COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Jeudi 18 février 2021
La séance est ouverte à neuf heures.
(Présidence M. Bruno Studer, président)
La Commission procède à l'audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, sur les conséquences du Brexit.
Madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver pour cette nouvelle audition, en visioconférence.
La conférence des présidents de l'Assemblée nationale a souhaité que les commissions permanentes organisent des auditions des ministres au sujet du Brexit. À l'issue de ces auditions, une discussion se tiendra en séance publique. Nous avons déjà auditionné la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche à ce titre.
La culture n'est probablement pas le domaine le plus touché par le Brexit. Néanmoins, la sortie du Royaume-Uni de l'Union peut avoir des conséquences dans certains des secteurs dont vous avez la tutelle. Les tournées de spectacle sont totalement à l'arrêt depuis le printemps dernier – non pas à cause du Brexit, mais du fait des restrictions sanitaires. Une fois ces contraintes levées, les artistes et les équipes de production pourront-ils circuler librement entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ? Des conséquences sont-elles à prévoir pour le marché de l'art français – les antiquaires, les salles des ventes ? Le respect des droits d'auteur et des droits voisins risque-t-il de pâtir du Brexit ? Quelles dispositions prenez-vous pour garantir que les droits d'auteur seront versés ? Enfin, comment la Grande‑Bretagne sera-t-elle appréhendée s'agissant des quotas de production et de diffusion d'œuvres européennes applicables aux chaînes de télévision ?
Je vous laisse d'abord la parole, puis nous entendrons les questions des orateurs des groupes.
Merci, monsieur le président. Je suis ravie d'être à nouveau à vos côtés, pour la troisième fois en deux mois. L'Assemblée nationale mène un travail assidu quant aux conséquences du Brexit dans les différents secteurs d'activité. Il est donc important que nous nous livrions, ce matin, à cet exercice. Je suis très attachée à la dimension européenne de mon portefeuille. J'ai été députée européenne et je collabore étroitement avec mes homologues européens depuis mon entrée en fonction.
L'Europe a vécu, ces deniers mois et même ces dernières années, nombre de défis et de bouleversements. Outre la crise sanitaire qui met à l'épreuve nos institutions communes, le départ du Royaume-Uni marque certainement un bouleversement majeur de la construction européenne, un événement qui fait date dans notre histoire commune. Cette épreuve montre combien nous, Européens, avons su rester unis malgré nos différences et nos divergences. Je veux saluer le travail de la Commission européenne et de son négociateur en chef, Michel Barnier, qui ont su parfaitement défendre les intérêts des États membres dans les discussions avec le Royaume-Uni, dans la concorde et dans un souci constant de compromis.
Avec l'accord de commerce et de coopération du 24 décembre 2020, la souveraineté culturelle européenne est préservée, nos modèles de régulation européens sont affirmés et les acteurs des secteurs culturels sont protégés. À la demande forte de la France, cet accord conserve l'exception culturelle européenne en excluant les services audiovisuels. Grâce à ce succès, la capacité des États et de l'Union à réguler ce secteur est garantie. L'Europe continuera à préserver la diversité culturelle européenne face aux géants du numérique.
Avec cet accord, les Britanniques ne bénéficient plus des avantages du marché intérieur de l'Union européenne et de la solidarité commune. C'est ainsi que, d'une part, les artistes n'auront plus la liberté de circulation totale qu'ils connaissaient et que le droit national s'appliquera. D'autre part, la participation de ressortissants britanniques au capital de certaines sociétés du secteur culturel établies en France ne sera plus possible au-delà d'une certaine limite. Qui plus est, les professionnels diplômés au Royaume-Uni – qu'ils soient professeurs de danse, restaurateurs du patrimoine ou encore guides-conférenciers – n'auront plus accès à la reconnaissance de leur diplôme en France et dans l'Union européenne. C'est aussi la raison pour laquelle les ressortissants britanniques ne bénéficieront plus de certains tarifs préférentiels d'accès aux établissements culturels français, par exemple la gratuité pour les jeunes de moins de 26 ans dans les musées nationaux.
