COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 29 septembre 2021
La séance est ouverte à neuf heures trente.
(Présidence de M. Bruno Studer, président)
La commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs (n° 4229) (Mme Géraldine Bannier, rapporteure).
Après l'examen, mercredi dernier, de la proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, nous abordons ce matin un deuxième texte consacré au secteur du livre.
Voilà un peu plus de quarante ans, l'Assemblée nationale examinait un texte adopté préalablement par le Sénat sur le prix du livre. Au-delà des similitudes de procédure parlementaire, c'est la similitude de situation qui, présentement, saute aux yeux. J'en veux pour preuve ces propos que Jack Lang a tenus en séance publique, à l'Assemblée, alors qu'il était ministre de la culture : « La diffusion du livre connaît depuis quelques années une mutation commerciale dont les conséquences sont loin d'être neutres sur le plan culturel. En effet, longtemps assurée par un réseau de commerçants spécialisés – les libraires –, la vente du livre a vu apparaître et se développer peu à peu de nouvelles formes de distribution, lesquelles ont engendré une concurrence très vive ». En 1981, les hypermarchés cassaient littéralement les prix des livres qui se vendaient facilement, privant ainsi les libraires de ressources financières pourtant indispensables à la promotion d'ouvrages réputés plus difficiles.
La situation actuelle n'est pas loin d'être analogue, si ce n'est qu'Amazon a remplacé Leclerc et pratique des frais de port hors de portée des librairies indépendantes. Les moins importantes d'entre elles se trouvent de fait exclues de la vente en ligne. Telle est la situation malgré la loi sur le prix unique. Un livre de poche neuf, Candide par exemple, est actuellement vendu, réception comprise, entre 3,06 euros et 10,95 euros selon les détaillants. L'explication est simple : les petites librairies font face à des coûts très éloignés de ceux des grandes entreprises, en raison des frais facturés par les transporteurs et des frais de préparation auxquels cette logistique nouvelle les expose. Dès lors, soit elles répercutent les coûts réels sur leurs clients au risque, dans un grand nombre de cas, de les perdre, soit elles prennent tout ou partie de ces coûts à leur charge mais, alors, elles sacrifient leur marge. Les frais de port à un centime d'euro pratiqués par les grands détaillants les placent de facto devant un choix cornélien.
Pour remédier à cette situation, la proposition de loi déposée par Mme la sénatrice Laure Darcos entend permettre aux ministres chargés de la culture et de l'économie, en lien avec l'ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), de déterminer un tarif minimal applicable aux frais de port facturés pour la livraison d'un livre. Ainsi, la situation financière des libraires qui pratiquent la vente en ligne sera mécaniquement améliorée, toutes choses égales par ailleurs. On peut même imaginer que des librairies de taille moyenne qui parviendraient à internaliser une partie des coûts puissent s'aligner sur ce tarif minimal et deviennent dès lors compétitives par rapport à Amazon, la FNAC, Leclerc ou Gibert, en proposant le même tarif à leurs clients. Plus encore, une telle mesure pourrait inciter certains lecteurs à se déplacer en point de vente physique pour éviter ce surcoût. Cela serait pleinement en adéquation avec le soutien et le retour au commerce physique de proximité dont le contexte sanitaire a salutairement mis en évidence la nécessité. Nous savons aussi qu'un passage en magasin peut encourager des achats imprévus, dits « d'impulsion ».
L'idée est donc théoriquement séduisante. En effet, comme l'ont indiqué plusieurs personnes que j'ai entendues dans le cadre de mes auditions – et dont on ne peut pas dire qu'elles avaient toutes un parti pris –, il est également possible que cette mesure entraîne une diminution des ventes ou des reports vers d'autres marchés. Ils sont peu probables, sans doute, vers le livre numérique mais plus envisageables vers le livre d'occasion, d'autres biens culturels, voire d'autres loisirs qui ne financeront, hélas, ni les auteurs ni les éditeurs à un niveau équivalent.
En l'absence d'étude préalable, il est très difficile de savoir quelles seront les conséquences réelles de cette disposition, lesquelles dépendront aussi, bien sûr, du tarif qui sera déterminé par le pouvoir réglementaire : un tarif trop faible n'aiderait pas les libraires et ne modifierait probablement pas le marché ; un tarif trop élevé, a contrario, assurerait davantage un report sur le marché physique mais au prix, probablement, d'une perte sèche pour l'ensemble de la filière. Entre les deux, nous sommes amenés à faire un véritable pari, notamment parce que cette disposition pourrait être contournée d'une façon ou d'une autre – nous le savons, l'imagination des GAFA excède le domaine fiscal…
Néanmoins, cette mesure pourrait peut-être faire évoluer les pratiques vers le « cliqué-retiré » et faire prendre davantage conscience au public des conséquences, pour l'activité locale et l'environnement, de sa façon de consommer, prise de conscience qui s'est d'ailleurs développée dans le contexte du confinement et que l'on ne peut qu'encourager. Peut-être devons-nous saisir ce moment, ce kairos.
Compte tenu des réserves qui ont été formulées et que je viens de rappeler, il me paraît indispensable de prévoir une évaluation périodique du dispositif par le Gouvernement et le Parlement afin, s'il le faut, d'ajuster le tarif voire d'abandonner la mesure si ses effets devaient être délétères.
Les territoires ruraux, notamment – à tout le moins ceux qui comptent le moins de détaillants –, pourraient pâtir d'un renchérissement du prix du livre en ligne et auront peut‑être besoin que l'on imagine un dépôt gratuit de livres, par exemple dans une maison France Services. Je pense également à nos compatriotes les plus défavorisés, en particulier parmi les jeunes et les étudiants, possiblement à la recherche d'ouvrages rares et pour qui une telle mesure pourrait avoir des conséquences négatives.
Par ailleurs, même si cela n'est pas du ressort du Parlement, il faudra réfléchir à des mesures complémentaires, notamment pour attirer les lecteurs – ou non-lecteurs, d'ailleurs ! – dans les points de vente physique. Je pense en particulier aux jeunes qui, grâce à l'opération « Tous en librairie » et au Pass culture, peuvent accéder plus facilement aux librairies, ou encore aux librairies ambulantes, salons locaux ou boîtes à livres qui sont d'excellents vecteurs, à la fois géographiquement et psychologiquement, pour aller au-devant de lecteurs potentiels. Je crois en effet qu'il ne faut pas négliger l'obstacle psychologique que constitue, pour certains, l'idée d'entrer dans une librairie. Dans ces cas-là, les professionnels de l'enfance et de l'éducation, les bibliothécaires et les libraires sont des acteurs essentiels pour promouvoir le livre et la lecture.
