Intervention de Sophie Cluzel

Réunion du mercredi 10 février 2021 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Sophie Cluzel, secrétaire d'État :

Toutes ces questions montrent le chemin restant à parcourir. En dépit de cela, je me permets d'insister sur les actions engagées.

Je commencerai par les investissements, car vous êtes nombreux à m'avoir interrogée sur les moyens financiers. La politique d'investissement en faveur du handicap s'élève à 51 milliards d'euros, soit 2,3 % du produit intérieur brut (PIB). Nous sommes le troisième pays en Europe à investir autant pour répondre aux besoins des personnes handicapées. Sur cette somme, près de 12 milliards financent les établissements médicaux. L'allocation aux adultes handicapés, qui concerne 1,1 million de bénéficiaires, représente 11 milliards ; ses crédits ont progressé de 2,5 milliards au cours du quinquennat. L'allocation est passée de 800 à 900 euros par mois. Par ailleurs, près de 3,6 milliards sont versés au titre de la prestation de compensation du handicap (PCH). Le budget alloué au handicap par l'éducation nationale s'élève à 3,6 milliards, en progression de 60 %. Tous ces chiffres figurent en annexes du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et du projet de loi de finances (PLF). On peut toujours dire que ce n'est pas assez.

Ce qui m'importe, c'est ce que reçoit l'intéressé au bout du compte. Pendant longtemps, la politique finançait des structures et non un choix de vie personnel. Nous avons fait évoluer cette orientation en créant des droits d'accès particuliers. La prestation de compensation du handicap à la parentalité, qui verra le jour dès le début de cette année, permettra la prise en charge des besoins relatifs aux actes quotidiens liés à la parentalité. L'aide forfaitaire mensuelle est de 900 euros ; nous en réétudierons le montant dans un an s'il se révélait insuffisant. S'ajoute une aide technique de 1 200 euros. Enfin, l'aide à la vie partagée permet de développer l'habitat inclusif. Nous sommes donc en train de bousculer le mode de financement de notre politique, à la demande des bénéficiaires eux-mêmes, pour leur permettre d'accéder au plus grand nombre d'offres individualisées possibles.

Vous êtes plusieurs à m'avoir interrogée sur l'AAH, qui a fait l'objet d'une pétition en ligne sur le site du Sénat, signée par plus de 100 000 personnes. Les suites qu'il est possible de lui donner sont à l'étude.

Je rappelle que l'AAH est fondée sur la solidarité nationale, plus spécifiquement sur la solidarité entre époux, rappelée par le code civil. C'est l'un des piliers de notre société et de nos valeurs républicaines. C'est ainsi que nos allocations sont constituées. L'allocation aux adultes handicapés permet également aux 300 000 personnes qui en ont besoin la possibilité de solliciter une prestation de compensation du handicap (PCH). En moyenne, la PCH peut atteindre 500 euros pour répondre aux besoins d'aide humaine et d'accompagnement individualisé.

L'octroi de l'AAH, en effet, prend en compte les revenus du conjoint, mais le plafond ne se situe pas à 1 600 euros ou 1 800 euros comme on l'entend souvent, car la situation de handicap donne droit à un abattement de 20 % sur les revenus du conjoint. Ce qui est vrai, en revanche, c'est qu'il est très difficile pour les ménages de savoir quelle est leur situation. L'AAH n'est pas seule en cause : l'ensemble de la fiscalité s'appliquant aux allocataires adultes handicapés est difficile à déchiffrer, avec pour conséquence un taux de non-recours très élevé. Donner de la visibilité est donc un enjeu collectif. Il y a là un grand chantier. Le Président de la République a déclaré que l'AAH ne ferait pas partie du revenu universel d'activité (RUA). Quoi qu'il en soit, je ne suis pas satisfaite, je le répète, devant le taux de non-recours aux aides complémentaires qui découle de la complexité de notre politique.