L'accord ne marque cependant pas la fin de toute relation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Ce dernier pourra ainsi continuer à bénéficier de certains programmes de financement européens en tant que pays tiers associé. Ce sera, par exemple, le cas du programme Horizon Europe. Si le Royaume-Uni en fait la demande, cela pourrait aussi être le cas du programme Europe créative. Certaines règles pourront aussi continuer de s'appliquer, notamment en matière de sécurité sociale ou s'agissant du régime concernant les travailleurs détachés européens tel que la France en a fait le choix. C'est important pour faciliter la mobilité des artistes et éviter les surcoûts et les difficultés administratives liées à un changement de régime. Ainsi, des deux côtés de la Manche, des mesures sont prévues pour faciliter la venue d'artistes à des fins professionnelles.
Certes, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne marque un tournant dans l'histoire de la construction européenne. Pour autant, elle ne signifie pas que nous ne continuerons pas à travailler de concert avec nos voisins d'outre-Manche avec lesquels nous partageons tant. C'est une nouvelle relation que nous devons bâtir maintenant, dans le respect de la souveraineté et des cultures de chacun.
La sortie du Royaume-Uni ne signifie pas non plus la fin de l'histoire de l'Union européenne. Plus que jamais, l'Union continue à se construire. C'est d'autant plus vrai dans le domaine de la culture : l'Europe de la culture prend de plus en plus forme chaque jour. Nous avons réussi à obtenir, dans le cadre du plan de relance post-covid, un budget exceptionnel pour soutenir nos artistes et nos professionnels de la culture. En France, cela se concrétise par une enveloppe de 2 milliards d'euros. Nous avons su préserver, en même temps, un ambitieux budget européen de la culture. Le programme Europe créative, dont le budget a été augmenté, continuera à financer des projets dans les domaines du spectacle vivant, du patrimoine, du cinéma, de l'audiovisuel et du multilinguisme partout en Europe. D'autres programmes de financement, comme Horizon Europe ou Erasmus +, pourront bénéficier aux acteurs culturels et aux jeunes. Nous y porterons une attention particulière.
La Commission a également annoncé un plan d'action dans les médias, lequel se donne pour ambition de relancer et d'accélérer la transformation des médias européens frappés par la crise et par les changements liés à la révolution numérique. Nous avançons, enfin, vers une plus grande régulation des plateformes numériques grâce au texte relatif aux services et aux marchés numériques en cours de négociation, afin qu'internet ne soit plus un espace de non-droit. Il s'agit aussi de permettre à nos acteurs du livre, du cinéma et de l'audiovisuel de tirer pleinement profit des opportunités offertes par ces nouveaux marchés.
À travers la devise « puissance, relance, appartenance », la présidence française de l'Union européenne sera l'occasion de renouveler ses engagements pour une Europe de la culture plus forte, plus ambitieuse, au service de la diversité culturelle et linguistique, mais également plus responsable et égalitaire. Nous aurons certainement l'occasion de reparler, devant votre commission, des enjeux culturels de la présidence française.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, l'avenir de la culture qui se dessine devant nous : un avenir très loin du repli sur soi, résolument européen et riche en collaborations nouvelles.
Dans un contexte de fragilité et de ralentissement des échanges culturels pour cause de pandémie mondiale, le Brexit est venu soulever de nouvelles inquiétudes chez les acteurs culturels, en particulier s'agissant de son incidence sur la capacité de rebond du secteur dans les mois et les années à venir.
Le plan de relance européen permet d'atténuer l'impact budgétaire de la sortie du Royaume-Uni du programme Europe créative. L'augmentation des taxes liées au rétablissement des barrières douanières ainsi que l'absence d'accord en matière de visa artistique, par exemple, pourraient affaiblir la coopération culturelle entre la France et le Royaume-Uni, en limitant la circulation des artistes et des œuvres. Dans le même temps, l'alliance européenne des industries culturelles et créatives et le comité Colbert en France estiment que la fin du remboursement de la TVA locale pour les touristes internationaux pourrait entraîner une chute significative des dépenses de ces derniers sur place, et ainsi freiner la croissance du secteur du luxe dans l'archipel. Cette perspective est de nature à limiter les investissements et la capacité d'export des grandes maisons dont sont dépendants de nombreux artisans d'art dans notre pays. Pour rappel, le luxe et la mode représentent près de 600 000 emplois directs en France et près d'un million d'emplois indirects. Ce sont aussi des axes structurants de sa diplomatie culturelle et de son rayonnement à l'international.
Pouvez-vous nous éclairer sur les discussions en cours avec les autorités britanniques pour lever les difficultés administratives résultant du Brexit ? Des mesures de soutien sont-elles à l'étude pour la compétitivité des métiers d'art dans le cadre de la stratégie d'accélération des industries culturelles et créatives pour pallier ces effets, ainsi que ceux résultant de la crise sanitaire ?
