Nous examinons cette proposition de loi dans un contexte particulier, alors que le monde de la culture est à l'arrêt depuis plusieurs mois et que ses professionnels, intermittents ou non, subissent de plein fouet les conséquences économiques de la crise.
En plus des mesures de droit commun de soutien à l'activité économique, le Gouvernement a rapidement mis en œuvre un plan spécifique à destination des métiers artistiques afin de préserver le tissu culturel partout sur notre territoire : prolongation de l'année blanche pour les intermittents et les saisonniers ; soutien aux petites équipes artistiques, comme les compagnies de théâtre ; accompagnement des jeunes diplômés. Ces aides ne suffisent pourtant pas toujours. La souffrance des professionnels du secteur est palpable et l'incertitude qui plane sur la réouverture des lieux culturels aggrave un peu plus la situation.
Nous pourrions nous réjouir de débattre de votre proposition de loi ; nous pourrions même y voir une avancée sociale importante pour des professionnels durement fragilisés par la crise, et être tentés de la voter. Malheureusement, le diable se cache parfois dans les détails.
Sur la forme, l'instauration d'une taxe sur les droits post-mortem des auteurs est contraire au droit international et européen. Ces droits sont protégés par la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, et par la directive européenne du 29 octobre 1993.
Par ailleurs, la rédaction semble hasardeuse, puisqu'elle ne distingue pas les droits d'auteur et les droits voisins. Or le producteur titulaire de droits voisins est bien souvent une personne morale qui, contrairement à l'auteur, ne décède pas. De plus, la durée de protection de ces droits diffère : soixante-dix ans à compter du décès de l'ayant droit pour les titulaires de droits d'auteur, contre soixante-dix ans après la parution de l'œuvre pour les titulaires de droits voisins.
Sur le fond, il ne nous paraît pas judicieux de faire reposer la protection des uns sur la réduction du revenu des autres. Ce mécanisme de fausse solidarité risque de fragiliser un peu plus une industrie culturelle déjà fortement éprouvée par la crise. Rappelons que les droits voisins contribuent déjà au financement de la création artistique, grâce aux 25 % des droits de copie privée fléchés vers des actions de soutien à la création.
Si la proposition de loi pourrait être envisageable dans une économie fermée, elle n'est pas adaptée à la réalité de l'industrie culturelle mondialisée, où les principaux acteurs sont des plateformes non européennes et où les différents organismes de gestion collective sont mis en concurrence. Le risque de fuite des ayants droit vers des sociétés d'auteurs étrangères plus attractives est bien réel et ne doit pas être négligé.
Nous pensons que cette proposition de loi est malheureusement de nature à fragiliser notre modèle d'exception culturelle plutôt qu'à le renforcer. Elle a le mérite de nous permettre de parler de culture et de tous les intermittents, auxquels nous pensons, mais le groupe Agir ensemble ne la votera pas.