vous la période de confinement sur le niveau de formation de nos enseignants ? Dans quelle mesure la crise sanitaire a-t-elle infléchi vos ambitions en la matière ?
Les rapports sur le numérique éducatif des commissions des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat de 2018 pointaient une formation initiale sous‑dimensionnée. Je me félicite que depuis la loi pour une école de la confiance, le code de l'éducation précise la mission des INSPÉ dans le champ du numérique éducatif et que le contenu de la formation mise en œuvre par ces instituts ait été défini par le décret du 28 mai 2019. Dès lors, quels sont encore les freins et les leviers que vous identifiez pour une formation initiale des enseignants aux enjeux numériques plus performante ? Préconiseriez‑vous, comme le fait la Cour des comptes, de rétablir la nécessité d'obtenir le certificat informatique et internet de niveau 2 – enseignant (C2i2e), afin d'accéder au statut d'élève-fonctionnaire ou d'être titularisé ? Le décret du 23 août 2013 avait supprimé cette condition.
Enfin, l'étude PROFETIC de 2019 révèle que si 57 % des enseignants du premier degré ont, au cours des deux années qui la précédaient, participé à une formation sur le numérique, 66 % d'entre eux estiment que leurs besoins dans ce domaine n'ont pas été couverts. Différents rapports regrettent des formations trop peu centrées sur l'usage pédagogique des outils numériques. Ainsi quels sont les freins et leviers que vous identifiez afin d'améliorer la formation continue des enseignants aux enjeux du numérique ?
La loi pour une école de la confiance a certes rendu obligatoire la formation continue pour chaque enseignant. Cependant, que pensez-vous de l'idée d'astreindre spécifiquement l'ensemble des enseignants des premier et second degrés, mais aussi de l'enseignement supérieur, à une formation périodique à l'utilisation des outils numériques pédagogiques ?
Mesdames, messieurs, je vous cède la parole pour un propos introductif. Un échange suivra avec les commissaires qui, à leur tour, vous interrogeront.
, maîtresse de conférences à Aix-Marseille Université, enseignante à l'INSPÉ d'Aix-en-Provence. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs, je profite de ces propos liminaires pour vous livrer quelques idées qui me paraissent être des clés d'amélioration de la formation des enseignants au numérique.
Il me semble, en premier lieu indispensable, d'accroître la culture et la littératie numériques des enseignants et, au-delà, de tous les métiers de l'enseignement, y compris dans les INSPÉ.
Avant que de former les enseignants aux fondamentaux de la technique ou à la pédagogie numérique, il convient de mener avec eux une réflexion sur ce que nous entendons faire du numérique dans notre société. Cette réflexion se doit d'être partagée et homogène entre les lieux d'éducation et de formation.
Les enfants, élèves-citoyens que nous formons, s'inséreront dans une société et une économie où le numérique joue, que nous le voulions ou non, un rôle d'ores et déjà essentiel. Il importe que nous éduquions des citoyens éclairés, critiques, créatifs, sensibilisés aux notions d'identité numérique, de données personnelles, d'impact environnemental et sanitaire du numérique, ou encore aptes à des pratiques inclusives, équitables et démocratiques.
Cette exigence passe par la culture et la littératie numériques, celle des élèves et, en amont, celle des enseignants, des conseillers principaux d'éducation (CPE), des chefs d'établissement, des personnels de direction, des inspecteurs, des intervenants des INSPÉ.
La culture et la littératie numériques concernent toutes les disciplines : elles ne sont pas exclusivement liées à la technologie et aux sciences. Chacun doit s'en emparer.
En second lieu, je souhaite aborder les freins et résistances des enseignants. Ces derniers relèvent d'un corps de métier qui donne déjà beaucoup de son temps et de son énergie. De façon légitime, certains ne voient pas toujours le numérique comme un gain, mais plutôt comme une perte : perte de temps, perte d'énergie, perte de leur place et de leur rôle, de leur posture d'experts, face à des élèves parfois très connectés. S'ajoutent des contraintes et obstacles nombreux d'ordre matériel et technique.
Je soulignerai deux points à valoriser. D'une part, le rôle de l'enseignant demeure essentiel, central, que ce soit avec ou sans le numérique. Apprendre requiert l'intervention d'un enseignant qui choisisse judicieusement des situations, des ressources, qui construise un milieu didactique. Il permet d'engager les élèves, afin qu'ils mobilisent des connaissances. Il reste difficile d'apprendre sans une intention didactique. Le numérique ne remplacera jamais les enseignants.
D'autre part, remettre l'élève au centre des préoccupations se situe au cœur de la motivation et de la vocation des enseignants. Nous ne devrions pas nous occuper de numérique sur injonction, parce que telle est la politique du moment, ou dans le seul but d'utiliser les tablettes mises à disposition dans les établissements. Pour devenir des citoyens éclairés, critiques et créatifs, les élèves ont besoin de leur enseignant dans toutes les disciplines.
L'une des solutions consisterait à mettre en place des formations hybrides sur des durées plus longues que celles qui existent actuellement. Elles permettraient aux enseignants d'expérimenter la position d'apprenants à distance et de réaliser des allers-retours entre ces formations et leur terrain quotidien.
Enfin, j'aimerais rappeler que le confinement n'était pas représentatif de ce que l'enseignement avec le numérique peut être. Cette période spécifique fut engendrée par la contrainte, il a fallu recourir au numérique sans préparation préalable. Une étude d'Aix-Marseille Université a montré que seuls 20 % des 5 000 personnes interrogées ont eu le sentiment de se retrouver dans des conditions (matérielles, psychologiques, mentales, etc.) qui leur permettaient de réellement travailler. L'effet de loupe sur les inconvénients et travers de l'expérience est évident. En revanche, il occulte ce qui pourrait être bien fait dans le domaine du numérique éducatif.
, président du réseau des INSPÉ, directeur de l'INSPÉ de Paris. Le réseau des INSPÉ regroupe les 32 instituts existants. À ce titre, il forme les enseignants des premier et second degrés, les CPE, ainsi que les psychologues de l'éducation nationale. En qualité de président de ce réseau, j'ai remarqué avec intérêt que les précédents échanges des Rendez-vous du numérique éducatif avaient maintes fois abordé la formation des enseignants.
Ma participation à la présente table ronde me donne l'occasion d'adresser mes félicitations aux professeurs, CPE et psychologues stagiaires, formés dans les INSPÉ. Pendant la période de confinement, ils ont apporté la preuve qu'ils disposaient des compétences requises pour assurer la continuité pédagogique d'une manière remarquable. Des chefs d'établissement nous en ont témoigné.
Pour leur première expérience, en exercice à mi-temps dans les établissements, ces professeurs, CPE et psychologues stagiaires n'ont en effet pas seulement eu à faire face à la mise en place de l'enseignement à distance ; ils ont d'abord été confrontés à une situation d'urgence.
À des fins de contextualisation, je dirai un mot de la formation initiale des enseignants. Elle se déroule désormais en deux ans, au cours d'un master dédié, celui des « métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation » (MEEF). L'alternance repose au cœur de cette formation initiale. Elle consiste en des stages en école, en collège, en lycée, dont un en pleine et entière responsabilité devant les élèves. De plus, les étudiants rédigent et soutiennent un mémoire ancré sur les pratiques et la réalité des classes.
La formation que les INSPÉ dispensent actuellement revêt ainsi un double aspect, à la fois universitaire et professionnalisant. Elle se nourrit de la recherche, et favorise le dialogue entre recherche et expérience de terrain.
Dans le domaine du numérique, nos maquettes de formation entendent construire des compétences que je regrouperai en trois axes principaux.
Le premier consiste en l'habileté et en la capacité à utiliser les outils et les applications numériques. Il s'agit de maîtriser les logiciels propres à une discipline. À titre d'exemple, je citerai la cartographie en géographie, le séquençage de l'acide désoxyribonucléique (ADN) en sciences de la vie et de la Terre (SVT), ou l'utilisation de la vidéo en éducation physique et sportive (EPS). Chaque discipline doit en outre s'interroger sur l'usage de ces outils, ainsi que sur celui des médias généralistes, tels que Facebook ou Wikipédia.
Le deuxième renvoie à la connaissance et à l'expertise nécessaires à la création à l'aide des techniques numériques. La production ici visée dépasse la seule mise en œuvre des fonctionnalités de base que je mentionnais précédemment. D'un simple exercice de documentation, elle peut s'étendre à des activités de codage.
Le troisième axe implique la compréhension des enjeux et des transformations que le numérique induit. Engager les deux premiers types de compétences suppose de connaître les pratiques changeantes des élèves dans ces domaines, ainsi qu'une initiation aux enjeux d'ordre général, dont la compréhension est indispensable au développement de l'esprit critique.
La question qui se pose tient à la place réelle du numérique dans nos maquettes de formation. Vous l'avez dit, monsieur le président, cette place apparaît sous-dimensionnée. Au vrai, le même type de critique concerne nombre des domaines d'enseignement du master MEEF, parmi lesquels le disciplinaire, l'égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les discriminations. Deux années de master n'y suffisent guère.
Le master MEEF représente environ 800 heures de formation en deux ans. Ce volume s'avère déjà lourd et exigeant. Il inclut les apprentissages fondamentaux du premier degré, les apprentissages didactiques et disciplinaires. De plus, il prépare les étudiants aux épreuves d'un concours de recrutement.
Il nous semble capital de rappeler l'importance du continuum de formation comme levier pour renforcer la place du numérique. La formation de nos enseignants, CPE et psychologues de l'éducation nationale, ne saurait se concevoir uniquement sous l'angle du master MEEF et de la formation initiale.
Cette formation doit plutôt correspondre à un continuum qui commence en licence, se précise pendant les deux années de master MEEF, pour se poursuivre ensuite durant les trois années après la réussite du concours, puis tout au long de la carrière.
En conclusion, je souhaite rappeler que le réseau des INSPÉ participe déjà aux travaux menés sur le numérique éducatif et qu'il s'associera aux prochaines réflexions. Celles-ci porteront notamment sur la certification numérique C2i2e, que M. Jean‑Marc Merriaux, directeur général de la direction du numérique pour l'éducation (DNE), a mentionnée devant votre commission le 23 septembre dernier. Il s'agira également des états généraux du numérique pour l'éducation, cités en ouverture de la présente table ronde.
J'achève mon propos par un hommage ému et appuyé au professeur Jacques Ginestié, disparu hier. Fondateur puis président de notre réseau pendant cinq ans, sa contribution à la formation des enseignants fut immense. Nous lui en exprimons notre profonde gratitude.
Permettez-moi de me joindre à votre hommage et de dire que nous pensons à l'affliction de la famille du défunt.
, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO). Je partage ces condoléances et l'hommage que vous rendez au professeur Ginestié, qui était une personnalité remarquable.
En réponse à vos questions, monsieur le président, je développerai ma présentation en deux points.
Je commencerai par le confinement et ses effets. Plusieurs éléments, de nature différente, ont marqué la période de confinement. Parmi eux, je citerai l'indéniable réactivité de l'institution dans son ensemble. À la faveur d'une mobilisation exceptionnelle, le basculement s'est opéré avec une célérité sans précédent. Je signalerai ensuite un foisonnement d'initiatives pédagogiques. Une très forte créativité s'est manifestée dans les écoles, les collèges et les lycées. Enfin, il faut reconnaître une aisance, par construction, inégale à l'égard des outils numériques et des écarts dans la faculté d'en tirer la pleine potentialité pédagogique.
À présent, il nous appartient de condenser l'intégralité des innovations, des réflexions ou des difficultés qui se sont fait jour pendant le confinement. Ce travail justifie l'organisation des États Généraux du numérique pour l'éducation, dont vous avez rappelé la tenue prochaine.
Pour autant, la période de confinement marque-t-elle une inflexion dans notre vision du développement du numérique pédagogique et éducatif, ainsi que dans notre politique de formation ? Je substituerai plutôt le terme d'accélération à celui d'inflexion.
En amont des événements qui sont survenus, nous avions à l'attention des professeurs engagé une réflexion sur les conditions d'une formation de qualité qui s'inscrive dans le temps. Elle s'est traduite par la refonte de leur formation initiale. C'est le sens des textes sur le master MEEF qui ont été adoptés à la suite de la loi pour une école de la confiance. Ils entrent progressivement en vigueur. Quant à la formation continue, le ministère de l'Éducation nationale s'est pour la première fois, en septembre 2019, doté d'un schéma directeur qui place le numérique au rang des priorités nationales.
S'il a donc suscité un effet d'accélération, le confinement s'est aussi inscrit dans un contexte relativement favorable au numérique éducatif.
Je reviendrai ensuite sur les conditions de réussite du déploiement du numérique éducatif.
Premièrement, ainsi que le président du réseau des INSPÉ l'a signalé, la formation est souvent perçue comme une étape ou un état. Or ‒ et c'est d'autant plus vrai sur le sujet du numérique ‒, elle consiste d'abord en un processus. Ce processus doit accompagner la carrière de l'agent. Dès lors, il importe de le considérer à la fois sous l'angle de la formation initiale, sens de la réforme du master MEEF à laquelle nous avons procédé, et du point de vue du continuum de formation tout au long de la vie.
