Intervention de Paul Molac

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac, rapporteur :

Le texte qui nous est soumis en deuxième lecture témoigne de l'accord profond, transpartisan, existant entre l'Assemblée nationale et le Sénat. En effet, ce dernier a maintenu l'ensemble des dispositions que nous avions votées et a ajouté quatre articles relatifs à l'enseignement. Cette convergence de vues illustre l'importance des langues régionales, qui sont constitutives de notre patrimoine. Je serais très heureux que ce texte soit adopté conforme, car les associations l'attendent, comme nous tous, depuis fort longtemps.

La première loi sur les langues régionales, dite « Deixonne », en 1951, disposait que les langues régionales pouvaient être enseignées si elles aidaient à apprendre le français, ce qui dénotait une vision des choses quelque peu limitée.

Ce texte constitue une étape historique. Dans une France marquée par le principe de la langue unique et la volonté de mettre les langues régionales de côté, les mentalités commencent à changer. On s'aperçoit que ces langues font partie de notre patrimoine, de notre culture et sont, en quelque sorte, constitutives de notre identité.

Les présidents des treize régions métropolitaines soutiennent ce texte, dont la grande majorité des articles ont été adoptés conformes par le Sénat. La question est de savoir si nous confirmerons notre vote ou si la méfiance envers les langues régionales reprendra ses droits.

Le Sénat a rétabli l'article 3, qui autorise la conclusion de conventions entre l'État et les régions pour étendre l'offre d'enseignement en langue régionale aux établissements publics, sous des formes spécifiques.

Il a également inséré trois articles, qui correspondent parfaitement à l'esprit et à l'ambition de la proposition de loi.

L'article 2 ter autorise l'enseignement dit « immersif » – qui excède la stricte parité horaire avec le français – en langue régionale. Le ministère de l'éducation nationale a toujours considéré que cette limite de 50 % constituait une ligne rouge. La disposition proposée permet aux établissements d'aller au-delà. Il n'est évidemment pas question de déterminer a priori les modalités de l'enseignement, qui doivent être définies par l'éducation nationale, à partir de l'expérience du terrain et au moyen d'évaluations.

Certains mettent en doute la constitutionnalité de cette disposition. Le Conseil constitutionnel a simplement estimé qu'une telle modalité d'enseignement ne pouvait être obligatoire et que les élèves devaient se conformer à ce que l'on attend d'eux en France, en particulier concernant la connaissance du français. En revanche, il ne s'est pas prononcé sur l'enseignement immersif proprement dit. De surcroît, cette jurisprudence est antérieure à la révision constitutionnelle de 2008, qui a introduit l'article 75-1, aux termes duquel « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». L'État a donc un rôle à jouer et des obligations à assumer en matière de préservation de ce patrimoine.

Le Conseil d'État, quant à lui, avait annulé en 2002 l'arrêté du 31 juillet 2001 relatif à la mise en place d'un enseignement bilingue en langues régionales soit dans les écoles, collèges et lycées « langues régionales » soit dans des sections « langues régionales » dans les écoles, collèges et lycées, et la circulaire du 5 septembre 2001 qui le complète, qui prévoient un enseignement « immersif », sans toutefois porter de jugement sur le principe de la méthode immersive. Les établissements Diwan proposent, par exemple, un enseignement très particulier, puisque les cours sont dispensés exclusivement en langue régionale jusqu'au CE1 et que la langue de communication en leur sein est la langue régionale. Ce système diffère de celui qui est proposé aujourd'hui par l'enseignement public, dans le cadre d'expérimentations réalisées en maternelle – on en compte dix-neuf, par exemple, au Pays basque. Le Conseil d'État a estimé que cette méthode d'immersion spécifique excédait les possibilités de dérogation à l'obligation d'utiliser le français posée par la loi Toubon, tout en relevant qu'il appartenait au législateur d'en décider. Il a donc laissé une porte ouverte, que nous sommes en train – du moins je l'espère – d'ouvrir un peu plus.

L'article 2 quinquies rend obligatoire le versement, par la commune de résidence d'un élève, du forfait scolaire à une école privée sous contrat d'association, située dans une autre commune, dispensant un enseignement de langue régionale, à condition qu'il n'existe aucune proposition d'enseignement de langue régionale, sous quelque forme que ce soit – enseignement immersif, bilingue ou d'initiation –, dans la commune de résidence. Ce forfait scolaire ne saurait excéder la moyenne départementale, c'est-à-dire le coût qu'aurait représenté, pour la commune, l'inscription de l'élève dans l'une de ses écoles publiques.

Le Sénat a voté cette disposition à deux reprises. Il l'a d'abord insérée dans le projet de loi pour une école de la confiance, dite « Blanquer », en première lecture. Toutefois, en commission mixte paritaire, à la demande de la rapporteure de notre assemblée, les mots « contribution volontaire » ont été ajoutés, ce qui a changé radicalement l'esprit de la loi, puisque cela a retiré à la mesure tout caractère obligatoire. Le Sénat a réitéré sa position lors de l'examen de la présente proposition de loi, puisqu'il a supprimé les mots « contribution volontaire » de la loi en vigueur. Cette vision des choses recueille un large accord au sein de la Chambre haute, ce qui montre qu'elle répond à une véritable attente des collectivités locales, en particulier des communes.

L'article 3 étend à l'ensemble des langues régionales, d'une part, et aux collèges et aux lycées, d'autre part, certaines dispositions existant aujourd'hui pour la seule langue corse : la langue régionale serait désormais une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des établissements, et non plus un cours supplémentaire, à midi ou le soir, qui constitue parfois une contrainte pour les familles. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cet enseignement serait facultatif. Il serait par ailleurs encadré, puisqu'il devrait faire l'objet d'une convention entre la collectivité locale et le ministère de l'éducation nationale.

L'enseignement d'une langue régionale n'a de sens que s'il répond à une demande sociale. En Bretagne, 7 à 8 % d'une classe d'âge est scolarisée dans une classe bilingue, alors que, d'après les sondages, 40 % des parents souhaiteraient que leur enfant suive un tel cursus. Notre objectif est évidemment de leur donner satisfaction. L'éducation nationale est un partenaire historique, important, et nous souhaitons qu'elle le demeure, mais peut-être faudrait-il qu'elle change un peu de mentalité vis-à-vis de nos langues.

Le texte que je vous propose – et qui est, pour partie, issu du Sénat, puisque je vous invite à adopter conforme la version qu'il nous a transmise – correspond aux attentes d'une partie de la population concernant les langues régionales. L'adopter serait une manière de nous réconcilier. Ce sujet soulève en effet un certain nombre de difficultés. Je ne vous décrirai pas tout ce que j'ai dû faire pour ouvrir une classe bilingue à Ploërmel… Bien que je me sois appuyé sur une circulaire, j'ai eu du mal à faire comprendre à l'inspecteur de l'éducation nationale qu'une telle ouverture était possible.

Nous pouvons contribuer à ce que les langues régionales, qui sont considérées par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) comme étant en danger d'extinction, perdurent au XXIe siècle.

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