Intervention de Roch-Olivier Maistre

Réunion du mardi 12 octobre 2021 à 17h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Roch-Olivier Maistre, président du CSA :

Je vous remercie de votre invitation et de votre accueil.

Ce bilan 2020 porte sur une année que personne n'aurait pu anticiper, ou même imaginer. Je ne m'attarderai pas trop longtemps sur les conséquences de la crise sanitaire pour l'univers des médias car j'ai eu l'occasion de vous présenter notre analyse et la façon dont nous avons accompagné cette crise. J'insisterai davantage sur les chantiers menés à bien par le CSA – malgré ce contexte inédit – en continuant à assumer pleinement ses missions, y compris au niveau territorial grâce à l'activité des seize comités territoriaux de l'audiovisuel (CTA). Je salue devant vous le travail de l'ensemble des équipes du CSA et des membres de notre collège.

Cette audition m'offre l'occasion de mettre en perspective l'évolution de la régulation depuis ma prise de fonction, il y a presque trois ans. Désormais quasiment à mi‑mandat, je préside aujourd'hui une institution qui vit une période charnière de son histoire. En effet, cette institution deviendra l'ARCOM au 1er janvier prochain. Ces trois années ont été marquées par des changements très importants pour le paysage audiovisuel et par une extension sans précédent de notre champ de régulation. En effet, depuis ma prise de fonction, sept textes législatifs ont intéressé directement l'institution, ce qui est considérable pour une autorité comme la nôtre. J'aimerais partager avec vous notre feuille de route pour la seconde partie de mon mandat.

Je n'oublie pas que, tout indépendante que soit notre institution, celle-ci se doit tout naturellement de rendre compte de son action et de ses orientations auprès de la représentation nationale. Nous avons à cœur de le faire en toute transparence. Je veux vous dire à quel point, depuis trois ans, je suis sensible à la confiance et à l'intensité des échanges tissés avec votre commission, mais aussi avec les nombreuses missions parlementaires nous ayant sollicités pour des auditions.

En 2020 et malgré l'impact massif de la crise sanitaire, le CSA a réussi à poursuivre son activité et ses missions, et même à finaliser d'importants chantiers.

L'épidémie de Covid-19 a bien sûr bouleversé nos conditions d'exercice et l'activité de nos principaux interlocuteurs du secteur audiovisuel. Nous avons pu prendre la mesure des effets de cette crise en publiant à intervalle régulier un Baromètre des effets de la crise, qui nous a permis d'objectiver les conséquences de cette épidémie, de suivre ces effets et de proposer des mesures d'accompagnement adaptées. Je pense par exemple à l'aide temporaire accordée à la diffusion hertzienne, faisant partie des propositions reprises en totalité ou en partie par les pouvoirs publics.

Nous avons pu poursuivre d'importants projets dans notre activité traditionnelle de régulation, en accompagnant la modernisation de la diffusion hertzienne et les transformations du paysage audiovisuel.

Pour les radios, nous avons publié la nouvelle feuille de route de la bande FM, qui est très largement saturée. Nous allons poursuivre le déploiement du DAB+, soit la radio numérique terrestre. Cette dernière a connu une étape particulièrement importante le 12 octobre avec le lancement de deux multiplexes métropolitains qui permettront la diffusion de 25 radios nationales sur l'axe Paris-Lyon-Marseille et sur toutes les agglomérations entourant cet axe, avant de s'étendre sur l'ensemble du territoire. Dans les semaines ou mois à venir, 465 radios seront disponibles sur le DAB+, qui couvrira 40 % de la population. Nous pensons atteindre 50 % de la population dès l'année prochaine.

Pour les télévisions, nous avons continué la modernisation de la télévision numérique terrestre (TNT), avec des étapes importantes en matière de signatures de conventions. Nous avons renouvelé l'autorisation hertzienne du groupe Canal+ et le mandat de Mme Delphine Ernotte-Cunci à la présidence de France Télévisions. Ces étapes prolongent une année 2019 déjà très riche en projets, notamment avec la création de la plateforme Salto.

Les décrets du 5 août 2020 ont également permis, à la suite de l'avis du CSA, de réformer le régime devenu obsolète des « jours interdits » afin de libéraliser la diffusion de films de cinéma à la télévision, d'expérimenter la publicité en faveur de ces films et d'ouvrir la publicité ciblée aux médias télévisuels, source de nouveaux relais de croissance pour les acteurs du secteur.

