Lors de l'examen des crédits de la mission « Culture », j'ai dit que la crise avait souvent révélé des désordres non seulement conjoncturels, mais structurels. La remarque concerne particulièrement la filière de la presse, pour laquelle la crise sanitaire a été une catastrophe que l'on pouvait prévoir de longue date.
Cette crise structurelle dure depuis fort longtemps. J'en veux pour preuve la baisse du chiffre d'affaires de l'ensemble de la presse d'un tiers en dix ans, de 11 milliards d'euros à moins de 7 milliards d'euros, à laquelle deux crises conjoncturelles se sont ajoutées – la crise sanitaire, et la crise de la distribution, avec la faillite de Presstalis.
Le plan de filière, que j'ai présenté lors d'une rencontre organisée par le directeur de L'Humanité, Patrick Le Hyaric, et dont vous avez rappelé l'ambition – 483 millions d'euros –, a rencontré l'adhésion des acteurs, qui ont salué l'effort du Gouvernement tel qu'il avait été annoncé par le Président de la République et moi-même le 28 août.
À travers les différents véhicules budgétaires, nous avons voulu répondre à la fois à l'urgence et à l'exigence structurelle du plan de relance. Sont prévus un fonds, doté de 31 millions d'euros, pour accompagner la restructuration du parc d'imprimerie de la presse, notamment – nombre d'entre vous l'ont souligné – pour la PQR ; le renforcement massif du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), en soutien à l'investissement ; le doublement de l'aide à la modernisation des diffuseurs en investissement, à hauteur de 6 millions d'euros pendant deux ans ; l'aide, à hauteur de 8 millions d'euros pendant deux ans, à la réalisation de la transition écologique pour la presse, une exigence que Mme Calvez a soulevée ; le lancement d'un fonds de lutte contre la précarité de 18 millions d'euros en direction des métiers les plus fragilisés comme les pigistes, les photojournalistes ou les dessinateurs de presse.
En outre, ce plan de filière – sur lequel vous êtes revenus en abordant les mesures du projet de loi de finances – prévoit un crédit d'impôt pour un abonnement à la presse d'information politique et générale (IPG) et de nouvelles aides pour renforcer le soutien au pluralisme.
Le label IPG est attribué par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). La notion, jusque-là purement réglementaire, a été élevée au rang législatif lors de la récente révision de la loi relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, dite loi Bichet. Les décisions de la CPPAP peuvent être contestées devant le juge. Elles le sont d'ailleurs très fréquemment et la plupart de ses décisions sont confirmées. L'octroi du label IPG, qui est au cœur de la politique de défense du pluralisme, repose donc sur des critères objectifs et des procédures transparentes.
L'égalité femmes hommes vous tient à cœur, madame la rapporteure pour avis, et je veux vous féliciter du remarquable rapport que vous avez rédigé sur le sujet, qui est un outil à la fois d'analyse et de décision particulièrement précieux. La question est prise en compte dans les aides à la presse, puisqu'elle fait l'objet de 72 conventions cadres, qui ont été signées avec les éditeurs de presse. Afin d'en renforcer symboliquement l'importance et comme vous l'avez proposé dans votre rapport, l'article 2 du décret relatif au Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) sera modifié à l'occasion de la prochaine réforme, pour mentionner le respect de la parité entre les femmes et les hommes au sein des entreprises de presse dans les engagements fixés aux conventions cadre.
La Compagnie internationale de radio et de télévision (CIRT) apporte un soutien important à la radio franco-marocaine bilingue Médi1 à travers la mise à disposition de journalistes francophones. Depuis 1980, la CIRT contribue à la coopération diplomatique entre nos deux pays dans le domaine audiovisuel. Le niveau de dotations qui est sollicité pour 2021 – 1,67 million d'euros – est stable depuis 2017. Il permet d'assurer la couverture des coûts salariaux de ces journalistes francophones. La représentation de l'État au sein de l'assemblée générale de la société est assurée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. La société transmet annuellement au ministère de la culture ses documents comptables ainsi que les informations relatives à ses charges de personnel. Après analyse, à la suite des questions que vous m'avez posées, tout cela m'est apparu transparent, au bon sens du terme, naturellement.