J'ajoute que la « déconjugalisation » de l'AAH pénaliserait les personnes qui travaillent. En effet, on oublie trop souvent qu'il arrive, dans un couple, que la personne handicapée soit le soutien de famille. Comme le conjoint compte pour une part, le couple bénéficie de la « conjugalisation » de l'AAH. Le problème est donc complexe : il y aura des perdants et des gagnants. C'est la raison pour laquelle nous devons travailler ensemble pour améliorer la lisibilité du dispositif. Quoi qu'il en soit, la question reste ouverte ; nous allons nous y atteler. Je suis en relation avec le Sénat. Nous verrons ce qu'il adviendra de la proposition de loi.

Je voudrais revenir sur l'isolement des personnes en situation de handicap, sujet sur lequel j'ai longuement échangé avec Mme Victory. J'ai bien entendu leurs appels au secours. Lors de la Conférence nationale du handicap, le Président de la République nous a alertés sur l'importance de ne pas conditionner l'accompagnement et sur la nécessité de créer un numéro unique, afin d'éviter l'errance : trop souvent, les personnes en situation de handicap sont forcées de pousser de nombreuses portes. J'ai accéléré le processus pour que, à la sortie du confinement, nous soyons en mesure de répondre aux appels au secours. Le numéro 0 800 360 360 a été ouvert en urgence. Nous travaillons à l'aspect qualitatif avec les associations.

Je ne puis laisser dire qu'il n'y a pas de concertation avec les MDPH et les associations. Des groupes de travail ont été mis en place ; ils sont extrêmement actifs. Nous sommes en train d'analyser toutes les communautés 360. Celles-ci ont été installées dans l'urgence. À cet égard, je tiens à féliciter pour leur réactivité les associations, les ARS et les départements qui ont répondu présents pour constituer ces communautés rapidement.

Un travail qualitatif nous attend désormais : élaboration de cahiers des charges, gouvernance nationale et territoriale, modes de financement, complémentarité avec les autres dispositifs. Encore une fois, il s'agit non pas d'empiler les dispositifs mais de définir une autre méthode de travail. Vendredi dernier, j'étais à Amiens et la semaine dernière dans l'Aisne pour faire le point avec les communautés 360. Nous avons trouvé des solutions là où il n'y en avait pas, notamment pour offrir un répit aux personnes en ayant besoin. Nous avons réussi à travailler différemment avec les organisations gestionnaires. Je capitalise sur le travail que nous sommes parvenus à réaliser durant la crise.

J'ai lancé une mission de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui doit rendre ses résultats dans deux à trois mois. Elle est chargée de réfléchir à la manière dont on peut améliorer la prise en charge juridique des personnes en situation de handicap. L'octroi des agréments répond à une logique de silo : il faut faire tomber les barrières. Les établissements doivent ouvrir 365 jours par an, comme le demandent certaines familles.

C'est ainsi que nous éviterons les départs en Belgique ; 90 millions d'euros sont consacrés à cet objectif – 180 millions au total pour financer des solutions nouvelles. À l'issue de la dernière réunion de la commission mixte paritaire franco-wallonne, qui s'est tenue la semaine dernière, mon homologue et moi-même avons lancé un moratoire sur les départs en Belgique pour les adultes handicapés. D'ici au 28 février, nous déterminerons les capacités nécessaires et engagerons une contractualisation. Il convient en effet de mettre un terme aux départs non souhaités en Belgique. Les ARS d'Île-de-France, du Grand Est et des Hauts‑de‑France travaillent à l'élaboration de solutions plus rapides.

Un numéro permettant d'accéder à des plateformes organisant un répit pour les aidants a été ouvert. Je suis bien consciente que les familles sont épuisées, notamment après la succession de confinements et de déconfinements, et en raison des adaptations qui ont été nécessaires. Le numéro 0 800 360 360 vise à améliorer l'aspect qualitatif. J'y vois un outil de transformation du secteur médico-social. Les associations gestionnaires participent pleinement à la démarche et sont forces de proposition.