Concernant les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), une étape décisive a été franchie l'année dernière, avec la publication de l'ordonnance du 21 décembre 2020 transposant la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA). Ce texte très important vise à mettre un terme aux asymétries concurrentielles en matière de soutien financier à la production, devenues à la fois intenables et injustifiables. Les plateformes de vidéo à la demande qui ciblent notre pays sans y être implantées – Netflix, Amazon Prime, Disney + ou Apple TV – sont désormais intégrées au dispositif de financement de la création. Le décret d'application de cette directive a été publié en juin 2021. La conclusion des conventions avec les acteurs concernés doit avoir lieu avant la fin du mois d'octobre. Nous leur avons fait parvenir un premier projet de convention. Ce texte constitue une étape très importante de la modernisation du système de financement de la création, qui sera complété prochainement par la révision des décrets dits « TNT » et « Cabsat » et vraisemblablement par l'évolution de la chronologie des médias.

À cet égard, lors de son audition devant votre commission, Mme Ernotte‑Cunci a évoqué la visibilité des services d'intérêt général sur les interfaces utilisateurs des opérateurs technologiques, un point évoqué dans la directive SMA. Ce dossier est naturellement suivi de très près par le CSA. Nous attendons le décret d'application de ce texte, qui définira le périmètre des opérateurs concernés. Toutefois, en anticipation, nous commençons à préparer les mises en œuvre de cette disposition.

L'année écoulée a permis des avancées concernant le volet sociétal de la régulation.

En matière de handicap, nous avons signé une charte avec l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel en faveur d'une meilleure représentation des personnes en situation de handicap en 2019 et publié un guide de l'audiodescription en 2020.

En matière de protection des publics et des mineurs, nous avons diffusé les campagnes « Enfants et écrans » et communiqué autour de l'importance de la signalétique jeunesse.

Concernant la place des femmes dans les médias, nous avons contribué aux travaux de la mission conduite par Mme la députée Céline Calvez sur la place des femmes dans les médias, avec une étude particulière conduite en juin 2020. En outre, nous avons poursuivi notre dialogue avec les éditeurs sur ce thème qui nous tient particulièrement à cœur.

Enfin, en matière d'éducation aux médias et à l'information, nous avons signé en 2020 deux conventions avec le ministère de l'Éducation nationale et publié un kit pédagogique sur l'éducation aux médias et à l'enseignement à destination des personnels de l'enseignement, élaboré en collaboration avec l'académie de Créteil.

La déontologie des programmes constitue un volet important de l'action du CSA. Au cours de l'année 2020, nous avons instruit 109 dossiers, parmi lesquels 93 concernaient les services de télévision et 16 les éditeurs de radio. Sur ces 109 dossiers, le CSA est intervenu sept fois et a envoyé deux mises en demeure. Je profite de cette audition pour rappeler que la loi que nous mettons en œuvre est fondamentalement une loi de liberté, principe que nous veillons évidemment à respecter.

L'année 2020 a été, pour le CSA, une année pivot dans le déploiement de la nouvelle régulation des plateformes en ligne, qu'a bien voulu nous confier le législateur. Cette régulation se déploie en trois volets.

Le premier volet concerne la lutte contre la manipulation de l'information, avec la loi du 22 décembre 2018 qui impose aux plateformes de contenus des obligations de moyens pour lutter contre la manipulation de l'information. Cette mission est supervisée par le CSA. Nous avons publié en juillet 2020 notre premier bilan d'application de cette loi. Notre deuxième rapport a été présenté à la presse il y a une quinzaine de jours.

Le deuxième volet est relatif à la lutte contre la haine en ligne. La loi Avia du 24 juin 2020 a confié au CSA une nouvelle compétence en la matière : la responsabilité d'accueillir un observatoire de la haine en ligne, installé à l'automne 2020, qui s'est réuni à plusieurs reprises. Plus récemment, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a accru nos compétences, en imposant aux plateformes de contenus et aux réseaux sociaux des obligations de moyens et de transparence que nous aurons vocation à superviser. Nous attendons un décret d'application qui fixera le seuil de visiteurs déterminant la liste des plateformes concernées.

Le troisième volet concerne la protection des publics et notamment des mineurs. Deux textes de loi importants ont été votés en 2020. Tout d'abord, la loi du 30 juillet 2020 visant à lutter contre les violences conjugales prévoit que le CSA vérifie le respect par les éditeurs de sites pornographiques de l'interdiction d'accès des mineurs à leurs services. Le décret d'application a été publié le 8 octobre, ce qui permettra d'enclencher les dispositions prévues par ce texte. En outre, la loi du 19 octobre 2020 relative aux enfants youtubeurs, dite loi Studer, impose aux plateformes de partage de vidéo d'adopter des chartes pour protéger le droit à l'image des moins de 16 ans. Nous travaillons actuellement avec les plateformes sur la charte prévue par ce texte, que nous pensons pouvoir adopter avant la fin de l'année 2021.