Pour revenir aux aides à la modernisation de la presse, une réforme du FSDP est en cours pour moderniser et simplifier. Les dispositifs d'aide sont renforcés, notamment en faveur des territoires ultramarins et de l'innovation en faveur de la transition écologique. La protection de la propriété intellectuelle et l'amélioration de la formation deviennent de nouveaux objectifs, avec un fonctionnement simplifié. Les taux d'aide devraient être augmentés, de façon transitoire, jusqu'en 2022, pour soutenir l'investissement des entreprises de presse, durement affecté par la crise. Cinq millions d'euros ont donc été votés en loi de finances rectificative pour l'année 2020. Le FSDP verra ses crédits abondés à hauteur de 45 millions d'euros supplémentaires – 22,5 millions d'euros en 2021, comme en 2022.
Je ne suis pas favorable à une modification du rabais maximum de 9 % que la loi Lang fixe pour les achats de livres non scolaires des collectivités locales. Celles-ci ne pourraient pas assumer un renchérissement du prix du livre sans réduire les achats de bibliothèques. Dans le cadre du plan de relance, nous accompagnerons les collectivités locales pour qu'elles puissent enrichir significativement les collections des bibliothèques en affectant 5 millions d'euros par an pendant deux ans. Ces achats bénéficieront mécaniquement aux libraires.
Les collectivités qui veulent soutenir les libraires disposent par ailleurs d'outils, qui ne sont ni assez connus ni assez employés aujourd'hui. Elles peuvent par exemple les exonérer totalement de leur part de fiscalité locale ou les dispenser des mesures de publicité et de mise en concurrence pour leurs marchés de livres non scolaires dont le montant est inférieur à 90 000 euros hors taxes – on peut acheter un grand nombre de livres avec une telle somme ! Je suis à l'écoute des collectivités sur toutes les pistes qui pourraient être envisagées pour augmenter leur marge de manœuvre vis-à-vis des librairies locales. On pourrait par exemple imaginer de relever ce seuil de 90 000 euros, ce qui pourrait être utile à certaines villes moyennes et d'intercommunalités.
La rémunération pour copie privée constitue non pas une taxe – je me bats pour qu'elle ne soit pas injustement considérée comme telle – mais une compensation équitable destinée à indemniser les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes du préjudice causé par l'exception légale de copie privée, qui permet aux usagers de supports d'enregistrement de reproduire licitement les œuvres et prestations protégées à des fins de copie privée, sans solliciter l'autorisation des ayants droit concernés. En conséquence, aux termes du code de la propriété intellectuelle, seuls les supports d'enregistrement dotés d'une capacité de stockage, qui permettent la réalisation de copies, sont susceptibles d'être assujetties à la rémunération pour copie privée. Ce n'est donc pas le cas des enceintes bluetooth, qui ne permettent pas cette copie.
L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur les aides des organismes de gestion collective est, si l'on peut dire, un coup de Jarnac car il pourrait remettre gravement en cause le système français de la rémunération équitable, qui permet de ne pas reverser des sommes perçues aux artistes et aux producteurs non européens en raison de l'absence de réciprocité. Ces sommes sont qualifiées « d'irrépartissables ». Elles sont considérables – environ 30 millions d'euros par an – et apportent une contribution remarquable à la production culturelle française. Une mauvaise rédaction de la législation européenne – les pays n'étaient pas nommément cités, mais qualifiés par défaut – a remis en cause le dispositif, dans un contexte déjà très difficile.
Je remercie Aurore Bergé pour son amendement au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, dite loi DDADUE, qui est venu sécuriser pour le passé le système français d'aides à la création et à la production musicale – c'est une première étape.
Une deuxième étape sera de sécuriser définitivement notre système. J'ai déjà fait part à la Commission européenne de ma préoccupation. Thierry Breton m'a assuré qu'il ne devrait pas être trop complexe, pour le législateur européen, de rétablir une rédaction convenable de ce dispositif. Attendons, car, pour avoir été députée européenne dans une vie antérieure, je sais que les procédures européennes ne sont pas faciles.
