COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 17 février 2021
La séance est ouverte à quinze heures trente.
(Présidence M. Bruno Studer, président)
La Commission procède à l'audition, dans le cadre d'une table ronde sur le thème « Recherche française et Covid-19 »,des professeurs :
Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir, en votre nom à tous et toutes, les quatre participantes et participants à cette table ronde autour du thème « recherche française et Covid-19 ». Cette table ronde est organisée en visioconférence, dans le cadre du suivi de la crise sanitaire, par la commission des affaires culturelles et de l'éducation, compétente pour les questions de recherche. Je précise que notre réunion est également ouverte à nos collègues de la commission des affaires sociales et qu'elle est diffusée en direct sur la plateforme vidéo de l'Assemblée nationale.
Je souhaite donc la bienvenue à Mme la Professeur Anne Goffard, virologue au CHU de Lille, enseignante à la faculté de pharmacie de Lille et chercheur à l'Institut Pasteur de Lille ; Mme la Professeur Odile Launay, infectiologue, coordinatrice du centre de recherche Inserm de vaccinologie clinique Cochin-Pasteur et membre du comité vaccin Covid-19 ; M. le Professeur Frédéric Tangy, chef du laboratoire d'innovation vaccinale et professeur à l'Institut Pasteur et M. le Professeur Yazdan Yazdanpanah, infectiologue, chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital Bichat, directeur de l'institut thématique immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie de l'Inserm, directeur de l'ANRS Maladies infectieuses émergentes, et membre du comité scientifique.
Mesdames et messieurs, je vous remercie très sincèrement de vous être rendus disponibles – dans une période que nous imaginons particulièrement chargée pour vous – afin de nous informer sur les programmes de recherche français sur la Covid-19, tant en matière vaccinale que thérapeutique, et sur leurs perspectives de succès et les difficultés rencontrées.
Il y a maintenant presque un an, le lancement des premiers travaux de recherche sur la Covid-19 semblait mettre la France au tout premier rang de la recherche européenne et internationale. L'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) s'était mobilisée très tôt pour accélérer les recherches sur le virus et la maladie via le consortium REACTing, coordonné par l'Inserm, qui avait sélectionné dès le début du mois de mars 2020 une vingtaine de projets de recherche diagnostique, clinique et thérapeutique. En outre, le pilotage de l'essai clinique européen Discovery était, en premier lieu, confié à l'Inserm. Complémentaire de Solidarity, menée sous l'égide de l'OMS, Discovery visait à tester différentes stratégies thérapeutiques antivirales, notamment autour de l'hydroxychloroquine, du remdesivir, du lopinavir et du ritonavir. En juillet, l'OMS a suspendu les recherches de Solidarity sur ces antiviraux. Qu'en a-t-il été de celles conduites par Discovery ? Des traitements alternatifs ont-ils été mis à l'étude ? Quelles sont aujourd'hui les perspectives concernant la découverte de traitements efficaces contre la Covid-19 ?
En octobre dernier, l'OMS a indiqué que Solidarity était désormais prêt à évaluer rapidement de nouvelles options thérapeutiques avec près de 500 hôpitaux ouverts comme sites pour les essais. Pouvez-vous nous faire un point sur cette question et nous indiquer le positionnement des équipes françaises auparavant mobilisées sur Discovery ?
Concernant la question cruciale des vaccins, les premières recherches en la matière laissaient entendre que l'Institut Pasteur possédait un avantage comparatif sur ses concurrents. Un an plus tard, nous avons l'impression que la situation est nettement moins satisfaisante. En effet, plusieurs vaccins ont été mis sur le marché et sont administrés depuis plusieurs semaines, tandis que l'Institut Pasteur a annoncé l'arrêt de ses recherches à la fin du mois de janvier après que Sanofi a, de son côté, révélé un retard important dans les essais de son propre vaccin. Pouvez-vous nous rappeler les recherches menées en France en matière vaccinale et nous préciser les raisons qui ont conduit à ce qui peut apparaître comme un accident industriel majeur pour l'Institut Pasteur ? Qu'en est-il désormais ? Vers quelles options se tourne aujourd'hui l'Institut Pasteur dans la lutte contre la Covid-19 ?
De manière plus générale, sommes-nous à l'aube d'une révolution en matière vaccinale ? L'avenir est-il résolument en faveur de technologies à base d'ARN messager ?
Enfin, de façon plus globale, les déceptions de la recherche française en matière de vaccin sont-elles liées à l'économie de la recherche de notre pays ? Quelle vous semble être la dimension stratégique, industrielle et financière de notre retard ? Quelles seraient vos recommandations en la matière ?
Mesdames et messieurs les Professeurs, je vais vous céder la parole pour vos propos liminaires. Je vous propose de commencer par le sujet d'actualité le plus brûlant, à savoir les vaccins, avec les Professeurs Odile Launay et Frédéric Tangy, et d'aborder ensuite plus largement la recherche diagnostique, clinique et thérapeutique sur la Covid-19 avec les Professeurs Anne Goffard et Yazdan Yazdanpanah. Le Professeur Yazdanpanah pourra également nous présenter la nouvelle agence ANRS Maladies infectieuses émergentes, créée le 1er janvier dernier et dont il assure la direction.
Merci. Je suis très heureuse d'être présente parmi vous. Je vais vous parler de la recherche vaccinale du point de vue d'une personne effectuant de la recherche clinique dans le domaine des vaccins depuis une vingtaine d'années. En effet, je m'occupe d'une structure de recherche clinique ayant pour mission la conduite d'essais cliniques. J'ai également la responsabilité d'un réseau national d'investigation clinique dans le domaine des vaccins.
Concernant la recherche vaccinale, nous avons ouvert à l'Institut Pasteur la possibilité de conduire des essais de phase I avec le candidat vaccin développé par l'Institut, dont le vecteur est le virus vaccinal de la rougeole. Une partie de cet essai a été conduite en France tandis qu'une autre partie a été conduite en Belgique, afin que l'essai se déroule rapidement et dans les meilleures conditions. Nous avons inclus les participants de la façon prévue. L'essai a été réalisé sans difficulté particulière.
Les résultats de cet essai portaient, d'une part, sur les données de sécurité et, d'autre part, sur les données en termes de réponse immunitaire, soit la capacité de ce vaccin à induire une réponse — particulièrement en anticorps anti-Covid — chez les participants vaccinés. Nous n'avons pas réalisé l'évaluation de la réponse immunitaire. En effet, nous conduisons seulement les essais et les prélèvements sont ensuite adressés à des laboratoires ayant la responsabilité d'étudier la réponse et de doser les anticorps. Nous avons été prévenus au mois de janvier que les résultats ne répondaient pas aux attentes prévues et que, pour cette raison, les laboratoires MSD arrêtaient le développement du candidat vaccin. Je laisserai Frédéric Tangy parler plus précisément de ces résultats.
Par ailleurs, dès le mois de mai, nous avons travaillé sur la mise en place d'un projet de recherche vaccinale clinique. Je rappelle que nous ne sommes pas chargés de la recherche préclinique, c'est-à-dire du développement de candidats vaccins. Nous sommes plutôt chargés de leur évaluation au cours d'essais cliniques, devant répondre à un certain nombre de critères et de règles. En lien avec REACTing et avec la cellule interministérielle, nous avons construit le projet COVIREIVAC, ayant pour objectif de monter un réseau de centres d'investigation clinique en France. Ce réseau comprend maintenant 32 centres identifiés, pour permettre de conduire les essais cliniques. Ces centres cliniques s'associent à des ressources biologiques, avec la mission de fabriquer des biothèques qui préparent les prélèvements dans de bonnes conditions et les congèlent avant de les adresser à des laboratoires spécialisés.
Nous avons également mis en place un réseau de laboratoires d' immuno-monitoring, comportant une dizaine de laboratoires en France possédant des compétences pour l'évaluation de la réponse immunitaire au vaccin. Ces compétences sont complémentaires et sont coordonnées par le Professeur Éric Tartour, immunologiste à l'hôpital européen Georges Pompidou.