Plus prosaïquement, je crois qu'il faut aussi améliorer la communication autour de la loi sur le prix unique du livre. Un quart des personnes qui font leurs achats en dehors des librairies pensent que les livres y sont plus chers qu'ailleurs. En outre, qui sait qu'on a le droit de demander à son libraire de commander n'importe quel ouvrage ? Ce sont là des arguments importants à faire valoir pour attirer le public dans les librairies.
Un chantier de modernisation doit également s'ouvrir pour les libraires indépendants et l'ensemble de la filière de distribution. La proposition de loi tend à rendre moins vive la concurrence par les prix mais encore faut-il que les librairies deviennent plus compétitives s'agissant des autres éléments qui entrent en ligne de compte dans l'acte d'achat en ligne, comme la praticité de la commande et la rapidité de la mise à disposition, afin de gagner des parts de marché et de remporter ce pari.
Je n'entre pas davantage dans le détail car je suis certaine que nous y reviendrons au cours de nos débats. Il me paraît en revanche important de souligner que le texte comporte d'autres dispositions tout aussi essentielles, si ce n'est plus.
Je pense ainsi, à l'article 1er, à l'interdiction de soldes partiels faite aux éditeurs, lesquels ne sauraient solder leurs ouvrages, notamment en ligne, au détriment de leurs détaillants, et à l'exigence d'une distinction dénuée de toute ambiguïté en ce qui concerne la vente de livres neufs et d'occasion, notamment sur les places de marché qui se sont développées récemment sur internet.
Ensuite, à l'article 2, nous offrirons aux communes la possibilité de verser des subventions aux petites et moyennes librairies indépendantes. Les outils, principalement fiscaux, qui sont aujourd'hui à leur disposition ne permettent pas de gérer les situations au cas par cas et ne correspondent pas nécessairement aux besoins, à l'instant « T », des entreprises. Nous mettrons à leur disposition un outil budgétaire plus souple, qui doit aussi permettre de financer le fonctionnement des structures, alors que les crédits publics ne soutiennent généralement que l'investissement.
L'article 3 me semble d'une importance cruciale pour les auteurs. Un accord a été signé en 2017 avec le Syndicat national de l'édition (SNE) afin d'encadrer ces deux pratiques contractuelles très dommageables que sont la compensation intertitres et la provision pour retours d'exemplaires invendus. C'est une avancée notable, mais elle ne concerne aujourd'hui que les adhérents au SNE. L'article 3 permettra au ministre de la culture de l'étendre à l'ensemble des éditeurs. Cet article améliorera aussi de façon notable la situation des auteurs en cas de cessation d'activité, volontaire ou judiciaire, de leur maison d'édition, ce qui, dans le contexte actuel, n'est pas inutile.
Enfin, l'article 5 apporte des modifications indispensables et attendues au dispositif du dépôt légal numérique. Avec le développement de services en ligne de plus en plus sophistiqués, un nombre croissant d'œuvres et de documents échappe à la collecte automatisée de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et de la Bibliothèque nationale de France (BNF), tandis que le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) est confronté à des fichiers numériques cryptés qu'il lui est impossible de lire et de copier à des fins de conservation. Par le biais d'accords avec les déposants, l'article 5 permettra de faciliter grandement la tâche des organismes dépositaires. Il est donc salutaire pour la conservation du patrimoine numérique et multimédia.
Voilà quelques points, loin d'être mineurs, que je souhaitais aborder. Nos débats se concentreront sans doute sur la mesure prévue à l'alinéa 2 de l'article 1er, qui est certainement la plus sujette à controverse.
Il y a quarante ans, la loi Lang instaurait le prix unique du livre, dont nous pouvons tous mesurer les effets sur la diversité éditoriale mais aussi sur la densité de notre réseau de distribution du livre.
Cette proposition de loi de Mme la sénatrice Laure Darcos comprend de nombreuses dispositions et s'attaque, comme la loi Lang, à une distorsion de concurrence qui nuit à la vitalité des circuits de distribution du livre et, donc, à la lecture. S'opposent ainsi, d'une part, la quasi-gratuité des frais de livraison des livres lorsqu'ils sont commandés sur certaines plateformes de vente en ligne et, d'autre part, les tarifs dont « bénéficient » les libraires indépendants pour leurs envois. Les frais d'expédition qu'ils offrent ou facturent à leurs clients rognent leurs marges, déjà faibles.
Si la loi de 2014 a permis d'encadrer les conditions de la vente à distance des livres en interdisant la gratuité de la livraison, ce dispositif, contourné, est insuffisant, alors même que la part des achats de livres sur internet s'élève à plus de 20 %.
L'instauration d'un montant minimum de frais d'envoi aura principalement trois effets bénéfiques. Tout d'abord, une telle mesure encouragera encore davantage le retour des consommateurs dans les librairies, où l'on entre parfois sans savoir exactement ce que l'on cherche, ou alors parce que l'on souhaite un conseil. Près de 60 % des clients de la principale plateforme, que je ne nommerai pas, habitent dans des villes de plus de 20 000 habitants. Ensuite, pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer ou qui n'ont pas de librairie à proximité, le texte favorisera la commande en ligne sur les sites des libraires indépendants, dans le cadre de livraisons à domicile ou du click and collect. Des sites existent : encourageons-les et encourageons les libraires à les utiliser ! Certes, tous n'ont pas vocation à développer la vente en ligne mais nous garantirons à ceux qui le souhaitent de ne pas subir de distorsion de concurrence. Enfin, nous pouvons espérer que la tarification minimale des services de livraison permettra de limiter le nombre de commandes, en incitant les lecteurs à les grouper, et ainsi de réduire le coût environnemental. Il n'est décemment pas possible de multiplier les commandes à l'unité quand on peut attendre quelques jours.
Le groupe La République en marche défendra un amendement qui demande au Gouvernement de remettre un rapport, dans un délai de deux ans, sur les effets de ce dispositif non seulement sur le marché du livre et sur le réseau des détaillants mais aussi sur l'accès du public à l'achat de livres, et qui permettra d'analyser les effets de bord ou les pratiques de contournement.
Il est temps d'agir. Nous avons pu constater la capacité d'adaptation des libraires mais aussi leurs fragilités. Nous n'avons jamais autant parlé d'eux qu'en 2020, la crise sanitaire ayant montré combien les Français leur sont attachés. La baisse de leur chiffre d'affaires a été limitée, le Gouvernement leur a apporté un soutien sans précédent, et les expéditions de livres ont explosé pendant les deux mois au cours desquels l'État a pris en charge les frais d'envoi : en novembre 2020, elles ont augmenté de 508 % par rapport au même mois de l'année précédente.
