L'association Alsace nature a 55 ans. Elle est l'une des premières associations généralistes de défense de l'environnement à s'être constituée. J'en ai été le président et je suis membre du directoire Eau de France Nature Environnement. À ce titre, je fais partie du Comité national de l'eau (CNE). Je suis également vice-président du comité de bassin Rhin-Meuse et administrateur de l'agence de l'eau. Je suis un professionnel de l'eau, puisque voilà quarante ans que je la défends. J'ai commencé à défendre l'eau à la fin des Trente Glorieuses, une époque où la qualité et la quantité d'eau n'étaient pas des sujets de préoccupation. J'étais alors agent du Conseil supérieur de la pêche, devenu l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, puis l'Office français de la biodiversité (OFB). J'ai passé trente ans sur le terrain et j'ai ainsi pu observer toutes les mauvaises pratiques liées à l'eau.
La mutation intellectuelle consistant à considérer l'eau comme un bien commun n'a pas encore eu lieu. Nous continuons à essayer d'adapter la nature et les ressources à nos besoins. Or ce modèle arrive à bout de souffle. Il nous faut désormais adapter nos consommations à ce que la nature peut nous fournir. De nombreuses mauvaises solutions, telles que les bassines, par exemple, sont mises en œuvre.
J'ai eu la chance de faire partie de la mission menée en 2018 par le préfet Pierre-Étienne Bisch relative à la gestion quantitative de l'eau pour faire face aux épisodes de sécheresse. Dans le Grand Est, d'où je viens, il est de coutume de considérer que la quantité d'eau ne pose pas de problème – surtout en Alsace, où la nappe phréatique représente 35 milliards de mètres cubes d'eau –, et que celle-ci peut donc être utilisée sans y prêter attention. Pourtant, en été, le niveau de la nappe se révèle relativement bas, ce qui n'est pas sans conséquence sur les zones humides, les cours d'eau et la biodiversité.
Lorsque j'ai visité le Sud-Ouest, j'ai découvert que les pratiques étaient les mêmes que dans le Nord-Est. Toutefois, l'irrigation du maïs n'a pas les mêmes conséquences dans ces deux régions. Par ailleurs, le maïs cultivé dans le Gers a vocation à produire de l'éthanol. Il s'agit donc d'une agriculture industrielle, plus que nourricière. Ces deux types d'agriculture ne devraient pas être considérés de la même manière, en termes de priorité d'accès à l'eau.
La consommation d'eau liée à la culture du maïs dans le Gers pour produire de l'éthanol est équivalente à celle de la communauté urbaine de Bordeaux sur une année. Or la communauté urbaine de Bordeaux est victime de problèmes d'approvisionnement en eau. À l'évidence, l'eau n'est pas utilisée là où elle est la plus nécessaire. Il est pourtant indispensable de respecter la priorité des usages de l'eau. Indiscutablement, l'eau potable doit être l'usage prioritaire de l'eau, puis viennent les milieux naturels, c'est-à-dire la biodiversité.
Après une journée sans eau dans un cours d'eau, il faut des années d'effort pour retrouver un cours d'eau fonctionnel. À cet égard, les débits réservés posent parfois problème, lorsque l'eau est utilisée pour produire de l'électricité. Nous nous sommes d'ailleurs battus pour que les débits réservés soient suffisants pour maintenir la biodiversité dans les cours d'eau.
L'agriculture nourricière vient en troisième position des priorités des usages de l'eau. Je suis, moi aussi, opposé aux bassines. Les bassines et les rétentions d'eau doivent être une solution de dernier recours, mise en œuvre quand toutes les autres l'ont déjà été.
La meilleure façon de stocker l'eau est de le faire de façon souterraine, ce qui suppose de laisser les sols vivants. Actuellement, l'agriculture accuse une baisse de production, notamment s'agissant des céréales, à cause du changement climatique, d'une part et de l'épuisement des sols, d'autre part. L'usage de pesticides et d'engrais chimiques a rendu les sols stériles.
Outre le fait que les retenues sont des solutions onéreuses, financées par de l'argent public, le rapport Bisch a démontré que là où des retenues ont été construites, personne n'est prêt à payer l'eau à son prix véritable. L'entretien des ouvrages existants n'est donc pas assuré.
Pour que l'agriculture continue à produire, le meilleur moyen est que celle-ci s'adapte aux ressources, et non l'inverse. Il faut cesser de se référer à des modèles obsolètes.
Selon les agences de l'eau, les priorités ne sont pas les mêmes. L'agence de l'eau Rhin-Meuse s'est dotée d'une commission chargée de la ressource en eau, donc du partage de la ressource. Les retenues d'eau sont considérées comme une solution devant rester tout à fait exceptionnelle.
Les agences de l'eau sont devenues des agences de l'eau et de la biodiversité. Il s'agit d'un outil efficace, dans la mesure où il est proche du terrain et des réalités. Cependant, l'État a rogné les ressources des agences, tout en leur confiant des missions supplémentaires. Par conséquent, les agences risquent de comparer les recettes et les coûts liés à l'eau, d'une part, et à la biodiversité, d'autre part. Ainsi, le coût du financement de l'OFB ne sera pas compensé par des recettes. Il convient non seulement de s'interroger sur les priorités, mais aussi sur le financement des organismes publics qui permettent de mieux gérer les milieux aquatiques.
L'eau est un droit. Pourtant, de nos jours, la mauvaise qualité de l'eau et le manque d'eau provoquent plus de décès dans le monde que la Covid-19. Il serait facile de lutter contre cette réalité, dans la mesure où le coût pour fournir de l'eau à tous n'est pas exorbitant.