Je commencerai par rappeler les différences entre le système britannique et le système français s'agissant des politiques culturelles. Au Royaume-Uni, la question culturelle n'a pratiquement jamais été abordée dans les débats relatifs au Brexit. Car s'il est un secteur particulièrement marqué par les conséquences de cette décision, c'est bien le secteur culturel britannique, lequel est très important pour l'économie de ce pays et bénéficiait d'un facteur de diffusion considérable en Europe. Le fait que ce secteur n'ait pas su communiquer au cours de la campagne consacrée au Brexit – qui a duré quelques années – est très dommageable. Les questions culturelles n'ont jamais affleuré dans le débat au sein des grands bassins industriels en déshérence qui ont emporté le vote.
À cela s'ajoute que le secteur culturel britannique vit un véritable drame avec la crise pandémique. On estime ainsi que près de la moitié des musiciens britanniques auront quitté le métier à la sortie de la crise. Pour se maintenir à flot, le Royal Opera House vend son patrimoine, en particulier le fameux tableau de David Hockney. Heureusement, il n'en est pas de même dans les grandes institutions lyriques françaises, grâce à notre système performant de protection de nos artistes. Le secteur culturel français est tellement important qu'il mobilise 750 000 personnes. Nous nous battons pour cette exception culturelle française. Cela doit amener ceux qui rêvent d'un Frexit et certains contempteurs de l'Union européenne à réfléchir aux conséquences qu'auraient les tentations séparatistes pour le modèle culturel français. C'est au moins une leçon que nous devons tirer de toute cette affaire.
S'agissant des droits d'auteur, l'accord conclu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni conserve un certain nombre d'acquis en matière de droits de propriété intellectuelle. L'économie de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle et traitant de la contrefaçon est précisément reprise dans cet accord, témoignant de la volonté partagée de protéger les auteurs et leurs œuvres. L'accord permet aussi de maintenir les avancées obtenues dans la directive de 2019 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, comme le droit voisin des éditeurs de presse ou l'article 17 dédié à l'utilisation de contenus protégés dans les plateformes de partage de contenus.
Malheureusement, certains acquis n'ont pas pu être repris. Ainsi, les producteurs de vidéogrammes européens ne bénéficient plus, au Royaume-Uni, des droits donc ils bénéficiaient au titre du droit de l'Union européenne – droits de reproduction, droits de location et de prêt, droits de distribution et droits de mise à disposition du public à la demande. Les logiciels et les bases de données au Royaume-Uni ne bénéficient plus non plus des protections offertes par le droit européen.
En revanche, l'accord innove par rapport aux accords commerciaux classiques en actant le principe commun d'un droit de suite en cas de revente de biens culturels. Il est important que les places londonienne et parisienne du marché de l'art soient encadrées avec les mêmes objectifs.
Je regrette que nous n'ayons pu aboutir à un accord plus ambitieux. Toutefois, le match n'est pas joué et j'ai confiance en notre capacité à avancer dans le cadre de la coopération et du dialogue partagé avec le Royaume-Uni. À cet égard, et pour répondre à Constance Le Grip, il me semble que la sortie de l'Union européenne est trop récente pour que le Royaume-Uni se projette dans l'approfondissement des négociations, d'autant que la crise pandémique n'y invite pas. Nous pourrons avancer le moment venu, notamment lorsque les Brexiteurs se seront rendu compte des effets désastreux des décisions qui ont été prises pour des pans de leur économie, en particulier culturelle.
Dans le secteur audiovisuel, la relation reste régie par la convention du Conseil de l'Europe de 1989 relative à la télévision transfrontière, qui autorise à qualifier d'œuvres européennes les œuvres britanniques, permettant à ces dernières d'entrer dans le quota européen défini par la directive SMA. En 2018, l'Observatoire européen de l'audiovisuel notait que « au Royaume-Uni, la proportion de films de l'UE-28 distribués dans les salles et diffusés à la télévision et en VOD transactionnelle (TVOD) est inférieure à la moyenne de l'UE-28. Le public britannique tend à privilégier les films nationaux et les importations américaines, de sorte que la part des films de l'UE-27 est plutôt faible au Royaume-Uni. Inversement, le pays est un grand exportateur de films vers le reste de l'Union européenne. Il est numéro deux, après la France, pour le nombre de films exportés (cinéma et télévision) et numéro un pour les exportations de films en TVOD ». Au moment où le Royaume-Uni vient de mettre en œuvre une partie de la directive SMA et a avancé avec les États-Unis l'hypothèse d'un accord de libre-échange entre les deux pays, la question de la relation dans ce secteur mériterait que la Commission européenne lance une réflexion sur ce sujet. J'en suis, évidemment, d'accord.
Vous m'avez également interrogée au sujet des qualifications professionnelles. Les négociations rapides de l'accord n'ont pas permis d'aboutir à un dispositif de reconnaissance mutuelle des qualifications des professions reconnues comme réglementées dans l'Union européenne. Pour le secteur culturel, cette situation a des conséquences très importantes sur les architectes, dont la reconnaissance automatique des qualifications était assurée jusqu'à présent. Mais elle concerne aussi les restaurateurs du patrimoine, les professeurs de danse et les guides conférenciers. L'accord pose cependant les jalons d'accords ultérieurs qui pourront être négociés afin de faciliter l'exercice des professions réglementées.
Les personnes titulaires d'un diplôme britannique qui avaient obtenu une reconnaissance de leurs qualifications professionnelles avant la sortie du Royaume-Uni conservent le bénéfice de celle-ci. Pour l'avenir, selon les professions et les situations, des dispositifs ad hoc pourront offrir à certains professionnels la possibilité d'exercer en France. Pour les autres, des discussions conduites avec les organisations professionnelles des secteurs concernés permettront de déterminer les modalités futures de reconnaissance des qualifications professionnelles. Les enjeux sont importants pour nos professionnels, dont le haut niveau de qualification est reconnu. J'ai demandé à mes services de rester mobilisés avec les autres départements ministériels concernés, pour accompagner au mieux nos professionnels.
Plusieurs d'entre vous ont soulevé la question des mobilités des professionnels du secteur culturel, qui pourraient avoir une incidence sur certaines manifestations culturelles – notamment certains grands festivals de musiques actuelles dont les têtes d'affiche sont des groupes ou des stars. M. Larive, qui a tenu un discours décalé puisqu'il a plutôt parlé de la situation en France que des conséquences du Brexit, assure que les nouveaux variants du virus n'auront aucune conséquence pour les conditions de sécurité. Il a peut-être des renseignements quant à la qualification des nouveaux variants du virus. Pour ma part, je n'en ai aucun et ce n'est pas ce qu'indiquent les experts scientifiques, qui ont qualifié ces variants de plus mortels, plus contaminants et touchant beaucoup plus les populations jeunes. Mais si M. Larive a des références scientifiques à me donner à ce sujet, je suis preneuse.