COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Jeudi 11 mars 2021
La séance est ouverte à onze heures.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à la table ronde réunissant des associations de protection de l'environnement intéressées par la préservation de l'eau : M. Simon Burner, directeur de European rivers network France – SOS Loire vivante ; M. Daniel Reiniger, président d'honneur d'Alsace nature ; M. Christian Villaume, président de l'Association de sauvegarde des vallées et de prévention des pollutions ; Mme Camille Jonchères, membre du collectif Sécheresses ; M. Julien Le Guet, membre du collectif Bassines non merci.
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences poursuit ses auditions par une table ronde réunissant des associations de protection de l'environnement intéressées par la préservation de l'eau. Nous accueillons Mme Camille Jonchères, membre du collectif Sécheresses, M. Simon Burner, directeur de European Rivers Network France (ERN) – SOS Loire vivante, M. Daniel Reininger, président d'honneur d'Alsace nature et membre du directoire Eau de France Nature Environnement, et MM. Julien Le Guet et Jean-Louis Couture, membres du collectif Bassines non merci.
Madame, Messieurs, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Camille Jonchères et MM. Simon Burner, Daniel Reininger, Julien Le Guet et Jean-Louis Couture prêtent successivement serment.
Le collectif Sécheresses est né de la rencontre de citoyens, aux intérêts et aux compétences divers, dans une ferme bourguignonne. Après une semaine d'échanges, il est apparu que les sécheresses étaient un sujet de préoccupation pour tous, d'autant qu'à l'époque, en période de chaleurs estivales, des villages avaient dû être approvisionnés en eau par des camions-citernes. Nous avons donc décidé d'agir.
Nous avons d'abord cherché à comprendre le sujet. En effet, la raison d'être du collectif est avant tout de se poser des questions et de considérer qu'il est possible de réfléchir sur ce sujet, sans en être des spécialistes. Nous ne nous positionnons pas en tant qu'experts, mais nous estimons avoir, en tant que citoyens, la légitimité de travailler sur ces questions et de nous les approprier.
Comment est-il possible de s'approprier de telles données, très techniques et scientifiques ? En réalité, nous n'avons pas trouvé de support susceptible de nous aider à monter en compétences et de nous accompagner dans ce cheminement. Nous avons donc décidé de le créer nous-mêmes, en nous appuyant sur les aptitudes des membres du collectif (big data, médiation, design, etc.). Nous avons ainsi croisé deux bases de données, à savoir celle des climatologues et météorologues, appelée le projet Drias (Donner accès aux scénarios climatiques régionalisés français pour l'impact et l'adaptation de nos sociétés et environnement) de Météo-France, et celle des hydrogéologues, la base de données des limites des systèmes aquifères (BDLISA), pour aboutir à une carte fournissant des informations faciles d'accès.
Nous ne nous positionnons pas du tout comme des fournisseurs de solutions. Nous essayons plutôt de poser les bonnes questions, et de donner à tous les moyens de bien comprendre le débat et d'interpeller les élus.
Nous sommes déjà mal adaptés en termes d'accès à l'eau, mais le changement climatique risque d'aggraver la situation. Il ne faudra plus réfléchir sur la base des usages de l'eau, mais sur l'eau à l'échelle d'un milieu ou d'un territoire.
Nous développons actuellement un projet sur les jardins et sur les essences d'arbres à privilégier en fonction de la disponibilité de la ressource et des conditions climatiques.
Le collectif s'est doté d'une charte, mais nous n'avons adopté aucun mot d'ordre. Nos actions ne sont pas véritablement structurées.
SOS Loire Vivante-ERN France est une association loi 1901, dont l'objet est la protection des rivières et des milieux aquatiques depuis plus d'une trentaine d'années. Nous travaillons essentiellement sur la continuité écologique. Nous agissons pour des rivières vivantes. Notre slogan, « la passion des rivières au-delà de toute frontière », témoigne de notre volonté de nous affranchir non seulement des limites administratives, mais aussi des idées préconçues. Ainsi, nous raisonnons à l'échelle des bassins versants.