Au nom du groupe Les Républicains, je tiens à redire l'inquiétude et le regret que nous éprouvons à la suite de l'entrée en vigueur du Brexit, qui est incontestablement un échec, y compris pour nos pays même si nous savons que ses conséquences se feront plus lourdement sentir au Royaume-Uni.
Dans ce contexte de crise pandémique, qui met à mal les activités culturelles et s'avère très éprouvant pour les acteurs de ce secteur, le ralentissement des échanges culturels entre les pays de l'Union européenne et le Royaume-Uni est une perspective dommageable. J'appartiens à une génération très marquée par l'explosion des talents musicaux britanniques, qui a continué avec les suivantes. Même si nous savons que les relations culturelles entre les deux côtés de la Manche ne s'arrêteront pas complètement, il y a fort à parier que des freins et des contraintes se feront sentir en matière de mobilité des artistes.
La directive européenne SMA, relative aux services des médias audiovisuels, et celle relative au droit d'auteur et droits voisins ne s'appliqueront plus au Royaume-Uni, même si l'accord négocié avec le Royaume-Uni par Michel Barnier au nom des Etats membres prévoit des dispositions pour la protection des droits d'auteur et de la propriété intellectuelle. Pouvez‑vous revenir plus en détail sur ce qui a été sauvegardé en la matière ?
Enfin, la sortie du Royaume-Uni du programme Europe créative aura des conséquences déplorables, notamment pour les artistes et les créateurs britanniques. En effet, nombre de créations britanniques étaient financées par ce programme, qui pourrait rester – à l'instar d'autres programmes européens – accessible au Royaume-Uni en tant que pays tiers. Savez-vous si ce pays entend formuler, dans un avenir plus ou moins proche, une demande de participation au programme Europe créative ?
Le 31 décembre 2020, le Royaume-Uni a officiellement quitté l'Union européenne. Les conséquences économiques, d'un côté comme de l'autre, sont amplement discutées. S'agissant des incidences sur les économies culturelles et, plus généralement, sur l'art, j'évoquerai le domaine de la musique, des concerts et des festivals, car le transport de matériel de part et d'autre de la Manche sera plus difficile et plus coûteux pour les artistes comme pour les techniciens. Le prix des billets montera lui aussi, automatiquement. Une pétition britannique réclame au gouvernement Johnson la création d'un passeport culturel pour les musiciens. Cette pétition a recueilli plusieurs centaines de milliers de signatures dès la mi-janvier. Les arguments sont forts, puisque la scène musicale live britannique est l'une des principales au monde. La France sera-t-elle volontaire pour permettre la création d'un tel passeport ?
Par ailleurs, avec la crise clarificatrice du Brexit, n'est-il pas temps de faire émerger une ambition culturelle européenne forte ? Cela s'est vu dans d'autres domaines. Au sein de notre groupe politique, ainsi que chez nos homologues du Parlement européen – je pense notamment à Laurence Farreng –, nous croyons essentiel pour notre avenir de voir émerger une Europe de la culture. La directive SMA prévoit déjà la présence d'un minimum de 30 % d'œuvres européennes dans le catalogue des plateformes et, surtout, la possibilité pour les États membres d'exiger que celles qu'ils diffusent investissent dans des productions locales. Irons-nous plus loin ? Nous sommes le continent qui a inventé le cinéma. Nous avons un patrimoine de studios et de décors naturels unique, les festivals de cinéma les plus prestigieux. Nous disposons également de grandes écoles du cinéma et de professionnels reconnus. Les axes de travail ne manquent pas, avec l'établissement d'un programme massif de productions pouvant doper le catalogue des œuvres européennes et ré-irriguer les salles, l'investissement dans les compétences artistiques et techniques, notamment numériques, à l'échelle du continent, ou encore une harmonisation sociale. Qu'en pensez-vous ?
Nous traversons des moments difficiles et le monde de la culture n'est pas épargné. Je salue votre action résolue de soutien à ce monde, ainsi qu'aux artistes, aux intermittents et à toutes celles et ceux qui font vivre le monde de la culture. Je me réjouis de votre annonce récente d'organiser des concerts expérimentaux à Paris et à Marseille dans les prochaines semaines, sous réserve de l'évolution de la situation sanitaire.