Cette proposition de loi, bienvenue, permettra de réaffirmer le soutien des Français, du Gouvernement et des parlementaires à la filière du livre et de rétablir une forme d'équité avec les plateformes de vente. Parce qu'elle permettra aussi aux communes et aux intercommunalités d'attribuer des subventions aux librairies indépendantes, qu'elle confortera la réforme du contrat d'édition, et donc les relations entre auteurs et éditeurs, qu'elle élargira la saisine du Médiateur du livre et qu'elle améliorera la procédure du dépôt légal numérique, le groupe La République en marche, sous réserve des débats qui vont avoir lieu, votera en sa faveur.
Cette proposition de loi, déposée par Mme Laure Darcos, a été très largement adoptée par le Sénat en juin dernier. Je salue amicalement notre collègue du groupe Les Républicains, dont nous connaissons l'engagement ancien et sincère en faveur du livre, dans le cadre de ses activités professionnelles antérieures et désormais en tant que membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat.
Quarante ans après le vote de la loi Lang, qui a institué le prix unique du livre pour des raisons d'équité, cette proposition de loi vise à garantir l'application de ce principe en instaurant un tarif minimum pour la livraison des livres et, ainsi, à mettre fin à une distorsion de concurrence que nous jugeons contraire à l'esprit de la loi. La quasi-gratuité des frais de livraison des livres que pratiquent certaines plateformes de e-commerce nous semble en effet relever d'un contournement des dispositions législatives. Il s'agit de rétablir l'équité et l'équilibre entre les différents acteurs du secteur du livre mais aussi de lutter contre la fragilisation grandissante des librairies qui, même si elles ont mieux résisté à la pandémie que d'autres lieux culturels, n'a rien d'un fantasme.
Faut-il le rappeler ? La rentabilité du commerce de détail de livres neufs est des plus faibles. Malgré leurs formidables capacités de résistance, d'inventivité, de créativité, d'adaptation, nombre de librairies indépendantes peinent à atteindre l'équilibre et peuvent être menacées de disparition.
Depuis la loi de 2011 relative au prix du livre numérique et la loi de 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres, issue d'une proposition de loi du groupe UMP, aucun nouveau texte législatif n'a accompagné l'évolution de ce secteur, très bousculé par l'émergence des grandes plateformes de e-commerce. Le Président de la République s'en est ému en mai dernier. Il a plaidé en faveur d'un prix unique pour tous les livres neufs sur internet, frais de port inclus, en soulignant à juste titre que le prix unique est une force du modèle français, qui nous a permis d'avoir un tissu de librairies indépendantes étendu et divers. Il fait vivre la littérature et la création et favorise l'accès de tous à la diversité culturelle. Je rappelle que notre pays compte 3 300 librairies indépendantes, qui emploient quelque 13 000 salariés.
Cette proposition de loi est bienvenue, et le groupe LR la votera avec enthousiasme. L'ouverture de la saisine du Médiateur du livre aux auteurs et à leurs organisations représentatives, la réforme du contrat d'édition, notamment pour interdire la pratique de la compensation financière entre ouvrages, et le fait de donner aux collectivités territoriales la possibilité d'octroyer des subventions aux librairies indépendantes sont également des dispositions qui nous conviennent. Pour nous, les librairies sont essentielles.
Je me réjouis que notre assemblée examine ce texte déposé par Mme la sénatrice Laure Darcos. Il comporte des avancées importantes pour la filière du livre et ses acteurs, que notre rapporteure connaît elle aussi parfaitement puisqu'elle est engagée depuis longtemps sur toutes ces questions.
Antoine Albalat, écrivain et critique littéraire de la fin du XIXe siècle, disait qu'un livre que l'on quitte sans en avoir extrait quelque chose est un livre que l'on n'a pas lu. Il soulignait ainsi toute l'importance du rôle de la lecture. Si celle-ci peut être perçue comme un loisir, elle est surtout l'un des outils les plus puissants dont nous disposons pour contribuer à l'élévation de notre société. On ne le répétera jamais assez : aborder l'économie du livre et la lecture en général, c'est aborder des sujets essentiels pour la France et sa culture.
La proposition de loi prévoit des solutions pour améliorer la situation économique de cette filière, qui présente aujourd'hui encore de nombreuses fragilités.
L'article 2 autorise ainsi l'octroi de subventions aux libraires indépendants. Les Français, durant plusieurs mois, se sont émus des difficultés rencontrées par ces derniers lors des périodes de fermeture qu'a entraînées la pandémie. L'attachement de nos concitoyens à ces professionnels est indéniable. Il est de notre devoir d'accroître le soutien que nous leur apportons.
L'article 3 concerne l'encadrement des relations contractuelles entre les éditeurs et les auteurs. L'état des comptes exigé d'une entreprise d'édition en situation de cessation d'activité a vocation à protéger les auteurs. Un équilibre entre ces derniers et les éditeurs a été trouvé. Nous en débattrons à nouveau, et je ne doute pas de notre capacité à rester dans un esprit de consensus pour faire évoluer la situation dans le bon sens.
J'en viens à l'article 1er, qui est peut-être la mesure la plus emblématique du texte. À l'heure où les grandes plateformes en ligne, essentiellement étrangères, accaparent une immense part du marché français de la vente de livres à distance, notamment grâce aux livraisons massives et rapides qu'elles sont capables d'effectuer, la proposition de loi entend limiter la distorsion de concurrence en créant un dispositif inédit de fixation d'un tarif postal minimal pour la livraison des ouvrages achetés en ligne. Alors que les libraires ne sont plus en mesure de proposer des tarifs de livraison aussi concurrentiels que ceux des géants du numérique, l'idée est de contraindre ces derniers à pratiquer des prix de transport plus élevés afin de garantir aux libraires une véritable compétitivité.
Toucher ainsi au marché requiert de la prudence. J'ai donc déposé, avec Céline Calvez, un amendement qui demande au Gouvernement de remettre un rapport sur les effets de l'application de ce dispositif sur le marché du livre, le réseau des détaillants et l'accès du public à l'achat de livres. En outre, nous souhaitons que le Parlement procède rapidement à une évaluation de ce dispositif. Alors qu'aucun dispositif de ce type n'existe à ce jour en Europe, il est impératif d'analyser les effets de manière à adapter les modalités, si besoin est, pour gagner en efficacité. Peut-être inspirerons-nous, un jour, nos voisins. En attendant, tâchons de réduire au maximum l'écart de capacité entre les grandes plateformes et nos libraires.
Un livre devrait être un geste, disait l'écrivain Jacques Rigaut. Je crois que nous faisons aujourd'hui un geste pour le livre, pour tous ceux qui en ont la passion et qui la vivent. Vous l'avez compris, le groupe Démocrate soutient les orientations de cette proposition de loi et souhaite que nos débats puissent contribuer à l'avenir de la filière du livre.