Cette infrastructure, maintenant bien organisée, a été financée par la cellule interministérielle. Le financement a permis, d'une part, de renforcer une équipe de coordination pour la mise en place des études qui existaient déjà au niveau d'I-REIVAC et, d'autre part, de renforcer les sites cliniques pour leur permettre d'anticiper et d'être prêts à réaliser des essais.
Deux types de projets devaient être conduits au sein de cette infrastructure. Le premier objectif était de donner à la France la possibilité de participer à des essais industriels. Le second de conduire des essais plus académiques, pour nous permettre de mieux analyser la réponse immunitaire aux différents vaccins développés dans le cadre de la Covid-19.
À cette fin, nous avons mis en place une plateforme nationale permettant aux personnes volontaires de s'inscrire pour participer à ces essais. Cette initiative a été lancée le 1er octobre. Elle compte aujourd'hui 50 000 inscrits, prêts à entrer dans les essais. Ce succès important est une première en France. Le système informatisé nous permet de disposer de l'âge, du sexe, mais aussi des principaux problèmes de santé que présentent ces participants, et d'attribuer des participants à chacun des 32 centres cliniques, qu'ils peuvent solliciter pour entrer dans les essais.
Nous avons été sollicités pour participer à des essais industriels. Nous participons depuis le mois de février à un essai avec Janssen, qui développe un vaccin vectorisé. Il est nécessaire d'évaluer l'efficacité de deux doses de ce vaccin. Par ailleurs, nous avions été sollicités pour participer à quatre autres essais. Le premier est un essai de phase III avec le vaccin de Sanofi-Pasteur, mais le développement est retardé en raison de difficultés quant à la purification de l'antigène. Nous devions également participer à deux essais avec MSD. Le premier devait permettre de démontrer l'efficacité du vaccin développé par l'Institut Pasteur. Le deuxième essai concernait leur autre plateforme technologique.
Concernant les essais plus cognitifs permettant de donner davantage d'informations sur les vaccins, nous débutons un premier essai ayant pour objectif d'évaluer le vaccin Moderna. Il s'agit de mieux connaître les candidats vaccins et de mieux préciser leurs propriétés immunologiques, plus spécifiquement chez les sujets de plus de 65 ans comparativement à des sujets plus jeunes. Après le vaccin Moderna, nous réaliserons un essai avec le vaccin Pfizer. Nous avons abordé la question de la vaccination des personnes ayant déjà été exposées au virus. Ensuite, nous réaliserons un troisième essai avec le vaccin Curevac. Soulignons que ces trois essais, menés successivement, permettront d'obtenir des échantillons qui seront utilisés par les mêmes laboratoires et de disposer de données comparatives entre ces différents vaccins. À partir de ces données, nous aurons du sérum dont nous étudierons l'activité sur le virus initial de Wuhan et sur les variants, ce qui présente un intérêt particulier compte tenu de l'évolution de l'épidémiologie.
Dès que nous le pourrons, nous travaillerons sur les autres vaccins, c'est-à-dire les vaccins vectorisés et, en particulier, celui de Janssen. Nous espérons également travailler sur un vaccin à base de protéines recombinantes et, plus spécifiquement, sur le vaccin Novavax.
Nous avons bénéficié d'un financement de la cellule interministérielle pour ces essais, qui ont été initiés et validés au sein du comité scientifique vaccin.
Nous travaillons depuis le mois de décembre sur la mise en place de cohortes vaccinales, ayant pour objectif d'apporter des informations complémentaires sur les vaccins disponibles. Une grande cohorte de 10 000 participants vise notamment à évaluer la réponse immunitaire dans ce que nous appelons les populations particulières, c'est-à-dire, d'une part, les personnes de plus de 75 ans et, d'autre part, les personnes présentant des maladies chroniques ou prenant des traitements responsables d'un amoindrissement de la réponse de leur système immunitaire aux vaccins. Une telle évaluation est particulièrement importante puisque les vaccins à ARN constituent une nouvelle technologie, pour laquelle nous n'avons aucune donnée concernant les populations particulières.
Cette cohorte, prête à débuter, a été soumise pour obtenir les autorisations réglementaires. Le financement est en cours de discussion, mais proviendra également de la cellule interministérielle, en lien très étroit avec l'agence ANRS Maladies infectieuses émergentes, promotrice de cette cohorte, qui nous permettra de savoir si certains vaccins sont plus indiqués que d'autres. Elle nous permettra également de connaître la durée de la protection conférée par la vaccination, la nécessité de la revaccination ainsi que les délais pour utiliser des nouveaux variants.
Par ailleurs, nous avons l'objectif très important de caractériser les échecs vaccinaux, que nous imaginons plus fréquents chez les populations particulières. La caractérisation sera immunologique, mais aussi virologique. En effet, nous avons prévu de séquencer les virus qui seront identifiés chez ces personnes en cas d'échec.
Tout d'abord, j'aimerais rappeler que l'Institut Pasteur n'est pas une structure industrielle, mais une fondation privée reconnue d'utilité publique. Des membres du gouvernement participent au conseil d'administration. Une petite part du budget est donnée par l'État. Les quatre missions de l'Institut Pasteur sont la recherche, l'enseignement, la santé publique et l'innovation.
À l'Institut Pasteur, nous avons commencé les recherches sur la Covid-19 dès l'annonce de cette nouvelle maladie par le gouvernement chinois, aux alentours du 15 janvier 2020. Rappelons que le virus a été isolé très rapidement à l'Institut Pasteur. Ce fait a permis la mise au point des tests PCR pour la détection ainsi que d'autres tests. Aujourd'hui, l'Institut Pasteur participe encore largement au séquençage des variants et à l'identification des différentes mutations survenant dans les variants.
Concernant la recherche vaccinale, trois pistes basées sur des plateformes ont été suivies dès le 15 janvier. Une plateforme est un outil générique pouvant être utilisé pour différentes maladies. Par exemple, l'ARN est une plateforme vaccinale, consistant à utiliser un morceau d'ARN introduit dans des nanoparticules lipidiques. Pour les plateformes ADN, l'acide désoxyribonucléique remplace l'acide ribonucléique. Enfin, il existe des plateformes virales basées sur des vecteurs viraux, tels que l'adénovirus développé par AstraZeneca, Johnson & Johnson ou encore Spoutnik.
À l'Institut Pasteur, nous disposions de trois plateformes vaccinales basées respectivement sur de l'ADN, sur un vecteur viral (le lentivirus dérivé du virus du sida) et sur le vaccin contre la rougeole. Le vaccin contre la rougeole est l'un des vaccins les plus sûrs et efficaces, ayant contribué à réduire de plus de 95 % l'incidence de la rougeole dans le monde. Ce vaccin, facile à produire et très peu coûteux, est fabriqué par de nombreuses compagnies dans le monde. Nous avions une avance avec cette plateforme ayant déjà démontré son efficacité, au cours de la décennie précédente, dans des essais cliniques, particulièrement contre le virus du chikungunya.
Un industriel, la petite biotech autrichienne Themis, travaillait avec nous sur cette plateforme et avait obtenu une licence d'exploitation industrielle et commerciale.
Nous avions également des contacts importants avec la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI). Cette coalition cherche à réunir un milliard de dollars chaque année pour financer des vaccins contre les maladies émergentes. La CEPI avait déjà financé trois autres programmes avec cette plateforme rougeole, contre le chikungunya, le MERS et le virus de la fièvre de Lassa.
Nous avons débuté très vite la modification du génome du virus de la rougeole par manipulation génétique puis la reconstitution du virus, à l'intérieur duquel nous avons inséré des gènes issus du virus du Sars-CoV-2. Le but était de générer une série de candidats vaccins pouvant être testés en clinique et démontrant une certaine efficacité en préclinique dans des modèles animaux. Une douzaine de candidats ont donc été préparés très rapidement, à partir de la réception du matériel et des séquences en février. Nous avons délivré ces candidats vaccins aux industriels entre le milieu et la fin du mois de mai. La fabrication industrielle a débuté, donnant lieu à une qualification par l'agence réglementaire. Ces candidats vaccins ont ensuite été introduits en clinique.