Le Brexit est un sujet d'inquiétude. Le départ du Royaume-Uni a déjà eu des effets dans le domaine culturel outre-manche. Des orchestres sont partis, des projets ont été abandonnés, des collaborations ont été annulées. Alors que la culture est la libre circulation des idées, des femmes et des hommes, le Brexit limitera indéniablement les échanges culturels. Les procédures administratives sont alourdies et plus onéreuses. Il est nécessaire d'obtenir des visas de travail. Quelle collaboration bilatérale pourrions-nous mener avec le Royaume-Uni ? Quelles perspectives envisagez-vous ? Nos artistes vous ont-ils fait part d'idées nouvelles et imaginatives pour renforcer cette collaboration bilatérale ?
Nos voisins d'outre-Manche ont choisi de quitter l'Union européenne près d'un demi-siècle après l'avoir rejointe. Des visas de travail seront obligatoires pour les Britanniques qui souhaiteront travailler en France, et réciproquement. L'intermittence n'existe pas, au Royaume-Uni. En France, 12 % des salariés du secteur culturel ont bénéficié de l'activité partielle entre mars et août dernier. C'est très peu. Nombre d'employeurs n'y ont pas eu recours, afin de ne pas payer le reste à charge. L'année blanche ne concerne que l'allocation et ne remplace pas les cachets. Selon les estimations, les revenus des intermittents sont divisés par deux. Comment les intermittents pourront-ils travailler les 507 heures effectives en douze mois dont ils ont besoin pour accéder à leurs droits ? Il nous semble indispensable de prolonger l'année blanche au moins jusqu'à un an après la réouverture des lieux culturels. Nous ne connaissons toujours pas votre décision à ce sujet. Avez-vous l'intention de soutenir les artistes dans l'épreuve qu'ils traversent ?
La crise sanitaire aura des conséquences sur le secteur culturel pendant plusieurs années, en France comme au Royaume-Uni. Plusieurs organisateurs ont déjà annoncé l'annulation de festivals importants. C'est le cas de Glastonbury au Royaume-Uni, comme de Solidays ou de Minuit avant la Nuit en France. La semaine dernière, vous avez déclaré que l'hypothèse d'un été sans festival était exclue. Pourtant vous semblez vouloir condamner certains festivals qui poseraient problème selon vous, en l'occurrence ceux dont le public est debout. Or ils sont très nombreux. Vous savez à quel point les lieux de diffusion culturelle ont été exemplaires dans le respect des protocoles sanitaires. Aucun d'entre eux n'a été un foyer avéré de contamination. Quand allez-vous, enfin, déconfiner la culture ?
Je commencerai par rappeler les différences entre le système britannique et le système français s'agissant des politiques culturelles. Au Royaume-Uni, la question culturelle n'a pratiquement jamais été abordée dans les débats relatifs au Brexit. Car s'il est un secteur particulièrement marqué par les conséquences de cette décision, c'est bien le secteur culturel britannique, lequel est très important pour l'économie de ce pays et bénéficiait d'un facteur de diffusion considérable en Europe. Le fait que ce secteur n'ait pas su communiquer au cours de la campagne consacrée au Brexit – qui a duré quelques années – est très dommageable. Les questions culturelles n'ont jamais affleuré dans le débat au sein des grands bassins industriels en déshérence qui ont emporté le vote.
À cela s'ajoute que le secteur culturel britannique vit un véritable drame avec la crise pandémique. On estime ainsi que près de la moitié des musiciens britanniques auront quitté le métier à la sortie de la crise. Pour se maintenir à flot, le Royal Opera House vend son patrimoine, en particulier le fameux tableau de David Hockney. Heureusement, il n'en est pas de même dans les grandes institutions lyriques françaises, grâce à notre système performant de protection de nos artistes. Le secteur culturel français est tellement important qu'il mobilise 750 000 personnes. Nous nous battons pour cette exception culturelle française. Cela doit amener ceux qui rêvent d'un Frexit et certains contempteurs de l'Union européenne à réfléchir aux conséquences qu'auraient les tentations séparatistes pour le modèle culturel français. C'est au moins une leçon que nous devons tirer de toute cette affaire.
S'agissant des droits d'auteur, l'accord conclu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni conserve un certain nombre d'acquis en matière de droits de propriété intellectuelle. L'économie de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle et traitant de la contrefaçon est précisément reprise dans cet accord, témoignant de la volonté partagée de protéger les auteurs et leurs œuvres. L'accord permet aussi de maintenir les avancées obtenues dans la directive de 2019 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, comme le droit voisin des éditeurs de presse ou l'article 17 dédié à l'utilisation de contenus protégés dans les plateformes de partage de contenus.