S'agissant des difficultés de scolarisation des enfants sourds, il y a un problème de déploiement des PEJS. Ces derniers ne sont pas suffisamment opérationnels. Vous l'avez très bien dit, madame Lebon : il faut travailler de façon globale sur la formation, le déploiement des PEJS et les possibilités d'internat. Dans le cadre du comité de pilotage de l'enseignement supérieur, Frédérique Vidal et moi-même avons pour objectif de déterminer, en amont, quels sont les freins à la scolarisation et quelles difficultés les établissements rencontrent. Parallèlement, nous avons lancé une mission de l'IGAS sur ce sujet spécifique. Il faut faire mieux, c'est indéniable, mais des progrès considérables ont été réalisés pendant la crise s'agissant de l'accessibilité. Les discours du Président de la République, du Premier ministre et les conférences de presse relatives à la santé, par exemple, font tous l'objet d'une interprétation en vidéo. Nous devons être également à la hauteur dans le domaine de l'enseignement.

Tous les enfants sourds bénéficient du masque inclusif, que je porte moi-même – je vous invite d'ailleurs à en faire autant. L'éducation nationale a commandé des masques de ce type, non seulement pour les enfants sourds, mais également pour ceux atteints de troubles du spectre de l'autisme. Toutes les maternelles devraient en être équipées. S'il en manquait sur le terrain, faites remonter vos demandes pour que nous activions les commandes. En ce qui concerne les crèches, 500 000 masques ont également été commandés. S'ils sont un moyen de protection, ils sont surtout un moyen de communication avec les enfants. C'est un exemple de la société inclusive que nous voulons.

Pour les salariés en situation de handicap, l'AGEFIPH compense la différence de prix pour éviter que le masque ne soit un objet de désinsertion professionnelle. Nous avons réagi immédiatement et activé le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). Le port du masque ne doit pas être un frein à la communication. S'il manque encore des masques de ce type, faites-le savoir afin que nous en commandions.

En ce qui concerne le statut des AESH, nous avons travaillé sur la nature des contrats. Une grande avancée a été réalisée : plus aucun AESH n'est employé en contrat aidé, tous sont employés en CDD ou en CDI. Cela dit, il convient de réfléchir à la question de la précarité financière. C'est un engagement du ministre de l'éducation nationale. Il défend cette position dans le cadre du dialogue social. C'est aussi l'un des thèmes du Grenelle de l'éducation.

D'ores et déjà, les AESH référents ont des postes de 35 heures. Toutefois, il est vrai que nous devons continuer à avancer. Je me suis rendue à Amiens pour écouter des AESH. Trop de personnes encore subissent cette situation, c'est vrai, mais beaucoup de mères choisissent de travailler à temps partiel pour accorder leur vie familiale et leur vie professionnelle. Toutefois, ce n'est pas une réponse satisfaisante : je le sais pertinemment. C'est la raison pour laquelle nous devons continuer à travailler pour résoudre le problème. Nombre de collectivités embauchent des AESH sur les temps périscolaires. Avec le diplôme d'État d'accompagnant éducatif et social spécialité « accompagnement à l'éducation inclusive et à la vie ordinaire » (DEAES), qui comprend trois options, nous disposons d'une piste de travail pour améliorer les conditions financières. Le ministre de l'éducation nationale y travaille ; il a ce sujet très présent à l'esprit.