Le 10 août 1981, la loi relative au prix du livre était promulguée à l'initiative des socialistes. C'était une véritable révolution, un changement de paradigme en ce qui concerne la marchandisation des biens culturels, et plus particulièrement du livre. M. Jack Lang, ministre de la culture, déclarait alors à la tribune de notre assemblée « refuser d'abandonner le prix des biens culturels aux lois destructrices du marché ». S'il est, en effet, un objet source d'émancipation et de savoir qui doit être protégé, c'est bien le livre. Cette loi était protectrice à plusieurs égards, à la fois des Françaises et Français, où qu'ils se trouvent sur le territoire, des auteurs et de leur pluralité et, bien sûr, des librairies indépendantes qui faisaient face à une concurrence déloyale des hypermarchés.
Les bouleversements issus du numérique et l'arrivée de nouveaux modes de consommation sont la source d'inégalités criantes entre les librairies et des géants tels qu'Amazon. Or les librairies indépendantes constituent un maillon local de notre culture qui est indispensable à la vitalité des territoires. Elles donnent un accès à la culture à toutes et tous. La crise sanitaire a rappelé l'attachement des Françaises et des Français à ces commerces, qui n'ont jamais été aussi essentiels. Les librairies indépendantes participent à la médiation culturelle, qui permet de faire naître et grandir le désir et le plaisir de lire, et elles sont un lieu de rencontre et d'échange.
La proposition de loi consacre l'interdiction de la gratuité des frais de port des livres afin de répondre à la distorsion créée par l'offre d'Amazon, qui bénéficie, grâce à sa volumétrie, de tarifs préférentiels auprès de la Poste. Le texte a également pour but d'inciter les lecteurs à acheter des livres en librairies. Nous souscrivons pleinement à cet objectif qui, en plus de favoriser un acteur culturel auquel nous sommes attachés, permettra d'ancrer dans les esprits une préoccupation écologique, face à l'empressement effréné des acheteurs qui veulent tout plus vite, moins cher et tout le temps. On voit bien que le développement de la livraison à domicile, s'il peut se concevoir dans des territoires réellement éloignés des commerces, ne peut devenir la règle : c'est une catastrophe sous l'angle du développement durable.
Nous avons noté les réserves suscitées par cette mesure, notamment la crainte qu'elle n'atteigne pas son objectif, par exemple du fait de l'utilisation de paniers mixtes pour contourner le texte, directement ou indirectement. Il faudra, par ailleurs, fixer un tarif d'envoi qui ne soit ni un frein pour les clients ni une charge trop importante pour les libraires et les éditeurs. Vous avez évoqué cette question, madame la rapporteure. Nous sommes évidemment favorables à l'évaluation régulière que vous proposez.
Nous nous réjouissons que certaines enseignes, comme la FNAC, qui pratiquent des tarifs de fidélité, voient dans cette proposition, malgré la perte de marge qu'elle pourrait occasionner, un signal en faveur d'un changement des manières de consommer. Il est urgent, nous le savons tous, de rétablir un équilibre dans ce secteur, tant la progression du géant américain est forte depuis quelques années sur le marché du livre. Nous nous opposons au modèle social et écologique que promeut Amazon et nous saluons les initiatives en faveur des commerces de proximité et de la chaîne du livre dans son ensemble.
En effet, ne l'oublions pas, l'industrie du livre commence là où les auteurs et autrices imaginent, créent et travaillent, elle grandit par la confiance que leur portent des maisons d'édition – dont certaines, de petite taille, pratiquent l'autoédition et ne réalisent que peu de profits. Nous regrettons, à cet égard, que l'espoir suscité par le rapport de M. Bruno Racine ne soit pas suivi de mesures plus fortes de la part du ministère afin de répondre aux enjeux des autres acteurs de la filière et de trouver des réponses à la grande précarité des auteurs et autrices. Je reviendrai sur ce sujet en séance pour connaître le positionnement de la ministre. Nous souhaitons en savoir plus sur la vision du Gouvernement quant à la manière dont nous pourrions apporter un soutien clair et massif au secteur du livre – je pense, par exemple, au rétablissement du tarif préférentiel de la Poste qui existait il y a quelques années.
Le reste de la proposition de loi, qui comporte d'autres mesures concernant les relations contractuelles entre les éditeurs et les auteurs, l'élargissement des missions du Médiateur du livre et l'adaptation du dépôt légal aux œuvres numériques, nous satisfait.
À ce stade, mon groupe votera en faveur du texte. C'est un pari qu'il faut tenter, et nous serons au rendez-vous.
Les livres, comme les librairies, font partie intégrante de notre patrimoine et de notre identité. C'est une exception française qui a trouvé un nouvel écho lors de nos débats passionnés sur l'ouverture des librairies pendant le confinement.
Nous célébrons cette année, on l'a dit avant moi, le quarantième anniversaire de la loi Lang du 10 août 1981. Ce texte a marqué notre histoire parce qu'il a constitué, avec la création du prix unique du livre, le premier jalon de la politique de soutien de l'État à ce secteur.
La première phrase de l'exposé des motifs de ce projet de loi a déjà été citée : « la diffusion du livre connaît depuis quelques années une mutation commerciale dont les conséquences sont loin d'être neutres sur le plan culturel ». Il s'agissait alors de l'émergence des grandes surfaces et des services de vente par correspondance. Il n'échappe à personne que l'économie du livre se caractérise actuellement par de nouvelles mutations, notamment le développement du e-commerce, dont la part de marché est passée de 2,2 % à 21 % en vingt ans.
Cette évolution n'est pas neutre, parce qu'acheter un livre en librairie constitue une expérience : on parle avec le libraire, on regarde les différents livres, et généralement on ressort avec des ouvrages qu'on n'avait pas prévu d'acheter. Quand on commande sur internet, on sait déjà, en général, ce qu'on veut, et s'il arrive qu'on achète autre chose, c'est souvent en étant guidé par les algorithmes des plateformes, qui orientent vers tel ou tel produit. On peut mesurer très concrètement ce phénomène : en novembre 2019, 150 000 références différentes étaient vendues en France ; lors du second confinement, en novembre 2020, le chiffre a été divisé par trois.
Cette donnée montre qu'il est important de préserver nos librairies en assurant, au moins, une concurrence équilibrée entre les diverses formes de commerce. Tel est l'objectif de l'article 1er de la proposition de loi, qui permettra au Gouvernement d'établir une tarification minimale des frais de port. La livraison gratuite, offerte par certains géants du numérique, est une pratique que nous devons encadrer parce qu'elle tue les librairies.
Le présent texte donnera également aux communes et aux EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) la possibilité d'accorder, dans certaines limites, des subventions aux librairies indépendantes. C'est une autre mesure attendue et justifiée. Au-delà des produits qu'ils offrent, les commerces, notamment les librairies, sont des vecteurs de lien social et d'animation des centres-villes. Le fait de les soutenir dépasse donc la question de la concurrence entre les formes de commerce : c'est aussi un choix de société.
