Intervention de Pierre-Yves Bournazel

Réunion du lundi 17 janvier 2022 à 21h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Bournazel :

Permettez-moi tout d'abord de lire un extrait de la dernière lettre du docteur Zacharie Mass, interné au camp de transit de Drancy, à sa femme Élisabeth : « Je ne te décrirai pas les moments d'angoisse que j'ai passés mais je suis heureux de ne pas te voir ici. J'espère que tu feras ce qu'il faut, je t'en supplie, pour éviter cela à tout prix. » Le 31 juillet 1943, Zacharie Mass a été déporté par le convoi n° 58 au camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz. En novembre, à bout de forces, il sera gazé et son cadavre brûlé. Des lettres comme celle-ci, il en existe des centaines et des centaines. Des lettres qui témoignent des arrestations, de la séparation des familles, de la détresse, de l'angoisse, de la stupeur, des doutes, de l'incompréhension et de l'espoir perdu. Des lettres qui racontent « ces heures noires [qui] souillent à jamais notre histoire » et qui « blessent [notre] mémoire », pour reprendre les mots de Jacques Chirac en 1995.

Durant ces jours funestes, la France commettait l'irréparable. Elle trahissait alors celles et ceux qui lui faisaient confiance. Elle trahissait ses propres citoyens. Nos valeurs fondamentales étaient défendues par la Résistance, par la France libre, par les Justes qui surent, au même moment, incarner cette grandeur avec courage. Le 16 juillet 1995, pour la première fois, un Président de la République reconnaissait la responsabilité de l'État français dans la collaboration et la déportation des Juifs de France. Jacques Chirac ouvrait la voie, la voie de la vérité. Il s'ensuivra en 1997, à la demande d'Alain Juppé, l'installation d'une mission d'étude confiée à Jean Mattéoli sur la spoliation des Juifs de France. En 1999, le gouvernement de Lionel Jospin créera une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations. Depuis, cette commission a enregistré plus de 29 000 dossiers et permis de verser plus de 540 millions d'euros d'indemnités au titre des spoliations matérielles.

Néanmoins, il est un domaine dans lequel nous devons encore avancer : c'est celui de la restitution des biens culturels. De nombreuses œuvres dont les Juifs ont été spoliés, ou qu'ils ont été forcés de vendre durant l'Occupation, se trouvent dans les collections publiques. C'est un long travail de recherche que nous devons aux victimes. Nous le devons à leur mémoire et à leurs descendants : c'est une question de morale, de dignité, de respect et d'honneur. En 2018, le Gouvernement s'était engagé à poursuivre ces recherches. Le Premier ministre, Édouard Philippe, avait alors appelé la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations et le ministère de la culture à accentuer leurs efforts afin d'identifier les œuvres et de les restituer.

Ce projet de loi permettra la restitution de quatorze tableaux, dessins et sculptures des collections publiques françaises aux ayants droit de victimes juives spoliées avant et pendant la Seconde Guerre mondiale : il s'agit de Rosiers sous les arbres, le chef-d'œuvre de Klimt conservé au musée d'Orsay, de onze dessins de Jean-Louis Forain, Constantin Guys, Henry Monnier et Camille Roqueplan, d'une cire de Pierre-Jules Mène, et d'un tableau de Maurice Utrillo. Nous nous réjouissons que le Gouvernement permette de faire sortir également une quinzième œuvre des collections nationales, afin de la restituer à ses propriétaires spoliés.

Madame la ministre, nous soutenons votre texte avec beaucoup de conviction, tout comme nous soutenons l'engagement du Président de la République à poursuivre ce devoir moral essentiel. Ce projet de loi constitue pour notre groupe une avancée importante sur le long chemin des restitutions. Ce travail pour la justice et contre l'oubli doit tous nous rassembler. Nous rassembler pour faire vivre la mémoire de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants spoliés, déportés et exterminés par la folie criminelle d'autres hommes. Nous rassembler afin de combattre les résurgences de l'inacceptable et toutes les tentatives de remise en cause de la vérité historique. Nous rassembler, enfin, autour de la défense de nos valeurs et de nos principes universels, et d'une certaine idée de l'humanité. Oui, madame la ministre, nous soutenons aussi le principe d'une loi-cadre et nous voterons avec beaucoup de détermination votre projet de loi.

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