Nous connaissons une inflation des demandes d'AESH. La formation des enseignants, l'outillage et la coopération médico-sociale armeront mieux l'éducation nationale pour faire face aux adaptations nécessaires et suffisantes. Sans doute la répartition des PIAL sur le territoire est-elle inégale ; c'est normal, il s'agit d'un nouveau dispositif et il faut le temps qu'il se rode, le temps pour moi d'organiser, au plus près des besoins de l'enfant, les moyens de l'éducation nationale. Nous sommes extrêmement attentifs à la question. Des comités de pilotage de l'école inclusive sont organisés deux fois par an, dans le cadre desquels l'ensemble des recteurs et des directeurs généraux des ARS sont mobilisés, car c'est ainsi que cette coopération pourra s'organiser. Par ailleurs, dans chaque département, des comités techniques départementaux de scolarisation se réunissent, auxquels je vous invite à assister. Je sais que c'est le cas de certains d'entre vous. Nous avons échangé avec Mme Dubois sur le sujet, elle-même y participe. Je pense qu'il est très important que vous y participiez pour tisser ce lien indispensable, car c'est dans cette instance qu'est organisée la planification des moyens, que sont programmées les ouvertures d'ULIS et d'unités d'enseignement et que nous donnerons corps à la coopération sur le territoire, essentielle à la réussite.

S'agissant de la revalorisation des métiers, le Premier ministre a missionné Michel Laforcade. Des discussions sont en cours avec l'ensemble des organisations, des employeurs et des grandes fédérations du secteur privé non lucratif. Nous progressons et j'espère que nous aboutirons très prochainement. Je vous informerai dès que nous disposerons du calendrier de sortie des concertations. Je suis consciente de la situation sur le terrain. Bien sûr, je suis interpellée et, comme vous tous, je reçois énormément de courrier. Il est urgent, en effet, dans un souci de justice sociale, que nous avancions.

Cela dit, nous avons d'ores et déjà investi massivement en faveur de cette politique publique qui touchera l'ensemble des ministères. Je n'ai pas encore évoqué, par exemple, les investissements que nous avons consentis pendant la crise dans les établissements et services d'aide par le travail (ESAT). Nous les avons accompagnés pour plus de 180 millions d'euros, soit plus de 25 millions par mois afin d'éviter toute perte de revenus aux personnes en situation de handicap, mais aussi pour permettre à l'ensemble des établissements de redémarrer rapidement. De fait, à la fin de l'été, près de 90 % des ESAT avaient repris une activité pleine et entière grâce aux fonds importants qu'ils ont reçus. Nous travaillons maintenant au cas par cas. Certains ESAT sont fortement touchés par les fermetures dans les secteurs de la restauration et de l'hôtellerie ; nous sommes à leurs côtés.

Il en va de même pour les entreprises adaptées, qui bénéficient du fonds que nous avons instauré avec Brigitte Klinkert. Celles-ci bénéficient, par ailleurs, des dispositifs relatifs à l'activité partielle. Nous avons été extrêmement présents à leurs côtés. Je ne peux donc pas laisser dire que nous ne leur sommes pas venus en aide pendant la crise. Plus généralement, il est faux de prétendre que nous n'avons pas les moyens de notre ambition : les investissements engagés depuis le début du quinquennat sont notoires.

En ce qui concerne l'aménagement des examens, madame Dubois, un texte est en préparation. Il doit être soumis à l'étude du CNCPH. Cela dit, nous devons aller plus loin. À cet égard, l'adaptation des examens doit être proposée aux jeunes tout au long de leurs études. C'est tout l'intérêt du livret de parcours inclusif. J'entends votre interpellation à propos des différents types de handicap. C'est en soi un véritable chantier, mais cela ne touche pas uniquement le handicap. L'examen doit-il être transposé dans son intégralité ? Devons-nous travailler sur des attestations de compétences ? Celles-ci sont très utiles. Plus aucun jeune ne sort de l'éducation nationale sans une attestation de handicap. Cela a été fait il y a dix ans pour les jeunes handicapés. Nous devons désormais travailler à l'aménagement des examens, afin qu'il soit juste et surtout puisse être déployé, quelle que soit la situation de handicap. Ce travail fera l'objet du comité de pilotage, toujours avec Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer.

S'agissant du SNU, nous travaillons avec Sarah El Haïry. Nous avons inclus tous les jeunes en situation de handicap en créant une plateforme extrêmement bien conçue, un questionnement sincère, en même temps qu'extrêmement précis, pour développer l'accès du SNU à tous les jeunes en situation de handicap.

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