Nous avons obtenu les résultats de cet essai clinique en janvier. Ce délai me semble très long. Trois mois ont été nécessaires pour générer les vaccins, tandis que sept mois ont été nécessaires pour l'essai clinique. Pourtant, en septembre, des essais de phase III ont été publiés pour des vaccins ARN prêts en même temps que les nôtres. Nous ne connaissons pas les causes de ce retard. Les chercheurs perdent la main sur leur travail lorsque celui-ci est pris en charge par l'industriel.
Parmi les candidats fournis avec des données précliniques, l'industriel Themis a sélectionné un candidat, qu'il a introduit en fabrication industrielle. Un essai clinique a été initié. Nous avions obtenu rapidement le financement de la CEPI à hauteur de 4,3 millions d'euros pour réaliser ce travail et l'essai. Naturellement, la majeure partie de cet argent part chez l'industriel puisque la partie la plus coûteuse est la fabrication du lot clinique et la réalisation de l'essai. L'Institut Pasteur est le promoteur de l'essai, mais Themis a contrôlé le lot, la fabrication, etc.
Il est important de souligner qu'entre-temps, la compagnie Themis a été rachetée par la major Merck. Ce processus, probablement assez complexe, nous a échappé. À partir du rachat, Themis n'existant plus, Merck a repris l'intégralité du travail. En tant que chercheur, je n'ai pas eu d'information sur tout cela à partir des mois de mai et juin.
L'essai clinique de ce candidat a montré que le vaccin n'avait pas d'effets secondaires, était bien toléré, était immunogène, mais que son immunité était jugée insuffisante par rapport aux concurrents pour faire des essais de phase III et passer en production. Notons que ce résultat a été publié en janvier alors que des vaccins sont déjà sur le marché. Naturellement, nous pouvons comprendre que l'industriel ne souhaite pas aller plus loin si ces résultats sont un peu inférieurs à ceux des concurrents.
Cela dit, nous disposons d'autres candidats qui, à mon sens, sont de meilleure qualité que celui testé en clinique. Il y a quinze ou vingt ans, j'ai mis au point cette plateforme, qui a développé les vaccins précédents. Je possède donc un savoir-faire très important en matière de vaccinologie avec cet outil. Nous ne désespérons pas de pouvoir relancer des essais avec un autre candidat. Naturellement, nous arriverons après les vaccins actuellement disponibles. Étant donné son faible coût (moins d'un dollar la dose), il s'agira plutôt d'un vaccin destiné au reste du monde. Ces vaccins, préférablement à large spectre et « cross réactifs », seraient capables de protéger contre les différents variants. Nous espérons pouvoir relancer des essais cliniques dans les mois à venir.
Nous nous sommes mobilisés dès le mois de février 2020. Nous avons créé une task force Recherche Covid-19, émanant du Comité de recherches en matière biomédicale et de santé publique (CRBSP) et associant à la fois le CHU de Lille, l'Université de Lille, l'Inserm, le CNRS, l'Institut Pasteur de Lille, l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), Centrale Lille et l'I-SITE ULNE.
Nous avons déterminé collectivement les missions de cette task force, qui sont les suivantes :
- accompagner la mise en œuvre de projets de recherche et essais cliniques,
- consolider et répartir les ressources financières nécessaires,
- aider dans la constitution de cohortes et de collections biologiques,
- coordonner l'appui des unités de recherche en matière d'équipements et de ressources humaines,
- et coordonner la communication autour de nos projets et de nos réussites.
La task force est composée de 28 personnes, qui se réunissent tous les quinze jours. Elle compte des soignants de première ligne – hospitaliers et hospitalo-universitaires – et des chercheurs du CNRS, de l'Université de Lille et de l'Institut Pasteur de Lille.
Nous avons bénéficié d'un financement de deux millions d'euros de notre label I‑SITE ULNE et de 400 000 euros de la région Hauts-de-France. Cette task force a lancé un appel à projets, qui a conduit à retenir 25 projets concernant la physiopathologie, le diagnostic et la thérapeutique. Ces 25 projets réunissent à la fois les services du CHU de Lille et plus de dix unités de recherche de l'université, de l'Inserm et du CNRS.
En parallèle, les équipes de recherche ont aussi répondu aux appels à projets nationaux, par exemple de type Agence nationale de la recherche (ANR), ou européens.
J'aimerais effectuer un focus sur trois projets.
Un premier projet concerne le repositionnement moléculaire. Dès le mois de mars 2020, nous avons constitué un consortium avec une équipe de virologie moléculaire et cellulaire, dirigée par le Dr Jean Dubuisson, dans le cadre d'un appel à projets ANR sur le repositionnement de molécules. Au sein du consortium, nous comptons également la start-up APTEEUS, hébergée sur le campus de l'Institut Pasteur de Lille, et une équipe de chimistes dirigée par le Pr Benoît Deprez. Les tests in vitro sont terminés et démontrent une certaine efficacité. Nous essayons de préparer un essai clinique, de phase II puis de phase III. Ce projet est plutôt basé sur la thérapeutique.
Un deuxième projet est en cours de développement industriel. Le Dr Sabine Szunerits avait obtenu un financement européen dans le cadre du projet H2020 Covid-19 pour développer un système de diagnostic ultrarapide (en moins de dix minutes) de l'infection par la Covid-19. Ce système est basé sur les techniques de résistance magnétique. Le prototype est terminé.
Un troisième projet a été récemment médiatisé. Des collègues de la faculté de pharmacie de Lille et de l'Inserm ont développé un masque virucide, montrant une efficacité de 99 % de virucidie. Ce masque est pour le moment dédié aux professionnels de santé. Ce projet a vu le jour dans le cadre d'un développement avec un industriel de la région de Tours, qui fabrique le masque. Nous espérons pouvoir le diffuser au grand public dans les prochains mois.
Nous avons constitué une collection biologique, appelée LICORNE pour Lille Covid Research Network. Cette collection constitue un appui pour 25 projets de recherche. Parmi ces projets, 19 sont portés par le CHU de Lille et 6 sont issus de collaborations académiques, tels que Discovery et COVIREIVAC. Plus de 4 000 échantillons, provenant de 830 patients, sont « banqués » dans notre collection.
Je suis virologue clinicienne, mais l'ensemble des autres virologues de mon équipe sont des virologues fondamentaux du CNRS. Nous avons déterminé ensemble certaines de nos difficultés et appréhensions que nous souhaitons vous faire partager. La durée de 18 mois pour certains financements de projets nous semble trop courte. Cette durée ne suffira sans doute pas si nous voulons chercher une molécule antivirale spécifique du Sars-CoV-2.
Par ailleurs, nous aurions eu besoin d'une vision plus stratégique des recherches nous ayant été demandées. Notre groupe, monté en 2013 à la suite de l'émergence du MERS-CoV, est spécialisé dans la recherche concernant les coronavirus. Nous avons développé des savoir‑faire, notamment en séquençage. Dès le mois de mars, pour l'appel flash Covid-19 de l'ANR, nous avions déposé une proposition de séquençage pour rechercher des variants. Notre projet n'a pas été retenu car jugé peu intéressant. En juin, nous avons déposé ce projet à nouveau. Il nous a été dit que le séquençage des variants n'était pas urgent. Aujourd'hui, alors que des variants ont émergé, nous ne pouvons plus déposer de projets en raison des contraintes de l'ANR qui limitent le nombre de dépôts de projets. Cette situation est dommageable puisque nous disposons d'un véritable savoir-faire. Nous regrettons que les spécificités n'aient pas été mises en valeur et appuyées.
Enfin, nous craignons que le Sars-CoV-2 soit classé parmi les micro-organismes et toxines hautement pathogènes (MOT). La classification du MERS-CoV parmi les MOT a entraîné des contraintes réglementaires de recherche extrêmement fortes pour nous, qui se traduit par une perte de chance dans la compétition internationale. Entre 2013 et 2015, nous n'avons pas eu le droit d'effectuer des recherches sur le MERS-CoV alors que nous disposions des outils nécessaires. Une classification du Sars-CoV-2 parmi les MOT compliquerait donc la recherche fondamentale et clinique.