Malheureusement, certains acquis n'ont pas pu être repris. Ainsi, les producteurs de vidéogrammes européens ne bénéficient plus, au Royaume-Uni, des droits donc ils bénéficiaient au titre du droit de l'Union européenne – droits de reproduction, droits de location et de prêt, droits de distribution et droits de mise à disposition du public à la demande. Les logiciels et les bases de données au Royaume-Uni ne bénéficient plus non plus des protections offertes par le droit européen.
En revanche, l'accord innove par rapport aux accords commerciaux classiques en actant le principe commun d'un droit de suite en cas de revente de biens culturels. Il est important que les places londonienne et parisienne du marché de l'art soient encadrées avec les mêmes objectifs.
Je regrette que nous n'ayons pu aboutir à un accord plus ambitieux. Toutefois, le match n'est pas joué et j'ai confiance en notre capacité à avancer dans le cadre de la coopération et du dialogue partagé avec le Royaume-Uni. À cet égard, et pour répondre à Constance Le Grip, il me semble que la sortie de l'Union européenne est trop récente pour que le Royaume-Uni se projette dans l'approfondissement des négociations, d'autant que la crise pandémique n'y invite pas. Nous pourrons avancer le moment venu, notamment lorsque les Brexiteurs se seront rendu compte des effets désastreux des décisions qui ont été prises pour des pans de leur économie, en particulier culturelle.
Dans le secteur audiovisuel, la relation reste régie par la convention du Conseil de l'Europe de 1989 relative à la télévision transfrontière, qui autorise à qualifier d'œuvres européennes les œuvres britanniques, permettant à ces dernières d'entrer dans le quota européen défini par la directive SMA. En 2018, l'Observatoire européen de l'audiovisuel notait que « au Royaume-Uni, la proportion de films de l'UE-28 distribués dans les salles et diffusés à la télévision et en VOD transactionnelle (TVOD) est inférieure à la moyenne de l'UE-28. Le public britannique tend à privilégier les films nationaux et les importations américaines, de sorte que la part des films de l'UE-27 est plutôt faible au Royaume-Uni. Inversement, le pays est un grand exportateur de films vers le reste de l'Union européenne. Il est numéro deux, après la France, pour le nombre de films exportés (cinéma et télévision) et numéro un pour les exportations de films en TVOD ». Au moment où le Royaume-Uni vient de mettre en œuvre une partie de la directive SMA et a avancé avec les États-Unis l'hypothèse d'un accord de libre-échange entre les deux pays, la question de la relation dans ce secteur mériterait que la Commission européenne lance une réflexion sur ce sujet. J'en suis, évidemment, d'accord.
Vous m'avez également interrogée au sujet des qualifications professionnelles. Les négociations rapides de l'accord n'ont pas permis d'aboutir à un dispositif de reconnaissance mutuelle des qualifications des professions reconnues comme réglementées dans l'Union européenne. Pour le secteur culturel, cette situation a des conséquences très importantes sur les architectes, dont la reconnaissance automatique des qualifications était assurée jusqu'à présent. Mais elle concerne aussi les restaurateurs du patrimoine, les professeurs de danse et les guides conférenciers. L'accord pose cependant les jalons d'accords ultérieurs qui pourront être négociés afin de faciliter l'exercice des professions réglementées.
Les personnes titulaires d'un diplôme britannique qui avaient obtenu une reconnaissance de leurs qualifications professionnelles avant la sortie du Royaume-Uni conservent le bénéfice de celle-ci. Pour l'avenir, selon les professions et les situations, des dispositifs ad hoc pourront offrir à certains professionnels la possibilité d'exercer en France. Pour les autres, des discussions conduites avec les organisations professionnelles des secteurs concernés permettront de déterminer les modalités futures de reconnaissance des qualifications professionnelles. Les enjeux sont importants pour nos professionnels, dont le haut niveau de qualification est reconnu. J'ai demandé à mes services de rester mobilisés avec les autres départements ministériels concernés, pour accompagner au mieux nos professionnels.