Deuxièmement, et par suite, il convient de privilégier une vision pluriannuelle de la formation. Jusqu'à une date récente, nous en avions une vision fondamentalement annualisée. À la fin de 2017, le ministre nous a demandé de revoir le dispositif en vigueur. Ce travail a abouti à l'élaboration du schéma directeur que j'évoquais. Il marque l'approche stratégique de l'institution à trois ou cinq ans en matière de formation continue. Il permet aux professeurs de s'inscrire dans un continuum.
Troisièmement, nous cherchons à élargir l'approche dans son contenu, à proposer une approche à trois cent soixante degrés. Elle associe la pédagogie des outils à celle des usages. Se centrer exclusivement sur l'une ou sur l'autre n'apporte pas de résultat satisfaisant.
Quatrièmement, si la formation au numérique peut se distinguer des autres pans de la formation, elle doit aussi pleinement s'y intégrer. Je considère qu'il est difficile, voire artificiel, d'identifier en les isolant le nombre exact d'heures actuellement consacrées au numérique dans les INSPÉ. Certes, il convient que plusieurs d'entre elles s'intéressent spécifiquement au numérique. Néanmoins, il faut que d'une manière générale, les enseignements disciplinaires ou relatifs aux techniques et méthodes d'apprentissage et d'accompagnement des élèves incluent l'outil numérique comme un moyen de contribuer à la réussite pédagogique. Nous ne pourrons quantifier a priori le nombre total d'heures au cours desquelles il sera question du numérique ; nous voulons plutôt imprégner la formation dispensée dans les INSPÉ par les nouvelles potentialités que le numérique révèle.
Enfin, à la demande du ministre, notre démarche vise à insérer la formation au numérique dans un environnement plus vaste encore, à rechercher une forme de décloisonnement. Dans le dessein de créer un cercle vertueux, nous entendons associer, articuler, les dimensions de l'équipement, de la formation et de la mise à disposition des ressources, notamment logicielles. Le réseau Canopé témoigne de cette nouvelle approche, beaucoup plus « panoramique » que celle qui prévalait auparavant. Deux projets que portent conjointement le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), les collectivités territoriales, Canopé, le ministère de l'Éducation nationale, ainsi que d'autres acteurs, la développent également. Ils concernent des démonstrateurs dans l'Aisne et le Val-d'Oise.
, directrice générale du réseau Canopé. L'opérateur que je dirige depuis le début du mois de mars 2020 s'est recentré sur une mission de formation des enseignants au numérique et par le numérique. Elle correspond parfaitement à l'objet de la table ronde à laquelle vous m'avez conviée.
Ainsi que l'a mis en évidence M. Édouard Geffray, la période du confinement a permis à Canopé d'accélérer notablement sa transformation, en lien étroit avec les directions du ministère de l'Éducation nationale et avec le soutien des politiques éducatives. Je vous en donnerai un exemple. Il répondra, je pense, à vos questions sur les leviers et freins en matière de formation au numérique.
En collaboration avec l'académie de Poitiers, nous avons mené une étude pendant la période du confinement et au-delà, puisqu'elle s'est achevée au mois de juin. Elle a porté sur près de 2 000 enseignants des premier et second degrés, sur leurs pratiques et leurs attentes.
Au terme de la période de confinement, 50 % des interrogés ont évoqué une utilisation du numérique qui concernait essentiellement des outils de communication avec les parents, notamment par l'intermédiaire des espaces numériques de travail (ENT), ainsi que les ressources au sens large. Placé dans un environnement éducatif, le numérique recoupe donc des réalités extrêmement différentes les unes des autres. Du point de vue de la formation, le constat conduit à distinguer entre la formation à l'outil et la formation à l'usage.
De même, une proportion de 50 % des répondants nous ont déclaré connaître de sérieuses difficultés pour identifier les ressources adaptées à la classe. Telle que nous la mettons en œuvre au sein de Canopé, la formation a précisément pour but, non d'apporter des listes de ressources, ainsi que le proposent certaines plateformes, mais d'indiquer à l'enseignant l'usage qu'il peut en envisager dans sa classe et, en définitive, de s'y retrouver dans une offre particulièrement abondante.
Dans l'étude, les enseignants marquent également leur volonté d'un accompagnement. Quant à sa nature, ils évoquent une formation continue personnalisée, adaptée à leurs compétences numériques. Les verbatim de l'étude montrent que des enseignants jugent que les formations, dont ils bénéficient dans les INSPÉ ou au titre de leur formation continue, ne tiennent pas compte de l'hétérogénéité des pratiques préexistantes. L'enjeu de la personnalisation de la formation apparaît déterminant.
Au chapitre des points positifs et des acquis de la période de confinement, nous relevons que 57 % des enseignants ont vu leur pratique numérique renforcée. Nous pouvons ici saluer leur dynamisme et leur créativité pendant cette période. Les enseignants disent s'être adaptés aux circonstances. Pour 40 % d'entre eux, ils en gardent la conviction d'une priorité à l'autonomie de l'élève ; 31 % mettent en avant la différenciation pédagogique.
Ces données apportent des éléments de réponse sur les raisons d'une formation au numérique. Dans le domaine éducatif, je crois que l'un des freins a trait à l'absence de certitude quant à l'importance du numérique sur l'apprentissage des élèves. Une étude PISA ( programme for international student assessment, programme international pour le suivi des acquis des élèves) de l'organisation de coopération et de développement économique (OCDE), que l'Agence éducation et formation (AEF) a détaillée hier, montre encore que dans certains établissements suréquipés, les résultats des élèves ne sont pas nécessairement meilleurs que dans des établissements moins bien dotés.
Aux yeux d'un enseignant, la question fondamentale reste celle de savoir en quoi un outil numérique, qu'il soit une ressource ou une facilité de communication, peut répondre à son enjeu premier : l'amélioration des capacités d'apprentissage de ses élèves et de leurs résultats scolaires. La question irrigue l'institution tout entière. En tant qu'acteurs des politiques publiques du numérique et de l'éducation, nous nous y confrontons.
L'enjeu de la formation me paraît se situer à ce stade précis, celui de la capacité d'apporter la preuve de la relation entre l'outil numérique et la qualité d'un apprentissage. Certains projets du programme d'investissements d'avenir (PIA), tel le projet e-Fran dans le cadre du PIA 2 dont les résultats commencent à sortir, s'y intéressent.
Je précise que le réseau Canopé a proposé des formations au numérique pendant le confinement. Elles ont concerné plus de 100 000 enseignants. Ne nécessitant aucune prescription, accessibles gratuitement avec une adresse électronique académique, elles ont pris la forme de webinaires. Nous en avons déjà tiré plusieurs enseignements. Je vous les ai exposés succinctement.
Parmi les préconisations qui ressortent de notre étude, figure la possibilité d'offrir des formations en fonction des compétences numériques des enseignants. Cet axe de personnalisation me semble particulièrement important. De plus, l'adaptation aux usages apparaît déterminante. Elle suppose une évidente montée en gamme des entreprises du numérique éducatif. Elle implique également une formation qui peut par exemple passer par les pairs, avec le partage d'expériences concluantes. Les différences sont bien entendu de taille entre le premier et le second degré, ainsi que d'une discipline à une autre.
Les enseignants attendent que nous les guidions, que nous labellisions certaines ressources. La formation que Canopé leur propose y participe. Par exemple, l'entreprise de pointe Lalilo, lauréate du PIA dans le domaine de l'intelligence artificielle, a développé une ressource qui peut être utilisée en classe. La formation est déterminante pour montrer en quoi cette ressource peut être utilisée, dans quel contexte, etc.
Ne sous-estimons pas la remarquable créativité des enseignants en matière de création de ressources propres. En témoigne le nombre des associations professionnelles et des enseignants propriétaires de ressources. Il incombe à l'institution de valoriser leur travail et leurs ressources, sous peine d'en voir le bénéfice revenir au secteur privé.
En dernière analyse, je le répète, la question fondamentale reste celle-ci : en quoi le numérique peut-il améliorer l'apprentissage des élèves ? Elle prend place à côté du problème de l'éducation d'enfants libres dans un monde entièrement numérique, où surgissent les enjeux de la connaissance que ce monde impose, de l'information sur l'utilisation des données personnelles et du respect de ces données. Par ses formations centrées sur le numérique, Canopé accompagne les enseignants dans l'élaboration de leur réponse à cette question centrale.
Chers collègues, étant donné le nombre d'interventions prévues, je vous invite à la concision.
L'offre numérique présente de nombreux atouts pour la formation continue des enseignants et des équipes éducatives. En Dordogne, par exemple, le confinement a permis de renforcer la formation des accompagnants des élèves en situation de handicap. L'expérience s'est révélée des plus intéressantes.
Les formations à distance sont dispensées à partir de campus numériques. L'offre n'en est que plus large. Je pense particulièrement à la formation à l'école inclusive et à l'enseignement aux élèves en situation de handicap.
Quelles sont les initiatives destinées à améliorer la formation à distance hautement spécialisée et à rapprocher des apprenants les formateurs des INSPÉ, à l'instar de ceux de l'institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA) ?
Par ailleurs, la plateforme « Cap école inclusive » est ouverte depuis un an. Elle se destine à l'autoformation, propose des outils d'observation et met à disposition des ressources selon les handicaps. Quels sont vos retours d'expérience sur l'utilisation et l'appropriation par les enseignants, par les accompagnants et par les familles, de cet outil ?
Dans la continuité de celle qui l'a précédée la semaine dernière, cette table ronde me permet de poser une nouvelle fois une question à laquelle je n'ai pas encore reçu de réponse tout à fait satisfaisante. Au-delà du problème essentiel de la rupture d'égalité, qu'elle soit sociale ou territoriale, dans l'accès des élèves aux apprentissages du numérique, permettez-moi de revenir sur le sujet de la formation des professeurs dans ce domaine.
Nous le comprenons aisément, un professeur ne saurait s'engager dans la voie du numérique et assurer un enseignement de qualité sans avoir au préalable bénéficié d'une formation qui le prépare à un environnement professionnel profondément modifié et à des usages bouleversés.
La question de l'avenir du réseau de création et d'accompagnement pédagogiques (Canopé) se pose donc. Celui-ci a vu ses ressources diminuer. Il connaît une phase de restructuration. Or, il semble prouver son efficacité et son utilité, encore plus particulièrement dans un contexte qui soumet à rude épreuve notre système public éducatif.
Ma question s'adresse à Mme Missir : comment renforcerez-vous, ainsi que vous le suggérez, la formation des enseignants ? comment, surtout, le réseau Canopé y concourra-t-il ?
Comme enseignante, le fait d'entendre poser la question « Quel emploi de l'outil numérique pour quel résultat pédagogique ? » m'apporte une forme de soulagement. Cette question est fondamentale. Elle correspond véritablement à l'attente des enseignants.
Je souhaite par ailleurs énoncer une autre question, qu'un enseignant m'a soumise. Elle s'attache à la formation au numérique en général. Depuis septembre 2019, le dispositif Pix remplace le brevet informatique et internet (B2i), ainsi que le niveau 1 de certification informatique et internet (C2i). Dès la classe de quatrième, cette plateforme permet aux élèves d'évaluer leurs compétences numériques selon le cadre de référence des compétences numériques. Elle leur donne une certification nationale de leur niveau de compétence, inscrite dans le livret scolaire.
Le résultat obtenu sur la plateforme Pix entrera-t-il en compte dans les critères de sélection via Parcoursup, notamment lorsque l'élève s'oriente vers une carrière informatique ou numérique ? Des formes de remise à niveau, ou remédiations, sont-elles prévues à l'université dans le cas où un futur enseignant aurait obtenu un résultat Pix insatisfaisant ?
Nous le savons, les enseignants ont pu éprouver des difficultés à assurer un apprentissage à distance pendant le confinement. Ils se sont sentis insuffisamment formés à ces pratiques ou simplement insuffisamment accompagnés. La poursuite de la crise sanitaire trace la voie d'une numérisation renforcée de notre école. Pour autant, il nous semble nécessaire d'examiner la pertinence d'une telle tendance.
L'efficacité des techniques numériques dans le domaine de l'apprentissage des savoirs scolaires a souvent été contestée, y compris par des chercheurs. Je pense en particulier aux travaux de MM. Franck Amadieu et André Tricot. Ces derniers dénoncent les vertus prétendument miraculeuses du numérique, comme celle de développer l'autonomie des élèves. Or, l'autonomie n'apparaît en définitive pas tant comme un résultat que comme un prérequis à l'utilisation du numérique. Aussi le tout numérique contient-il insidieusement un potentiel d'inégalité scolaire.
Comment le virage numérique pourrait-il alors répondre à l'objectif d'égalité des chances que porte notre école républicaine ?
