Merci, monsieur le président ! Moi aussi, comme des millions de Français, j'ai bondi de mon fauteuil, en 1999, quand Christophe Dominici a aplati cet essai contre les All Blacks. Comme vous, nous avons tous une pensée pour sa famille.
Par le présent projet de loi, le Gouvernement demande au Parlement de l'habiliter à légiférer par ordonnance afin d'assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et de renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage.
Le code mondial antidopage constitue un instrument de droit incontournable. Depuis le premier dispositif, adopté à Copenhague en mars 2003, il fait l'objet de révisions périodiques. Lancé en 2017, le dernier processus de révision a trouvé sa conclusion dans le dispositif adopté à l'unanimité, le 7 novembre 2019, par la Conférence mondiale sur le dopage dans le sport réunie à Katowice, en Pologne. Cette nouvelle version, avec les standards internationaux qui l'accompagnent, entrera en vigueur le 1er janvier 2021.
En toute rigueur, les stipulations de ce code ne possèdent pas, par elles-mêmes, de force contraignante à l'égard des États car elles émanent d'une fondation de droit privé, à savoir l'AMA, créée en 1999. Cela étant, elles nous obligent. En effet, la Convention internationale contre le dopage dans le sport, adoptée le 19 octobre 2005 sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), comporte l'engagement d'adopter des mesures appropriées aux niveaux national et international qui soient conformes aux principes énoncés dans le code mondial antidopage. D'une certaine manière, le présent projet de loi tire donc les conséquences de la ratification de ces obligations en 2007. Au-delà, je pense qu'il participe à la réalisation d'un objectif consensuel : celui que la France puisse continuer de s'illustrer dans le combat pour un sport propre et éthique, par ses initiatives sur la scène internationale mais aussi par ses lois.
Le texte que nous examinons vise à mettre en conformité le dispositif français avec les standards de la lutte mondiale contre le dopage. Aux termes de l'article unique, l'habilitation à légiférer par ordonnance obéit à trois motifs : premièrement, mettre en conformité le droit interne avec les principes du code mondial antidopage ; deuxièmement, définir un nouveau statut du laboratoire antidopage ; troisièmement, renforcer l'efficacité du dispositif de lutte contre le dopage en facilitant le recueil d'informations par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) et la coopération entre les acteurs de cette lutte.
Le projet de loi prévoit un délai de neuf mois pour prendre l'ordonnance après la publication de la loi . En outre, un projet de loi de ratification devra être déposé au Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance.
Certains d'entre nous déplorent que le Gouvernement choisisse de recourir à l'article 38 de la Constitution, plutôt que de soumettre à la délibération des assemblées l'ensemble des mesures relevant de leurs prérogatives. Je peux comprendre ce point de vue. Mais reconnaissons qu'en matière de droit antidopage, le recours aux ordonnances ne revêt pas un caractère inusité : depuis 2010, il constitue l'instrument de la mise en conformité de la loi française après chaque révision du code mondial. Ainsi, nombre d'articles en vigueur du code du sport trouvent leur origine dans les ordonnances prises sur le fondement de deux textes d'habilitation : la loi du 30 décembre 2014 – qui a servi de fondement à l'ordonnance du 30 septembre 2015 – et l'article 25 de la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Cette disposition constitue la base légale de deux textes répondant aux conclusions d'un audit de l'AMA : l'ordonnance du 11 juillet 2018 relative à la procédure disciplinaire devant l'AFLD, ainsi que l'ordonnance du 19 décembre 2018 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour parfaire la transposition en droit interne des principes du code mondial antidopage.
En outre, chacun pourra convenir qu'en certaines circonstances, « nécessité fait loi ». En l'espèce, la France fait face – quoi qu'on en dise– à une échéance couperet : il lui faut mettre son droit en conformité avec les nouvelles stipulations du code mondial antidopage dans des délais raisonnables par rapport à la date de son entrée en vigueur, le 1er janvier 2021. Il est vrai que, d'un strict point de vue juridique, l'État français ne figure pas parmi les signataires du code mondial antidopage. Mais les obligations et principes qu'il édicte s'imposent aux organisations nationales chargées de la lutte contre le dopage, aux fédérations sportives, ainsi qu'aux organisations responsables de grandes manifestations sportives. Il va de soi que le mouvement sportif français ne saurait s'affranchir des exigences nouvelles d'un corpus normatif à l'édification duquel notre pays a pris une large part.