Venons‑en à la réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), un sujet cher à votre président de commission. Vous connaissez cela par cœur : la suppression complète de la taxe d'habitation en 2023 va priver cette contribution de son véhicule de prélèvement.
Différentes pistes de réforme ont été identifiées par le Gouvernement, qui devront faire l'objet d'un travail d'analyse approfondie. En tout état de cause, quel que soit le scénario retenu in fine, la réforme de la CAP devra permettre à l'audiovisuel public de disposer d'un financement pérenne et affecté. C'est la cathédrale conceptuelle qui doit prévaloir, car elle est indispensable à la visibilité pluriannuelle de la programmation budgétaire des entreprises du secteur ainsi qu'à la préservation de leur indépendance.
Par ailleurs, elle ne doit pas se traduire par la création d'un impôt nouveau, en cohérence avec la politique fiscale conduite par le Gouvernement depuis 2017. Le Président de la République s'est exprimé clairement sur le scénario de budgétisation, pour le rejeter. Tout est donc parfaitement clair en ce domaine. Ne faisons pas de faux procès, ce n'est pas cela qui est en cause.
Pour ce qui concerne l'année 2021, le rendement de la CAP combiné aux efforts d'économies demandées au secteur permet de ne pas augmenter son tarif pour les particuliers – 138 euros par foyer dans l'Hexagone, 88 en outre-mer.
Quant à la prorogation du fonds de soutien à la distribution hertzienne et numérique, elle m'apparaît aujourd'hui prématurée, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, une reconduction à l'identique impliquerait que le bénéfice du fonds en 2021 soit conditionné à une baisse du chiffre d'affaires entre 2020 et 2021. Or, il y a de fortes chances que le chiffre d'affaires publicitaire des éditeurs soit en croissance en 2021 par rapport à 2020.
En outre, cela est plus gênant, une telle prolongation remettrait en cause l'argumentaire avancé auprès de la Commission européenne dans le processus de notification des dispositifs, toujours en cours à ce jour. Le dispositif a en effet été présenté comme une mesure d'urgence ponctuelle, destiné à pallier la forte baisse du chiffre d'affaires publicitaire de l'année 2020 par rapport à 2019. L'argument tombe : une prorogation remettrait en cause la nature exceptionnelle de l'aide et son caractère proportionné à l'objectif poursuivi. La Commission européenne portera une attention particulière au respect de notre argumentation et de nos engagements.
L'évolution de la crise sanitaire peut faire craindre que de nouvelles mesures soient prises ; elles seraient sans doute nécessaires, si les chiffres étaient confirmés. Il faudra alors – je me battrai pour cela – continuer de soutenir les acteurs culturels. Il est indispensable d'adopter des mesures sanitaires fortes : le combat sanitaire est absolument prééminent. Je ne peux vous en dire plus, sinon pour vous assurer de mon implication totale lorsqu'il s'agit d'accompagner le secteur ; je l'ai démontrée au cours des mois écoulés, et je poursuivrai ce combat.
Madame Duby-Muller, le Gouvernement a souhaité limiter à la presse IPG le bénéfice du crédit d'impôt sur les abonnements car c'est dans ce cadre que le pluralisme de la presse a été reconnu comme objectif de valeur constitutionnelle : c'est bien cette presse qui vise à éclairer le jugement du citoyen dans le débat public, ce dont nous avons bien besoin aujourd'hui. En outre, une extension de cette dépense fiscale aurait un coût élevé.
En ce qui concerne France Ô, on ne peut pas dire qu'elle rendait les outre-mer visibles au sein de France Télévisions : son audience était très faible, y compris dans les territoires ultra-marins ou parmi les habitants ultra-marins de l'Hexagone. Depuis 2017, le Gouvernement a l'ambition d'améliorer la visibilité des outre-mer dans l'ensemble des offres de France Télévisions, qui a été accrue et est garantie par le pacte pour la visibilité signé en juillet 2019, ses vingt-cinq engagements et ses onze indicateurs, d'ailleurs issus de travaux de parlementaires. Le cahier des charges de France Télévisions intègre désormais un nouvel article dédié aux outre-mer qui reprend nombre des engagements du pacte, dont le comité de suivi a pu vérifier qu'ils avaient tous été mis en œuvre.