J'aimerais que nos invités nous précisent ce qu'ils pensent des espaces de co-learning, ou co-apprentissage. Parti de Berlin, le coworking, ou travail collaboratif, s'est pour sa part fortement développé. Nous comptons à ce jour environ 1,5 million de personnes qui exercent une activité professionnelle sous cette forme.
Réunir des enfants autour d'un enseignant dans un espace extérieur à celui de l'école permet un apprentissage novateur. Le co-learning commence à se mettre en place en France. Votre point de vue de spécialistes sur cette question serait le bienvenu.
Je souhaite revenir sur le rapport que le réseau Canopé a réalisé sur les usages, besoins et acquis des enseignants en période de confinement. Il montre que la situation inédite que nous avons traversée a conduit les enseignants à concevoir des modifications profondes à leurs méthodes et aux outils d'enseignement.
Ainsi que le rapport le conclut, l'expérience offre l'occasion de favoriser l'intégration des usages du numérique à l'école, d'y développer ces nouvelles pratiques, voire d'améliorer les modalités d'enseignement. L'utilisation du numérique à l'école est susceptible de contribuer au développement d'une réelle différenciation pédagogique. De l'enseignement du français et des langues à celui des mathématiques, ce mode d'apprentissage peut véritablement devenir l'outil efficace au service de l'égalité des chances.
Au-delà de ce constat, la mise en œuvre intervient dans un contexte de réalités complexes, celles de la classe et de l'école, et est confrontée à de nombreuses contraintes.
Comment l'outil numérique aidera-t-il les enseignants à travailler, dans la durée, à la mise en place d'enseignements adaptés pour leurs élèves ? Comment former par ailleurs les enseignants à cette nouvelle phase ?
Je crois que nous partageons tous la conviction qu'un numérique magique n'existe nullement dans le champ éducatif. Il serait illusoire d'attribuer au numérique des vertus miraculeuses qui résoudraient l'ensemble des problèmes que nous rencontrons. La question du pourquoi du numérique éducatif ne manque assurément pas de pertinence.
Au cours de son intervention, Mme Marie-Caroline Missir y a apporté de premiers éléments de réponse. J'y reviens.
Il ne s'agit aucunement de se substituer au cours, et encore moins à l'enseignant. Toutefois, la crise du coronavirus et le confinement nous ont révélé que les outils numériques autorisent, d'une part, une personnalisation de certains dispositifs éducatifs, d'autre part, des processus de remédiation d'un intérêt évident.
J'en donnerai un exemple, à mon sens assez révélateur. Il se rapporte à la mise en place de « Ma classe à la maison », le dispositif du centre national d'enseignement à distance (CNED). Sa partie ressources à destination des élèves comporte des exercices qui procèdent de la logique de remédiation. Un dispositif de ce type complète le travail du professeur qui ne connaît pas nécessairement, en permanence, les besoins individuels de chacun de ses élèves.
Un autre exemple concerne la mise en place des classes virtuelles. Les professeurs ont amplement utilisé ce système. Au début du mois de mai 2020, environ 3 millions d'élèves bénéficiaient ainsi tous les jours d'une ou plusieurs classes virtuelles par le seul dispositif du CNED. Les professeurs nous indiquent que ces outils ont permis à des élèves complètement effacés en classe d'intervenir plus aisément et spontanément.
S'agissant de l'école inclusive, l'une de nos priorités absolues, l'ouverture à tous d'un premier outil, la plateforme « Cap école inclusive », s'est traduite par un usage assez massif. Avec le concours des INSPÉ, nous nous attachons dorénavant à élaborer une formation sur l'école inclusive qui ne soit pas nécessairement une formation par catégories de bénéficiaires, même si cela peut se justifier pour certains sujets. Nous avons intérêt, pour d'autres thématiques, à construire une culture commune aux différents intervenants en présence : accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), professeurs, agents de direction.
En définitive, nous raisonnons aujourd'hui à partir des deux dimensions. D'un côté, l'autoformation par le moyen des plateformes numériques laisse à chacun le loisir de se perfectionner quand il le souhaite et dans les domaines qui l'intéressent ; de l'autre, nous ménageons un socle commun. Il se retrouve dans les INSPÉ, en particulier dans la formation des AESH.
Je m'étendrai sur la formation initiale des enseignants, dont est chargé, conformément à la loi, le réseau des INSPÉ.
Pour ce qui a trait à l'école inclusive, un module sera effectivement bientôt mis en place d'une manière uniforme dans le master MEEF, tant dans son volume horaire, de vingt-cinq heures, que dans ses objectifs. Il embrasse la question du numérique.
Tel que nous le concevons dans les INPSÉ, le numérique ne renvoie pas uniquement à l'enseignement à distance. En eux-mêmes, les outils numériques ne se distinguent guère d'autres outils. C'est la façon dont nous les utilisons qui prime. Si nous souhaitons qu'il aide à lutter contre le déterminisme social, il importe que nous sachions comment prendre en compte le numérique. Certains types de logiciels facilitent par exemple l'apprentissage.
L'évaluation raisonnée et scientifique de ces pratiques revêt alors toute son importance. Des INSPÉ ont mis en place des dispositifs d'évaluation des outils numériques associés à une pédagogie adaptée. S'il n'y a pas de pédagogie derrière, les outils numériques sont inutiles.
Le C2i2e, supprimé voici quelques années, représentait une étape. Il nous faut donc concevoir un nouveau moyen d'évaluation des compétences numériques, au plus près des réalités quotidiennes des classes. L'arrêté du master MEEF prévoit une nouvelle certification obligatoire qui vise à remplacer le C2i2e. La direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) prend part au travail qui se met en place avec la DGESCO.
J'apporterai quelques éléments de réponse sur les effets du numérique éducatif dans l'apprentissage.
Démontrer un impact sur l'apprentissage s'avère toujours éminemment difficile, quelle que soit la méthode utilisée, quel que soit l'objet considéré. Un apprentissage n'est jamais complètement imputable à un facteur en particulier. En soi, le numérique demeure sans effet sur les apprentissages. Tout dépend ici de ce que nous en faisons.
Vous avez cité André Tricot qui conteste au numérique toute forme de miracle éducatif. Sur le fond des tâches pédagogiques ‒ rechercher des informations, résoudre un problème ‒ le numérique n'apporte nulle nouveauté. Il reste un pur moyen. Pour sa part, Philippe Meirieu le compare à n'importe quel autre outil, qui servira aussi bien aux meilleures qu'aux pires des intentions. Ainsi, il prend l'exemple d'un marteau qui peut tout à la fois permettre de construire une étagère ou de tuer son voisin.
Si, sur le fond, nous n'assistons à aucune révolution, il nous est néanmoins loisible de recourir à des critères de mesure. Ils s'attacheront par exemple à la motivation ou à la concentration des élèves. Un écran suscite ainsi un état mental particulier, dit état de flow, permettant d'atteindre la zone proximale d'apprentissage. Ils concerneront encore le rôle du corps et des sens, par exemple, pour apprendre dans une situation de réalité virtuelle. Il s'agira enfin de s'adapter à des profils d'apprentissage différents, de permettre aux élèves de coopérer, de s'entraider, de collaborer…
Si je prépare un exercice pour ensuite simplement le mettre en ligne afin que mes élèves en prennent connaissance et le réalisent, l'effet du numérique sur les apprentissages reste nul. Tout au plus me permettra-t-il de corriger plus rapidement les copies. En revanche, proposer un exercice en ligne interactif, pour lequel les élèves devront élaborer des stratégies et les verbaliser avec leurs camarades en vue de résoudre le problème qui leur est soumis, devient susceptible d'influer sur leur motivation et de favoriser les apprentissages, sans cependant jouer directement sur l'apprentissage lui-même.
Ces explications montrent combien le geste de formation se révèle indispensable en vue de l'acculturation et de la conviction relatives à ce sujet du numérique.
Pour ce qui tient à l'avenir du réseau Canopé, la période de confinement a considérablement accéléré l'agenda de la mission que le ministre m'a confiée. Dès la mi‑mars, nous avons ouvert un site en ligne, « CanoTech ». Il se destine d'une part à la curation de ressources, à une éditorialisation quotidienne, en réponse à l'un des besoins que les enseignants ont exprimé dans notre étude, d'autre part, à la mise en œuvre d'un programme national de formation à distance à l'attention des enseignants. À ce jour, plus de 100 000 d'entre eux en ont bénéficié.
Ce site est pérenne et s'est prolongé au-delà de la période de crise sanitaire. Nous avons continué à dispenser nos formations pendant les vacances estivales, dans le but de préparer les enseignants à la rentrée scolaire. Les formations ont été proposées en collaboration étroite avec la DGESCO, l'Inspection générale et la DNE.
La précision qui suit répondra à vos interrogations sur l'égalité des chances et l'inclusion. Les thématiques des formations en ligne que nous proposons aux enseignants se répartissent en trois catégories. La première est relative aux métiers de l'humain, c'est-à-dire au lien avec l'élève, ainsi qu'à la gestion du stress – particulièrement en période de crise ou post-crise. La deuxième concerne précisément la remédiation. Elle vise l'accompagnement des élèves en situation de handicap, le traitement de situations d'hétérogénéité scolaire ou de « décrochage », particulièrement notables pendant le confinement. Enfin, la troisième se rapporte au numérique : formation aux outils numériques, hybridation, accompagnement pédagogique spécifique.
Les formations les plus sollicitées pendant le confinement furent celles qui traitent de la classe inversée, ainsi que celle qui s'intitule « Repenser sa classe et sa pédagogie ». M'inscrivant à la suite des propos de M. Édouard Geffray, j'en déduis que le véritable sujet du numérique éducatif intéresse l'innovation pédagogique et la personnalisation des apprentissages.
Depuis le mois de mars 2020, nous observons le glissement d'une préoccupation de la maîtrise de l'outil numérique lui-même vers un intérêt croissant pour de nouvelles pratiques pédagogiques qui personnalisent l'apprentissage, effectuent de la remédiation et portent une attention accrue à l'inclusion.
La mission du réseau Canopé s'est ainsi affirmée et la feuille de route est claire et essentielle dans un tel contexte. Elle a trouvé à se réaliser pendant la période récente au travers d'actions concrètes qui ont rapidement rencontré un public et un usage. Nous consoliderons le plan national de formation à distance que nous avons mis en place, et que nous n'imaginions pas avant le mois de mars.
M. Édouard Geffray a évoqué les territoires du numérique éducatif (TNE), cette expérimentation menée dans les deux départements de l'Aisne et du Val-d'Oise. Nous en sommes des opérateurs en formant, en lien avec les académies, les enseignants concernés par le dispositif.
En relation avec le réseau des INSPÉ, nous élaborons par ailleurs un autre projet structurant, intitulé e-INSPÉ, une plateforme de formation à distance des enseignants. Le directeur général de la DNE, M. Jean-Marc Merriaux, en a fait état devant vous lors d'une précédente table ronde.
Vous nous avez interrogés sur la plateforme « Cap école inclusive ». Canopé en est l'opérateur, en liaison avec la DGESCO. Lancée en mars 2020, elle ne permet pas encore de vous communiquer des chiffres d'audience véritablement significatifs. Elle reçoit 400 visites par jour et compte une moyenne de 60 000 sessions. Nous avons relevé un pic d'activité à la date du 5 avril.
Le numérique offre de nombreuses possibilités éducatives, particulièrement utiles pendant la période de crise que nous traversons. Toutefois, il comporte également des dangers sur lesquels il est important que les élèves soient mobilisés. Très actifs sur l'internet, dans les réseaux sociaux, les jeunes sont une cible de choix des contenus haineux en ligne, mais aussi des informations manipulées qui y circulent.
Depuis l'adoption de la loi visant à lutter contre les manipulations de l'information, un article du code de l'éducation prévoit la formation des enseignants et du personnel d'éducation aux enjeux de l'éducation aux médias et leur sensibilisation à la lutte contre les discriminations, ainsi qu'à la manipulation d'informations.
Concrètement, je souhaiterais savoir comment se déclinent ces formations. Selon vous, les moyens et méthodes mobilisés s'avèrent-ils adaptés pour former efficacement les enseignants à ces enjeux et prémunir les élèves contre les dangers de l'internet ?
Vous avez insisté sur la nécessité de choisir une approche à « 360 degrés », qui associe usages et outils. Cependant, nous le savons, l'équipement numérique de l'institution scolaire dans son ensemble représenterait un coût significativement élevé, d'autant plus dans un contexte de contrainte budgétaire.
L'éducation nationale dispose-t-elle véritablement des moyens d'une numérisation à grande échelle de la scolarité ?
Madame Missir, le confinement a bouleversé la manière de concevoir l'école. Les parents ont parfois été contraints d'assurer la continuité pédagogique à la maison.