Pour leur part, les pouvoirs publics ne sauraient méconnaître les menaces que recèlent les sanctions expressément prévues à l'annexe B du Standard international « pour la conformité au code des signataires ». Dans ce cadre, le constat d'une situation d'irrégularité pourrait en effet entraîner trois conséquences : d'une part, l'inéligibilité du pays signataire à l'organisation de championnats régionaux, continentaux ou mondiaux, ou de manifestations organisées par des organisations responsables de grandes manifestations, pendant une période définie ; d'autre part, la privation du droit de participer ou d'assister à des championnats régionaux, continentaux ou mondiaux, ou à des manifestations organisées par des organisations responsables de grandes manifestations autres que les Jeux olympiques et paralympiques ; enfin, l'impossibilité de participer ou d'assister aux Jeux olympiques et paralympiques pour la prochaine édition de cette manifestation, qu'elle soit d'été ou d'hiver, ou jusqu'à ce que le signataire soit réintégré.
L'application éventuelle de ces stipulations expose la France à une remise en cause de la participation des sportifs français aux compétitions internationales. Elle fait également peser une hypothèque sur l'organisation des grandes compétitions à venir sur le territoire national, comme la Coupe du monde de rugby en 2023 ou les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024.
Libre à chacun de spéculer sur les délais dans lesquels des sanctions pourraient intervenir. On pourrait même envisager que la France bénéficie de circonstances atténuantes, en considération de la crise provoquée par la covid-19 ou de la situation d'autres signataires. Quoi qu'il en soit, la procédure en manquement définie dans le Standard international « pour la conformité au code des signataires » comporte trois étapes, dont une première phase de dialogue contradictoire d'une durée de trois mois. Les risques de sanctions apparaissent d'autant moins théoriques que le déclenchement des différentes étapes présente une certaine automaticité. Il importe donc que la France soit en mesure de donner des gages au plus vite.
De ce point de vue, le recours aux ordonnances offre une certaine souplesse, utile pour répondre aux impératifs d'un calendrier contraint. En pratique, la mise en conformité du droit français avec les standards de la lutte contre le dopage ne va pas de soi dans un calendrier parlementaire surchargé. En effet, cette tâche exige une certaine technicité au regard des implications multiples des changements apportés au code mondial.
Sans décrire l'intégralité des modifications apportées au dispositif lors de la conférence de Katowice, je veux souligner que la rédaction applicable à compter du 1er janvier 2021 marque un approfondissement des principes et une certaine sophistication des procédures.
Si la dernière version du code mondial se caractérise, pour l'essentiel, par une relative stabilité des qualifications concernant les substances et les produits interdits, la véritable novation du dispositif adopté en novembre 2019 réside dans la création d'une nouvelle catégorie de substances : les « substances d'abus ». Cette catégorie regroupe les produits dont la consommation donne souvent lieu à des débordements dans la société en dehors du contexte sportif. Il s'agit de la cocaïne, de l'héroïne et des produits utilisés dans le cadre d'activités que d'aucuns pourraient qualifier de « festives ».
Le dispositif applicable au 1er janvier 2021 comporte également un certain nombre de reformulations et de précisions dans la définition des infractions, comme la falsification de tout élément du contrôle du dopage de la part d'un sportif ou d'une autre personne. De même, la nouvelle rédaction du code mondial révise les conditions nécessaires à la sanction de « l'association interdite » entre un sportif et une personne disqualifiée du fait de violations des règles antidopage. Le code mondial accorde en outre une protection nouvelle aux personnes qui dénoncent une violation des règles antidopage, autrement dit les « lanceurs d'alerte ». Les pressions ou représailles exercées à leur encontre pour ce motif reçoivent désormais la qualification d'infractions.