Par ailleurs, le texte tend à modifier les contrats d'édition pour faciliter les relations entre les auteurs et les éditeurs. Il clarifiera les règles concernant le droit d'auteur et étendra les possibilités de saisine du Médiateur du livre. Les mesures proposées sont le fruit de concertations entre les représentants professionnels des auteurs et des éditeurs. On peut se réjouir que le dialogue ait fonctionné.
La proposition de loi ne se limite pas au secteur du livre. L'article 5 prévoit, en effet, une modernisation des règles du dépôt légal des œuvres, qu'il faut adapter au numérique. Une évolution est nécessaire car le monde a changé depuis la création, en 2006, du dépôt légal numérique. Cet article du texte a été travaillé avec les organismes dépositaires, qui se heurtent à des blocages dans leur travail de conservation patrimoniale.
Je salue, pour terminer, l'excellent travail de Mme la sénatrice Laure Darcos, qui a rédigé cette proposition de loi et dont l'engagement au service du livre est connu. Le groupe Agir ensemble soutiendra sans réserve ce texte ambitieux, qui permettra de réaliser des avancées concrètes en faveur de l'ensemble des acteurs de l'économie du livre – libraires, auteurs, éditeurs et conservateurs.
Je tiens à vous remercier, madame la rapporteure, pour votre travail sur ce texte, ainsi que Mme la sénatrice Laure Darcos, qui est à l'origine de la proposition de loi. En cette période de rentrée parlementaire, je me réjouis que notre commission consacre du temps au thème essentiel du livre et de la lecture, dans le cadre du présent texte mais aussi de celui relatif aux bibliothèques, que notre commission a examiné la semaine dernière.
Le livre a toujours revêtu une importance particulière en France. On ne saurait oublier que le prix unique du livre a inquiété plus d'une grande enseigne lors de son adoption et qu'aujourd'hui, alors que nous célébrons le quarantième anniversaire de la loi Lang, de nombreux pays en Europe et ailleurs dans le monde ont repris cette idée. Le livre est un objet à part. Tantôt mémoire de notre histoire et de notre conscience collective, tantôt divertissement et échappatoire, il est un instant hors du temps qui donne du sens à nos vies.
Les Français ne s'y trompent pas. Longtemps hégémonique dans la communication des idées et des histoires, le livre a résisté à l'émergence de la télévision et à l'explosion d'internet. Il faut reconnaître, plus globalement, qu'il résiste à l'omniprésence des écrans, alors que plusieurs générations ont désormais grandi avec eux. Cet amour des Français pour les livres s'est vu au mois de novembre dernier lorsque, par milliers, nos concitoyens se sont offusqués de voir les librairies figurer dans la liste des commerces dits non essentiels lors du confinement.
Au fil du temps, grâce à l'intervention du législateur, les librairies ont pu garder une place à part dans le marché du livre. Néanmoins, si le prix unique a pu les protéger de grands magasins plus généralistes, l'arrivée des ventes sur internet nous oblige à agir avec d'autant plus de fermeté que les géants du numérique, comme Amazon, ne dépendent pas des ventes de livres. Pire, la faiblesse de leurs coûts de livraison peut même les conduire à vendre en étant déficitaires.
L'instauration d'un tarif minimal pour la livraison de livres est à saluer, de même que l'obligation de faire une distinction claire entre livres neufs et livres d'occasion. En 2014, le législateur avait identifié correctement les problèmes de concurrence déloyale posés par les grandes plateformes numériques mais l'arsenal alors adopté n'est pas suffisant face à des acteurs qui ne rougissent pas de proposer la livraison à un centime. Je m'interroge sur le tarif qui sera établi : pourriez-vous, madame la rapporteure, nous donner des précisions sur ce point ?
Je salue également l'aide qui pourra être apportée par les collectivités locales aux librairies indépendantes, qui sont plus de 3 000 en France. Ces petits commerces illustrent vraiment l'attachement des Français à la culture de proximité, à l'échange et à la découverte.
Enfin, je crois que les dispositions prévues par les trois derniers articles de la proposition de loi sont relativement consensuelles. Nous ne pouvons que nous féliciter des mesures plus protectrices qui figurent à l'article 3 au sujet des auteurs, dont la situation est souvent précaire.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDI et indépendants soutiendra pleinement la proposition de loi.
Le bras de fer avec les géants du secteur du livre ne date pas d'hier. En 1981, la loi Lang tendait déjà à considérer le livre comme autre chose qu'une marchandise et refusait que le principe européen de la concurrence libre et non faussée lui soit appliqué. Ce texte a permis de protéger la librairie indépendante et les petits éditeurs. Depuis, le prix du livre est fixé par l'éditeur et le libraire ne peut appliquer une remise supérieure à 5 %. De plus, les livres ne peuvent être soldés que deux ans après leur parution. La bataille fut difficile. Leclerc et la FNAC s'étaient insurgés avec force contre le texte et certains considéraient qu'il était impossible de contraindre ces grandes entreprises. Pourtant, nous y sommes parvenus.
Quelques années plus tard, l'apparition des sites de vente en ligne, en particulier celui d'Amazon, a rebattu les cartes. Les librairies indépendantes étaient mises en danger, notamment en raison des pratiques concernant les frais de port. Une loi dite « anti-Amazon » a alors interdit, en 2014, aux sites de vente en ligne de cumuler la gratuité des frais de port et les 5 % de remise sur le prix du livre.
En avril 2018, nous avons remis, Yannick Kerlogot et moi-même, un rapport sur l'évaluation de cette loi, qui a montré en quoi elle était inefficace. Dès le lendemain de la publication du texte, les grandes plateformes, comme la FNAC et Amazon, ont facturé leurs frais de port à un centime d'euros. Ce montant dérisoire a aggravé la distorsion de concurrence entre les grandes plateformes et les détaillants. La volonté de lutter contre le contournement de la loi de 2014 est donc une bonne chose.
Vous proposez de rétablir un équilibre entre les librairies indépendantes et les acteurs du e-commerce que j'ai cités – la FNAC et, surtout, Amazon – en légiférant sur les tarifs de livraison et en permettant aux communes d'accorder des subventions aux petites et moyennes librairies. Ce dispositif revient donc à faire payer davantage les acheteurs et à s'appuyer sur le soutien financier des collectivités territoriales. Nous considérons qu'une attaque plus directe contre le modèle d'Amazon aurait été plus opportune. Il faut rappeler que cette entreprise détruit beaucoup plus d'emplois qu'elle n'en crée, qu'elle participe à l'artificialisation des terres et qu'elle est une championne des émissions de CO2.