La question de l'accompagnement des enfants par leurs parents est essentielle, celle de la maîtrise par ces derniers des outils numériques primordiale. Je vous interrogerai sur ce que le réseau Canopé a mis en place pendant le confinement, ou depuis cette période, afin d'accompagner les parents dans l'utilisation de ces outils. Plus généralement, en quoi l'action du réseau consiste-t-elle en vue de former les parents et tous les accompagnants scolaires, dont les AESH ainsi que les assistants d'éducation, à une meilleure maîtrise des outils et dans leur accompagnement des enfants ?
Lorsque nous parlons aujourd'hui du numérique, il est évident que la notion recoupe des réalités fort diverses. Nous le constatons au travers des propos qui se tiennent ce matin.
Une enquête menée lors du confinement signale qu'une large majorité de 69 % des professeurs se considèrent à l'aise avec le maniement des outils numériques et qu'ils utilisent ces ressources en classe. En revanche, seuls 21 % des professeurs demandent à leurs élèves de travailler avec ces mêmes outils. Un tel constat contient, il me semble, des éléments de réponse sur la question de la formation précédemment soulevée.
Un excellent document de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale, met en avant une utilisation très hétérogène des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans les activités d'apprentissage en Europe. En France, en classe de quatrième, la part des élèves qui emploient les TIC chaque jour à l'école pour apprendre s'établit à 8 %. Celle des élèves qui recourent aux TIC en dehors de l'école dans un objectif d'apprentissage y atteint 25 %. L'étude des classements internationaux révèle que la Finlande présente la proportion la plus faible des pays européens pour ce qui tient à l'utilisation du numérique aux fins d'apprentissage.
Selon vous, que convient-il d'entreprendre et quels sont les meilleurs modèles en Europe ?
Ma question s'adresse plus particulièrement à M. Alain Frugière. Elle concerne le volume des maquettes de formation consacré aux usages du numérique.
Comment faire évoluer ce temps d'apprentissage ? Qui travaille à la formation des formateurs afin d'intégrer cet outil et ces usages dans tous les apprentissages des étudiants, car le numérique n'est-il pas transversal ?
Comment les bonnes pratiques qui apparaîtront lors des États Généraux du numérique pour l'éducation pourront-elles être intégrées au contenu des formations que les INSPÉ dispensent ?
Enfin, les INSPÉ mènent-ils des recherches-actions sur le numérique éducatif dans les établissements scolaires afin, à terme, de contribuer à l'évolution des pratiques, ainsi qu'à celle de la formation des enseignants dans ce domaine ? De telles recherches confirmeraient peut-être la pertinence des classes inversées, de les évaluer et de les faire évoluer.
Un mot tout d'abord sur ce qui relève de l'éducation aux médias dans les INSPÉ, au titre de la formation initiale des enseignants.
Une partie de nos formations concerne le disciplinaire du numérique et de ses outils. Une autre partie s'intéresse de manière plus transversale à l'éducation aux médias. Il s'agit d'apprendre à contrôler les données et à faire face à des situations complexes telles que le cyberharcèlement. Des enseignants-chercheurs, spécialistes de l'éducation aux médias, interviennent dans nos instituts.
Je répondrai ensuite à votre interrogation relative aux moyens d'accroître la part de nos formations dédiées à ces sujets.
Avant toute chose, il convient de ne jamais oublier que si les masters MEEF forment à un métier, ils préparent également à un concours, académique pour le premier degré, national pour le second. À l'évidence, au cours des deux années qu'ils passent avec nous, nos étudiants en formation initiale gardent pour objectif principal de réussir les concours.
Ces concours sont en voie de rénovation. Y accorder une place au numérique éducatif, par exemple dans le cadre de la seconde épreuve orale qui va sûrement être mise en place, contribuerait à attirer l'attention des étudiants sur les problématiques dont nous traitons à l'occasion de la présente table ronde.
Les heures que les INSPÉ consacrent au numérique éducatif consistent en des enseignements précis, en de la recherche, de même qu'en des dispositifs innovants. Nous observons comment le numérique se met en œuvre dans les classes et tâchons, en les objectivant autant que possible, d'en évaluer les pratiques, notamment par des recherches‑actions.
Les INSPÉ organisent également des dispositifs de formation de formateurs, afin de les préparer à l'usage des outils numériques. À titre d'exemple, l'INSPÉ de Paris a mis en place des modules de formation de formateurs qui s'attachent à préparer l'hybridation des enseignements.
S'agissant de la formation des parents, je dois reconnaître que Canopé s'est recentré sur la formation des enseignants. Notre production éditoriale, tant numérique qu'en édition papier, n'en demeure pas moins assez large. Elle s'adresse directement aux élèves et, indirectement, à leurs familles.
Je distinguerai la période du confinement de notre stratégie. Pendant la première, nous nous sommes effectivement livrés à un exercice de curation des ressources qui a pu être utile aux parents. La seconde se concentre sur les enseignants.
Je citerai l'exemple d'un travail sur la parentalité numérique que nous conduisons actuellement dans le cadre des TNE, en collaboration étroite avec la plateforme La Trousse à projets. De forme associative, celle-ci s'intéresse plus particulièrement à l'inclusion numérique des parents et à leur accompagnement. À l'occasion de notre coopération, nous relions la formation des enseignants au numérique à celle des parents d'élèves.
Lorsque nous traitons de numérique à l'école, nous discernons quatre dimensions.
La dimension pratique renvoie à l'outil de communication. La dimension pédagogique est celle sur laquelle nous nous interrogeons le plus.
La dimension de l'éducation au numérique pose la question de la formation du futur citoyen au fait que le numérique se présente comme un espace de droits et de devoirs. Ici, nos actions s'orientent essentiellement sur les problèmes de cybermalveillance, en partenariat avec l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et le groupement d'intérêt public (GIP) Cybermalveillance. Nous entendons protéger les élèves et leur apprendre à se protéger. En matière de données personnelles, nous intervenons avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) dans le collectif Éducation numérique (Educnum). L'enjeu du cyberharcèlement nous apparaît quant à lui majeur.
Enfin, la quatrième dimension du numérique éducatif tient à la construction d'une expertise. Il nous faut donner le goût du numérique à des élèves qui en seront les futurs experts. Cet objectif justifie la spécialité « Numérique et sciences informatiques » au lycée. Elle a vu en 2020 le nombre des élèves qui s'y sont inscrits croître sensiblement en comparaison de l'année précédente. Il a également impliqué la création en 2019 du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) « Numérique et sciences informatiques » (NSI). Le ministre a annoncé qu'une agrégation correspondante sera créée d'ici quelques années. Dépassant 2 000, le nombre des candidats aux premières épreuves de ce CAPES s'est révélé impressionnant.
D'une certaine façon, ces collègues, qui deviendront les spécialistes des nouvelles filières du numérique, « polliniseront » la salle des professeurs de leurs établissements. Dans une logique d'incubation, ils participeront au développement de cette culture.
Sur les questions de notre capacité à agir et du meilleur modèle, les États Généraux du numérique pour l'éducation prennent tout leur sens. Il nous faut y préciser la suite que nous entendons donner au foisonnement des initiatives qui s'est fait jour, au regard de notre modèle social de coéducation avec les parents.
Je ne doute pas de notre capacité d'action et d'évolution, dès lors que nous nous serons mis d'accord sur les objectifs à atteindre et sur les moyens de les atteindre.
Au sujet des concours, l'aspect numérique devient un enjeu, y compris dans les modalités de passage des épreuves. La direction générale des ressources humaines (DGRH) du ministère de l'Éducation nationale y travaille de concert avec les INSPÉ.
Que je vous entende bien : sur la question du concours, vous suggérez que l'introduction des problématiques du numérique éducatif dans les épreuves contribuerait à mobiliser efficacement les étudiants, futurs enseignants, sur ces enjeux ?
Les étudiants visent d'abord la réussite aux épreuves du concours. Y évaluer leurs connaissances dans le domaine du numérique éducatif ne peut que renforcer l'intérêt qu'ils portent au sujet.
Un temps, il avait été envisagé d'organiser une épreuve écrite au cours de laquelle les candidats au concours du professorat des écoles auraient accès à l'ensemble des données librement disponibles en ligne et construiraient à partir d'elles une séquence de classe. La mise en place d'une telle épreuve s'avère complexe, mais l'esprit en demeure présent.
L'information abonde. Comment choisir entre ses différentes sources ? Comment distinguer le vrai du faux ? Les enjeux sont réels. D'une manière ou d'une autre, il importe que le concours évalue la capacité des candidats à s'en emparer.
Si le concours se contente d'évaluer les seules connaissances disciplinaires, les étudiants se prépareront uniquement à leur maîtrise. Au contraire, si le concours introduit des considérations relatives au numérique, à l'égalité entre les femmes et les hommes, au harcèlement, les étudiants s'investiront davantage dans ces questions, au-delà de ceux qui sont impliqués par nature.
Je voudrais revenir sur les notions d'autonomie, d'inclusion et de harcèlement.
Affirmer que le numérique apporte l'autonomie semble inexact. Je dirais plutôt qu'il exige l'autonomie. Or, apprendre de manière autonome s'avère difficile. Un apprentissage de ce type n'appartient pas à notre culture. Ainsi, j'insiste de nouveau sur le rôle de l'enseignant, qui accompagne et guide les élèves dans la contextualisation de leurs savoirs, pour les transformer en connaissances.
J'interviens comme enseignante dans un INSPÉ. Dans ma charge d'enseignement, je recours aussi bien à des cours en présence des élèves qu'à des cours à distance, pour un volume horaire équivalent. Sur le fond, les connaissances que je délivre ne changent pas dans un cas ou dans un autre. En revanche, selon le cas de figure, je ne scénarise pas du tout mes cours de la même manière. Là réside, à mon avis, ce sur quoi la formation des enseignants au numérique doit porter.
Je précise que les cours à distance me permettent de m'adresser à des étudiants hospitalisés, à des étudiants qui exercent une activité professionnelle, ou qui ont des enfants. Sous l'angle de l'inclusion, l'apport du numérique me paraît significatif.
Sur le problème du harcèlement, lorsque nous parlons de numérique, nous avons tendance à opposer le virtuel et le réel. Il convient de saisir que le virtuel ne manque pas de réalité. Tout un vocabulaire ‒ le « nuage », la « dématérialisation » ‒ nous laisse à penser le contraire. Il participe de cette impression que le virtuel ne serait pas réel. Or, il ne l'est pas moins. En particulier, son poids écologique se révèle conséquent : serveurs et réseaux filaires sont bien réels.
Par suite, nous devons comprendre que nos actions en ligne ont des conséquences. Pour un jeune, créer une chaîne YouTube avec son nom, y dévoiler son environnement et son intimité, emporte des conséquences qui s'inscrivent dans une durée longue ‒ ce que nous nommons les « éternités numériques ». Ces considérations dépassent les contenus disciplinaires. Elles relèvent de la culture et de l'éducation des enfants.
Je vous inviterai à reposer votre question aux représentants des régions et des départements à l'occasion de la table ronde, relative aux conditions du déploiement du service public du numérique éducatif, qui suivra ce premier échange.
Sans doute l'Éducation nationale peut-elle, elle aussi, apporter une réponse à ma question.
Je l'évoquais tout à l'heure : avant le « combien », il nous faut définir le « quoi » et le « comment ». Tel est le sens des États Généraux à venir. Ils dresseront un diagnostic des besoins en matière de numérique éducatif.
Je ne dénie aucunement l'enjeu de l'équipement matériel. Cependant, cet équipement est déjà en grande partie réalisé dans les collèges et les lycées, sous l'action des départements et des régions. S'agissant de l'équipement des élèves, nous savons que la réponse ne revêt pas nécessairement un caractère universel. Celui des professeurs requiert des travaux. Ils se sont engagés sous l'impulsion de l'agenda social du ministère de l'Éducation nationale.
À ce jour, je ne suis pas en mesure de vous communiquer les montants que nos futures actions représenteront. Avant que de s'entendre sur un prix, nous devons nous accorder sur les buts à poursuivre.
Madame Missir, j'ai bien compris que les missions du réseau Canopé se recentraient sur la formation des enseignants.
La Cour des comptes écrit que « Canopé est un acteur clé du service public numérique éducatif ». Dans mon département de la Manche, 100 % des collèges et lycées y adhèrent, mais encore 70 % des centres de loisirs avec 1 500 usagers actifs et 15 000 visiteurs par an dans L'Atelier et ses deux antennes.
J'ai récemment visité l'antenne implantée dans ma circonscription, à Avranches, et y ai rencontré les agents qui y travaillent. Ils m'ont exprimé leurs craintes, notamment face aux restrictions budgétaires prévues et aux réorganisations qu'elles induisent.
J'aimerais, madame la directrice, que vous nous renseigniez sur les perspectives du réseau Canopé dans son organisation, autrement dit sur la pérennité de son implantation territoriale, en présentiel, au plus proche des enseignants.
Nous le savons, le numérique éducatif est bénéfique pour de nombreux enfants. Cependant, il peut aussi constituer un frein pour certains enseignants qui y demeurent réticents.
Le ministère de l'Éducation nationale a-t-il pris en compte ces réticences ? Comment procède-t-il pour mieux accompagner ces professeurs ?
