J'aimerais réagir au sujet de la recherche vaccinale en France. Les problèmes de financements, d'industries et des liens entre la recherche académique et la recherche industrielle sont graves, récurrents et difficiles en France.
Je peux également répondre concernant la question sur la mise à disposition publique de la propriété intellectuelle des vaccins pour un certain nombre de maladies.
L'Institut Pasteur a été confronté aux difficultés concernant le financement de la recherche lors des recherches sur les vaccins. Il est de notoriété publique que nous sommes payés quatre à cinq fois moins qu'aux États-Unis, en Suisse ou en Angleterre. Nous rencontrons des difficultés à exister dans le monde anglo-saxon dans la mesure où 99,9 % des revues scientifiques de notre domaine sont des revues anglo-saxonnes. Nous savons évidemment parler anglais, mais la recherche française est moins bien considérée, par principe, par les Anglo-saxons. Il nous est plus difficile de publier dans ces revues. Un jeune chercheur doit maintenant partir passer trois ou quatre ans aux États-Unis ou en Angleterre pour effectuer un post-doctorat avant de revenir en France. Bien entendu, au bout de quatre ans, ce jeune chercheur a trouvé une femme ou un mari sur place ainsi que des conditions financières plus intéressantes. Ce jeune chercheur ne reviendra pas, d'autant plus qu'il sait que, malgré son curriculum vitae impressionnant, il devra faire face à une très grande compétition pour obtenir un poste au CNRS, avant de débuter comme chargé de recherche pour un salaire mensuel de 2 000 euros. Évidemment, les conditions sont lamentables par rapport à nos voisins, y compris les Allemands, les Suisses, les Anglais et, de plus en plus, les Italiens et les Espagnols.
Un effort immense doit être fourni. J'ai bien noté que des promesses ont été faites d'augmenter les moyens récurrents de la recherche en France. J'espère qu'elles seront réellement mises en œuvre. La recherche française est excellente. Il est très difficile d'avoir une place à l'Institut Pasteur pour y mener ses recherches tant le niveau est élevé.
À l'Institut Pasteur, nous sommes chanceux car, comme il s'agit d'une fondation privée, nous bénéficions de dons et de legs. Nos finances sont donc trois à cinq fois plus élevées que celles du CNRS. De plus, le CNRS paye des chercheurs travaillant à l'Institut Pasteur. Les conditions peuvent être présentes, mais elles ne sont pas réunies pour tout le monde.
Une question concernait le BARDA américain. Une telle autorité manque évidemment en Europe, comme l'a souligné le Président de la République. Ce combat doit être absolument mené. Des essais de phase III sur 35 000 ou 40 000 volontaires ont été possibles en trois mois aux États-Unis car les moyens colossaux du National Institutes of Health (NIH) ont été mis à disposition et qu'une dizaine de milliards de dollars ont été « mis sur la table » par le Président Trump. Ces conditions n'ont pas été réunies en Europe, et encore moins en France. Des financements très importants sont consacrés à la recherche aux États-Unis , attirant ainsi les laboratoires et les industriels sur les projets .
Les députés doivent agir pour qu'il en soit de même en France. En France, le domaine de la santé n'a pas été un choix depuis des décennies. Nous avons cruellement vu avec la crise de la Covid-19 que nous avons pris un retard terrible qui doit être très vite comblé car de nouveaux virus – peut-être bien plus dangereux que le Sars-CoV-2 – émergeront encore en raison du dérèglement climatique et de la réduction de la biodiversité.
Les questions concernant la lutte pour le climat et la biodiversité, la réduction des trajets polluants et la réduction des activités humaines dans les forêts primaires – afin d'éviter les contacts avec des agents potentiellement extrêmement dangereux – sont fondamentales et d'actualité. De nombreuses institutions, dont les Instituts Pasteur de Lille et Paris ou l'École vétérinaire d'Alfort, effectuent de très bons travaux sur les zoonoses. Néanmoins, une coordination et de l'argent sont nécessaires.
J'aimerais à présent évoquer l'industrie. La plateforme vaccinale rougeole a suscité le financement de la CEPI en 48 heures. Ce fait prouve que les autres croient en nos travaux. Pourtant, ici, nous peinons à convaincre. L'Institut Pasteur essayait de convaincre Sanofi de travailler avec la plateforme rougeole depuis quinze ans et Sanofi a systématiquement refusé. Or Sanofi Pasteur Vaccins, qui porte encore notre nom, est issu de l'Institut Pasteur. Aujourd'hui, les capitaux de Sanofi ne sont plus français pour la majorité. Les décisions de R&D sont prises à l'étranger. Depuis vingt ans, les directeurs de la R&D de Sanofi sont anglais ou américains. Naturellement, les stratégies choisies sont toujours anglaises ou américaines, issues de laboratoires qu'ils connaissent et en qui ils ont davantage confiance. Je ne critique pas le fonctionnement de Sanofi, mais j'aurais préféré que Sanofi prenne notre vaccin plutôt que Merck. Par ailleurs, j'ai confiance en Merck qui est une excellente compagnie ayant inventé et mis sur le marché la plupart des vaccins développés ces dernières années.
La France est en retard sur les biotechs, pour qui la levée des fonds est très difficile. La Banque publique d'investissement et les investissements des private equities sont très frileux. Les investissements sont essentiellement « non à risque », or la santé est un domaine à risque. Les développements cliniques sont chers, durent cinq à dix ans, et seul un investissement sur dix réussit. Il est beaucoup plus facile d'investir aux États-Unis qu'en France. C'est la raison pour laquelle les créateurs d'entreprises français vont chercher des capitaux ailleurs. J'ignore si l'Assemblée nationale peut motiver les banquiers et les investisseurs à investir davantage d'argent. En revanche, il est du ressort de l'Assemblée nationale de motiver la Banque publique d'investissement ou le contrat d'impôt recherche (CIR), qui est très difficile à obtenir pour les biotechs.
En raison de ce problème français, l'Institut Pasteur n'a pas eu d'autre choix que de travailler avec une biotech autrichienne pour ce vaccin. Celle-ci disposait a priori des qualités nécessaires, mais il aurait été préférable de travailler avec une biotech française. Cette compagnie a négocié son rachat par une major sans que nous soyons tenus au courant. Ce rachat a causé une perturbation et a créé une pression sur la petite biotech, qui a dû accélérer ses choix et ses développements. Je suis persuadé que si nous avions attendu le mois de juin pour sélectionner le candidat, celui-ci aurait donné toute satisfaction. Je m'exprime à ce sujet en tant que scientifique. Néanmoins, le scientifique perd la main et le développement revient aux industriels. Si la recherche française est effectivement excellente, un grand problème existe concernant le passage de la recherche à l'industrialisation.