, infectiologue, chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital Bichat (AP-HP), directeur de l'institut thématique immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie de l'Inserm, directeur de l'ANRS Maladies infectieuses émergentes et membre du comité scientifique. Depuis 2013, avec Jean‑François Delfraissy, nous avons mis en place le consortium REACTing. Nous nous sommes rendu compte, dès l'épidémie de grippe de 2009, que la recherche est extrêmement compliquée au cours d'une épidémie ou d'une pandémie. Ce consortium, qui n'est pas une agence de financement, vise à améliorer la recherche pendant une épidémie. Son budget est de 500 000 euros par an, dont la moitié est consacrée au personnel embauché et l'autre moitié au fonctionnement et, parfois, pour l'amorçage. Ce consortium essaie surtout :
- d'améliorer les liens entre les chercheurs au moment des épidémies,
- de réunir les chercheurs,
- de définir les priorités,
- d'assurer l'interface entre les chercheurs et les financeurs et ministères, dans le but de générer des financements,
- et de relier les chercheurs avec d'autres chercheurs au niveau international.
Nous avons débuté notre travail dès la première quinzaine de janvier 2020. Dans le passé, nous avions travaillé sur les épidémies d'Ebola et de Zika, mais nous n'avions jamais travaillé sur une épidémie de cette ampleur. Nous avons essayé de lancer un certain nombre de projets structurants. Nous avons demandé une création d'appels d'offres par l'ANR et par le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC). Nous avons également essayé d'intervenir au niveau des régulations des autorisations afin que ces dernières soient plus rapides. Enfin, nous avons essayé de réunir les chercheurs.
Au début, les résultats ont été satisfaisants, avec la lancée d'un certain nombre de cohortes et d'essais cliniques. Mais rapidement, aux mois de mars et avril, la coordination de cette recherche est devenue très compliquée car nous n'avions pas de mission de coordination et nous n'étions pas les financeurs.
Nous avons alors commencé à réfléchir à une fusion de REACTing avec l'ANRS – l'agence de financement de recherches sur le VIH/Sida et les hépatites – afin de construire une agence sur les maladies émergentes et d'améliorer notre coordination. Des réunions ont eu lieu avec François Dabis, ancien directeur de l'ANRS, et avec les ministères chargés de la recherche et de la santé.
Une nouvelle agence est donc née au 1er janvier, avec un périmètre englobant à la fois le VIH, les hépatites, la tuberculose et les infections sexuellement transmissibles (IST), mais aussi les maladies émergentes relevant auparavant du périmètre de REACTing. Je ne reviens pas sur les discussions qui se poursuivent concernant les budgets. Notre idée est d'utiliser le savoir-faire de REACTing concernant les maladies émergentes et l'infrastructure et le savoir-faire de l'ANRS comme agence de financement afin de créer une vraie agence ayant une vision sur les maladies émergentes à court, moyen et long termes.
Concernant la recherche thérapeutique, nous avons été en contact avec l'OMS dès les mois de janvier et février pour essayer de lancer des essais cliniques autour de traitements et de vaccins. Notre idée était d'essayer de lancer des essais cliniques plateformes où de nombreux centres sont impliqués, dans le but d'inclure le plus vite possible. Nous avons mis l'essai Discovery en place au niveau des hôpitaux. Très rapidement, nous avons souhaité que cet essai soit européen, avec une liaison avec l'OMS et l'essai Solidarity. Nous souhaitions participer à tous les efforts internationaux pour la conduite de ces essais cliniques. Les données de Discovery étaient envoyées à Solidarity.
En outre, il était important de coordonner les essais cliniques en ville au sein d'une plateforme. À partir du mois de juin, nous avons essayé de réunir l'ensemble des personnes effectuant de la recherche et nous avons créé à cet effet pendant l'été la plateforme de recherche COVERAGE, qui concerne plusieurs sites au niveau national. Les essais cliniques en ville seront maintenant très importants puisqu'il est crucial que les antiviraux soient administrés rapidement.
Par ailleurs, nous avons constaté que tout le monde essayait d'évaluer ses propres médicaments. Nous avons tenté d'améliorer cette situation pendant l'été. Nous avons mis en place un groupe préclinique, permettant d'effectuer un screening des médicaments avant que ceux-ci ne soient évalués en ville. Par ailleurs, nous avons constitué un groupe indépendant de priorisation de traitements pour qu'il identifie les plus prometteurs.
Enfin, à la demande des ministères chargés de la recherche et de la santé, nous avons mis en place Comité ad-hoc de pilotage national des essais thérapeutiques et autres recherches sur la Covid-19 (CAPNET). Nous avons demandé à REACTing d'évaluer, par le réseau de priorisation des traitements, quels sont les essais cliniques les plus prometteurs, afin de déterminer les essais cliniques de priorité nationale. Ce travail a été réalisé à la fin de l'année 2020, dans le cadre de REACTing puis de la nouvelle agence, pour essayer d'améliorer l'efficience des essais cliniques et d'appuyer les essais ayant une priorité nationale. Nous avons donc souhaité qu'il existe une coordination – sans que celle-ci soit aussi verticale qu'en Angleterre – pour lutter contre la dispersion.
Concernant Discovery, nous nous sommes rendu compte au mois de février qu'il fallait absolument lancer une étude française et européenne. Ce projet a commencé en France. Le choix des molécules a été effectué par l'OMS. Le protocole de Discovery était très similaire à celui de Solidarity. Néanmoins, le protocole Discovery était plus détaillé. Quatre traitements étaient évalués : l'hydroxychloroquine, le lopinavir, le lopinavir interféron et le remdesivir. Le bras hydroxychloroquine a été arrêté le 13 juin en raison de l'absence d'efficacité. Les bras lopinavir et lopinavir interféron ont été arrêtés le 25 juin pour la même raison mais aussi à cause de la toxicité rénale constatée par Discovery. Le bras remdesivir a continué, jusqu'au mois de janvier où il a été également arrêté pour absence d'efficacité. L'essai Discovery a cessé le premier puis Solidarity a suivi. Un papier intermédiaire publié au mois de novembre évoquait déjà des doutes quant à l'efficacité du remdesivir.
Discovery réunissait la France, le Luxembourg, la Belgique, le Portugal et l'Autriche. Il s'agit maintenant d'un essai plateforme qui évalue de nouvelles molécules. L'évaluation d'un anticorps monoclonal est à une phase très avancée dans le cadre de l'essai Discovery. Les anticorps monoclonaux sont des antiviraux, dont l'évaluation sera réalisée après leur administration à un certain nombre de patients. Aux cinq pays de Discovery s'ajouteront l'Espagne, la Norvège, la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, l'Irlande et éventuellement d'autres pays. Il est compliqué de donner une date précise, mais les contrats sont en cours de finalisation. J'ai appris durant cette épidémie qu'il est parfois compliqué d'avoir des demandes de régulation. Nous avons en tout cas très bien avancé sur la mise en place de cette étude, qui aura lieu prochainement. Discovery évaluera donc un nouveau groupe de traitements. Pour l'évaluation des anticorps monoclonaux, nous sommes notamment en contact avec le laboratoire AstraZeneca.
La loi de programmation de la recherche 2021-2030 (LPR) prévoit une augmentation du budget de la recherche de 400 millions d'euros dès 2021, de 800 millions d'euros en 2022 et de 1,2 milliard d'euros en 2023. La LPR prévoit notamment la mise en place de contrats à durée indéterminée (CDI) de mission scientifique alignés sur la durée des projets de recherche. Ce dispositif vise notamment à sécuriser des chercheurs durant toute la durée de leur projet de recherche. Cette loi prévoit aussi le développement de séjours de recherche, dont l'objet est de développer les échanges scientifiques internationaux. Mesdames et messieurs les professeurs, comment vous saisissez-vous des nouveaux dispositifs mis en place par la LPR dans vos travaux en virologie, particulièrement pour ceux concernant la recherche sur la Covid-19 ? Que souhaiteriez-vous faire remonter à la représentation nationale à ce sujet ?