Avec d'autres partenaires publics, l'Éducation nationale met des outils numériques à disposition des professeurs, des élèves et de leurs parents. Pendant la crise sanitaire, nous avons constaté que la maîtrise de ces outils n'était pas toujours optimale, et surtout sa grande disparité.
Quels sont d'après vous les moyens à mettre en œuvre afin de promouvoir les outils numériques développés par l'Éducation nationale et ses partenaires, outils souvent méconnus, y compris des enseignants ?
Comment abordez-vous la problématique de la concurrence d'autres outils numériques, peut-être mieux connus des enseignants et des parents, mais de conception nord-américaine ? Je pense particulièrement aux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
J'alerterai sur la situation des jeunes en situation d'habitat précaire. Pour eux, l'enjeu scolaire s'avère, plus que jamais, vital. Or, ils demeurent totalement démunis, faute parfois d'une simple connexion à l'internet.
Comment inciter l'Éducation nationale et les collectivités territoriales à se sentir concernées par ces exclus de la scolarité ? Ni la motivation, ni la faim d'apprendre, ni même les atouts, ne manquent à ces jeunes gens, bien au contraire.
J'évoque une préoccupation d'intérêt public, pour laquelle je réclame de l'attention, ainsi qu'un minimum d'investissement. La société y gagnerait, tant il en va de l'ancrage de ces jeunes en son sein.
Enfin, je repose une question à laquelle il n'a pas été répondu : qu'en est-il du co‑learning ?
Il sera intéressant de soumettre vos premières questions aux intervenants de la seconde table ronde de ce jour, en leur qualité de représentants des administrations des collectivités territoriales.
Ainsi que ma collègue Mme Fabienne Colboc, je souhaite attirer votre attention sur les garde-fous envisagés pour protéger les élèves, nos enfants, de l'usage intensif des écrans et des réseaux sociaux.
Je reprendrai ensuite le thème que j'avais abordé la semaine dernière, à savoir l'intérêt du numérique, spécialement de certains logiciels, comme vous le soulignez monsieur Frugière, pour favoriser la persévérance scolaire et en définitive la réussite des élèves, quel que soit leur parcours, dans ou hors les murs de l'institution scolaire.
La crise sanitaire a entraîné le passage quasiment immédiat d'une grande partie de la communauté éducative à des pratiques numériques distancielles. Ce passage a mis en avant des disparités ; le constat en a été dressé au cours de cette table ronde, comme lors des précédentes.
Concomitamment, la crise offre une occasion et constitue un défi. Elle interroge la place que la formation à la culture et aux compétences numériques doit occuper dans la formation initiale et continue des enseignants.
J'ai eu la possibilité de me rendre au laboratoire d'innovation numérique pour l'éducation (LINE) de l'école supérieure du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) de l'académie de Nice et de l'Université Nice Sophia Antipolis. Il développe un module « compétences et culture numériques » en tant qu'entité propre. Il permet à chaque enseignant de découvrir les potentialités des techniques numériques, en vue d'élaborer ensuite et de mettre en œuvre des activités d'apprentissage médiatisées. Il évite par ailleurs la dilution des compétences numériques dans les enseignements disciplinaires.
En France, dans d'autres INSPÉ, il semble cependant que ces apprentissages soient abordés de façon plus transversale.
À votre avis, quel schéma favorise-t-il le mieux l'intégration des éléments de la culture numérique nécessaires à l'exercice du métier d'enseignant ?
Je me situerai dans la lignée des mesures que le ministère a engagées. Elles étaient attendues de longue date. Elles ont trait à la création de la spécialité « Numérique et sciences informatiques » au lycée, à celle du CAPES correspondant et bientôt de l'agrégation. Ces avancées sont remarquables.
Qu'en est-il de l'enseignement du codage à l'école primaire ? Le problème ne tient, semble-t-il, pas au nombre d'heures d'enseignement du numérique, ni seulement à l'enseignement de l'usage des outils, mais plutôt au contenu de l'enseignement, aux concepts fondamentaux du numérique, tels l'algorithmique, le codage et la structuration des données.
Dans la Silicon Valley où les écoles primaires sont depuis longtemps réputées, la part de l'enseignement sur ordinateur et tablette a fortement diminué.
Disposez-vous d'informations sur l'évolution de leurs méthodologies ?
Pour des raisons évidentes, nous évoquons depuis plusieurs mois l'accès à la formation des enseignants aux outils numériques. Afin de les accompagner, l'Éducation nationale a parfois mis en place ses propres outils. Force est de constater que les logiciels utilisés sont souvent des logiciels grand public, qu'ils maîtrisent mieux. Certains enseignants se forment eux-mêmes, par l'intermédiaire de plateformes numériques.
Mme Marie-Caroline Missir a souligné l'importance de l'usage de l'offre de formation du réseau Canopé. Quels sont les outils à votre disposition pour mesurer le bon usage de ces formations ?
Je répondrai aux questions directement adressées au réseau que je dirige.
En signalant le recentrage de sa mission, j'ai déjà évoqué son avenir. J'ai indiqué la semaine dernière à l'ensemble de mes collaborateurs que j'analyse ce recentrage comme une chance majeure au regard de la place que le réseau occupait jusqu'à présent.
Il nous donne l'occasion de nous inscrire au cœur de la stratégie de transformation de l'Éducation nationale, sur des missions de formation, et au cœur même du système éducatif. Le terme d'accompagnement qui caractérisait le réseau change de dimension. Plus que des accompagnateurs, nous nous situerons désormais aux côtés des enseignants, au service de la formation, en application du schéma directeur correspondant, en lien étroit avec les recteurs, le directeur de la formation continue et le directeur général de l'enseignement scolaire.
La question de la transformation du réseau Canopé lui-même va se poser. Elle rejoint celle du suivi et de l'évaluation de l'efficacité des formations. La présence du réseau Canopé dans les territoires demeure un gage d'inclusion et d'accessibilité. Elle participe de l'efficacité de notre action.
Plusieurs initiatives existent. Je pense aux maisons France Service, implantées sur l'ensemble du territoire national.
Pendant le confinement, nous nous sommes interrogés sur la question du lieu. Par nécessité, nous sommes passés à un accompagnement et à des formations à distance.
Je crois à la pertinence de ce que le réseau pratique dans plusieurs départements, à savoir les résidences. Il s'agit d'aller à l'enseignant, dans les établissements, d'y tenir une forme de permanence aux côtés des documentalistes des centres de documentation et d'information (CDI). Il nous faut nous rendre disponibles et développer notre offre de proximité avec des formations in situ.
Notre efficacité passe également par une réorganisation interne, en particulier par celle de nos systèmes d'information. Passer d'un rôle d'éditeur à celui de formateur suppose que nous repensions nos procédés éditoriaux, ainsi que l'évaluation de nos actions et des résultats qu'elles obtiennent.
À ce jour, les outils que nous employons sont des outils de mesure d'audience. Ils nous renseignent insuffisamment sur le degré d'appropriation des formations que nous dispensons.
Dans le parcours de formation, nous devons construire l'articulation entre les différents éléments qui interviennent : l'autoformation, la formation continue sur des thématiques que le ministère retient, les plans de formation ‒ plans académiques et plan national ‒, les outils, enfin le suivi ainsi que la valorisation du parcours des enseignants en recherche de compétences et de certifications supplémentaires.
Les personnes en situation précaire, privées de connexion, ont représenté un enjeu de taille pendant le confinement. Je ne prétendrais pas que nous avons résolu l'intégralité des difficultés. Néanmoins, nous avons distribué 15 000 ordinateurs, notamment par l'intermédiaire du label des « Cités éducatives ». Nous avons de plus entretenu des partenariats avec des associations, dont Emmaüs Connect, ainsi qu'avec les collectivités territoriales, toujours en vue d'équiper les intéressés.
Dans l'hypothèse où des établissements seraient de nouveau confrontés à des fermetures, et où des élèves manqueraient toujours des ressources numériques qui leur sont nécessaires en dépit de la mobilisation des collectivités locales et des académies, nous avons prévu un système d'appui d'urgence. Il comprend des dispositifs de connexion numérique portatifs, de type 4G.
Quant au meilleur schéma à retenir pour vaincre les réticences, promouvoir nos solutions, et au sujet du co-learning, toute réponse me semble impliquer l'articulation de trois aspects : la connaissance, autrement dit la formation, l'expérience, c'est-à-dire la pratique, et le partage entre pairs.
Le réseau Canopé offre ce type d'espaces, physiques ou en ligne, où nos collègues peuvent partager leurs pratiques.
D'une manière générale, nous adaptons notre manière d'aborder et d'élaborer la formation des enseignants. Dans les domaines du français et des mathématiques, nous organisons des formations dites « en constellation ». Elles consistent en des groupes de pairs qui travaillent ensemble sur leurs pratiques pédagogiques. Le numérique appartient à la catégorie des sujets pour lesquels le travail entre pairs constitue le meilleur moyen de s'approprier les outils ainsi que les pratiques et, en définitive, d'intégrer le dispositif à son propre enseignement.
La fracture numérique existe. Je la constate aussi dans la formation des enseignants. Pendant le confinement, nous avons pareillement été confrontés à des problèmes de connexion. Des étudiants en master MEEF connaissent des difficultés sociales. S'y sont ajoutées celles inhérentes au regroupement de la famille sous un même toit, dans un espace réduit.
Ces difficultés nous conduisent à nous interroger sur la manière dont nous devons dispenser nos enseignements à distance. Faut-il nécessairement que nous nous adressions à tout le monde en même temps ? D'autres modalités ne sont-elles pas concevables ?
À l'évidence, l'enseignement à distance ne consiste pas à simplement transposer en le filmant un cours qui se déroule par ailleurs normalement. Il impose un travail de scénarisation des activités.
Dans la formation initiale, les questions numériques n'apparaissent pas seulement de l'ordre de l'apprentissage disciplinaire et technique. Elles prennent d'abord un caractère transversal. Elles embrassent tous les aspects de la formation. Les étudiants, qu'ils veuillent devenir enseignants ou CPE, reçoivent des cours communs sur les enjeux du numérique, par exemple sur celui de l'utilisation des données en ligne. Chaque année, nous constatons que nos jeunes fonctionnaires stagiaires échangent parfois avec leurs élèves sur Facebook sans se rendre compte que leurs propos peuvent être lus par les parents, voire être publiés.
Je reviendrai sur l'initiative de l'ÉSPÉ de Nice, qui consiste à proposer un module de formation spécifiquement dédié au numérique.
Pour ma part, je plaide en faveur des initiatives de ce type. Elles permettent que des spécialistes éclairent un certain nombre de problèmes liés au numérique, sans empêcher que les autres disciplines s'en saisissent ensuite. Inclure d'emblée ces questions dans un parcours disciplinaire encourt le risque qu'elles ne soient pas traitées avec tout l'intérêt qu'elles méritent.
Trop souvent, les compétences numériques des étudiants sont évaluées à l'aune de leur capacité à réaliser un diaporama. C'est insuffisant. J'interroge plutôt mes propres étudiants sur leur perception de telle ou telle situation en classe avec le numérique, ou sur la manière dont le numérique peut leur permettre de favoriser les échanges avec les parents d'élèves.
Par ailleurs, je comprends les réticences que certains enseignants manifestent. Ils craignent assurément une perte de temps et d'énergie, mais aussi une diminution de leur rôle et un abaissement de leur posture. Il nous incombe d'apporter du sens au recours au numérique, de répondre à la question « Pourquoi utiliser le numérique si mes élèves apprennent bien sans lui ? ».
Même s'ils sont nés avec le numérique, les élèves manquent d'une culture du numérique, qu'ils n'ont pas vu, comme nous, apparaître. Ils sont avant tout habitués à des interfaces ergonomiques. Ils ont, dans ce domaine, également besoin de l'enseignant, dont le rôle demeure ainsi central.
Le numérique ne suffit pas pour apprendre. L'enseignant intervient pour décontextualiser l'apprentissage et le transformer en savoir véritable.
Un autre moyen de vaincre les réticences consiste à placer les enseignants en position d'apprenants, de leur faire expérimenter ces moyens nouveaux. Ils s'apercevront de leur accessibilité.
Mesdames et messieurs, je vous remercie pour le temps que vous nous avez consacré et pour les réponses que vous nous avez apportées. Nous resterons attentifs au déroulement des prochains États Généraux du numérique pour l'éducation. Ils marqueront en effet une étape essentielle dans la stratégie nationale du numérique éducatif et dans l'ambition que nous partageons tous, au-delà des aléas du contexte sanitaire.
Table ronde n° 2 : Les conditions du déploiement du service public du numérique éducatif
Au cours de la précédente table ronde, nous évoquions le corps enseignant, sa formation initiale et continue, indispensable à la réussite du numérique éducatif.
La politique du numérique éducatif ne saurait non plus faire l'économie d'infrastructures suffisantes dans les établissements, d'équipements appropriés pour les élèves et les enseignants. C'est pourquoi notre seconde table ronde de ce jour porte sur les conditions de déploiement du numérique éducatif dans les territoires et les établissements.