Plusieurs d'entre vous ont soulevé la question des mobilités des professionnels du secteur culturel, qui pourraient avoir une incidence sur certaines manifestations culturelles – notamment certains grands festivals de musiques actuelles dont les têtes d'affiche sont des groupes ou des stars. M. Larive, qui a tenu un discours décalé puisqu'il a plutôt parlé de la situation en France que des conséquences du Brexit, assure que les nouveaux variants du virus n'auront aucune conséquence pour les conditions de sécurité. Il a peut-être des renseignements quant à la qualification des nouveaux variants du virus. Pour ma part, je n'en ai aucun et ce n'est pas ce qu'indiquent les experts scientifiques, qui ont qualifié ces variants de plus mortels, plus contaminants et touchant beaucoup plus les populations jeunes. Mais si M. Larive a des références scientifiques à me donner à ce sujet, je suis preneuse.
Je discute avec les professionnels des grands festivals de musiques actuelles. La qualification du virus original de la pandémie n'est absolument pas la même que celles des variants que nous affrontons actuellement.
S'agissant de la mobilité, il existe deux sortes de flux : ceux des professionnels de la culture française qui souhaitent se rendre au Royaume-Uni, pour moins de trois mois avec un visa sans frais à la frontière ou pour plus de trois mois avec en visa en amont avec frais ; ceux des professionnels de la culture britannique qui souhaitent venir en France. S'agissant des professionnels salariés, la France n'exige pas d'autorisation de travail pour les séjours de moins de trois mois. Pour les non-salariés, une autorisation de travail peut être demandée y compris pour des séjours de moins de trois mois. Le Brexit, conformément à la volonté des Britanniques, met fin au principe de la libre circulation des personnes, qui est la pierre angulaire de l'Union européenne. Cette conséquence n'est pas une découverte. Les professionnels de la culture sont désormais soumis aux règles de droit national de chacun de nos deux pays comme des dizaines de pays tiers, avec une exemption de visa pour les séjours de moins de trois mois.
La mobilité implique également d'autres démarches, pour exercer à titre professionnel. L'accord prévoit des souplesses en faveur de la fourniture de services des architectes et des guides – il faut s'en féliciter. Je regrette que les négociations n'aient pas permis d'obtenir ces mêmes souplesses en faveur des autres professionnels de la culture, dont les artistes. Michel Barnier a fourni tous les efforts, mais la complexité de négociation de cet accord n'a pas permis d'obtenir satisfaction pour tous les points importants.
Je le répète, il existe des marges de manœuvre pour un dialogue destiné à faciliter les démarches de nos professionnels. Je vais m'y employer. Mes services travaillent avec les départements ministériels pilotes concernant ces questions. Pour reprendre cette image, le match n'est pas joué. Nous continuons à travailler, ce qui sera facilité par la sortie de la pandémie et par la prise de conscience, au Royaume-Uni, des conséquences dramatiques du Brexit pour les professions culturelles.
L'idée d'un passeport culturel au Royaume-Uni est excellente, faut-il qu'elle y fleurisse. Je ne m'occuperai pas de la politique intérieure du royaume ! Il faut que les Britanniques avancent en la matière et nous fassent une proposition. Ils sont encore loin du compte, dans cette affaire. Il faut aussi qu'ils écoutent leurs artistes. Le moins que l'on puisse dire est que, pour l'instant, tel n'a pas vraiment été le cas.
Avant de passer la parole aux commissaires, je vous propose d'entendre Mme Victory, qui nous a rejoints, au nom du groupe Socialistes et apparentés.
Merci. Je vous prie de m'excuser pour ce retard. Mon propos reprendra certains éléments qui ont déjà été abordés par Mme la ministre. Je vous remercie pour vos réponses. Je partage certaines de vos observations. Le monde anglais de la culture a en grande majorité voté contre le Brexit et se retrouve dans une situation dramatique, que nous regrettons même s'il ne s'agit pas directement de nos affaires.
Vous avez répondu en partie aux questions que j'avais prévu de vous poser concernant la directive SMA – car il est important que les scènes européennes et britannique puissent se mélanger –, la libre circulation des artistes et des œuvres ou le retrait du programme Europe créative qui permet l'octroi de financements à des projets de collaborations. À cet égard, il m'a semblé voir que 44 % des projets financés avaient un partenaire britannique. Cela souligne l'interaction entre nos deux pays.
En revanche, il ne me semble pas que vous ayez répondu aux taxes applicables au marché des œuvres d'art. J'imagine que le ministère travaille à instaurer des mécanismes préventifs et incitatifs. Pouvez-vous les préciser ?
La culture ne saurait se satisfaire d'interdictions et de replis identitaires. Un important travail mérite d'être fourni par les différents ministères, pour que nous puissions continuer à œuvrer ensemble. L'Europe est la scène naturelle de nombreux artistes et musiciens britanniques, dont certains sont en grande difficulté.