Par ailleurs, l'Union européenne a financé, en 2014 et 2020, un programme de recherche et d'innovation à hauteur de 79 milliards d'euros, dont l'une des priorités était l'excellence scientifique. Dans quelle mesure avez-vous bénéficié de ces financements et comment jugez-vous l'efficience de la coopération scientifique au sein de l'Union européenne et, plus largement, sur le continent européen ?
En mai 2020, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité a rendu publique une synthèse des connaissances scientifiques sur le lien entre les changements environnementaux globaux et la pandémie de Covid-19. Il y est mentionné que la déforestation, l'appauvrissement de la biodiversité et le développement des infrastructures humaines favorisent le phénomène de zoonose, à l'origine de la pandémie de Covid-19. Je note d'ailleurs qu'un vétérinaire vient d'intégrer le conseil scientifique. Au regard des connaissances actuelles sur la Covid-19, quel lien faites-vous entre l'appauvrissement de la biodiversité, le développement de l'élevage industriel et la pandémie de Covid-19 ?
Enfin, nos territoires d'outre-mer connaissent une grande diversité de climats, pouvant être subarctique comme chez moi à Saint-Pierre-et-Miquelon, tropicale comme aux Antilles, ou équatorial comme en Guyane. Selon vous, existe-t-il une incidence du climat sur la propagation de la Covid-19 ?
L'arrêt du vaccin de l'Institut Pasteur, le retard de Sanofi, les comparaisons avec les États-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni et même l'Allemagne ont suscité des critiques et donné le sentiment que la recherche française avait décroché. Mme Frédérique Vidal avait d'ailleurs prononcé ces mots en octobre.
La France sait indiscutablement former des chercheurs d'excellence, mais peine à leur offrir des conditions de travail à la hauteur de leur talent. Les PDG d'AstraZeneca et de Moderna sont des Français ayant mené leur carrière à l'étranger. Par ailleurs, les essais cliniques de phase II et de phase III des candidats vaccin coûtent très cher. Par exemple, la société française Valneva a bénéficié de financements anglais. Elle produira donc son vaccin en Angleterre et les doses seront préférentiellement achetées au Royaume-Uni. La Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), autorité américaine en matière de recherche et développement médical, a investi près de 15 milliards de dollars pour des vaccins, des médicaments et des tests jusqu'à décembre 2020. Notons que les Américains ont une approche davantage industrielle tandis que les Européens ont plutôt une approche commerciale.
Nos investissements sont-ils à la hauteur, en termes de recherche fondamentale et clinique ? Ne faudrait-il pas imaginer une approche européenne ?
J'aimerais adresser ma dernière question au Professeur Yazdanpanah, qui a évoqué l'étude Discovery. Pourquoi, dans le bras hydroxychloroquine, le protocole et la posologie testés étaient différents du protocole utilisé à l'IHU de Marseille, notamment par le Professeur Raoult ?
Tout d'abord, peut-on espérer l'élaboration d'un vaccin qui bloquerait réellement la transmission du virus, avec des anticorps pouvant atteindre les muqueuses – ce que ne font pas les vaccins à ARN messager ?
Où en sommes-nous des connaissances sur le mode de transmission via des personnes asymptomatiques ? Il s'agit d'une spécificité de ce coronavirus par rapport au SRAS et au MERS.
La dexaméthasone est le seul traitement à avoir prouvé quelque efficacité pour réduire la mortalité. Un médecin local d'une unité Covid me disait que le nombre de décès pourrait éventuellement être réduit en l'administrant plus tôt, avant même le stade de l'hospitalisation. Où en sommes-nous sur la précision du protocole de soin pour éviter les situations critiques ?
Nous traversons une crise sanitaire inédite, longue et éprouvante pour les Français sur différents plans. Cette crise sanitaire nous a aussi démontré qu'il existe une controverse. Les controverses sont nécessaires puisqu'elles nourrissent le débat. Néanmoins, des personnes se sont présentées sur les chaînes de télévision comme des scientifiques alors qu'elles ne l'étaient pas. Ces personnes ont diffusé de fausses nouvelles et ont désinformé. Certains de vos confrères ont également joué un jeu trouble dans cette controverse scientifique. Comment, en tant que scientifiques de grande renommée, concevez‑vous votre rôle de chercheur durant cette période difficile de crise sanitaire ? Quelle est votre place dans le monde de l'information continue, des réseaux sociaux et de l'immédiateté alors que vous œuvrez à la protection de nos concitoyens contre les virus et maladies ?
La crise sanitaire a révélé les conséquences du désengagement de l'État dans la recherche publique. La LPR, récemment adoptée, n'améliorera pas la situation. Cette vision compétitive et marchande de la recherche pénalise la recherche pérenne et fondamentale nécessaire pour faire face aux prochaines crises, sanitaires et climatiques notamment. Un constat éloquent est que le financement public de la recherche fondamentale dans la santé a diminué de 28 % entre 2011 et 2018. Dans le même temps, ce financement a augmenté de 11 % en Allemagne et de 16 % au Royaume-Uni.
Le fonctionnement actuel de la recherche confine à l'absurde. Ce n'est pas le laboratoire Valneva qui dira le contraire. En effet, celui-ci est en train de développer un vaccin contre la Covid-19 parce qu'il a obtenu un financement du Royaume-Uni. Cet exemple est emblématique de la course au profit, au mépris de l'intérêt général.
Sanofi a obtenu plus d'un milliard d'euros d'aides publiques sur dix ans par l'intermédiaire du crédit impôt recherche (CIR). Le groupe annonce un chiffre d'affaires de 9,48 milliards d'euros et a versé 4 milliards d'euros aux actionnaires en 2020. Pourtant, depuis 2007, sur 6 000 emplois dans la recherche et le développement (R&D), presque la moitié ont été supprimés. En outre, Sanofi annonce la suppression de 400 postes supplémentaires. Le comble de l'ironie est qu'il y a quelques années, le groupe a démoli un site industriel de 9 000 mètres carrés à Montpellier. Ce site, construit en 2012 et destiné à la R&D, n'avait jamais servi. 107 millions d'euros ont été jetés par la fenêtre.
Pensez-vous que l'État devrait investir davantage dans la recherche publique ? Que préconisez-vous pour donner un nouveau souffle à la recherche fondamentale et clinique et pour que les chercheurs puissent travailler correctement sans être mis en concurrence ni courir après les financements ? Enfin, pensez-vous que les brevets de vaccins sur la Covid-19 doivent être levés afin qu'ils appartiennent au domaine public ?
Les citoyens et citoyennes de notre pays constatent l'arrivée très rapide des vaccins. Ils comprennent également que des retards, voire des échecs, sont tout à fait explicables d'un point de vue scientifique. Néanmoins, il existe aujourd'hui une interpellation assez forte concernant le partage du vaccin et son accessibilité pour toutes et tous partout dans le monde.
Je suis préoccupée par l'état de notre recherche publique et par les moyens mobilisés pour cette recherche, d'autant que des moyens importants provenant de subventions publiques sont donnés par ailleurs à l'industrie pharmaceutique. En outre, l'industrie pharmaceutique supprime des postes de chercheurs et de techniciens alors que nous sommes en pleine crise sanitaire. Le responsable de Sanofi évoquait un « Sanofi bashing ». En tant que parlementaires, il est de notre rôle de demander où va l'argent public et comment il est utilisé. Je crois que les responsables de l'industrie pharmaceutique ont le devoir de rendre des comptes.
Aujourd'hui, de nombreuses personnes en France et dans le monde émettent l'idée que le vaccin anti-Covid-19 devienne un bien commun mondial, avec une compensation financière pour les laboratoires. Que pensez-vous de l'état de la recherche publique ? Quelle est votre opinion sur l'idée de faire du vaccin anti-Covid-19 un bien commun mondial ?
Nous avons voté une loi de programmation de la recherche durant l'automne dernier, afin de renforcer la recherche française et son attractivité. Vous avez identifié des problèmes auxquels vous avez été confrontés durant cette crise sanitaire et des freins au niveau de la recherche française en santé, recherche fondamentale ou recherche clinique. Il peut s'agir de freins liés aux financements, aux salaires des chercheurs et à l'environnement ou de freins liés à l'organisation et à la structuration de la recherche française en santé. Cette dernière se caractérise par différents organismes et universités en comparaison avec les instituts américains de santé. Des freins existent aussi concernant l'innovation – et notamment les biotechs – pour la production en grandes quantités. Notons, par exemple, la difficulté du passage à l'échelle supérieure pour les start-ups.