Afin d'échanger sur ce sujet, je souhaite la bienvenue :
– aux deux représentants de la région Grand Est, MM. Olivier Martin, directeur des lycées, et Jean-François Vendramini, chef du service numérique éducatif,
– ainsi qu'à M. Philippe Vincent, secrétaire général du syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN),
– et à M. Frédéric Kerbeche, chef du service développement et stratégie numérique à la direction de l'éducation et des collèges du conseil départemental du Val‑d'Oise.
La stratégie du numérique éducatif présente la particularité de se partager entre l'État et les collectivités territoriales. Ces dernières sont en effet compétentes en matière d'infrastructures, de réseaux, d'équipement des élèves et de maintenance des équipements.
Les collectivités disposent ainsi d'une marge de manœuvre conséquente. Elle explique l'existence de politiques publiques différenciées selon les territoires.
Dans sa stratégie « lycée 4.0 », la région Grand Est a par exemple mené une politique spécifique, notamment en ce qui concerne les manuels scolaires et l'équipement des élèves en ordinateurs.
Quant à lui, le département du Val-d'Oise s'est investi très tôt dans le plan numérique des collèges. Il est aujourd'hui partie prenante du dispositif « Territoires numériques éducatifs » (TNE).
Sur l'année scolaire 2018-2019, l'étude ETIC (enquête sur les technologies de l'information et de la communication) relève que le niveau différentiel d'action entre les collectivités territoriales constitue l'une des causes des disparités territoriales constatées en France. Plusieurs tendances se dessinent.
Les lycées professionnels sont mieux pourvus en équipements informatiques que les lycées généraux et technologiques. Les établissements en zones rurales et urbaines peu denses disposent en moyenne d'un meilleur équipement que ceux des zones plus densément peuplées, mais ont accès à un réseau internet moins développé. Les établissements situés en zones REP (réseau d'éducation prioritaire) et REP+ sont moins bien équipés que les autres.
Ces constats m'amènent à vous poser plusieurs questions.
Par vos expériences respectives, quels obstacles et leviers identifiez-vous à la réduction des inégalités entre les établissements d'une part, entre les territoires d'autre part, en matière de connectivité, d'infrastructures et d'équipement ?
Diverses approches existent s'agissant de l'équipement informatique. Elles vont de l'équipement systématique des élèves au développement de classes mobiles, en passant par une logique dite AVEC (pour « apportez votre équipement personnel de communication », ou BYOD, bring your own device ), qui suppose que les élèves apportent leur propre matériel. Vous êtes des acteurs qui vous investissez directement dans les politiques d'équipement. Que retenez-vous des initiatives que vous avez suscitées ou observées ?
Dans son rapport de 2019, la Cour des comptes indique que l'usage des espaces numériques de travail (ENT) se révèle inégal selon les établissements et territoires. Il n'existe pas nécessairement de prestataire unique pour les collèges et lycées d'une même région, ce qui soulève des questions du point de vue de l'efficacité économique et de la facilité d'utilisation.
En 2018, dans un rapport relatif à l'école dans la société numérique, notre commission préconisait d'encourager le choix d'un prestataire unique par région pour les ENT des collèges et des lycées. Nous pourrions également envisager le choix d'un seul prestataire pour l'ensemble du territoire national et obtenir ainsi un espace numérique national de travail.
Nous entendrons avec intérêt vos réactions à ce sujet. Quels enseignements tirez-vous de la mise en œuvre des ENT au sein de vos territoires et établissements ?
Je vous cède la parole. Un échange avec les commissaires suivra vos propos introductifs.
Dans la région Grand Est, notre vision du numérique repose sur cinq piliers.
Le premier est celui de la coopération entre l'État, en particulier les autorités académiques, la région et ses départements.
Le second consiste en une infrastructure performante et sûre. Nous avons choisi d'équiper l'ensemble des lycées publics et d'apporter notre soutien aux lycées privés, afin qu'ils aient accès à un réseau wifi à haut débit en tous points de leurs locaux. Cette décision représente près de 16 000 bornes wifi sur 5 millions de mètres carrés. De 100 mégabits par seconde l'an passé, le débit passe cette année à 200 Mb/s dans la quasi-totalité des établissements, quelle que soit leur situation géographique. De rares cas particuliers subsistent. Ils concernent les maisons familiales et rurales, où l'arrivée de la fibre pose un problème. Ces structures comptant peu d'élèves, les débits que nous leur proposons s'avèrent toutefois suffisants à leur bonne marche.
L'ENT constitue le troisième pilier. Au sein de la communauté éducative, il représente la pierre angulaire entre les équipes de direction, les enseignants, les parents et les élèves. Il leur offre un canal de communication. Cette plateforme autorise non seulement des actions qui relèvent de l'Éducation nationale, par exemple tout ce qui intéresse la vie scolaire, mais aussi des applications pédagogiques et l'accès sécurisé des élèves à des ressources numériques.
Quatrième pilier, l'équipement numérique pour tous renvoie à la mise à disposition de chacun des élèves d'un même modèle d'ordinateur portable. Depuis la dernière rentrée scolaire, l'ensemble des élèves du Grand Est, tant du secteur public que du secteur privé, en sont équipés, pour un total de 175 000 appareils.
Enfin, notre cinquième pilier comprend les ressources numériques. Nous avons choisi de recourir aux services d'un libraire dont le catalogue est, par définition, ouvert. Nous n'interférons en rien dans les choix de politique pédagogique. Les enseignants passent leurs commandes dans des conditions comparables à celles qui prévalaient pour les manuels papier. La seule condition tient à la compatibilité de la ressource numérique avec le gestionnaire d'accès aux ressources (GAR) ; elle se doit évidemment de respecter les obligations notamment issues du règlement général sur la protection des données (RGPD). Sur la base d'un forfait par élève mutualisé, chaque établissement sélectionne les ressources qu'il entend utiliser : manuels, ressources encyclopédiques, voire des applications de type mind mapping, ou carte cognitive.
Pour vous donner un ordre de grandeur, le catalogue dont nous disposons comporte 8 500 références, dont un peu moins de la moitié en manuels scolaires, et 1,3 million de licences sont transférées aux élèves, soit 7,5 licences en moyenne par élève. Ces données demeurent cohérentes avec celles qui concernaient les manuels papier. De septembre 2019 à juin 2020, nous relevons 8 millions d'accès aux ressources en ligne qui, toutes, restent téléchargeables.
À l'aune de ma propre expérience, je soulignerai d'abord l'effort notable auquel, en matière d'équipement numérique, les collectivités territoriales consentent depuis au moins vingt ans par leurs investissements. Le saut, aussi bien quantitatif que qualitatif, se révèle important.
L'hétérogénéité des situations constitue un autre constat majeur. Nombre de facteurs l'expliquent.
Parmi eux, les décisions politiques de direction des collectivités territoriales interviennent. Au-delà, nous observons des pratiques elles-mêmes fort différentes. Elles tiennent par exemple au choix des ENT. Des collectivités optent pour des ENT complets, d'autres pour des ENT dans lesquels nous ne retrouvons qu'une partie des services. Certaines orientations prennent un tour quasiment stratégique : s'agit-il par exemple de développer l'informatique d'abord dans l'établissement ou plutôt en faveur des élèves, ou encore les deux concomitamment ?
Des choix de type de pilotage entrent également en ligne de compte. La collectivité délègue-t-elle des crédits aux établissements qui effectueront leurs propres choix ou la première choisit-elle pour les seconds, avec ou sans concertation ?
Je remarquerai que la mobilité des chefs d'établissement demeure limitée. Sur un plan national, elle s'avère même peu effective. Certes, chaque année, 80 % de nos collègues obtiennent une mobilité ; mais s'ils gagnent un autre établissement, c'est le plus souvent dans une zone géographique assez circonscrite. Quand ils changent de département, pour la plupart d'entre eux, ils restent dans la même région. Seuls 10 à 15 % des chefs d'établissement font des sauts suffisamment importants pour constater les différences entre collectivités territoriales concernant la mise en place du numérique éducatif.
J'évoquerai ensuite la relative faiblesse des opérations de coordination, voire de coopération, entre l'Éducation nationale et les collectivités territoriales. Sur des sujets d'orientations stratégiques, de politique d'équipement, de volonté de développer tel ou tel aspect du numérique éducatif, la relation s'avère parfois plus aisée lorsqu'elle s'opère directement entre la représentation des chefs d'établissement et la collectivité territoriale. Quand c'est un triangle avec l'Éducation nationale, nous, les chefs d'établissement, faisons office de boule de billard.
Nous relevons par ailleurs les lacunes de la formation tant initiale que continue sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui. La crise sanitaire et le confinement les ont révélées d'une manière un peu brutale. Nous constatons des niveaux de pratiques, d'investissement et d'accès aux ressources extrêmement différents selon les enseignants et les disciplines. La responsabilité en revient d'abord à l'État.
Un autre point apparaît comme évident : l'absence de visibilité des directions académiques du numérique. Elle tient sans doute à l'insuffisance de leurs moyens humains et matériels. Ces directions n'occupent pas la place qu'il leur revient au regard du contexte et des attentes qu'il nourrit.
Ce panorama nuancé n'est pas sans conséquence dans la conduite de nos missions à la tête des établissements scolaires. Nous nous situons toujours à la croisée de deux canaux numériques distincts. D'un côté, un canal pédagogique se partage entre la collectivité territoriale et les corps d'inspection, porteurs des grandes orientations nationales en matière de référentiels et de programmes. De l'autre, un canal administratif ressortit en principe à l'État. Source d'incohérences, l'absence de coordination entre ces deux canaux, qui ne manquent pourtant pas d'interférer entre eux, constitue une véritable difficulté pour les chefs d'établissement. L'an dernier, elle a conduit notre organisation à rédiger un livre noir du numérique.
Nous attendons avec impatience les prochains États Généraux du numérique. Nous y réitérerons nos constats et y formulerons nos propositions. En substance, nous souhaiterions une redéfinition générale du cahier des charges relatif au numérique éducatif. Elle permettrait de fixer quelques axes fondamentaux nécessaires pour construire des politiques durables, voire pérennes.
Le département du Val-d'Oise compte 111 collèges publics pour un peu plus d'1,2 million d'habitants.
La vision de notre collectivité s'inscrit dans le long terme. Notre première démarche, dite du collège numérique, date de 2008. Sa concrétisation, par le « Plan numérique des collèges », remonte à 2010. Voici donc dix ans que nous sommes engagés dans un processus qui se poursuit. Il est devenu en 2016 le schéma directeur numérique des collèges.
Notre réflexion a d'abord porté sur l'iniquité de traitement des établissements scolaires. Jusqu'en 2009, ceux-ci étaient dotés sur appel à projets. Le conseil départemental du Val-d'Oise a exprimé sa volonté d'accompagner, en lien avec les services de l'Éducation nationale, la transformation des pratiques pédagogiques au sein des établissements en apportant les moyens et outils utiles.
Ce changement se caractérisait par des piliers que l'intervenant de la région Grand Est a décrits : installation du très haut débit dans les établissements scolaires, déploiement d'une infrastructure réseau dans les collèges, soit aujourd'hui un total de 12 à 13 000 points informatiques dans l'ensemble de nos 111 établissements, un équipement en matériel de toutes les salles de classe permettant aux enseignants de recourir à de nouveaux usages au profit de leurs élèves, un service d'infogérance, mis en place dès 2010 et partagé dans un souci de co-construction avec le rectorat et la direction académique des services de l'éducation nationale (DASEN), un ENT et ses services associés, enfin, avec le soutien du ministère de l'Éducation nationale, un bouquet de ressources en ligne à destination des élèves.
Quant aux outils destinés aux élèves, nous avons dans le Val-d'Oise retenu le principe d'équiper les collèges de classes mobiles, au titre de la dotation des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE). Pendant la période de confinement, nous avons autorisé les établissements à prêter aux élèves les outils de ces classes mobiles, afin qu'ils les utilisent à leur domicile, sous la responsabilité du chef d'établissement. Les outils, qui sont à notre disposition, nous permettent de modifier leur affectation, en cas de nécessité.
Sur le sujet des ENT, quelles seraient vos suggestions ? Opteriez-vous pour un ENT au moins régional, voire pour un ENT national ?
Du point de vue du SNPDEN, un ENT national serait à l'évidence une source d'homogénéité. Néanmoins, les collectivités territoriales conservent des orientations qui leur sont propres. Au travers des choix qu'elles retiennent, elles développent des politiques différentes. Au vu de la variété des orientations que les unes et les autres ont prises jusqu'à présent, je doute qu'une opération d'homogénéisation ne présente pas, dans un premier temps, plus d'inconvénients que d'avantages. Il s'interroge, compte tenu des différences constatées, sur une opération qui, avant de porter ses fruits, comportent de nombreux désavantages.