Nous regrettons que la proposition de loi ne soit pas l'occasion de taxer les profits exceptionnels qui ont été réalisés par Amazon pendant la crise, de réformer la fiscalité du e‑commerce, de lutter contre la fraude à la TVA et le contournement des taxes, et d'interdire ou de limiter la construction des entrepôts de e-commerce. Ces propositions sont soutenues par de nombreux syndicats et associations, et certaines d'entre elles ont déjà fait l'objet d'amendements lors de l'examen du projet de loi qui a fait suite à la convention citoyenne pour le climat, mais elles ont toutes été retoquées par la majorité.
La proposition de loi ne prévoit pas de dispositif permettant d'assurer à nos créateurs des conditions de vie dignes, alors que la moitié d'entre eux gagnent moins que le SMIC. Le texte ne permettra pas de renforcer l'équité et la confiance entre tous les acteurs du livre. Nous souhaitons vivement rétablir les conditions d'une concurrence équitable entre les libraires et les plateformes en ligne. Nous sommes pour qu'on conforte le prix unique du livre. Nous partageons le combat contre la gratuité des frais de port, qui multiplie artificiellement les commandes en ligne. Nous préférons que les lecteurs s'approvisionnent localement, auprès de nos librairies, qui, dans l'esprit de la loi Lang, sont de vrais messagers de la culture.
J'ai reçu des contributions venant de mon département, notamment de la librairie Majuscule de Foix et de la librairie Le bleu du ciel de Pamiers, qui sont favorables à une telle évolution. Nous vous proposerons des amendements visant à combler les déficits structurels du texte.
Je suis heureux que notre commission examine ce texte consacré à l'économie du livre. C'est un sujet que nous abordons peu, alors que nous y sommes tous profondément attachés. Nous l'avons démontré encore la semaine dernière lors de l'examen de la proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique.
Le présent texte, qui a été largement adopté par nos collègues sénateurs, traite de deux questions complémentaires : le développement économique des librairies indépendantes et l'accès à la culture pour tous, partout sur le territoire. Dans ces deux domaines, un bouleversement est à l'œuvre depuis quelques années, notamment avec l'arrivée des plateformes de vente en ligne. Le e-commerce a complètement chamboulé nos modes de consommation, et le secteur du livre est particulièrement concerné : trop souvent, cela s'est fait au détriment des librairies indépendantes. La proposition de loi prévoit des outils qui nous semblent intéressants pour lutter contre la distorsion de concurrence entre les librairies indépendantes et les grandes plateformes, telles qu'Amazon.
La loi de 2014, qui interdit la gratuité des frais de port pour les ouvrages livrés à domicile, a montré ses limites. Il convient d'actualiser notre législation, d'autant que l'épidémie de covid et les confinements ont rappelé l'attachement de nos concitoyens à leurs librairies de proximité. Dès le premier confinement, nous avons été très nombreux à demander que les librairies soient considérées comme des commerces essentiels, afin de pouvoir rester ouvertes et accessibles à tous durant la pandémie. Dans ce même élan, il est essentiel de soutenir les librairies indépendantes, qui perdent constamment des parts de marché par rapport aux grandes plateformes. Il s'agit, ainsi, de contribuer à l'accès à la culture dans nos territoires et au développement de l'emploi en leur sein.
La proposition de loi comporte des dispositions pertinentes, en particulier l'encadrement des tarifs postaux. Le confinement de l'automne 2020, au cours duquel l'État a pris en charge les frais d'expédition des librairies afin de leur permettre de s'aligner sur la quasi-gratuité pratiquée par les grandes plateformes, a fait exploser les ventes en ligne des librairies – elles ont augmenté de 500 %. Cela démontre qu'il existe au niveau des frais de port un levier essentiel pour aider au développement des librairies indépendantes. Mais c'est également un outil à manier avec précaution : le niveau du tarif minimal déterminera l'efficacité de la loi. Le tarif devra être suffisamment faible pour ne pas décourager l'achat et la vente de livres en ligne, mais il devra être assez élevé pour être intéressant du côté des libraires, qui n'ont pas les mêmes capacités de négociation des tarifs. Il faudra aussi veiller à ce que le montant minimum des frais s'applique à toutes les modalités de livraison, à domicile mais aussi dans les points relais et les casiers, en dehors du commerce de détail de livres.
D'autres mesures inscrites dans la proposition de loi nous paraissent aller dans le bon sens, notamment celles qui favorisent une meilleure information des consommateurs – je pense, par exemple, à la distinction obligatoire entre livres neufs et livres d'occasion – et des auteurs, en ce qui concerne l'exploitation de leurs œuvres en cas de cessation d'activité de l'éditeur.
Mon groupe aborde donc plutôt favorablement le débat sur ce texte.
L'article 1er de la proposition de loi tend à instaurer une tarification minimale des frais de livraison, que tous les détaillants devront respecter. C'est une disposition importante et attendue qui permettra de mettre fin à une situation inéquitable. Les plateformes de vente en ligne ne peuvent plus être avantagées par rapport aux librairies du fait de leur volume de vente. Nous sommes attachés à l'existence, sur tout le territoire, d'un maillage de librairies, de lieux de culture, de proximité et d'échange.
La vente à distance s'impose toutefois en certaines occasions, comme nous l'avons vu lors de la crise sanitaire. Les librairies ont dû s'adapter. Dans le cadre de notre politique de soutien à l'écosystème du livre, ne serait-il pas intéressant de créer, madame la rapporteure, une aide publique à l'expédition de livres pour les librairies et les petits éditeurs qui exercent également l'activité de détaillant ? Une telle aide existe pour l'expédition de livres à l'étranger – il s'agit de l'aide au transport, octroyée par la Centrale de l'édition au nom du ministère de la culture – mais elle ne concerne pas les expéditions en France. Ne peut-on pas envisager de l'étendre ?
Je tiens à souligner le consensus au sein de notre assemblée concernant le rôle crucial du livre et la défense de nos 3 300 librairies. Un tel consensus n'est pas si fréquent, et je vous remercie pour vos propos.
Je suis heureuse que cette proposition de loi soit l'occasion de parler du livre – ce n'est pas non plus si fréquent – et de favoriser une prise de conscience, au sein du public, de l'importance de découvrir le livre, vecteur essentiel de réussite, en librairie.
Mme Thill m'a interrogée sur le tarif minimal. Il n'est pas facile d'anticiper la décision des pouvoirs publics. Pendant les auditions, les avis étaient assez partagés, les librairies indépendantes tablant sur 5 ou 6 euros – pour couvrir leurs coûts – quand les plus gros détaillants évoquaient plutôt 2 ou 3 euros. Il faut notamment voir si les petites librairies pourront s'aligner sur le tarif minimal.
