Intervention de Roselyne Bachelot

Réunion du lundi 14 juin 2021 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Roselyne Bachelot, ministre de la culture :

Les secteurs audiovisuel et cinématographique ont connu ces dernières années des évolutions profondes, pour ne pas dire des révolutions : révolution des usages – aujourd'hui, grâce à un abonnement on peut regarder un film ou une série, quand et où on le souhaite, sur l'écran de son choix ; révolution de leur paysage, avec l'apparition, en deux décennies, de nouveaux acteurs mondiaux – américains aujourd'hui, chinois peut-être demain. Dans l'économie de l'attention, ces acteurs n'ont, selon un responsable d'une plateforme dominante, qu'un seul ennemi : notre sommeil.

Dotées de capacités d'investissement considérables, ces plateformes sont agiles, capables d'innover à un rythme effréné, dans les programmes aussi bien que dans les technologies. Elles multiplient les possibilités d'accès aux œuvres, facilitent leur circulation auprès de publics toujours plus nombreux, en France et à l'étranger. De ce fait, elles créent non seulement une demande de contenus, qui n'a jamais été aussi forte, une incitation à être créatif, d'une manière audacieuse, mais aussi une concurrence pour accéder aux meilleures œuvres et aux meilleurs talents. Je pense, contrairement à certains, que de telles évolutions sont positives pour notre création. Elles représentent une opportunité sans précédent pour le rayonnement de notre création, et nous avons là une carte maîtresse à jouer.

Ces évolutions peuvent néanmoins engendrer de nouvelles menaces. Elles fragilisent nos mécanismes de régulation, conçus pour des acteurs nationaux et linéaires. Elles risquent de rompre l'équilibre historique existant entre diffuseurs, producteurs et auteurs, compte tenu de la concentration du pouvoir économique aux mains de quelques-unes des grandes plateformes mondiales. Il existe aussi un risque accru de dépendance des créateurs à des acteurs étrangers, pour lesquels la France ne représente qu'un petit marché. Par ailleurs, ces dernières années, le secteur des contenus fait face à une destruction de valeur grandissante, en raison du développement de nouvelles formes de piratage. Ces pratiques illicites enrichissent des acteurs peu scrupuleux qui, par nature, ne contribuent ni au renouvellement de la création, ni à la rémunération des créateurs.

Face à ces évolutions, nous devons nous doter de règles modernisées, étendues aux nouveaux acteurs et adaptées aux nouveaux usages. C'est la raison pour laquelle, dès mon arrivée, j'ai engagé une refonte globale du cadre juridique applicable à la production audiovisuelle et cinématographique. Celle-ci passe par une réforme des décrets, qui fixent les obligations d'investissement des plateformes dans la production des télévisions, et par une réforme de la chronologie des médias. J'ai également souhaité accompagner cette réforme d'un renforcement déterminé de la lutte contre le piratage. Tel est l'objet du projet de loi.

Son examen n'était pas gagné d'avance. Dans un agenda législatif très contraint, je me suis battue pour trouver la place nécessaire à son inscription à l'ordre du jour. Il ne s'agit pas du même texte que celui que vous avez examiné il y a plus d'un an. Grâce à la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DDADUE), le Gouvernement a été habilité à transposer plusieurs directives européennes par voie d'ordonnance. En outre, grâce aux contrats d'objectifs et de moyens des sociétés de l'audiovisuel public, une partie des objectifs de transformation qui leur étaient assignés a été confirmée autrement que par voie législative.

Certains disent que c'est une petite loi, mais il faut la considérer dans l'architecture globale de ce qui a été fait. Ce projet de loi est fondamental en ce qu'il apporte des réponses concrètes à trois enjeux majeurs pour les secteurs de l'audiovisuel et du cinéma.

Le premier objectif, que nous partageons tous, est le renforcement de la lutte contre le piratage. La forte augmentation de la consommation dématérialisée de biens culturels, ces dernières années, encore accélérée par la crise sanitaire, s'est accompagnée d'une hausse de ces pratiques illicites, qui sont mortifères pour notre création. Il faut donc renforcer notre arsenal législatif en la matière. Le texte s'y emploie à travers plusieurs mesures qui ciblent, non pas les internautes, mais les sites internet qui tirent un profit commercial de la mise en ligne d'œuvres en violation du droit des créateurs. Sera ainsi dressée une liste noire des sites internet dont le modèle économique repose sur l'exploitation massive de la contrefaçon. La lutte contre les sites miroirs, qui reprennent, en totalité ou de manière substantielle, les contenus d'un site jugé illicite, pourra également être menée plus efficacement. Le projet de loi crée, en outre, un dispositif spécifique de référé pour lutter contre le piratage sportif. Celui-ci exige des mesures adaptées compte tenu de l'urgence inhérente aux retransmissions audiovisuelles en direct des manifestations sportives. Votre commission a longuement examiné ces enjeux. Je salue, à cet égard, le travail de M. Cédric Roussel sur la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Celle-ci instaure un dispositif spécifique, équilibré et attendu par le monde du sport et de l'audiovisuel.

