Intervention de Pedro Arrojo-Agudo

Réunion du jeudi 11 mars 2021 à 10h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Pedro Arrojo-Agudo, rapporteur spécial sur les droits de l'Homme à l'eau potable et à l'assainissement du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, ancien député espagnol :

La financiarisation de l'eau s'apparente à la financiarisation de la vie. Je travaille actuellement avec d'autres rapporteurs spéciaux – sur l'environnement, le logement, etc. – en vue d'un débat, fondé sur le thème de l'eau, qui se tiendra le 18 mars, soit quelques jours avant la Journée mondiale de l'eau du 22 mars. Nous prenons en compte d'autres secteurs où la spéculation pose de graves problèmes, eu égard à l'accomplissement des droits humains.

La financiarisation ne s'exprime pas seulement à travers les marchés à terme. Elle prend place dans tous les espaces de spéculation. Léo Heller s'est concentré sur la gestion des services d'eau et d'assainissement, où les intérêts privés sont en position de force, mais il existe un autre front de débat. Celui-ci est peu développé en France, mais il est bien connu aux États-Unis depuis les années 1990, ainsi qu'au Chili, en Australie, en Espagne et dans d'autres pays d'Amérique latine. Il s'agit de la marchandisation des droits publics de l'eau. Autrement dit, une personne reçoit un droit pour pratiquer l'agriculture, puis les lois changent, de façon à ce que ce droit, qui avait été concédé gratuitement par les autorités publiques, soit dorénavant considéré comme une marchandise. Ce principe a été introduit dans les législations espagnoles, chiliennes, américaines et australiennes, afin de rendre la gestion plus flexible en cas de sécheresse et dans la perspective de la crise liée au changement climatique, qui conduira à une réduction de la disponibilité en eau. Cette problématique, différente de celle de la gestion des services urbains d'eau et d'assainissement, intéresse les marchés à terme. Tel est ce qui s'est produit en Californie. Un espace spéculatif, dans lequel les banques peuvent entrer, s'ouvre entre les différents acteurs ayant des intérêts dans la gestion de l'eau – agriculteurs, villes, industries.

Mon rapport évoquera ces deux espaces de marchandisation des droits de l'eau publics. Concernant la gestion des services d'eau et d'assainissement, le rapport de M. Léo Heller est valable. Je me suis engagé à déterminer des critères concrets visant à démocratiser la gestion des services d'eau et d'assainissement, sous l'approche des droits de l'Homme, ce qui n'empêche pas de débattre de l'intervention du secteur privé dans ce domaine. Ce service doit être géré selon une approche liée aux droits de l'Homme.

S'agissant de la spéculation, je tâcherai d'être prudent et de répondre aux arguments qui mettent en avant la gestion des situations de sécheresse, lesquelles risquent de s'accroître à la faveur du changement climatique. Des banques d'eau existent en Californie et en Arizona. De la même manière, en Espagne, l'État régule des institutions publiques et des marchés publics, pour gérer les situations de sécheresse. Je comprends qu'un débat ait lieu à ce sujet, mais je m'oppose à toute logique de spéculation, eu égard aux droits de l'Homme.

Cette logique ne doit pas influencer les prix, qui conditionneront l'accès à l'eau potable et à l'assainissement, d'autant que cet espace ne renforce pas le tissu économique réel. En effet, non contente de briser les droits de l'Homme, cette logique spéculative dégrade les économies plus faibles telles que l'agriculture ou la petite industrie, qui sont pourtant une partie très importante de l'économie nationale d'un pays et soutiennent tout un tissu social dans les milieux ruraux et urbains.

Dans mon rapport, je concentrerai mon propos sur les droits de l'Homme. Les espaces spéculatifs ne permettent pas de progresser en matière d'accomplissement des droits de l'Homme. Je serai très clair à ce sujet.

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