Intervention de Professeure Anne Goffard

Réunion du mercredi 17 février 2021 à 15h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Professeure Anne Goffard, virologue au CHU de Lille, enseignante à la faculté de pharmacie de Lille et chercheur à l'Institut Pasteur de Lille :

Nous nous sommes mobilisés dès le mois de février 2020. Nous avons créé une task force Recherche Covid-19, émanant du Comité de recherches en matière biomédicale et de santé publique (CRBSP) et associant à la fois le CHU de Lille, l'Université de Lille, l'Inserm, le CNRS, l'Institut Pasteur de Lille, l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), Centrale Lille et l'I-SITE ULNE.

Nous avons déterminé collectivement les missions de cette task force, qui sont les suivantes :

- accompagner la mise en œuvre de projets de recherche et essais cliniques,

- consolider et répartir les ressources financières nécessaires,

- aider dans la constitution de cohortes et de collections biologiques,

- coordonner l'appui des unités de recherche en matière d'équipements et de ressources humaines,

- et coordonner la communication autour de nos projets et de nos réussites.

La task force est composée de 28 personnes, qui se réunissent tous les quinze jours. Elle compte des soignants de première ligne – hospitaliers et hospitalo-universitaires – et des chercheurs du CNRS, de l'Université de Lille et de l'Institut Pasteur de Lille.

Nous avons bénéficié d'un financement de deux millions d'euros de notre label I‑SITE ULNE et de 400 000 euros de la région Hauts-de-France. Cette task force a lancé un appel à projets, qui a conduit à retenir 25 projets concernant la physiopathologie, le diagnostic et la thérapeutique. Ces 25 projets réunissent à la fois les services du CHU de Lille et plus de dix unités de recherche de l'université, de l'Inserm et du CNRS.

En parallèle, les équipes de recherche ont aussi répondu aux appels à projets nationaux, par exemple de type Agence nationale de la recherche (ANR), ou européens.

J'aimerais effectuer un focus sur trois projets.

Un premier projet concerne le repositionnement moléculaire. Dès le mois de mars 2020, nous avons constitué un consortium avec une équipe de virologie moléculaire et cellulaire, dirigée par le Dr Jean Dubuisson, dans le cadre d'un appel à projets ANR sur le repositionnement de molécules. Au sein du consortium, nous comptons également la start-up APTEEUS, hébergée sur le campus de l'Institut Pasteur de Lille, et une équipe de chimistes dirigée par le Pr Benoît Deprez. Les tests in vitro sont terminés et démontrent une certaine efficacité. Nous essayons de préparer un essai clinique, de phase II puis de phase III. Ce projet est plutôt basé sur la thérapeutique.

Un deuxième projet est en cours de développement industriel. Le Dr Sabine Szunerits avait obtenu un financement européen dans le cadre du projet H2020 Covid-19 pour développer un système de diagnostic ultrarapide (en moins de dix minutes) de l'infection par la Covid-19. Ce système est basé sur les techniques de résistance magnétique. Le prototype est terminé.

Un troisième projet a été récemment médiatisé. Des collègues de la faculté de pharmacie de Lille et de l'Inserm ont développé un masque virucide, montrant une efficacité de 99 % de virucidie. Ce masque est pour le moment dédié aux professionnels de santé. Ce projet a vu le jour dans le cadre d'un développement avec un industriel de la région de Tours, qui fabrique le masque. Nous espérons pouvoir le diffuser au grand public dans les prochains mois.

Nous avons constitué une collection biologique, appelée LICORNE pour Lille Covid Research Network. Cette collection constitue un appui pour 25 projets de recherche. Parmi ces projets, 19 sont portés par le CHU de Lille et 6 sont issus de collaborations académiques, tels que Discovery et COVIREIVAC. Plus de 4 000 échantillons, provenant de 830 patients, sont « banqués » dans notre collection.

Je suis virologue clinicienne, mais l'ensemble des autres virologues de mon équipe sont des virologues fondamentaux du CNRS. Nous avons déterminé ensemble certaines de nos difficultés et appréhensions que nous souhaitons vous faire partager. La durée de 18 mois pour certains financements de projets nous semble trop courte. Cette durée ne suffira sans doute pas si nous voulons chercher une molécule antivirale spécifique du Sars-CoV-2.

Par ailleurs, nous aurions eu besoin d'une vision plus stratégique des recherches nous ayant été demandées. Notre groupe, monté en 2013 à la suite de l'émergence du MERS-CoV, est spécialisé dans la recherche concernant les coronavirus. Nous avons développé des savoir‑faire, notamment en séquençage. Dès le mois de mars, pour l'appel flash Covid-19 de l'ANR, nous avions déposé une proposition de séquençage pour rechercher des variants. Notre projet n'a pas été retenu car jugé peu intéressant. En juin, nous avons déposé ce projet à nouveau. Il nous a été dit que le séquençage des variants n'était pas urgent. Aujourd'hui, alors que des variants ont émergé, nous ne pouvons plus déposer de projets en raison des contraintes de l'ANR qui limitent le nombre de dépôts de projets. Cette situation est dommageable puisque nous disposons d'un véritable savoir-faire. Nous regrettons que les spécificités n'aient pas été mises en valeur et appuyées.

Enfin, nous craignons que le Sars-CoV-2 soit classé parmi les micro-organismes et toxines hautement pathogènes (MOT). La classification du MERS-CoV parmi les MOT a entraîné des contraintes réglementaires de recherche extrêmement fortes pour nous, qui se traduit par une perte de chance dans la compétition internationale. Entre 2013 et 2015, nous n'avons pas eu le droit d'effectuer des recherches sur le MERS-CoV alors que nous disposions des outils nécessaires. Une classification du Sars-CoV-2 parmi les MOT compliquerait donc la recherche fondamentale et clinique.

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