N'omettons pas la liberté des chefs d'établissement de retenir et d'utiliser les modules mis à leur disposition. De ce fait, j'ignore si une solution d'ordre national résoudrait automatiquement l'ensemble des difficultés.
Monsieur Martin, je souhaite vous interroger sur les résultats de la stratégie « lycée 4.0 » que la région Grand Est a mise en place en 2017, en particulier sur le dispositif AVEC, ou BYOD en anglais.
Pourquoi, à partir de 2018, avez-vous élargi ce dispositif en dotant tous les élèves des lycées en équipements numériques, plutôt que de ne cibler que ceux qui ne disposaient pas d'équipement personnel ou qui répondaient à des critères sociaux, ainsi que vous l'aviez initialement décidé en 2017 ?
Le ciblage se révèle-t-il trop complexe à réaliser ou manque-t-il de pertinence ? À partir de quel seuil d'élèves équipés une politique de ciblage pourrait-elle fonctionner ? Est-il envisageable de mettre en place un critère qui prenne en compte le taux d'équipement des foyers ?
Enfin, j'insisterai sur la question des ENT. Avez-vous une opinion sur ceux du primaire ? Encore fort peu choisis, ils posent également un problème d'unité lorsqu'ils le sont par chaque mairie.
Lors de notre précédente table ronde de ce jour, M. Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire, a insisté sur l'approche devant prévaloir, qui associe usages et outils. Pour ma part, j'ai rappelé que l'équipement en moyens numériques de l'ensemble de l'institution scolaire représente un coût particulièrement élevé, notamment dans un contexte de contrainte budgétaire.
Je renouvelle devant vous la question suivante : l'Éducation nationale dispose-t-elle véritablement des moyens d'une numérisation à grande échelle de la scolarité ?
Il m'a été proposé de vous la soumettre et la réponse que j'y ai précédemment reçue demeure très partielle.
Je m'adresserai à M. Frédéric Kerbeche. Vous venez de dresser un tableau de la situation dans le Val-d'Oise. Y prévaut une mise à disposition d'équipement matériel dans toutes les classes, un service d'infogérance partagé, ainsi qu'un accompagnement des enseignants dans leurs pratiques. Quel bilan tirez-vous de ces mesures ?
Députée de l'Aube, je voudrais d'abord féliciter la région Grand Est pour le déploiement du « lycée 4.0 ». Je juge cette initiative remarquable.
En revanche, je remarque quelques écueils et je donnerai raison à M. Philippe Vincent qui mentionnait un livre noir du numérique.
Nous nous apercevons qu'après un certain laps de temps, des difficultés surgissent qui ne sont pas aisément résolues. C'est par exemple le cas d'un élève qui arrive d'un autre lycée. L'obtention de ses codes d'accès, des licences Word et Excel dont il a besoin, requiert plusieurs semaines. C'est une usine à gaz. Il nous faut absolument prévoir une maintenance, un suivi.
À la suite du confinement, un nombre toujours croissant d'enseignants utilisent des solutions cloud collaboratives, telles que G Suite, afin de maintenir le lien avec les élèves. Les ENT ont en effet parfois montré leurs limites techniques et pédagogiques, en dépit des lourds investissements qui les ont concernés ces vingt dernières années.
Savez-vous s'il a été réalisé un véritable état des lieux des différents outils auxquels les enseignants recourent et des proportions dans lesquelles ils les utilisent ?
Par ailleurs, le schéma directeur des ENT (SDET) date conceptuellement et techniquement d'une vingtaine d'années, quand n'existaient encore ni le cloud, ni les tablettes ou smartphones. Jugez-vous utile et nécessaire de le réviser ?
Le sujet de la présente table ronde me tient à cœur. J'y suis directement impliquée depuis que le Val-d'Oise a été nommé département pilote de l'expérimentation « territoires numériques éducatifs ».
Pour que l'école entre dans l'ère numérique la stratégie tend à développer un écosystème global de l'« e-éducation », depuis les contenus et services jusqu'au matériel. Elle revêt un caractère plus qu'indispensable si nous considérons la période de confinement que nous venons de vivre. Cette stratégie doit s'appuyer sur la mobilisation coordonnée des différents acteurs, afin de mettre en place les conditions optimales d'un développement harmonieux et efficace des usages, des ressources, des équipements, des infrastructures, de la formation des enseignants et des compétences numériques des élèves.
Ma question concerne l'ENT développé pour le primaire dans mon département. Il a connu une montée en puissance pendant le confinement. Représentant 55 % des élèves avant cette période, la proportion de ses usagers s'est alors élevée à 80 % durant cette période. Depuis la rentrée de septembre 2020, 95 % des écoles l'utilisent.
Le fait que l'outil soit commun à l'ensemble des écoles du département constitue, il me semble, l'une des clés de son succès. Pouvez-vous nous éclairer sur les origines de ce projet spécifique, les rouages de son déploiement et ses perspectives, afin que nous nous dirigions vers une politique du numérique éducatif structurée et coordonnée, qui lève les incohérences soulevées par M. Philippe Vincent, et afin que les nécessaires imbrications entre l'administration, le pédagogique et le volet technique soient clairement identifiées et définies ?
Cette question de l'ENT à usage de l'école primaire, maternelle et élémentaire, a effectivement animé nos débats ces derniers mois.
L'idée d'élaborer une solution qui, s'adaptant à ses différents âges, suivrait l'enfant pendant toute la durée de sa scolarité apparaît séduisante. Nous avons constaté que les outils que les écoles maternelles et primaires utilisaient ne s'intégraient nullement à une quelconque stratégie publique.
Nos intervenants voudront sans doute répondre aux premières questions que vous leur avez posées.
Au sujet du BYOD, je rappelle que nous nous reposions au commencement sur ce dispositif. Il concernait 67 000 élèves. Nous le tempérions par la mise en place d'un marché permettant d'acheter des ordinateurs à prix négocié, avec une aide de la région et sous une condition de ressources assez large.
Nous avons remarqué que la moitié des élèves concernés achetaient sur le marché. À la lumière des remontées des proviseurs et enseignants, nous ne pouvions cependant considérer que l'autre moitié des élèves étaient équipés. Il est apparu que le socle d'élèves non équipés restait globalement important et assez stable, y compris lorsque, dans un souci de faire évoluer ce système, nous avons entrepris d'abonder des fonds sociaux et d'organiser des formules de crédits. Ces dernières se sont par ailleurs avérées lourdes pour les familles.
Un deuxième facteur de complexité a tenu à l'hétérogénéité des machines. Elle ne facilite pas la maintenance ni, surtout, l'organisation des classes.
Par analogie avec les spécifications relatives aux calculatrices des cours de mathématiques, nous avons en définitive considéré que l'égalité entre les élèves supposait leur dotation avec un équipement unique. À l'école, les élèves doivent disposer des mêmes moyens. Nous entendions ainsi résoudre ensemble le problème des élèves non équipés et celui de l'égalité des élèves entre eux.
Je répondrai d'abord à la question qui porte sur le plan numérique des collèges dans le Val-d'Oise et sur le bilan que nous en dressons.
En dépit de nombreux échanges avec l'Éducation nationale sur les éléments de mesure utilisables, un bilan du plan sur la réussite scolaire des élèves se révèle difficile à établir.
Nous avons par ailleurs observé que la généralisation à l'ensemble des collèges de notre département de l'utilisation quotidienne en classe de l'outil numérique a nécessité six années, de 2010 à 2016. Le déploiement du plan numérique des collèges sur l'ensemble du département a lui-même requis cinq années.
Nous constatons une corrélation entre le nombre de tickets d'incidents ‒ quand un usager signale un problème informatique ‒ et le nombre des utilisateurs au quotidien. De 2014 à 2016, il augmentait annuellement de 20 à 25 %. Depuis 2017, il se stabilise, à hauteur de 6 000 à 7 000 tickets par an. Il signale un fort taux d'usage du matériel dans les établissements.
Désormais, un établissement qui ouvre une nouvelle salle de classe n'envisage plus qu'elle ne soit pas équipée de matériel numérique. Les pratiques des enseignants en seraient bouleversées.
Quant aux indicateurs de mesure de l'usage de l'ENT dont nous disposons, ils révèlent un très fort accroissement de cet usage par les élèves et leurs parents à partir de 2016.
L'usage des élèves et de leurs parents a succédé à une première phase d'appropriation par le corps enseignant, d'une durée de cinq à six ans, au cours de laquelle doutes et interrogations se sont progressivement dissipés à la faveur d'un accompagnement au changement qu'ont de concert assuré la délégation académique au numérique éducatif (DANE) de l'académie de Versailles, la direction des services départementaux de l'Éducation nationale (DSDEN) et le conseil départemental du Val-d'Oise. À la demande des enseignants, nos établissements ont de plus mis à la disposition des enseignants un service de messagerie électronique qui leur permet d'échanger directement avec les parents d'élèves.
S'agissant de l'ENT à destination du premier degré, Beneylu School dans notre département, la compétence en revient avant tout aux communes. Le conseil départemental du Val-d'Oise ne manque cependant pas de volontarisme pour les accompagner dans leur démarche. Animé par son directeur général, M. Rachid Adda, le syndicat mixte Val-d'Oise Numérique y apporte son concours.
De fait, nous pouvons évoquer un écosystème. En 2008, la décision du département de s'engager dans le collège tout numérique a entraîné l'initiative d'étudiants, celle de développer une application. Après un stage dans les services du conseil départemental, ainsi à la DSDEN du Val-d'Oise, ils ont créé une société qui a mis au point l'outil Beneylu School.
Sous l'impulsion du syndicat mixte du Val-d'Oise, son déploiement généralisé dans les communes du département s'est associé à celui du très haut débit.
Nous estimons que l'échelle départementale convient à ce genre de déploiement. Certes, envisager un ENT régional, sur le modèle de la région Grand Est, semble une idée séduisante. Parce qu'il accompagne la scolarité des enfants de la classe de sixième à celle de terminale, un ENT de ce type tend à rassurer, non seulement les élèves, mais peut-être surtout leurs parents. Le temps consacré à l'apprentissage du fonctionnement de l'ENT et de ses règles à l'entrée au collège sert jusqu'à la sortie du lycée.
Cependant, l'écosystème que nous avons mis en place dans le Val-d'Oise a créé une richesse d'échanges et de concertation exceptionnelle. Nos services du conseil départemental échangent régulièrement avec les enseignants et chefs d'établissements, la DANE et la DSDEN, sur l'évolution des outils que nous proposons, en vue de leur constante adéquation et adaptation aux pratiques qu'ils concernent. Je crains qu'un outil régional, et à plus forte raison un outil national, ne permette plus un tel niveau de concertation et ne devienne en définitive plus subi qu'accepté.
De plus, à une échelle départementale, l'ENT offre à la collectivité la possibilité d'infléchir certaines de ses politiques, par exemple dans les domaines du handicap ou de la culture.
Le changement d'outil numérique de travail entre les premier et second degrés, puis entre le collège et le lycée, ne nous paraît nullement rédhibitoire, bien que cela puisse provoquer des fractures. Il conduit les élèves à s'adapter et les prépare ainsi aux exigences de leur future carrière professionnelle.
En 2019, au terme de huit années avec le même partenaire, le conseil départemental du Val-d'Oise a changé d'éditeur d'ENT. À cette occasion, nous nous sommes beaucoup interrogés sur les risques d'une fracture avec le corps enseignant et ses usages. Il n'en a rien été. Après deux mois d'utilisation du nouvel outil, nous constations un même taux d'usage. En fin d'année scolaire, la période de confinement passée, nous relevions même une augmentation de ce niveau d'utilisation.
Une question se rapporte à l'état des lieux des pratiques des enseignants. À ma connaissance, il n'a pas été réalisé.
À l'occasion de la préparation académique des États Généraux du numérique, nous voyons apparaître des espaces collaboratifs, des forums. Il n'est pas exclu que nous y retrouvions des éléments de diagnostic, mais sans certitude cependant, au regard de la manière dont ces échanges s'organisent.
Pourtant, il me semble qu'un état des lieux des pratiques numériques des enseignants serait particulièrement intéressant à obtenir. Il reste assez paradoxal que l'Éducation nationale interroge l'ensemble des élèves des classes de seconde générale, technologique ou professionnelle, sur leur expérience du confinement, sans pour l'heure songer à sonder pareillement les enseignants.
La question relative au cahier des charges de l'ENT mérite par ailleurs d'être posée. Nous reconnaissons tous un changement en profondeur de la situation. À l'évidence, les pratiques ont fortement évolué. Par exemple, un enseignant ne s'étonne plus lorsqu'un parent d'élève s'adresse à lui par le moyen de la messagerie électronique. Il lui répond aussi aisément de la même façon.
Les outils numériques ne présentent pas nécessairement un niveau de complexité technique bien supérieur à celui des outils « traditionnels ». Pour autant, les incidents qu'ils génèrent occasionnellement requièrent un investissement.
