Intervention de Professeur Frédéric Tangy

Réunion du mercredi 17 février 2021 à 15h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Professeur Frédéric Tangy, chef du laboratoire d'innovation vaccinale de l'Institut Pasteur et professeur à l'Institut Pasteur :

Tout d'abord, j'aimerais rappeler que l'Institut Pasteur n'est pas une structure industrielle, mais une fondation privée reconnue d'utilité publique. Des membres du gouvernement participent au conseil d'administration. Une petite part du budget est donnée par l'État. Les quatre missions de l'Institut Pasteur sont la recherche, l'enseignement, la santé publique et l'innovation.

À l'Institut Pasteur, nous avons commencé les recherches sur la Covid-19 dès l'annonce de cette nouvelle maladie par le gouvernement chinois, aux alentours du 15 janvier 2020. Rappelons que le virus a été isolé très rapidement à l'Institut Pasteur. Ce fait a permis la mise au point des tests PCR pour la détection ainsi que d'autres tests. Aujourd'hui, l'Institut Pasteur participe encore largement au séquençage des variants et à l'identification des différentes mutations survenant dans les variants.

Concernant la recherche vaccinale, trois pistes basées sur des plateformes ont été suivies dès le 15 janvier. Une plateforme est un outil générique pouvant être utilisé pour différentes maladies. Par exemple, l'ARN est une plateforme vaccinale, consistant à utiliser un morceau d'ARN introduit dans des nanoparticules lipidiques. Pour les plateformes ADN, l'acide désoxyribonucléique remplace l'acide ribonucléique. Enfin, il existe des plateformes virales basées sur des vecteurs viraux, tels que l'adénovirus développé par AstraZeneca, Johnson & Johnson ou encore Spoutnik.

À l'Institut Pasteur, nous disposions de trois plateformes vaccinales basées respectivement sur de l'ADN, sur un vecteur viral (le lentivirus dérivé du virus du sida) et sur le vaccin contre la rougeole. Le vaccin contre la rougeole est l'un des vaccins les plus sûrs et efficaces, ayant contribué à réduire de plus de 95 % l'incidence de la rougeole dans le monde. Ce vaccin, facile à produire et très peu coûteux, est fabriqué par de nombreuses compagnies dans le monde. Nous avions une avance avec cette plateforme ayant déjà démontré son efficacité, au cours de la décennie précédente, dans des essais cliniques, particulièrement contre le virus du chikungunya.

Un industriel, la petite biotech autrichienne Themis, travaillait avec nous sur cette plateforme et avait obtenu une licence d'exploitation industrielle et commerciale.

Nous avions également des contacts importants avec la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI). Cette coalition cherche à réunir un milliard de dollars chaque année pour financer des vaccins contre les maladies émergentes. La CEPI avait déjà financé trois autres programmes avec cette plateforme rougeole, contre le chikungunya, le MERS et le virus de la fièvre de Lassa.

Nous avons débuté très vite la modification du génome du virus de la rougeole par manipulation génétique puis la reconstitution du virus, à l'intérieur duquel nous avons inséré des gènes issus du virus du Sars-CoV-2. Le but était de générer une série de candidats vaccins pouvant être testés en clinique et démontrant une certaine efficacité en préclinique dans des modèles animaux. Une douzaine de candidats ont donc été préparés très rapidement, à partir de la réception du matériel et des séquences en février. Nous avons délivré ces candidats vaccins aux industriels entre le milieu et la fin du mois de mai. La fabrication industrielle a débuté, donnant lieu à une qualification par l'agence réglementaire. Ces candidats vaccins ont ensuite été introduits en clinique.

Nous avons obtenu les résultats de cet essai clinique en janvier. Ce délai me semble très long. Trois mois ont été nécessaires pour générer les vaccins, tandis que sept mois ont été nécessaires pour l'essai clinique. Pourtant, en septembre, des essais de phase III ont été publiés pour des vaccins ARN prêts en même temps que les nôtres. Nous ne connaissons pas les causes de ce retard. Les chercheurs perdent la main sur leur travail lorsque celui-ci est pris en charge par l'industriel.

Parmi les candidats fournis avec des données précliniques, l'industriel Themis a sélectionné un candidat, qu'il a introduit en fabrication industrielle. Un essai clinique a été initié. Nous avions obtenu rapidement le financement de la CEPI à hauteur de 4,3 millions d'euros pour réaliser ce travail et l'essai. Naturellement, la majeure partie de cet argent part chez l'industriel puisque la partie la plus coûteuse est la fabrication du lot clinique et la réalisation de l'essai. L'Institut Pasteur est le promoteur de l'essai, mais Themis a contrôlé le lot, la fabrication, etc.

Il est important de souligner qu'entre-temps, la compagnie Themis a été rachetée par la major Merck. Ce processus, probablement assez complexe, nous a échappé. À partir du rachat, Themis n'existant plus, Merck a repris l'intégralité du travail. En tant que chercheur, je n'ai pas eu d'information sur tout cela à partir des mois de mai et juin.

L'essai clinique de ce candidat a montré que le vaccin n'avait pas d'effets secondaires, était bien toléré, était immunogène, mais que son immunité était jugée insuffisante par rapport aux concurrents pour faire des essais de phase III et passer en production. Notons que ce résultat a été publié en janvier alors que des vaccins sont déjà sur le marché. Naturellement, nous pouvons comprendre que l'industriel ne souhaite pas aller plus loin si ces résultats sont un peu inférieurs à ceux des concurrents.

Cela dit, nous disposons d'autres candidats qui, à mon sens, sont de meilleure qualité que celui testé en clinique. Il y a quinze ou vingt ans, j'ai mis au point cette plateforme, qui a développé les vaccins précédents. Je possède donc un savoir-faire très important en matière de vaccinologie avec cet outil. Nous ne désespérons pas de pouvoir relancer des essais avec un autre candidat. Naturellement, nous arriverons après les vaccins actuellement disponibles. Étant donné son faible coût (moins d'un dollar la dose), il s'agira plutôt d'un vaccin destiné au reste du monde. Ces vaccins, préférablement à large spectre et « cross réactifs », seraient capables de protéger contre les différents variants. Nous espérons pouvoir relancer des essais cliniques dans les mois à venir.

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