Sept textes sont donc intervenus dans notre champ d'action en moins de trois ans pour élargir nos missions et enrichir notre régulation. Je vous exprime notre reconnaissance quant à cette confiance du législateur, qui nous honore. Nous avons conscience de la responsabilité qui s'attache à la mise en œuvre de ces textes.

Pour ce faire, notre organisation interne a été adaptée. Nous avons tout d'abord créé une direction des plateformes en ligne, qui constitue au quotidien l'interlocutrice des acteurs concernés par cette nouvelle régulation. Le collège du CSA a également été renouvelé au cours de l'année. En effet, nous avons accueilli deux nouveaux membres : M. Benoît Loutrel, ancien directeur général de l'Arcep, désigné par le président de l'Assemblée nationale ainsi que Mme Juliette Théry, ancienne directrice juridique de l'Autorité de la concurrence, désignée par le président du Sénat. Plus récemment, sur proposition du président de l'Assemblée nationale, nous avons accueilli Mme Anne Grand d'Esnon, nommée à la suite du décès tragique et brutal de notre collègue Michèle Léridon, qui s'était fortement investie sur les différents chantiers déployés en 2020, notamment en matière de lutte contre la manipulation de l'information. Je profite de cette audition pour rendre un hommage particulier à cette grande figure du journalisme et cette collègue unanimement appréciée.

Je souhaite vous dire désormais quelques mots de nos chantiers d'avenir, pour partager avec vous les priorités de notre agenda dans les mois qui viennent.

Notre chantier prioritaire à court terme concerne bien sûr la création de l'ARCOM au 1er janvier 2022. Le texte a été adopté par le Parlement. Il est maintenant devant le juge constitutionnel. Nous espérons une promulgation rapide de la loi car les équipes du CSA et de la Hadopi préparent activement la fusion depuis de nombreux mois, dans un excellent climat de travail.

L'organisation de l'ARCOM a été pensée afin que les deux institutions mêlent pleinement leurs compétences et porte une politique publique renouvelée et renforcée. À nos yeux, cette institution a vocation à incarner le nouveau modèle de régulation audiovisuelle et numérique que nous essayons de mettre en place. Nous souhaitons une régulation à la fois plus à l'écoute des Français et de leurs préoccupations mais aussi résolument engagée dans la défense des libertés d'expression et de création. Nous n'oublions jamais que nous sommes au cœur de la liberté de communication, l'un des biens les plus précieux de l'humanité selon la belle expression de Mirabeau.

Ce changement majeur dans la vie de notre institution s'accompagnera d'une adaptation de notre organisation. Un nouvel organigramme et un cadre détaillé ont été présentés aux personnels des deux autorités. En outre, notre collège sera complété avant le 1er janvier 2022 de deux membres supplémentaires. L'un des membres sera désigné par le président du Conseil d'État tandis que l'autre sera désigné par la première présidente de la Cour de cassation.

Nous aurons à mettre en œuvre les nouvelles compétences votées en matière de lutte contre le piratage. Nous commençons à nous atteler à cette réflexion. Ce nouveau texte de loi engendre une approche nouvelle en la matière. Je présiderai donc, dans quelques mois, une institution qui sera, comme dans le poème de Verlaine, « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ».

En plus de ces nouvelles missions à mettre en œuvre, l'ARCOM aura des dossiers significatifs à traiter dans les semaines et mois à venir.

L'année 2022 sera une année électorale, qui mettra fortement à profit la compétence que nous tirons de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986, qui est d'assurer le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les médias audiovisuels.

Nous publierons très prochainement, après consultation du Conseil constitutionnel, notre recommandation aux médias en vue de l'élection du Président de la République au mois d'avril 2022. D'ici la fin de l'année, nous serons déjà mobilisés par la troisième consultation référendaire en Nouvelle-Calédonie, pour laquelle nous détenons des responsabilités particulières.

L'élection présidentielle de 2022 se déroulera en parallèle de la présidence française de l'Union européenne. Les éditeurs et l'ARCOM devront veiller à ce que l'attention portée à la présidence française de l'Union européenne soit conciliée avec les principes d'équité puis d'égalité qui régiront l'accès à l'antenne des différents candidats pendant la durée de la campagne électorale.