Le deuxième enjeu auquel s'attache le projet de loi est la modernisation de la régulation des contenus audiovisuels et numériques. Pour mener à bien ces nouvelles missions en matière de piratage et prendre en compte la convergence progressive de l'audiovisuel et du numérique, le texte fusionne la Hadopi et le CSA en une nouvelle autorité de régulation : l'ARCOM. Le nouveau régulateur sera compétent sur l'ensemble du champ de la régulation des contenus audiovisuels et numériques, qu'il s'agisse de lutter contre le piratage, de protéger les mineurs ou de défendre les publics contre la désinformation et la haine en ligne. Il sera aussi mieux armé, plus efficace, avec des missions élargies et des pouvoirs de contrôle et d'enquête étendus. La composition de son collège doit également être adaptée. Le Gouvernement est très attaché à la présence de deux magistrats, non par idéologie mais parce que cela lui semble indispensable au bon fonctionnement de la future autorité. La réponse graduée est, en effet, une procédure pré-pénale, qui est à l'heure actuelle confiée à des magistrats. Par ailleurs, le renforcement des missions du régulateur en matière de contenus en ligne, au regard des fausses informations ou des contenus haineux, engagé par plusieurs textes nationaux et européens, justifie que l'ARCOM puisse bénéficier de l'expertise de deux membres magistrats.

Le troisième enjeu est la protection de l'accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises. Le risque existe que de grandes sociétés de production, ou leur catalogue, soient achetés par des entreprises éloignées de tout objet culturel et non soumises à l'obligation de recherche d'exploitation suivie, qui permet de garantir au public l'accès aux œuvres françaises. Ces acheteurs pourraient décider de retirer temporairement du marché certaines œuvres pour en faire monter les prix, ou de n'exploiter que les films les plus rentables d'un catalogue, et de laisser le reste en déshérence.

L'article 17 du projet de loi introduit donc une nouveauté, en étendant à toutes les personnes qui rachètent une ou plusieurs œuvres françaises l'obligation de recherche d'exploitation suivie, qui existe aujourd'hui uniquement pour les producteurs établis en France. Il prévoit que tout projet de cession d'œuvre doit faire l'objet d'une notification préalable aux services du ministère de la culture, au moins six mois avant la date de l'opération envisagée. Ce laps de temps permettra de vérifier que l'acheteur présente bien toutes les garanties pour assurer la recherche d'exploitation suivie. Il s'agit donc d'un article majeur pour préserver notre souveraineté culturelle. Certains producteurs conservaient quelques craintes sur les contours du dispositif ; les débats au Sénat ont permis de l'ajuster, et la rapporteure Sophie Mette présentera plusieurs amendements à l'article, qui permettront de lever les derniers doutes.

Le Sénat a souhaité enrichir ces trois volets structurants du texte de plusieurs autres dispositions. J'en évoquerai trois.

Premièrement, l'instauration d'un mécanisme de transaction pénale. Outre que le grand public montre une sensibilité extrême sur la question de la répression des pratiques des internautes, le succès de ce mécanisme n'est garanti en aucune manière : sans la certitude qu'ils seront poursuivis en cas de refus de transiger, il n'y a pas d'incitation pour les internautes à accepter de payer une amende. Je préfère allouer les moyens à d'autres mécanismes, et j'aurai l'occasion de vous redire la ferme opposition du Gouvernement à un tel dispositif.

Deuxièmement, l'assouplissement des règles relatives à l'attribution des autorisations d'émettre des chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT). Dans le contexte actuel du rapprochement de deux grands acteurs du secteur audiovisuel français, la modification du cadre juridique n'est pas souhaitable. J'observe d'ailleurs avec satisfaction que certains d'entre vous, dans la majorité comme dans l'opposition, souhaitent revenir sur ces modifications.

Troisièmement, la définition de la production indépendante. Le Sénat a souhaité simplifier la réglementation en supprimant les restrictions imposées aux chaînes en matière de mandat de commercialisation et de parts de coproduction. Je connais l'engagement de la rapporteure Aurore Bergé sur le sujet. Je crois que nos débats nous permettront de converger sur une nouvelle rédaction de l'article.

Je termine mon intervention par un sujet qui n'est pas directement rattaché au texte : le maintien de la chaîne France 4. À l'instar de Mme Béatrice Piron et de M. Maxime Minot, rapporteurs d'une mission flash sur l'offre jeunesse du secteur audiovisuel, vous avez été nombreux, sur tous les bancs, à exprimer votre soutien au maintien d'une chaîne jeunesse. Ce maintien a été annoncé le 18 mai par le Président de la République. C'est une excellente nouvelle pour les jeunes téléspectateurs et leurs parents, puisqu'ils pourront continuer à regarder une chaîne de service public proposant des programmes dédiés aux enfants, sans publicité. C'est aussi une excellente nouvelle pour l'animation et la création françaises, qui continueront à être exposées quotidiennement sur France 4. En outre, le maintien de la chaîne s'accompagnera d'une offre culturelle en soirée. Je me suis beaucoup mobilisée pour permettre la création de la chaîne éphémère Culturebox, qui a su toucher son public, en donnant à la scène française une exposition inédite. C'est un vrai succès, et je suis heureuse qu'elle puisse être prolongée en soirée. Le projet de décret modifiant le cahier des charges de France Télévisions pour permettre ce maintien a été approuvé par son conseil d'administration le 9 juin, et transmis au CSA, qui devrait rendre son avis après-demain. Le décret sera publié dans les jours qui suivront.

Le texte apporte donc des réponses à trois enjeux majeurs dans le domaine de la communication audiovisuelle – la protection des droits des auteurs, artistes, producteurs, diffuseurs et fédérations sportives, qu'en tant qu'ancienne ministre des sports, je ne saurai oublier ; l'organisation de notre régulation, qui doit être rationalisée et modernisée ; la défense de l'accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises, dans un contexte où la demande d'œuvres n'a jamais été aussi forte. C'est un texte important, avec des mesures consensuelles, attendues par les professionnels. Elles ont pleinement la possibilité de nous rassembler, au-delà de nos sensibilités politiques différentes.

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