Dans la région Grand Est, 110 agents se répartissent sur le territoire, soit un pour deux lycées. Leur emploi du temps inclut des jours de présence dans les établissements. Ils y assurent la maintenance des serveurs et des bornes wifi. Des prestataires nous accompagnent également et assurent des missions de surveillance des réseaux et des débits.
Sur ce point, l'une des difficultés a trait à l'imbrication des éléments en présence. Si je devais formuler un regret, il tiendrait à ce que, revers de notre volontarisme, nous payons aujourd'hui pour tous les intervenants, y compris les opérateurs externes. Les conséquences d'un coup de pelle malencontreux dans le réseau de la fibre optique nous reviennent systématiquement.
De plus, la moindre difficulté d'un élève prend vite la forme de l'expression peu nuancée, « ça ne marche pas ». Nous avons en conséquence mis l'accent sur l'assistance aux usagers, quand bien même ce rôle n'est pas tout à fait le nôtre.
Enfin, si notre investissement concerne les lycées, il trouve des répercussions dans l'enseignement supérieur. Après le lycée, nos élèves conservent en effet leur équipement et continuent de bénéficier des apprentissages numériques qu'ils ont reçus. Plus encore, ces apprentissages les préparent à la vie dans une société numérisée. Notre investissement mise sur l'avenir.
Comme toute discipline, nous apprenons le numérique également par les incidents qu'il génère. Ils font partie intégrante de tout apprentissage, même si nous nous efforçons d'en minimiser la fréquence,
Au sujet des ENT, nous nous félicitons, dans la région Grand Est, d'appartenir à un groupement de commandes pour un ENT unique, qui englobe collèges et lycées. À la suite des autres intervenants de cette table ronde, je reconnais que la difficulté consiste ici à définir un équilibre entre une multiplicité de demandes, qui émanent des établissements, des académies, des élèves et de leurs parents, et la nécessité que les collectivités territoriales s'entendent afin de proposer un système unique qui aboutisse à moyen terme à un fonctionnement probant.
Certes, souvent, les ENT sont le réceptacle de critiques, notamment de la part des parents d'élèves qui leur reprochent un manque de convivialité ou de modernité. Les temps de développements s'avèrent longs et nous n'avons pas la qualité d'éditeurs. Nous tâchons avant tout de concevoir nos produits robustes et propres à répondre aux usages auxquels nous les destinons.
Je vous communiquerai quelques chiffres. L'ENT du Grand Est représente 210 millions de pages consultées chaque mois. Il intègre le classement des dix premiers sites publics d'information en ligne de France. Pendant le confinement, nous dénombrions 900 000 connexions par jour, dont celles de 20 000 professeurs.
Parfois, pour s'adapter aux évolutions techniques, nos produits changent. Si le passage d'un outil à un autre ne revêt assurément aucun caractère insurmontable, ne minimisons cependant pas les réactions qu'un changement ne manque pas d'occasionner. Elles peuvent nuire à l'usage même des outils.
Conscients de ses forces, mais également de ses faiblesses, nous demeurons attachés à l'ENT et attentifs à son fonctionnement. Essentiel, il fédère l'ensemble de la communauté éducative, au sens large de l'expression.
Nous n'avons pas encore répondu à la question du coût et des moyens de la politique de numérisation.
En investissement, le coût s'avère fort variable d'une collectivité territoriale à une autre. Des enquêtes se publient tous les ans à ce sujet.
La vraie question me semble être celle du coût par établissement scolaire, voire le montant de l'investissement pour une salle de classe. Cela permettrait d'avoir un modèle pour l'ensemble des collectivités territoriales.
Évidemment, des ratios peuvent être appliqués aux différents départements, afin de discerner, en les comparant, l'ampleur des investissements respectifs.
Depuis dix ans, sous l'impulsion de sa présidente, le conseil départemental du Val-d'Oise marque sa volonté d'investir dans le numérique éducatif, qu'il définit comme l'une de ses priorités. Les budgets dont nous disposons rassurent la communauté enseignante et les chefs d'établissement sur le bon fonctionnement de leurs outils et la continuité de leurs pratiques numériques. Nous avons par exemple la possibilité de remplacer le parc informatique tous les sept ans. Chaque année, nous redotons intégralement 16 ou 17 établissements scolaires.
Si les collectivités locales s'engagent sur le long terme, avec un projet de territoire, il est permis de s'interroger tant sur l'étendue que sur la constance du plan d'investissement que l'État consacre au domaine de la formation professionnelle des enseignants.
L'effort des collectivités est incontestable. Le très haut débit sur les territoires, l'accès à l'internet dans toutes les salles de classe, les outils informatiques dans les établissements sont désormais des réalités. Le cap a été franchi presque partout. Nous passons aujourd'hui à l'outil à l'élève, aux classes mobiles ou aux équipements individuels. Les écarts restent importants. Quand la région Grand Est équipe individuellement tous les élèves des lycées dont elle a la responsabilité, un département comme celui du Val-d'Oise ne propose encore, avec ses classes mobiles, qu'une dotation moyenne d'une trentaine d'appareils portables, de type tablettes, pour quelque 600 élèves.
Nous envisagions un temps la solution dite AVEC, ou BYOD. Elle ouvrait des perspectives d'utilisation du smartphone en classe comme nouvel outil pédagogique. L'idée en a été abandonnée pour les collèges. L'institution invite désormais les collégiens à ne plus se servir de leurs téléphones dans l'enceinte scolaire. L'équipement numérique des élèves reste donc au centre de nos préoccupations. Il constitue l'enjeu des années à venir.
Sans doute sera-t-il l'un des sujets des États Généraux du numérique pour l'éducation qui se tiendront à Poitiers.
Pouvez-vous nous préciser comment vous vous préparez à la tenue de ces États Généraux ?
Du point de vue de mon organisation, ces États Généraux s'avèrent décisifs.
Qu'il s'agisse en particulier de l'enseignement professionnel ou de l'enseignement technologique, nous voyons bien que nous ne pouvons plus nous dispenser du numérique. Il nous faut par exemple recourir au biais de conventions avec de grands groupes industriels pour mettre des supports numériques à la disposition de certains de nos étudiants, qui en ont besoin pendant le temps de leur formation et, au-delà, dans leur emploi.
Par ailleurs, nous devons en quelque sorte « rentabiliser » l'effort des collectivités territoriales. L'Éducation nationale ne saurait faire l'économie d'une réflexion d'envergure, et non point seulement conjoncturelle, sur les usages du numérique.
Enfin, agissant comme un appel d'air, la crise sanitaire nous enseigne à son tour que le numérique devient incontournable. Les enseignants ne peuvent plus s'en passer, comme le prouve leur réaction immédiate quand le réseau vient à faire temporairement défaut dans l'établissement où ils exercent.
J'évoquais un livre noir. Il met l'accent sur des difficultés que nous rencontrons. Cependant, dans la perspective des États Généraux, il importe que nous nous placions dans une dynamique positive, que nous proposions une première mouture d'un cahier des charges, afin de rechercher un consensus sur la manière de promouvoir l'outil numérique.
Progresser dans le domaine du numérique nous impose de nous coordonner entre les différents acteurs. Nous voyons combien les politiques de tuyaux d'orgue fonctionnent mal.
La DASEN et l'académie de Versailles nous associent à la démarche qui, dans une première étape, prendra la forme d'États Généraux territoriaux. Nous anticipons l'étape suivante, celle des États Généraux nationaux.
À titre personnel, je crains que nous assistions plus à l'exposé d'une liste à la Prévert d'expériences locales concluantes ou de visions de l'État dans certains domaines, qu'à des analyses réellement stratégiques.
Ces dernières années, nous avons échangé entre collectivités sur les contours d'un équipement numérique minimal des établissements scolaires. J'estime important de prolonger cet échange avec l'État. À quoi doivent ressembler, en 2020, une école primaire, un collège, un lycée ? Obtenir jadis l'électricité ou le chauffage dans une salle de classe ne nécessitait pas l'élaboration d'un projet pédagogique. Je doute donc de la pertinence d'une telle démarche pour le déploiement de l'accès à l'internet dans les établissements scolaires. L'internet et le numérique ont envahi nos vies. Chacun utilise et travaille avec son smartphone en tous lieux et à tout moment, réalise avec lui plusieurs tâches concomitamment. Il n'en va pas autrement avec nos enfants.
En tant que chef de service, je constate qu'à la question centrale de l'équipement matériel, des outils, succède celles des apports pédagogiques du numérique et de la cible que nous visons : choisissons-nous l'indifférenciation ou, à l'inverse, individualisons-nous les parcours ? Dans ce dernier cas, quels moyens donnons-nous au corps enseignant pour permettre à nos élèves d'obtenir les résultats escomptés ? Les outils existent. Il reste à définir ensemble la marche suivante.
S'agissant des outils disponibles, il me semble que nous ne saurions écarter le problème de l'iniquité qui subsiste certainement entre les différents territoires. La question matérielle, notamment celle de la connexion, ne me paraît pas réglée.
Je vous l'accorde. Nous sommes plutôt parvenus à définir un modèle. Nous connaissons désormais ceux des outils numériques dont l'ensemble des salles de classe d'un établissement scolaire doivent disposer. Néanmoins, dans leur effort en vue d'atteindre ce modèle, les collectivités territoriales gagneraient à ce que le ministère de l'Éducation nationale leur précise sa vision d'un EPLE en 2020 et ses préconisations correspondantes.
Les collectivités territoriales mettront certes plus ou moins de temps à atteindre leur objectif en matière d'équipement numérique des établissements scolaires. Leur cible est néanmoins commune et ne suscite plus de questions majeures.
À mon sens, les États Généraux mettront en évidence les aspects de service à l'élève. Une première étape, longue de dix ans, s'est attachée au service à l'enseignant. Il s'agissait de lui ouvrir la possibilité de pratiques nouvelles. Désormais, la question se pose du bénéfice que l'élève en retire. Par exemple, elle conduit la région Grand Est à se concentrer sur l'équipement de l'élève lui-même.
J'attends avec curiosité la tenue des États Généraux. Nous relevons certes des situations différentes selon les territoires. Important, ce sujet fera vraisemblablement l'objet de discussions, y compris sous l'angle budgétaire et des contributeurs.
Le confinement oriente assurément la réflexion sur le numérique éducatif du fait du rôle capital que celui-ci a joué pendant cette période. Je souhaite que les débats parviennent néanmoins à s'écarter des seules considérations conjoncturelles.
Je partage les propos qui viennent d'être tenus. Bien que les sommes que l'État entend investir laissent perplexes sur l'étendue de son engagement, d'autres questions que celles du matériel, de l'équipement, des outils, méritent notre attention.
Quel est par exemple l'avenir du manuel scolaire papier et celui des ressources numériques ? En matière de maintenance, la complexité et l'imbrication des systèmes en présence nécessiteraient que nous redéfinissions la répartition des compétences.
De notre côté, nous considérons le numérique du point de vue matériel, celui de l'outil. La pédagogie n'est pas de notre ressort. Il revient à l'Éducation nationale, aux enseignants et aux chefs d'établissement d'en débattre et de nous signaler l'impact de cette réflexion sur ce qui relève de notre domaine de compétences, comme l'agencement des locaux, le mobilier…
De la part de ces acteurs, nous attendons également des définitions. Nous entendons parler d'enseignement hybride. J'en discerne encore mal les lignes directrices et ce qu'elles impliquent sous l'angle de l'équipement. Suggérer de recourir à la visioconférence pour tous les élèves d'un lycée ne s'avère par exemple guère compatible avec les contraintes d'une bande passante de 100 Mb/s.
En définitive, il est à craindre que la conjoncture et les différences entre collectivités ne monopolisent les débats des États Généraux à venir. Ils se centreront alors plus sur les aspects strictement numériques que sur le volet pédagogique.
C'est précisément pour cette raison que j'ai souhaité qu'au sein de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, nous élargissions, en vous entendant, le champ de notre réflexion quelques semaines avant la tenue des États Généraux du numérique pour l'éducation. Messieurs, je vous remercie.
La séance est levée à douze heures trente.
Présences en réunion
Réunion du mercredi 30 septembre 2020 à 9 h 30.
Présents. - Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Géraldine Bannier, Mme Valérie Bazin‑Malgras, M. Philippe Berta, M. Bruno Bilde, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Bertrand Bouyx, Mme Céline Calvez, Mme Danièle Cazarian, Mme Sylvie Charrière, M. Stéphane Claireaux, Mme Fabienne Colboc, Mme Jacqueline Dubois, Mme Virginie Duby-Muller, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Florence Granjus, Mme Danièle Hérin, M. Régis Juanico, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, Mme Sophie Mette, M. Maxime Minot, Mme Sandrine Mörch, Mme Béatrice Piron, Mme Florence Provendier, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Frédéric Reiss, Mme Cécile Rilhac, M. Cédric Roussel, M. Bertrand Sorre, M. Bruno Studer, M. Stéphane Testé, Mme Sylvie Tolmont, Mme Michèle Victory
Excusés. - M. Bernard Brochand, Mme Annie Genevard, Mme Josette Manin