Je me rapprocherai de Bercy avant de vous transmettre une note relative aux taxes pour le marché des œuvres d'art.
Vous avez largement répondu, dans votre propos liminaire, à mes interrogations quant aux mesures d'accompagnement des artistes en matière de formalités administratives. Je vous en remercie.
En quittant l'Union européenne, le Royaume-Uni sort des traités qui régulaient et simplifiaient la libre circulation des hommes et des femmes. Dans ma région de la Somme, des bus de touristes britanniques viennent quotidiennement visiter les musées de la Grande guerre à Péronne et le musée Somme 1916 à Albert. Appartenir à l'Union européenne facilitait les déplacements de ces touristes, qui pouvaient aisément prendre le ferry puis un bus pour rejoindre notre beau département. Avec le Brexit, les musées craignent que ces visiteurs étrangers, parfois motivés par l'idée de se recueillir sur la tombe de leurs ancêtres, ne puissent plus venir. La création d'un visa tourisme culturel d'une journée pour les ressortissants britanniques serait-elle possible ?
Les diplômes des guides-conférenciers britanniques ne sont plus reconnus en France. De ce fait, on peut craindre le développement incontrôlé et une aggravation de la présence des greeters, qui constituent une sorte d'ubérisation de la profession. Face à l'absence de guides anglais et à la généralisation des greeters, le Gouvernement envisage-t-il de soutenir le développement et la reconnaissance des guides‑conférenciers ?
La question de la visibilité de la culture européenne outre‑Manche se pose, avec la fin de l'application de la directive SMA au Royaume-Uni. Se pose aussi celle de la visibilité de la culture européenne hors Europe sans les atouts de la langue anglaise. Ces dernières années, les capacités d'export de films et de séries en langues autre qu'anglaise ont été dopées. Mais le Brexit est-il une opportunité ou une menace pour cette capacité d'export de la culture européenne ? Pourrons-nous rayonner sans la langue anglaise ? Ou est-ce enfin une opportunité pour que les langues européennes autres que l'anglais puissent rayonner partout à l'étranger ?
Le budget d'Europe créative a été largement augmenté pour la période 2021-2027, avec 2,2 milliards d'euros. Toutefois, des questions demeurent. Quid du financement des projets reprogrammés en 2021 avec des partenaires britanniques ? Quelles alternatives envisager si le Royaume-Uni ne participe pas à ce programme, même en tant que pays tiers, pour que la création française n'en souffre pas en matière de diffusion ou d'aide à la traduction et au sous-titrage ?
Dans le cadre de l'accord de commerce et de coopération, le Royaume-Uni et l'Union européenne sont convenus que le règlement général sur la protection des données (RGPD) resterait applicable de manière transitoire au Royaume‑Uni, pour une durée supplémentaire maximale de six mois. Toutefois, à partir du 1er juillet 2021, à défaut de décision contraire, toute communication de données personnelles vers le Royaume-Uni sera considérée comme un transfert de données vers un pays tiers. Quelle est la position du Gouvernement à ce sujet ? Quelle incidence cela pourrait-il avoir sur la circulation et la protection des données entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ?
Cette dernière question ne relève pas strictement du ministère de la culture. Ce sujet transversal est plutôt de la responsabilité du ministère de l'économie. Je participerai aux réflexions. Pour l'instant, rien n'est tranché et je ne suis pas le ministère pilote de ces affaires.
Les Britanniques qui souhaitent effectuer un séjour de moins de trois mois en France n'ont pas besoin de visa. Ainsi, les touristes qui viendront visiter les plages du Débarquement ou les cimetières militaires n'auront pas besoin de visa pour passer la journée ou même séjourner quinze jours à l'hôtel. Nous les accueillerons sans visa.