Par ailleurs, l'ARCOM devra veiller à accompagner les évolutions, voire révolutions, du paysage audiovisuel. Nous sommes saisis d'un projet de rapprochement des groupes TF1 et M6 d'une part, et d'une offre publique d'achat de Vivendi sur le groupe Lagardère, d'autre part. Ces deux dossiers très importants, qui soulèvent des interrogations majeures pour le secteur soumis à notre régulation, seront étudiés de manière approfondie par les équipes et le collège du CSA, en coopération avec nos collègues de l'Autorité de la concurrence. Ces dossiers seront instruits avec rigueur, indépendance et impartialité, compte tenu des enjeux. La conduite de cette instruction fait partie des décisions que nous aurons à prendre au courant de l'année 2022 et, pour partie, en 2023.

Enfin, de nouveaux textes vont continuer à élargir le champ de compétence de l'ARCOM.

La loi dite « Climat et Résilience » du 21 août 2021 prévoit de nous confier des responsabilités en matière de contrôle des publicités audiovisuelles, avec la mise en place d'une charte climat. Nous sommes d'ores et déjà à pied d'œuvre avec les éditeurs et la filière concernée pour mettre en œuvre ces dispositions.

Par ailleurs, le Digital Services Act, projet de règlement européen, enrichira la réglementation européenne applicable aux plateformes. Il pourrait aboutir dans le courant de l'année 2022.

En outre, le règlement relatif au terrorisme, applicable à compter du mois de juin 2022 et visant à lutter contre la diffusion de contenus terroristes, conduira vraisemblablement à associer l'ARCOM parmi les autorités nationales compétentes pour assurer son suivi.

L'année 2020 a permis un pivot de la consolidation de projets, malgré le contexte de crise sanitaire. L'année 2021 nous a permis de mettre en œuvre de nouvelles missions, d'adapter notre organisation et de préparer la fusion avec la Hadopi et la création de l'ARCOM. L'année 2022 sera marquée par le déploiement d'une nouvelle régulation. Elle s'annonce riche en projets et lourde d'enjeux.

Permettez-moi de répondre maintenant aux questions posées par M. le président.

La loi de décembre 2018 reposait sur une logique de « name and shame ». Cette logique impose une obligation aux acteurs, nous confie une mission de supervision et nous dicte de produire annuellement un rapport sur les conditions d'exécution de ces obligations. Nous avons récemment produit le deuxième rapport, dans lequel nous avons été un peu plus nominatifs pour souligner les bonnes pratiques et celles méritant d'être améliorées. Nous avons formulé une série de recommandations. Les progrès sont notables mais doivent incontestablement s'accroître. Nous comptons profiter de cette troisième année de mise en œuvre pour dresser un bilan de ces trois années d'application de ce texte.

À l'occasion de la signature d'une convention avec l'ARCEP en mars 2020, nous avons constitué un pôle commun. Ce dernier a conduit notamment à la production d'études communes sur les enjeux posés par le numérique et à la mise en commun de références à destination du grand public, avec la production de documents inédits et facilitant l'accès aux données. Ce pôle commun a aussi permis la tenue régulière d'ateliers d'échanges sur la régulation à l'ère du numérique. Concernant le chantier de la protection des mineurs en ligne, nous avons déterminé ensemble un instrument de mesure des utilisations de contrôle parental afin de tenter de dégager un indicateur commun. Enfin, nous avons pu lancer le site jeprotègemonenfant.gouv.fr, dont la charte a été élargie récemment.

Concernant le décret d'application de la loi sur les violences conjugales publié le 8 octobre 2021, le CSA dispose dorénavant d'une capacité complète de mise en œuvre de ce texte.

La création de l'ARCOM se déroule sereinement et dans un bon climat, avec des équipes heureuses de se retrouver.

La question de la contribution à l'audiovisuel public relève naturellement de la pleine compétence du Parlement. Je ne saurais m'y substituer. Le collège du CSA estime que nous avons besoin d'un service public fort, singulièrement dans le paysage qui se dessine sous nos yeux. La source de financement devrait être pérenne, afin de permettre une réelle visibilité, et réserver une recette affectée pour assurer l'indépendance du service public. Nous ne sommes donc pas favorables à des options de budgétisation, qui exposeraient à nos yeux ces entreprises à des mouvements de régulations budgétaires. Il nous semble que les réformes conduites à l'étranger, notamment en Allemagne il y a plusieurs années, peuvent être une source d'inspiration. Nous pourrions déconnecter cette ressource des postes de télévision car nous pouvons accéder à ces contenus par une pluralité de vecteurs. Nous suggérons donc une contribution de nature universelle et transversale, avec les mécanismes correspondant aux exonérations fiscales applicables aux personnes non soumises à l'impôt. La question du taux pourrait être ajustée en fonction de cette assiette élargie. D'autres options sont envisageables en la matière.

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