Intervention de Michèle Victory

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

Le 10 août 1981, la loi relative au prix du livre était promulguée à l'initiative des socialistes. C'était une véritable révolution, un changement de paradigme en ce qui concerne la marchandisation des biens culturels, et plus particulièrement du livre. M. Jack Lang, ministre de la culture, déclarait alors à la tribune de notre assemblée « refuser d'abandonner le prix des biens culturels aux lois destructrices du marché ». S'il est, en effet, un objet source d'émancipation et de savoir qui doit être protégé, c'est bien le livre. Cette loi était protectrice à plusieurs égards, à la fois des Françaises et Français, où qu'ils se trouvent sur le territoire, des auteurs et de leur pluralité et, bien sûr, des librairies indépendantes qui faisaient face à une concurrence déloyale des hypermarchés.

Les bouleversements issus du numérique et l'arrivée de nouveaux modes de consommation sont la source d'inégalités criantes entre les librairies et des géants tels qu'Amazon. Or les librairies indépendantes constituent un maillon local de notre culture qui est indispensable à la vitalité des territoires. Elles donnent un accès à la culture à toutes et tous. La crise sanitaire a rappelé l'attachement des Françaises et des Français à ces commerces, qui n'ont jamais été aussi essentiels. Les librairies indépendantes participent à la médiation culturelle, qui permet de faire naître et grandir le désir et le plaisir de lire, et elles sont un lieu de rencontre et d'échange.

La proposition de loi consacre l'interdiction de la gratuité des frais de port des livres afin de répondre à la distorsion créée par l'offre d'Amazon, qui bénéficie, grâce à sa volumétrie, de tarifs préférentiels auprès de la Poste. Le texte a également pour but d'inciter les lecteurs à acheter des livres en librairies. Nous souscrivons pleinement à cet objectif qui, en plus de favoriser un acteur culturel auquel nous sommes attachés, permettra d'ancrer dans les esprits une préoccupation écologique, face à l'empressement effréné des acheteurs qui veulent tout plus vite, moins cher et tout le temps. On voit bien que le développement de la livraison à domicile, s'il peut se concevoir dans des territoires réellement éloignés des commerces, ne peut devenir la règle : c'est une catastrophe sous l'angle du développement durable.

Nous avons noté les réserves suscitées par cette mesure, notamment la crainte qu'elle n'atteigne pas son objectif, par exemple du fait de l'utilisation de paniers mixtes pour contourner le texte, directement ou indirectement. Il faudra, par ailleurs, fixer un tarif d'envoi qui ne soit ni un frein pour les clients ni une charge trop importante pour les libraires et les éditeurs. Vous avez évoqué cette question, madame la rapporteure. Nous sommes évidemment favorables à l'évaluation régulière que vous proposez.

Nous nous réjouissons que certaines enseignes, comme la FNAC, qui pratiquent des tarifs de fidélité, voient dans cette proposition, malgré la perte de marge qu'elle pourrait occasionner, un signal en faveur d'un changement des manières de consommer. Il est urgent, nous le savons tous, de rétablir un équilibre dans ce secteur, tant la progression du géant américain est forte depuis quelques années sur le marché du livre. Nous nous opposons au modèle social et écologique que promeut Amazon et nous saluons les initiatives en faveur des commerces de proximité et de la chaîne du livre dans son ensemble.

En effet, ne l'oublions pas, l'industrie du livre commence là où les auteurs et autrices imaginent, créent et travaillent, elle grandit par la confiance que leur portent des maisons d'édition – dont certaines, de petite taille, pratiquent l'autoédition et ne réalisent que peu de profits. Nous regrettons, à cet égard, que l'espoir suscité par le rapport de M. Bruno Racine ne soit pas suivi de mesures plus fortes de la part du ministère afin de répondre aux enjeux des autres acteurs de la filière et de trouver des réponses à la grande précarité des auteurs et autrices. Je reviendrai sur ce sujet en séance pour connaître le positionnement de la ministre. Nous souhaitons en savoir plus sur la vision du Gouvernement quant à la manière dont nous pourrions apporter un soutien clair et massif au secteur du livre – je pense, par exemple, au rétablissement du tarif préférentiel de la Poste qui existait il y a quelques années.

Le reste de la proposition de loi, qui comporte d'autres mesures concernant les relations contractuelles entre les éditeurs et les auteurs, l'élargissement des missions du Médiateur du livre et l'adaptation du dépôt légal aux œuvres numériques, nous satisfait.

À ce stade, mon groupe votera en faveur du texte. C'est un pari qu'il faut tenter, et nous serons au rendez-vous.

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