Nous abordons la nouvelle lecture de ce projet de loi qui avait été voté à l'unanimité par notre assemblée. Malgré quelques réserves émises par le groupe LR sur la forme, nous nous étions rejoints, me semble-t-il, sur la légitimité des demandes du Bénin et du Sénégal. Lors de la CMP, nous avons entendu les critiques portant sur la forme que ces restitutions ont prise, critiques qui ne sont pas sans fondement : les décisions de restituer des œuvres d'art, que leur provenance soit légitime ou non, sont pour les chefs d'État un outil diplomatique qui semble échapper au débat démocratique et peuvent servir régulièrement des stratégies discutables.
Plus encore que le fait du prince dénoncé, non sans une certaine emphase, par certains de nos collègues, c'est peut-être la question du sens de telles lois d'exception, appelées à se succéder, qui suscite des interrogations. Ainsi la méthode a-t-elle été contestée par nos collègues sénateurs qui, au-delà de l'aspect symbolique de ces restitutions, relèvent que la démarche au cas par cas risque de nous priver d'une approche plus scientifique et plus ample, qui prenne en compte, avec l'expertise de l'ensemble des acteurs concernés, la complexité de telles décisions. En effet, si le cas qui nous occupe est relativement consensuel, on peut concevoir que la manière de traiter les problématiques liées aux restitutions et au caractère inaliénable de nos collections ainsi que la nécessité de mener une étude éclairée et globale sur le voyage de ces objets à travers le temps et l'espace méritent davantage de dialogue et de réflexion.
Le manque de transparence de la procédure actuelle ayant été souligné, nous n'aurions pas été forcément défavorables à la création d'une instance qui pourrait, par sa pluralité et son expertise, nourrir le nécessaire débat autour de ces questions, un conseil national au sein duquel les enjeux de ces restitutions, présentes mais surtout à venir, auraient pu trouver le temps et l'espace nécessaires pour redonner au ministère de la culture toute la place qu'il devrait occuper dans ce domaine.
Que l'on discute de sémantique, pourquoi pas ? Les mots ont un sens. On perçoit bien, dans les propositions qui sont faites, l'affirmation d'une prudence lexicale qui dit les questions et les désaccords historiques et politiques qui peuvent exister à propos de l'idée même d'universalité du patrimoine, en opposition à l'identité nationale. Pour le dire plus simplement et sans nuances, ces objets doivent-ils rester chez nous ou retourner chez eux ? Choisir le mot « retour » plutôt que celui de « restitution » n'est pas neutre. Le second a semblé déranger en ce qu'il sous-entend un accaparement non consenti de richesses ; c'est pourtant, en partie, la réalité.
Lors de nos premières discussions, le rapporteur a fait état des nombreuses auditions organisées pour mieux saisir l'importance que le retour de ces objets symboliquement chargés pouvait avoir pour des peuples africains à la recherche de leur propre histoire, souvent violente, histoire que l'on ne peut décemment dissocier entièrement de celle de la colonisation. Il est de la responsabilité des gouvernements africains d'affirmer leur volonté de permettre à leur jeunesse de se réapproprier leur passé et des symboles. Mais cela ne nous dispense pas pour autant de nous interroger sur notre contribution à cette reconstruction et de l'accompagner.
Le projet qui devrait aboutir grâce à cette loi témoigne d'une confiance affirmée et traduit notre volonté forte de nous engager dans une collaboration, une recherche de compromis, qui accepte une coresponsabilité mémorielle, comme le suggère Emmanuel Pierrat, en nous exhortant à dépasser l'opposition stérile entre la notion de culture universelle, qui justifierait le statu quo, et celle de culture nationale, trop souvent synonyme d'un patriotisme étriqué. Entre ces deux postures, il y a, à l'évidence, un chemin pour favoriser la circulation des œuvres.
Nous ne souhaitons pas qu'à la faveur d'arguments de forme, l'idée même de ce retour soit finalement mise en cause. Les demandes auxquelles répond ce texte sont légitimes et la complexité des conditions dans lesquelles ces objets ont quitté leur territoire d'origine pour venir enrichir nos collections ne doit pas servir d'alibi à une autre complexité, celle de nos positions de principe sur des questions qui évoquent à la fois l'expertise muséale, les droits des États, les principes qui ont forgé l'histoire nationale de nos collections et la place de ces œuvres d'art dans une vaste économie de l'art. Car, nous le savons, le sujet dont nous débattons se heurte à des réalités complexes où se mêlent toutes sortes d'obstacles et d'analyses historiques, politiques, juridiques, financières et morales.
La tentation de refuser d'imaginer ces objets en dehors de l'écrin du Quai Branly est grande. Mais la demande de soutien, de partage et d'accompagnement qui est formulée devrait contribuer, sans naïveté excessive, à une nouvelle éthique de l'échange. C'est la raison pour laquelle le groupe Socialistes votera de nouveau ce texte avec enthousiasme.