Mme Anthoine m'a interrogée sur l'opportunité d'aides publiques à la livraison pour les librairies, sur le modèle de ce qui existe pour la presse. C'est une idée séduisante, mais il faudrait agir au niveau européen, ce qui demanderait du temps – au moins deux ans –, et il serait complexe de prouver la carence du marché en la matière.
La commission passe à l'examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er : Diverses modifications relatives au prix unique du livre
La commission adopte l'amendement rédactionnel AC17 de la rapporteure.
Amendement AC30 de la rapporteure.
Il s'agit de préciser que la gratuité reste possible en cas de livraison dans un commerce de vente au détail de livres, afin de ne pas pénaliser la pratique du « cliqué-retiré » dans les librairies.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'amendement rédactionnel AC14 de la rapporteure.
Amendements AC18 et AC19 de la rapporteure.
Ces amendements tendent à insérer la mission de conciliation préalable du Médiateur du livre, prévue par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, au sein de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre et de celle du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique.
La commission adopte successivement les amendements.
Amendements identiques AC1 de Mme Sophie Mette et AC13 de Mme Céline Calvez.
L'instauration de tarifs postaux de livraison doit permettre de réduire la distorsion de concurrence sur le marché de la vente en ligne de livres, à l'heure où les libraires indépendants ne sont plus en mesure de proposer des tarifs aussi concurrentiels que ceux des grandes plateformes, comme Amazon, qui disposent, d'une part, d'importantes capacités logistiques et commerciales et, d'autre part, de tarifs préférentiels négociés avec la Poste.
Si, eu égard à ses objectifs, cette disposition apparaît tout à fait nécessaire pour rétablir une certaine équité entre les acteurs de la vente à distance de livres, on peut craindre, dans son application, un contournement de la part des grandes plateformes qui pourraient utiliser le système des paniers mixtes – l'achat d'un produit supplémentaire permettant aux consommateurs de bénéficier tout de même de la livraison gratuite – ou utiliser des abonnements pour contourner le tarif minimal de livraison.
Afin de mesurer les effets de la disposition proposée, mon amendement demande que le Gouvernement remette un rapport au Parlement dans un délai de deux ans suivant la publication de l'arrêté interministériel fixant le montant minimum de tarification, délai raisonnable qui permettra à la mesure de produire ses effets.
En outre, je l'ajoute car je ne pouvais le prévoir par le biais d'un amendement, il serait plus qu'opportun que notre commission se saisisse au plus tôt d'une évaluation de la présente proposition de loi.
Le groupe La République en marche a déposé un amendement identique. On n'évalue jamais assez. Le Gouvernement, comme le Parlement, devra notamment s'intéresser aux usages des lecteurs et à la transformation du réseau de détaillants.
Pourquoi prévoir un délai de deux ans pour ce rapport ? Il s'agit de laisser aux libraires le temps de s'approprier le dispositif. Je les invite à se lancer, à exposer la richesse de leur fonds, à tisser un autre lien avec leurs clients, tout en continuant à les accueillir au sein de leur librairie et à les conseiller.
Notre commission n'est, en général, pas favorable aux demandes de rapport. Mais en l'espèce il s'agit plutôt d'une évaluation ex post du dispositif, conformément à une recommandation du Conseil d'État. Je suis donc favorable aux amendements sous réserve d'une rectification : il convient de remplacer « la publication » de l'arrêté par son « entrée en vigueur » afin que le Gouvernement puisse remettre son rapport après deux réelles années de fonctionnement du dispositif.
Je note que, depuis hier, les demandes de rapports ont la cote dans notre commission et au sein de la majorité ! Les Républicains sont très favorables à l'évaluation, qui est l'une des missions essentielles du Parlement. Mais, depuis le début de la législature, les amendements de ce type présentés par les groupes d'opposition n'ont jamais eu l'heur de plaire à l'exécutif ou à la majorité. Manifestement, le vent tourne, comme l'a souligné Julien Ravier hier soir à l'occasion de l'examen de la proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant, rapportée par notre collègue Anne-Laure Blin, et cela donne l'impression qu'il y a deux poids et deux mesures.
La commission adopte les amendements AC1 et AC13 rectifiés.
Elle adopte l'article 1er modifié.
Après l'article 1er
Amendement AC11 de M. Michel Larive.
Nous souhaitons mesurer l'opportunité de l'instauration d'un tarif préférentiel spécifique pour l'envoi de livres par les librairies indépendantes.
Le rapport d'information sur l'évaluation de la loi du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition, présenté par Yannick Kerlogot et moi-même, préconise d'explorer la possibilité de créer un tarif postal spécifique au livre, dont les pertes pour la Poste seraient compensées par l'État. Cette option serait en effet plus vertueuse que la situation actuelle consistant à compenser les fragilités structurelles du secteur par des aides publiques. C'est pourtant le choix fait à l'article 2 de la proposition de loi, qui autorise de nouvelles subventions en faveur des librairies indépendantes.
L'Allemagne a pris de telles dispositions tarifaires. En février 2017, l'association des éditeurs des Hauts-de-France a comparé les frais de port dans les deux pays : l'envoi d'un même livre coûtait 7,50 euros en France, quand le prix fixe allemand ne s'élevait qu'à 1,65 euro…
Amazon et la Fnac proposent la livraison à 1 centime d'euro grâce à des accords négociés. Très peu de librairies physiques ont pu négocier de tels accords, et le Syndicat de la librairie française estime que l'envoi d'un livre coûte en moyenne 6,50 euros à un libraire. Le rapport que nous demandons devra présenter une étude complète des coûts et des économies attendus, afin de mesurer l'impact que pourrait avoir une telle mesure.
Comme il ne s'agit pas, cette fois, d'une demande d'évaluation, je ne ferai pas d'exception. Avis défavorable.
Sur le fond, il est vrai que l'instauration d'un tarif préférentiel constituerait une solution optimale. Mais, comme l'illustrent les tarifs applicables à la presse, cela engendre certains problèmes, notamment en ce qui concerne la nécessaire compensation, par l'État, du manque à gagner de l'opérateur. Sans parler de la question de l'acceptation, par les autorités européennes, d'une nouvelle mission de service public, comme je l'ai déjà expliqué…
Il serait préférable que le secteur parvienne à s'organiser pour obtenir des tarifs plus intéressants de la part des transporteurs. Il faudrait notamment que la filière puisse proposer des volumes plus importants et absorber une partie des coûts des opérateurs. Ces réflexions doivent être entreprises en parallèle de l'adoption de la proposition de loi et ainsi, à terme, nous pourrons peut-être nous passer d'un tarif minimum pour la livraison.