Le code mondial procède – il est vrai – à un alourdissement des sanctions encourues pour certains faits, tels que la complicité, et au rétablissement de circonstances aggravantes. Toutefois, dans l'ensemble, l'évolution du régime des sanctions manifeste le souci de mieux prendre en considération les circonstances et les profils. J'en veux pour preuve des stipulations qui ouvrent aux contrevenants la possibilité d'obtenir ce qui peut s'assimiler à des réductions de peine pour certaines infractions – soustraction ou refus de se soumettre à un contrôle antidopage, falsification de tout élément de contrôle, consommation de « substances d'abus ».
On trouvera une autre illustration de cette volonté d'un traitement pragmatique des infractions dans la place significative accordée à des procédures qui, à des degrés divers, allègent le prononcé des sanctions en contrepartie d'une coopération des contrevenants ou d'une reconnaissance des infractions alléguées. Je fais ici référence à l'extension du champ d'application de « l'aide substantielle », à la réduction de la durée d'interdiction pour aveu rapide et acceptation des conséquences, ou encore à la création des « accords de règlement de l'affaire ». Le code mondial pousse la logique jusqu'à établir des régimes de sanctions assouplies. Dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2021, il prévoit plusieurs tempéraments au régime des sanctions encourues pour certaines infractions au bénéfice de deux nouvelles catégories : les personnes protégées et les « sportifs de niveau récréatif ».
Sur le plan des contrôles antidopage et du recueil d'informations à cette fin, le dispositif présente des inflexions plus notables. Ainsi, le code mondial actualisé se signale par l'affirmation du principe de la nécessaire indépendance des laboratoires à l'égard de toute organisation antidopage, aux plans administratif et opérationnel. Cette stipulation conduit nécessairement à approfondir la séparation fonctionnelle du Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD) de l'AFLD, dont il est un département depuis 2006.
Une autre inflexion significative réside dans la capacité nouvelle des organisations nationales antidopage de recueillir des informations sur la localisation des sportifs qui ne sont pas inclus dans un groupe cible. Dans ce cadre, les organisations peuvent définir des conséquences appropriées et proportionnées, en vertu de leurs propres règles.
Il convient également de souligner l'élargissement du champ des enquêtes des organisations nationales antidopage à l'entourage des sportifs. La nouvelle rédaction du code mondial impose en l'occurrence de mener des investigations sur l'implication potentielle de membres du personnel d'encadrement des sportifs ou d'autres personnes dans chaque cas de dopage. Le Standard international « pour les contrôles et les enquêtes » détaille les pouvoirs d'enquête qui devraient être utilisés par les organisations antidopage.
Sur le plan de la coordination des acteurs de la lutte contre le dopage, le code mondial comprend des stipulations de nature à conforter le rôle et les responsabilités des organisations antidopage. Dans son nouveau dispositif, il impose en effet à tout signataire d'adopter des règles obligeant chacune de ses organisations membres et toute autre organisation sportive relevant de sa compétence à « respecter, appliquer, maintenir et exécuter le code ». Sur le principe, le dispositif tend ainsi à renforcer la position de l'AFLD vis-à-vis des fédérations sportives. Relevons également que le code réaffirme la nécessaire indépendance des organisations antidopage dans leurs décisions et activités opérationnelles vis-à-vis du secteur sportif et du Gouvernement.
À l'évidence, la transposition du code mondial antidopage emporte des conséquences et obligations de portée très variable mais extrêmement nombreuses. C'est la raison pour laquelle j'estime que le recours à l'article 38 constitue un expédient procédural non seulement conforme à l'esprit de nos institutions, mais aussi raisonnable. Cette nécessité pratique ne dispensera pas le Parlement de demeurer vigilant sur les mesures que le Gouvernement prendra sur la base de l'habilitation, au regard des principes constitutionnels et conventionnels qui prévalent sur le territoire national. En conséquence, j'appelle la commission des affaires culturelles à adopter le présent projet de loi.