Intervention de Pascal Bois

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Bois :

Il n'est jamais aisé de faire part de désaccords à une personne avec laquelle on entretient des relations cordiales. S'agissant de ce texte, force est de constater, avec regret, qu'ils sont multiples.

Cette proposition de loi prévoit la création d'un domaine public commun qui, à la mort de l'artiste, ponctionne 50 % des droits patrimoniaux aux ayants droit pour financer la protection sociale et la création, ainsi que l'extension du régime des intermittents du spectacle. Si l'intention – améliorer la condition précaire des artistes-auteurs – est tout à fait louable, à en juger par les réactions de la filière, le texte pourrait s'avérer juridiquement non sûr, voire contre-productif.

Le premier grief qui lui est adressé, et non des moindres, est de présenter un risque d'inconstitutionnalité et de contrevenir aux engagements internationaux de la France. Priver les ayants droit de 50 % des revenus provenant de l'exploitation des œuvres constitue une atteinte à la propriété intellectuelle dans sa dimension patrimoniale. Or ces droits patrimoniaux ont été harmonisés au niveau européen par différentes directives que la France ne peut enfreindre. Le texte traite indistinctement droits d'auteur et droits voisins et soulève des problèmes d'application. Ainsi, dans le secteur de l'édition musicale, les soixante-dix années de protection des droits voisins débutent à compter de la communication au public du phonogramme, et pas seulement à compter du décès de l'interprète. Votre texte ne le précise pas.

Deuxième grief, votre proposition entraînerait un bouleversement de l'équilibre du système des droits d'auteur, alors même qu'aucun syndicat d'artistes-auteurs ne l'a suggéré, ni le rapport de Bruno Racine, ni la mission flash que notre collègue Constance Le Grip et moi-même avons présentée en juillet dernier.

Pour en revenir aux artistes-auteurs, leur situation évolue face à la crise. Sous peu, nous recevrons les conclusions de la mission confiée à André Gauron sur le prolongement de l'année blanche en faveur des intermittents du spectacle au-delà du 31 août 2021. Un fonds d'urgence pour les artistes et techniciens du spectacle a été porté à 17 millions d'euros, tandis qu'un fonds sectoriel d'urgence de 22 millions a été créé pour ceux qui n'ont pas accès au fonds de solidarité de l'État. Les problèmes d'accès aux congés maladie et maternité ont été résolus. Enfin, d'autres sujets liés au statut et au droit à la rémunération des artistes-auteurs font l'objet de concertations sous l'égide du ministère de la culture, comme en témoignent les quinze premières mesures annoncées par la ministre le 11 mars dernier. Trois d'entre elles sont considérées comme des priorités : la création de la délégation aux politiques professionnelles et sociales des auteurs et aux politiques de l'emploi au sein de la direction générale de la création artistique ; la réforme des réseaux de l'URSSAF et la mise en place d'un portail d'information pour un meilleur suivi et un meilleur accès des artistes-auteurs à leurs droits sociaux.

Troisième grief, cette proposition introduit une forme d'injustice. L'idée selon laquelle les revenus générés par les artistes morts aident les vivants à vivre ne prend pas en considération les conséquences que les aléas de la vie d'artiste peuvent avoir sur les conditions d'existence de leurs proches, qui plus est quand les succès sont tardifs, voire posthumes. Les droits patrimoniaux sont temporaires, contrairement au droit de propriété qui est perpétuel.

Les effets pervers de ce projet risquent de fragiliser les filières artistiques et d'entraîner un exode des ayants droit hors de France, vers d'autres organismes de gestion collective (OGC) plus avantageux. Dans un contexte où l'exploitation de certaines œuvres culturelles se fait en ligne et à l'international, la France aurait tout à y perdre : pertes fiscales et baisse corrélative des aides du fonds d'aide à la création. Le groupe La République en Marche ne peut qu'être défavorable à cette proposition de loi.

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