Vous avez évoqué l'Allemagne. Nous en avons parlé lors des auditions : le marché postal allemand n'est absolument pas organisé comme le nôtre, y compris géographiquement, et le nombre de colis acheminés est bien supérieur, ce qui permet d'optimiser les coûts de livraison.
À l'article 2, vous donnez la possibilité aux communes de verser des subventions aux librairies, mais cela risque de créer des disparités, les collectivités ayant plus ou moins les moyens d'agir. Ainsi, ma circonscription se situe dans une zone qui dispose de peu de moyens. Un tel dispositif sera formidable pour Paris, pour les grandes métropoles, et beaucoup moins pour l'Ariège… À l'inverse, un tarif postal fixe, en fonction du poids de l'envoi, est beaucoup plus égalitaire. D'ailleurs, on ne négocie pas le prix du timbre quand on envoie une lettre !
L'intervention de M. Larive met en lumière la question de la compensation éventuelle de l'État pour un service qui peut être considéré comme public, surtout dans les territoires éloignés, où les citoyens veulent aussi accéder au savoir. Nous sommes prêts à faire ce pas, mais que compte faire le ministère ?
La commission rejette l'amendement.
Article 2 : Attribution de subventions aux petites et moyennes librairies indépendantes
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AC15 et AC16 de la rapporteure.
Elle adopte l'article 2 modifié.
Après l'article 2
Amendements AC9 et AC10 de M. Michel Larive (discussion commune).
L'amendement AC9 vise à inscrire dans la loi l'obligation pour les collectivités territoriales ou leurs groupements de privilégier les réseaux de librairies locales, notamment indépendantes, par exemple lorsqu'elles renouvellent les collections de leurs bibliothèques. On compte environ 3 000 librairies indépendantes, employant près de 13 000 salariés. Nous souhaitons diriger les marchés publics de livres vers ces commerces, dont la rentabilité est faible, pour les préserver.
L'article 2 permettra aux communes et groupements de communes d'attribuer des subventions aux librairies. Ce type de mesure entretient un déséquilibre entre les territoires : certains auront des ressources suffisantes pour subventionner des librairies, alors que d'autres n'en auront pas la possibilité, notamment nos communes rurales qui peinent déjà à maintenir une école, faute de moyens.
Nous proposons d'aller un peu plus loin dans le soutien apporté aux librairies locales, grâce à une mesure qui reprend des dispositions actuellement en vigueur, issues du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, mais visant uniquement les fournitures de livres non scolaires dont la valeur estimée est inférieure à 90 000 euros hors taxe. Nous proposons d'étendre ces dispositions à tous les marchés publics liés au renouvellement de livres non scolaires afin qu'on tienne compte de l'impératif du maintien sur le territoire d'un réseau dense de détaillants, notamment indépendants, qui garantit la diversité de la création éditoriale et l'accès du plus grand nombre à cette création.
Je suis pleinement d'accord avec l'objectif, mais une telle disposition me semble avoir une portée normative relativement faible. L'article R. 2122-9 du code de la commande publique autorise déjà la passation de marchés de fournitures sans publicité ni mise en concurrence en dessous de 90 000 euros, en contrepartie d'une attention particulière aux librairies indépendantes. Cela me paraît suffisant. Je vous demande donc de retirer cet amendement.
Il faut passer à l'action pour conforter la position des librairies, en agissant aussi au niveau des bibliothèques.
Dans le même esprit, l'amendement AC10 dispose que, lors des achats de livres, l'État, les collectivités territoriales et leurs opérateurs tiennent compte de l'impératif du maintien sur le territoire d'un réseau dense de détaillants, notamment indépendants.
Le dimanche 1er novembre 2020, alors que les librairies étaient fermées car elles avaient été considérées comme des commerces non essentiels par le Gouvernement, M. Jean Castex a appelé les Français à retarder leurs achats « plutôt que de commander, sur un grand site étranger, des produits par internet ». Pendant deux mois, les librairies ont bénéficié du remboursement de leurs frais d'envoi, ce qui a permis une augmentation des commandes. Mais une politique de défense des librairies ne peut se limiter aux conseils d'un Premier ministre – aussi sympathique soit-il –, ni à une mesure ponctuelle de soutien.
Nous proposons une disposition résolument volontariste qui permettra à l'État, aux collectivités territoriales et à leurs opérateurs d'acheter leurs livres auprès des librairies locales, notamment celles indépendantes, plutôt qu'auprès de grandes entreprises, afin de soutenir le réseau de détaillants sur tout le territoire.
Même cause, mêmes effets. La rédaction de l'amendement n'est pas normative, et j'ai rappelé ce que prévoit l'article R. 2122-9 du code de la commande publique.
La commission rejette successivement les amendements.
Article 3 : Encadrement des pratiques contractuelles dans l'édition littéraire et musicale
La commission adopte successivement les amendements AC21, de précision, et AC20 et AC22, rédactionnels, de la rapporteure.
Amendement AC23 de la rapporteure.
L'accord du 29 juin 2017 conclu entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l'édition précise que c'est « par exception » qu'un ou plusieurs à-valoir non couverts portant sur un ou plusieurs titres, sous réserve d'une convention séparée des contrats d'édition et avec l'accord formellement exprimé de l'auteur, peuvent faire l'objet d'une compensation intertitres. L'amendement rappelle qu'il faut le consentement exprès de l'auteur, conformément à l'accord de 2017.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels AC24, AC25 et AC26 de la rapporteure.
Elle adopte l'article 3 modifié.
Article 4 : Conciliation préalable devant le Médiateur du livre
La commission adopte l'amendement rédactionnel AC27 de la rapporteure.
Elle adopte l'article 4 modifié.
Article 5 : Réforme du dépôt légal numérique
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AC28 et AC29 de la rapporteure.
Elle adopte l'article 5 modifié.
Article 6 (supprimé) : Gage
La commission maintient la suppression de l'article 6.
Elle adopte ensuite, à l'unanimité, l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La séance est levée à dix heures quarante.
Présences en réunion
Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 9 h 30.
Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Delphine Bagarry, Mme Géraldine Bannier, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, M. Yves Blein, Mme Anne Brugnera, Mme Céline Calvez, Mme Sylvie Charrière, M. Stéphane Claireaux, Mme Fabienne Colboc, Mme Jacqueline Dubois, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Albane Gaillot, M. Luc Geismar, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. Régis Juanico, M. Yannick Kerlogot, M. Michel Larive, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, Mme Josette Manin, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Bertrand Pancher, Mme Béatrice Piron, M. Benoit Potterie, Mme Florence Provendier, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Julien Ravier, M. Cédric Roussel, M. Bruno Studer, M. Stéphane Testé, Mme Agnès Thill, Mme Michèle Victory, Mme Souad Zitouni
Excusé. – M. Pierre-Alain Raphan