Intervention de Paul Molac

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac, rapporteur :

Je suis d'accord avec vous, madame Bannier, la différence entre un enseignement bilingue et un enseignement immersif est ténue. Cependant, le ministère de l'éducation nationale a tracé une ligne rouge, en considérant que, dansl'enseignement bilingue, l'enseignement en langue régionale ne peut pas représenter plus de 50 % du temps scolaire ; l'article 2 ter vise simplement à dire qu'il est possible d'aller au‑delà. Cette limite de 50 % n'est évidemment écrite nulle part : rien n'empêche, en théorie, un établissement scolaire de la dépasser, si ce n'est la volonté affichée par le ministère depuis trente ans. Lors d'une discussion que j'ai eue un jour avec des hauts fonctionnaires, ces derniers ont d'ailleurs fini par reconnaître que ce plafond n'avait pas de fondement constitutionnel mais qu'il procédait d'une vision militante de leur part : ils craignent en effet que les gens ne parlent plus français. Or, si cette inquiétude était compréhensible à une certaine époque, les évaluations dont nous disposons aujourd'hui montrent bien que ce problème ne se pose pas.

Le Conseil constitutionnel a déduit de l'article 2 de la Constitution que l'usage d'une langue autre que le français ne pouvait être imposé aux élèves d'un établissement de l'enseignement public : c'est pourquoi les enseignements bilingues y sont toujours optionnels. Mais il n'interdit pas la création, à côté de l'enseignement classique, de filières immersives proposées au choix des élèves, dans la mesure où l'enseignement immersif n'aurait pas pour effet de soustraire les enfants à l'obligation de maîtrise du français. Ce raisonnement a été clairement exprimé par le Conseil constitutionnel et nous le validons. Pour résumer, à chaque fois que le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur ces sujets, y compris sur la question de l'immersion, il a énoncé deux principes : un enseignement dans une langue régionale ne peut avoir de caractère obligatoire – autrement dit, les parents peuvent le refuser –, et les enfants qui en bénéficient doivent être soumis aux mêmes attentes que les autres en termes de maîtrise du français.

C'est évidemment à l'éducation nationale de faire en sorte que les élèves maîtrisent à la fois le français et la langue régionale. Si nous introduisions dans la loi une limitation temporelle de l'enseignement immersif, nous figerions les choses. Imaginons qu'il existe, demain, un plus grand nombre de médias en langue régionale : il faudra alors peut-être réformer les modalités de l'immersion, qui vient aujourd'hui contrebalancer le faible usage de ces langues dans l'espace public. M. Euzet redoutait tout à l'heure que les parents se mettent à parler la langue régionale à la maison et que cela ait des effets négatifs sur l'apprentissage du français par les enfants. Or la transmission familiale est aujourd'hui réduite à la portion congrue : même dans le milieu familial, les gens parlent français. Les langues régionales n'existent plus : plus personne ne les entend, plus personne ne les parle. C'est pourquoi elles sont en grand danger d'extinction. Nous devons rester réactifs, car nous ne voulons pas d'un monolinguisme, quel qu'il soit : nous voulons du bilinguisme et du plurilinguisme.

Si la proposition de loi est votée, un justiciable soulèvera peut-être une question prioritaire de constitutionnalité, mais il n'y a pas, à mon sens, de contre-indication à cet article émanant du Conseil constitutionnel.

Monsieur Euzet, les écoles associatives sont ouvertes à tous. Pour y avoir scolarisé certains de mes enfants, je peux vous dire qu'elles accueillent aussi des enfants à problèmes. L'école Diwan de Bohalgo, à Vannes, était appelée « l'école des Turcs », car elle était située près d'un immeuble habité par de nombreuses personnes d'origine turque qui y inscrivaient leurs enfants. Le fait que les enfants scolarisés dans ces écoles soient de cultures différentes ne pose pas de problème.

Mon but n'est absolument pas de promouvoir tel ou tel type d'immersion : je souhaite simplement que l'éducation nationale abandonne son plafond de 50 % et accepte de consacrer 60 %, 70 % ou 80 % du temps scolaire à l'immersion dans une langue régionale. Ce n'est pas une vision idéologique de ma part : il existe une réelle demande venant du terrain. Par exemple, l'Office public de la langue basque a défendu la demande de quatre écoles d'organiser un enseignement en immersion en maternelle. Les enseignants étaient volontaires – on ne peut pas les obliger à parler la langue régionale –, de même que les parents et les maires. Au début, l'éducation nationale ne voulait ouvrir qu'une seule classe. Après moult discussions et sans doute quelques frictions, les quatre classes ont pu ouvrir. De même, une école immersive a été intégrée dans l'enseignement public, en Catalogne, dès les années quatre-vingt-dix. J'attends que les conseillers pédagogiques, les inspecteurs de l'éducation nationale et les enseignants déterminent ensemble ce qu'il faut mettre en place.

Tout à l'heure, nous avons parlé du bac. Les effectifs des candidats aux épreuves optionnelles de langue régionale ont été réduits de moitié. S'agissant plus spécifiquement du gallo, une langue romane de l'est de la Bretagne, la baisse est même de deux tiers. Quand les pratiques de l'éducation nationale visent à limiter l'enseignement des langues régionales, celui-ci régresse très rapidement. Certes, la maîtrise de ces langues est considérée comme un atout, mais quand un élève a le choix entre une langue régionale et une langue étrangère, il opte généralement pour la seconde. De même, quand il s'agit de choisir une option, la langue régionale ne pèse pas lourd face aux sciences de l'ingénieur ou à l'enseignement du numérique. Voilà pourquoi la réforme du bac pose problème dans nos territoires.

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