Vous avez formulé quelques propositions. Vous avez évoqué le besoin d'une vraie agence de financement pour la santé, la nécessité d'accélérer les autorisations et les problèmes liés à des projets ANR ayant été rejetés. Auriez-vous d'autres propositions concernant ces points ?
Enfin, comment faciliter et renforcer la recherche interdisciplinaire, en particulier en liaison avec l'informatique et l'intelligence artificielle ?
Nous venons de voter à l'unanimité une proposition de résolution sur la reconnaissance du Covid long. Par ailleurs, nous savons que la santé mentale peut être atteinte par les effets directs ou indirects de la Covid-19. Des études internationales, et en particulier des études européennes et une étude menée par l'Université de Singapour, indiquent que la méditation de pleine conscience pourrait augmenter les défenses immunitaires, améliorer le sommeil et diminuer l'anxiété, agissant donc sur la santé en prévention de la Covid-19. Le gouvernement canadien a officiellement reconnu l'intérêt de la pleine conscience et a demandé sa pratique sur les sites institutionnels, en période de Covid‑19 en particulier. Je souhaite savoir si des études de cet ordre ont lieu en Europe ou en France.
J'aimerais réagir au sujet de la recherche vaccinale en France. Les problèmes de financements, d'industries et des liens entre la recherche académique et la recherche industrielle sont graves, récurrents et difficiles en France.
Je peux également répondre concernant la question sur la mise à disposition publique de la propriété intellectuelle des vaccins pour un certain nombre de maladies.
L'Institut Pasteur a été confronté aux difficultés concernant le financement de la recherche lors des recherches sur les vaccins. Il est de notoriété publique que nous sommes payés quatre à cinq fois moins qu'aux États-Unis, en Suisse ou en Angleterre. Nous rencontrons des difficultés à exister dans le monde anglo-saxon dans la mesure où 99,9 % des revues scientifiques de notre domaine sont des revues anglo-saxonnes. Nous savons évidemment parler anglais, mais la recherche française est moins bien considérée, par principe, par les Anglo-saxons. Il nous est plus difficile de publier dans ces revues. Un jeune chercheur doit maintenant partir passer trois ou quatre ans aux États-Unis ou en Angleterre pour effectuer un post-doctorat avant de revenir en France. Bien entendu, au bout de quatre ans, ce jeune chercheur a trouvé une femme ou un mari sur place ainsi que des conditions financières plus intéressantes. Ce jeune chercheur ne reviendra pas, d'autant plus qu'il sait que, malgré son curriculum vitae impressionnant, il devra faire face à une très grande compétition pour obtenir un poste au CNRS, avant de débuter comme chargé de recherche pour un salaire mensuel de 2 000 euros. Évidemment, les conditions sont lamentables par rapport à nos voisins, y compris les Allemands, les Suisses, les Anglais et, de plus en plus, les Italiens et les Espagnols.
Un effort immense doit être fourni. J'ai bien noté que des promesses ont été faites d'augmenter les moyens récurrents de la recherche en France. J'espère qu'elles seront réellement mises en œuvre. La recherche française est excellente. Il est très difficile d'avoir une place à l'Institut Pasteur pour y mener ses recherches tant le niveau est élevé.
À l'Institut Pasteur, nous sommes chanceux car, comme il s'agit d'une fondation privée, nous bénéficions de dons et de legs. Nos finances sont donc trois à cinq fois plus élevées que celles du CNRS. De plus, le CNRS paye des chercheurs travaillant à l'Institut Pasteur. Les conditions peuvent être présentes, mais elles ne sont pas réunies pour tout le monde.
Une question concernait le BARDA américain. Une telle autorité manque évidemment en Europe, comme l'a souligné le Président de la République. Ce combat doit être absolument mené. Des essais de phase III sur 35 000 ou 40 000 volontaires ont été possibles en trois mois aux États-Unis car les moyens colossaux du National Institutes of Health (NIH) ont été mis à disposition et qu'une dizaine de milliards de dollars ont été « mis sur la table » par le Président Trump. Ces conditions n'ont pas été réunies en Europe, et encore moins en France. Des financements très importants sont consacrés à la recherche aux États-Unis , attirant ainsi les laboratoires et les industriels sur les projets .
Les députés doivent agir pour qu'il en soit de même en France. En France, le domaine de la santé n'a pas été un choix depuis des décennies. Nous avons cruellement vu avec la crise de la Covid-19 que nous avons pris un retard terrible qui doit être très vite comblé car de nouveaux virus – peut-être bien plus dangereux que le Sars-CoV-2 – émergeront encore en raison du dérèglement climatique et de la réduction de la biodiversité.
Les questions concernant la lutte pour le climat et la biodiversité, la réduction des trajets polluants et la réduction des activités humaines dans les forêts primaires – afin d'éviter les contacts avec des agents potentiellement extrêmement dangereux – sont fondamentales et d'actualité. De nombreuses institutions, dont les Instituts Pasteur de Lille et Paris ou l'École vétérinaire d'Alfort, effectuent de très bons travaux sur les zoonoses. Néanmoins, une coordination et de l'argent sont nécessaires.
J'aimerais à présent évoquer l'industrie. La plateforme vaccinale rougeole a suscité le financement de la CEPI en 48 heures. Ce fait prouve que les autres croient en nos travaux. Pourtant, ici, nous peinons à convaincre. L'Institut Pasteur essayait de convaincre Sanofi de travailler avec la plateforme rougeole depuis quinze ans et Sanofi a systématiquement refusé. Or Sanofi Pasteur Vaccins, qui porte encore notre nom, est issu de l'Institut Pasteur. Aujourd'hui, les capitaux de Sanofi ne sont plus français pour la majorité. Les décisions de R&D sont prises à l'étranger. Depuis vingt ans, les directeurs de la R&D de Sanofi sont anglais ou américains. Naturellement, les stratégies choisies sont toujours anglaises ou américaines, issues de laboratoires qu'ils connaissent et en qui ils ont davantage confiance. Je ne critique pas le fonctionnement de Sanofi, mais j'aurais préféré que Sanofi prenne notre vaccin plutôt que Merck. Par ailleurs, j'ai confiance en Merck qui est une excellente compagnie ayant inventé et mis sur le marché la plupart des vaccins développés ces dernières années.
La France est en retard sur les biotechs, pour qui la levée des fonds est très difficile. La Banque publique d'investissement et les investissements des private equities sont très frileux. Les investissements sont essentiellement « non à risque », or la santé est un domaine à risque. Les développements cliniques sont chers, durent cinq à dix ans, et seul un investissement sur dix réussit. Il est beaucoup plus facile d'investir aux États-Unis qu'en France. C'est la raison pour laquelle les créateurs d'entreprises français vont chercher des capitaux ailleurs. J'ignore si l'Assemblée nationale peut motiver les banquiers et les investisseurs à investir davantage d'argent. En revanche, il est du ressort de l'Assemblée nationale de motiver la Banque publique d'investissement ou le contrat d'impôt recherche (CIR), qui est très difficile à obtenir pour les biotechs.
En raison de ce problème français, l'Institut Pasteur n'a pas eu d'autre choix que de travailler avec une biotech autrichienne pour ce vaccin. Celle-ci disposait a priori des qualités nécessaires, mais il aurait été préférable de travailler avec une biotech française. Cette compagnie a négocié son rachat par une major sans que nous soyons tenus au courant. Ce rachat a causé une perturbation et a créé une pression sur la petite biotech, qui a dû accélérer ses choix et ses développements. Je suis persuadé que si nous avions attendu le mois de juin pour sélectionner le candidat, celui-ci aurait donné toute satisfaction. Je m'exprime à ce sujet en tant que scientifique. Néanmoins, le scientifique perd la main et le développement revient aux industriels. Si la recherche française est effectivement excellente, un grand problème existe concernant le passage de la recherche à l'industrialisation.