La question des guides-conférenciers soulève un problème plus global, comme nous avons pu le voir au travers de plusieurs manifestations. Dans la tragédie qu'ont vécue certains, la majorité des guides-conférenciers ont été pris en considération par les différents moyens de soutien instaurés par le Gouvernement, qu'il s'agisse des mesures transversales ou sectorielles. Il existe toutefois, selon l'expression consacrée mais contestable s'agissant d'êtres humains, des trous dans la raquette. Ainsi, parmi les 7 000 guides-conférenciers qui exercent dans notre pays, 200 à 300 ne sont pas pris en considération par ces mesures. De fait, ils relèvent d'un système d'économie grise dans lequel, par exemple, des tour-opérateurs facturent des visites guidées aux touristes, lesquelles sont assurées par du personnel intégralement rémunéré au pourboire. En dépit des systèmes extrêmement légers d'authentification de l'activité professionnelle exercée que j'ai déployés, il leur est très difficile de faire prévaloir leurs droits. Cette situation engendre un travail considérable dans le ministère, pour établir une cartographie de cette profession – car les travaux relatifs à ce secteur datent déjà de plusieurs années –, rendre la carte professionnelle infalsifiable et mettre un terme à ces pratiques éminemment contestables. Ce travail dépasse les relations entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne. Il s'agit de réguler cette profession qui relève parfois, hélas, de l'économie grise, afin de protéger ceux qui l'exercent.
L'interpellation de Céline Calvez et la question posée par Sophie Mette me permettent de rappeler les objectifs de la présidence française de l'Union européenne en matière de culture. Nous travaillons d'arrache-pied avec Clément Beaune et six axes prioritaires devraient être portés dans le domaine de la culture. Nous voulons réaffirmer la souveraineté culturelle européenne, en accordant une place centrale aux discussions liées aux défis du numérique et à la responsabilisation des plateformes ; favoriser le pluralisme des médias et la fiabilité de l'information ; réinventer la préservation du patrimoine culturel face aux nouveaux risques – risque pandémique, risque climatique, surfréquentation des lieux culturels, trafic illicite des œuvres, préservation du patrimoine dans les zones de conflit ; promouvoir la diversité linguistique à l'heure du numérique – avec une réflexion sur le multilinguisme et la traduction, qui favorisent la circulation des œuvres ; soutenir la création dans un contexte de crise, avec une réflexion sur le renforcement de la capacité d'adaptation et de résilience des secteurs culturels et des artistes ; encourager une culture responsable et solidaire – développement durable et égalité entre les femmes et les hommes. Ces priorités permettront de couvrir l'ensemble des défis des secteurs culturels et de développer des actions pour renforcer la place de la culture en Europe.
S'agissant de la participation aux programmes financiers et d'échanges de l'Union européenne, de nombreuses initiatives et projets associant des professionnels, des artistes et des étudiants de l'enseignement culturel français et britannique sont menés avec l'appui des programmes Europe créative, Erasmus et Horizon Europe. Dans le cadre du budget européen 2027, la relation de coopération franco-britannique se poursuivra au travers du programme de recherche Horizon Europe. C'est acté. En revanche, à ce stade, le Royaume‑Uni n'a pas souhaité renouveler sa participation aux programmes Europe créative et Erasmus +. Je ne peux que le regretter avec vous, en songeant aux très nombreux programmes de coopération culturelle qui s'étaient lancés, mais c'est une décision que nous devons respecter.
Les projets de coopération de mobilité initiés dans ces programmes pendant la période budgétaire précédente continueront à recevoir un financement jusqu'à leur clôture. Les étudiants désireux de se rendre au Royaume-Uni pour effectuer leurs études artistiques et culturelles devront désormais payer des frais de scolarité aussi élevés que les autres étudiants étrangers, et se procurer un visa étudiant. Les programmes Erasmus + et Europe créative prévoient l'association de pays tiers. Si le Royaume-Uni, revenant à une vision moins romantique et plus opérationnelle du Brexit, évoluait dans sa position, il pourrait rejoindre ce programme, moyennant une contribution financière et certaines conditions comme le respect de la directive SMA, que le Royaume-Uni applique d'ailleurs partiellement.
Je suis convaincue de l'intérêt des échanges culturels et des coopérations conduites à plusieurs pays. Je suis confiante. Une fois que nous sortirons du maelstrom émotionnel du Brexit – tant du côté de ceux qui souhaitaient rester dans l'Union que de ceux qui souhaitaient en sortir –, nous reprendrons le dialogue sous l'égide du programme Europe créative. Tout se passera bien, mais ce n'est pas pour tout de suite.
Nous vous remercions, Madame la ministre, d'avoir répondu à nos questions.
Chers collègues, nous nous retrouvons le 3 mars pour une communication de la mission d'information sur le suivi de l'application de la loi du 29 juillet 2019 pour la restauration de Notre-Dame de Paris, et pour un compte rendu de ma part de la dernière réunion du comité de suivi de la collecte nationale pour la conservation et la restauration de la cathédrale.
La séance est levée à dix heures.