Peut-on amplifier et accélérer le mouvement ? Certainement. D'ores et déjà, les programmes ultra-marins occupent davantage de place sur les antennes nationales : leur nombre en première partie de soirée a triplé, la quantité de sujets liés à l'outre-mer dans les journaux télévisés de France 2 et France 3 a augmenté de 80 % et les premières audiences du portail numérique dédié, lancé le 3 juin dernier, sont encourageantes.
Toutes les conditions étaient donc réunies pour mettre France Ô – dont la part d'audience, je le rappelle, était de 0,3 % – à l'arrêt le 23 août dernier, ce qui a en outre permis le passage en qualité haute définition de la diffusion en outre-mer de la Première, qui, elle, est vraiment regardée dans les territoires ultra-marins. C'est bien mieux que de maintenir une chaîne ne correspondant aux besoins ni de la population qui y vit, ni des ultra-marins résidant dans l'Hexagone, ni de la population générale. Je suis le dossier de près avec le ministre des outre-mer.
Monsieur Geismar, nous soutenons bien sûr la presse quotidienne régionale : elle bénéficie pleinement des aides au pluralisme comme des aides à la modernisation dans le cadre du FSDP – doté de 50 millions d'euros par le plan de filière –, notamment pour ses investissements numériques. En outre, dans le cadre du plan de relance, la restructuration des imprimeries bénéficiera de 36 millions d'euros. Il me semble, en première analyse, que votre amendement conduirait à accroître les crédits destinés aux médias sociaux de proximité, déjà tout à fait suffisants et rehaussés de 250 000 euros dans le PLF, et non ceux alloués à la PQR.
J'en viens à France 4. De quoi avons-nous besoin ? D'une chaîne pour le confinement, qui supplée à l'impossibilité pour les enfants et les jeunes de se rendre à l'école ? Étant donné la variété des programmes, des filières, des publics considérés, ce serait un rêve absurde. D'une chaîne jeunesse ? Tirer argument de son utilisation pendant le confinement serait alors tout aussi absurde. D'une chaîne éducative ? Nous avons assurément besoin de médias éducatifs qui complètent l'enseignement en période de crise comme en période normale, mais cela suppose de réfléchir de manière globale aux pratiques des jeunes, qui ne regardent plus guère la télévision. Il faut donc se tourner vers d'autres médias, comme on l'a fait en développant l'offre sur smartphone et plus généralement sur internet, avec Okoo et Lumni. Cela permet un accompagnement beaucoup plus varié – Lumni propose déjà 10 000 programmes éducatifs.
Il n'est pas question de revoir les ambitions de France Télévisions en matière d'animation : l'accord que la société a conclu pour la période 2019-2022 avec les organisations représentatives du secteur audiovisuel garantit le maintien d'un haut niveau d'investissement – 32 millions d'euros – dans ce domaine et propose des conditions d'exploitation de ces programmes adaptées au lancement d'une offre numérique destinée aux enfants.
Plaçons-nous du point de vue des enfants et des enseignants. De quoi ont-ils besoin ? Qu'est-ce que nos enfants vont regarder ? De quels outils vont-ils se servir ? Je ne plaiderai pas pour une chaîne dont j'espère qu'elle va servir de moins en moins. On ne peut pas dédier une chaîne au confinement, c'est-à-dire au rôle d'outil éducatif nécessairement parcellaire.
J'ai voulu prolonger l'existence de France 4 pour que cette réflexion puisse avoir lieu autrement que dans l'urgence. Je serai évidemment attentive à vos observations. Mais adoptons une perspective dynamique, en nous demandant quelle sera l'évolution d'ici dix ou quinze ans.