Effectivement, il ne faut pas noircir entièrement le tableau au sujet de la recherche française. Il faut également différencier la recherche et l'innovation. La nouvelle agence ANRS Maladies émergentes a réalisé une classification objective à partir des articles publiés. La recherche française se situe au cinquième rang mondial parmi les articles de très haut niveau. Le problème n'est donc pas forcément au niveau de la recherche. L'Inserm est la sixième institution mondiale en termes de recherche. L'AP-HP est huitième. Il faut dire que les institutions françaises sont présentes afin de contredire le bashing avec des arguments objectifs.
Cependant, des progrès sont certainement à réaliser sur l'innovation. Nous voyons que nous n'avons pas été bons sur ce point. La recherche ne constitue qu'une partie. Pour transformer la recherche dans le cadre de l'innovation, il faut beaucoup d'autres éléments. Nous sommes tous d'accord sur le fait que la recherche française doit mieux payer ses chercheurs et améliorer leurs conditions de travail.
Par ailleurs, il faut améliorer l'interaction entre la recherche, les biotechs et les industriels. Cet élément est extrêmement important et doit être porté. Un certain nombre d'institutions publiques telles que la Banque publique d'investissement essaient d'encourager la croissance des projets qui existent. Néanmoins, ces institutions doivent être davantage articulées avec les chercheurs et les instances de recherche. Un des problèmes que nous avions identifiés concerne la sélection des meilleurs produits. Il faut attirer les investisseurs vers la France. Le Président de la République a porté l'idée de la mise en place d'un BARDA à la française ou à l'européenne. L'Europe est une force extrêmement importante. Cependant, cette crise a montré que l'Europe n'était pas assez unie pour porter cette recherche.
Il faut être vigilants. Nous avons d'excellents chercheurs et une bonne recherche. Le problème concerne la partie innovation. La nouvelle agence ANRS souhaite faire de l'innovation et de la recherche fondamentale un de ses axes extrêmement forts dans l'avenir, avec l'ensemble des institutions.
L'interdisciplinarité et la biodiversité ont été évoquées dans les questions. La recherche a été trop souvent extrêmement cloisonnée, ce qui est dommageable. Notre classement montre qu'aux États-Unis, beaucoup plus de liens existent entre le fondamental, la clinique et la santé publique. Il me semble qu'il est extrêmement important d'améliorer cette interdisciplinarité. La nouvelle agence ANRS agira en ce sens. Le caractère multi‑institutionnel et multidisciplinaire était l'une des forces de l'ANRS travaillant sur le VIH, qui associait le citoyen et les associations. Il est également important d'impliquer le patient.
Dans le travail de coordination de la nouvelle agence ANRS, nous avons décidé d'inclure ce qu'on appelle « One Health », soit l'environnement et le monde vétérinaire. Les épidémies démarrent souvent avec des problèmes qui se posent au niveau de l'environnement et de l'animal et, ensuite, avec des sauts de barrières. Nous travaillons beaucoup sur ce sujet, de même que l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), pour créer un continuum de recherches qui me semble très important.
Nous avons effectivement essayé de mettre en place des plateformes de recherche au niveau des Antilles, en Guyane et à la Réunion. Il existe en effet des spécificités sur lesquelles nous travaillons.
La question de la dose d'hydroxychloroquine est un point très important, qui a été largement débattu. La posologie est souvent discutée. L'hydroxychloroquine est un traitement que nous connaissions et qui était prescrit dans un certain nombre de pathologies. Dès le départ, nous avions des interrogations sur la toxicité éventuelle de ce médicament, notamment au niveau cardiaque, dans une maladie virale provoquant un tropisme pour le cœur. Des données in vitro ont été publiées. Dans le cadre de Discovery, les pharmacologues travaillant sur le sujet ont publié un papier pour expliquer leur choix de posologie, en effet différent de la posologie utilisée à l'IHU de Marseille. Ce choix a été fait sur la base des courbes mettant en évidence la concentration d'hydroxychloroquine dans le sang une fois que vous l'absorbez, l'efficacité éventuelle in vitro et les taux pouvant conduire à une toxicité. Cette posologie repose sur un travail scientifique. Il ne faut pas utiliser la même dose pour le lupus que pour la Covid-19 car ces deux maladies sont différentes.
Nous avons travaillé avec la médecine générale pour être très vigilants concernant la dexaméthasone. Effectivement, plusieurs études montrent que ce traitement est efficace. Néanmoins, ce n'est pas le seul médicament dont l'efficacité a été montrée. Un essai AP-HP et le grand essai Recovery ont conclu que le Tocilizumab est efficace. Ce médicament a probablement un impact sur la mortalité quand il est utilisé au bon moment. Concernant la dexaméthasone, l'étude Recovery a montré que ce traitement doit être donné aux patients ayant besoin d'oxygène. Si ce médicament est donné à des patients n'ayant pas besoin d'oxygène, cela peut même être délétère. Avec le Collège des médecins généralistes enseignants, nous avons rédigé un communiqué à destination des médecins généralistes expliquant qu'il ne faut pas utiliser ce médicament chez un patient n'ayant pas besoin d'oxygène. La raison est que les corticoïdes luttent contre l'inflammation et peuvent être délétères s'ils sont administrés à un moment où le patient ne présente pas d'inflammation.
Une question concernait l'éventualité de vaccins pouvant bloquer la transmission ou pouvant stériliser. Pour le moment, les données montrent que les vaccins ARN sont très efficaces sur les formes symptomatiques de la maladie. De plus, nous commençons à disposer de données d'impact de la vaccination venant d'Israël laissant penser qu'il y aura un impact sur la transmission. Ces données mettent en évidence que, chez les personnes vaccinées, les quantités de virus excrétées diminuent de façon très importante à partir du douzième jour après l'administration de la première dose. Or nous savons que le risque de transmission est lié à la quantité de virus excrété. Ces éléments, aujourd'hui indirects, vont dans le sens d'une protection par la vaccination concernant la transmission. Bien que nous devions attendre de disposer davantage d'éléments dans la vie réelle, les données existantes nous rassurent sur la qualité de ces vaccins.
La question de l'efficacité des vaccins sur les nouveaux variants nous inquiète davantage. La recherche doit porter sur ce sujet. Nous disposons de premières données, notamment in vitro utilisant les anticorps post-infection ou post-vaccination sur des cultures de virus. Ces premières données laissent penser que le vaccin est efficace sur le variant anglais, mais peut-être moins efficace sur les variants sud-africain et brésilien. Nous disposons donc de vaccins qui agiront très probablement sur la transmission, mais il faut davantage de données pour le montrer.
Je suis évidemment favorable au fait que le vaccin devienne un bien mondial. Concernant la recherche clinique, nous mettons en place un accord de consortium permettant que toutes les données biologiques générées dans ces recherches soient en accès libre et dépourvues de propriété intellectuelle. Je ne maîtrise pas ce sujet concernant les industriels.
Les chercheurs ont été abondamment sollicités par les médias. Nous pourrions passer nos journées à la télévision ou à la radio. Nous devons réfléchir à notre rôle. Communiquer dans les médias et sur les réseaux sociaux fait partie de nos missions. Néanmoins, nous n'avions pas mené une réflexion au préalable et nous n'avons pas tous appris à communiquer. Nous ne communiquons pas tous avec les mêmes objectifs. En tout cas, il me semble que cette crise devrait permettre une réflexion commune concernant les modalités de la communication des chercheurs et les messages que nous voulons diffuser. En tant que scientifique, notre rôle est davantage de fournir des explications que de tenir un discours politique. Un scientifique s'exprimant sur des questions politiques doit le faire à titre personnel. Soulignons que les médias, et en particulier les réseaux sociaux, ont évidemment un rôle majeur. Nous ne pouvons pas « laisser la chaise vide », mais, lorsque nous répondons aux sollicitations, il faut savoir pourquoi et à quel titre nous nous exprimons.
Le financement de la recherche, notamment clinique, constitue un point majeur. Cette crise a montré que la recherche clinique française est de très bonne qualité. Cependant, si les chercheurs ayant des idées ne manquent pas, il existe un manque de personnel pour faire fonctionner la recherche clinique. Au cours de cette pandémie, nous avons été en concurrence directe avec les contract research organizations (CRO), c'est à dire les entreprises privées s'occupant de la recherche clinique pour les industriels. Ces CRO sont extrêmement attractifs pour les personnels de recherche clinique, que nous n'avons pas les moyens ni de payer correctement ni d'embaucher en contrat à durée indéterminée. En pleine pandémie, il a été difficile de recruter rapidement malgré l'attractivité de nos projets. Par le biais de cette nouvelle agence ANRS Maladies infectieuses, nous devons renforcer ces aspects de structuration de la recherche clinique et être attractifs pour les personnels de recherche. D'ailleurs, nous sommes aujourd'hui en avance concernant le vaccin puisque l'Europe monte seulement maintenant un réseau de recherche vaccinale, avec une plateforme de participants au niveau européen.
Nos objectifs sont atteignables, mais nous devons encore insister sur le fait que la recherche a besoin de moyens pour mettre en place ces essais. En Angleterre, sept millions de livres ont été investis sur un essai évaluant des combinaisons de vaccins. Nous avons absolument besoin de financements conséquents si nous voulons mener une recherche de qualité. Je ne parle pas de développement de vaccins, mais de recherche permettant d'évaluer les vaccins administrés aujourd'hui à la population.
Nous avons évidemment besoin de moyens, pour la recherche clinique et fondamentale. Les salaires des chercheurs français souffrent de la comparaison avec les salaires des chercheurs européens ou américains. Nos doctorants sont très bien formés en France, mais ne reviennent plus une fois qu'ils sont partis à l'étranger. Les moyens sont donc indispensables.
Nous croyons beaucoup en l'agence ANRS créée en janvier. Nous espérons que des moyens importants y seront investis. La France a réalisé beaucoup de recherches sur le VIH en associant les patients, les industriels, etc. Malheureusement, un travail de cette ampleur ne s'est pas renouvelé pour la vague des maladies infectieuses après le VIH. J'espère que cette crise sera l'occasion d'une prise de conscience et que nous pourrons investir à nouveau dans les maladies infectieuses. En effet, la baisse de la biodiversité et le dérèglement climatique entraîneront d'autres émergences. J'espère qu'Ebola, qui revient en Afrique de l'Ouest, n'arrivera jamais en France. Cette maladie virale est extrêmement dangereuse et ne doit pas se diffuser sur la planète. Nous sommes malheureusement plusieurs à être convaincus que de nouvelles émergences se produiront. Il faut reprendre les investissements dans les maladies infectieuses, dans la recherche fondamentale, clinique et transversale.
Il est également nécessaire de valoriser les carrières des chercheurs qui mènent de la recherche transversale. Les recherches transversales sont difficiles à mener car elles nécessitent de travailler avec des corps de métiers que nous ne connaissons pas bien. Une fois un réseau monté, il faut réussir à le faire vivre, trouver des financements et produire des publications. Une telle recherche, certes difficile, est réalisable, mais demande des investissements à la fois financiers (salaires et fonds propres de recherche), mais aussi humains (recrutement d'ingénieurs, chercheurs et techniciens dans nos laboratoires). Rappelons qu'il y a un an, la sérologie des coronavirus n'existait pas, de même que la vaccination contre les coronavirus. Le monde de la recherche, dont la France, a franchi un pas de géant en seulement un an. Saluons ce progrès et amplifions cette vague en prévention de la prochaine émergence.
Il est difficile de répondre à la question du mode de transmission des personnes asymptomatiques. Nous avons peu d'informations scientifiques solides sur cette question car les médecins ne voient pas les personnes asymptomatiques.
Pour le moment, il n'y a pas de saisonnalité marquée pour le Sars-CoV-2. En même temps, le virus circule dans la population humaine depuis seulement un an. Or, un certain temps est nécessaire pour que les virus s'adaptent à la population humaine. L'apparition de variants peut être un mécanisme d'adaptation des coronavirus. Nous verrons peut-être une diminution de la circulation du Sars-CoV-2 durant le printemps et l'été. Néanmoins, nous n'avons pas de réponse scientifique claire à cette question pour le moment.
Monsieur Le Bohec a évoqué la méditation de pleine conscience. Des études montrent effectivement que cette dernière pourrait avoir des bienfaits sur le système immunitaire, mais aussi sur les problèmes de dépression. Il faut être vigilants car la méditation de pleine conscience n'est pas indiquée pour les personnes présentant des troubles psychiatriques et psychotiques ou présentant certaines pathologies. Il faut être attentifs à ce que la pratique de la méditation de pleine conscience dans le cadre d'une prise en charge thérapeutique soit strictement encadrée par des psychiatres ou psychologues formés sur la question.
La recherche translationnelle – c'est-à-dire l'application des recherches – est effectivement très peu valorisée. Il est plus facile de publier des articles prestigieux quand on fait de la recherche fondamentale que quand on met au point un vaccin ou un traitement nécessitant cinq ans d'essais cliniques. Les décideurs sont plutôt issus de la recherche fondamentale et ne font pas forcément les bons choix au moment d'effectuer de la translation industrielle. Ce point majeur est à revoir dans la structuration et l'organisation des choix et des décisions. Louis Pasteur lui-même disait : « Ne séparez pas la recherche fondamentale et la recherche appliquée, il n'y a que la recherche et ses applications qui sont fondamentales pour l'humanité ». Même à l'Institut Pasteur, où nous prenons en compte ce point majeur, la situation peut être améliorée. Dans la structuration et les décisions prises dans la recherche, la recherche translationnelle doit être valorisée.
Tant mieux si le principe de précaution est dans la Constitution. Néanmoins, si ce principe de précaution empêche les chercheurs français d'être compétitifs face aux autres chercheurs, ce n'est pas satisfaisant. Les MOT sont à revoir. À l'Institut Pasteur, nous nous battons pour obtenir des exceptions.
L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est souvent décriée mais je voudrais ici souligner sa réactivité car elle s'est décidée en moins de quinze jours pour le lancement de notre essai clinique, sans même réaliser d'épreuve préclinique de toxicité, sur la base des nombreux essais de toxicité chez l'animal publiés préalablement pour notre plateforme. Je félicite l'ANSM, qui effectue un travail très difficile et nécessaire. En revanche, elle a besoin d'être moins engoncée dans des tâches et des obligations administratives.
Nous suivons de très près un nouveau foyer d'Ebola en Guinée forestière. La France a été très engagée dans l'épidémie de 2014-2016. Beaucoup de chercheurs travaillent toujours en Afrique sur des projets de recherche. J'espère que nous ne vivrons jamais une pandémie de cette taille avec cet impact. Cependant, il est certain que nous vivrons d'autres épidémies. La recherche, au-delà de fournir une réponse, doit aussi préparer la riposte contre d'autres épidémies, avec des ressources et de la coordination. La préparation de la riposte doit être multi-institutionnelle, transdisciplinaire et inclure le monde vétérinaire et l'environnement. C'est ce que l'ANRS Maladies infectieuses essaie d'effectuer avec l'aide de tous.
La communication était majeure au cours de cette épidémie et n'a pas été bien effectuée. Nous devons retravailler sur la façon d'expliquer la science à la population. La nouvelle agence veut porter ce sujet. Notre communication n'a pas été satisfaisante et peut‑être que nous n'avons pas vu venir certaines choses, d'autant plus depuis l'arrivée des réseaux sociaux. Ce sujet n'est pas facile et nécessite peut-être un travail commun entre les scientifiques, les citoyens et les hommes et femmes politiques.
À partir du moment où le sujet devient politique, il devient éminemment difficile !
Mesdames et messieurs les professeurs, je vous remercie de la clarté de vos propos liminaires et de la qualité de vos réponses aux questions. Nous avons bien noté un certain nombre des remarques que vous avez formulées.
J'espère que cette table ronde aura permis aux personnes qui regardent le site de l'Assemblée nationale de trouver de l'information. Vous parliez de la différence entre la réponse et la riposte. Là aussi, le sujet est devant nous.
La séance est levée à dix-sept heures vingt.