Le nom « SOS Loire vivante » est issu du combat écologique gagné dans les années 1990. Les citoyens de la Loire s'étaient alors mobilisés pour empêcher que des barrages soient construits sur le fleuve. La Loire est ainsi restée l'un des derniers fleuves sauvages d'Europe.
Notre mouvement a été à l'origine du plan Loire Grandeur Nature, qui a modifié la gestion des rivières en France et a inspiré de nombreux pays européens.
Notre association porte également le nom « European Rivers Network France », lequel nous permet d'agir sur d'autres cours d'eau. Nous travaillons notamment sur le Rhin. Avec d'autres associations européennes, nous menons des campagnes pour préserver la directive-cadre 2000/60/CE du 23 octobre 2000 sur l'eau (DCE), grâce à la plateforme Living Rivers Europe. Enfin, nous tâchons de faire passer le message que les barrages peuvent être supprimés s'ils sont inutiles ou obsolètes, à travers le projet Dam Removal Europe.
SOS Loire Vivante-ERN France n'est pas une association de gestion de la nature, mais une association de sensibilisation qui agit en direction de la société civile et des décideurs. Le militantisme est dans nos gènes. Notre conseil d'administration est composé de citoyens, et non pas de scientifiques ou de techniciens. Nous sommes souvent considérés comme des usagers de l'eau, mais nous ne nous reconnaissons pas dans cette désignation. Nous sommes des défenseurs de l'intérêt général des rivières, dans lequel l'être humain trouve sa juste place.
L'association compte une dizaine de salariés et deux mille adhérents. Elle est basée en Auvergne. Nous travaillons principalement sur le bassin de la Loire, mais nous ne nous y limitons pas. L'association compte trois antennes en France, dont une en Île-de-France. Nous disposons d'un budget de 500 000 euros environ.
L'association travaille sur les rivières, mais pas sur l'eau potable ou l'assainissement. Cependant, les rivières sont à l'origine de la chaîne. À ce titre, l'eau des rivières est un bien commun. Son accaparement à des fins privées, souvent sous couvert de la transition écologique, pose de sérieux problèmes. Celui-ci a des conséquences sur la qualité de l'eau et la continuité, et fait prendre du retard à la France dans l'atteinte des objectifs fixés par la DCE. La France se trouve ainsi exposée à des recours ou à des amendes de la part de l'Europe.
Les droits d'eau, issus de l'histoire française, mériteraient d'être débattus. Dans un contexte de stress hydrique, de changement climatique, de raréfaction de l'eau et de conflits d'usage, les droits d'eau deviennent de plus en plus anachroniques.
M. Christian Villaume, président de l'Association de sauvegarde des vallées et de prévention des pollutions, nous a rejoints.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Christian Villaume prête serment.
Je suis président d'une petite association existant depuis 1976, qui travaille sur les questions de pollution industrielle des rivières et de l'atmosphère. Nous intervenons beaucoup auprès de la justice administrative.
Notre action a notamment porté sur les problèmes liés aux soudières Solvay et Rhône-Poulenc, situées en aval de Nancy, sur la Meurthe. Nous nous sommes battus pour obtenir des modifications d'arrêtés d'autorisation préfectorale s'agissant des rejets de chlorure de calcium dans la Meurthe.
Nous avons traité de nombreux dossiers portant sur les installations classées et les rivières, en particulier sur la Moselle. Nous avons travaillé sur les problèmes posés par les gravières, mais aussi par l'une des plus grosses papeteries d'Europe, située à Golbey, en aval d'Épinal. Nous intervenons également sur des dossiers de moindre envergure, qui peuvent néanmoins entraîner des conséquences irrémédiables sur les cours d'eau.
Je pense que mes propos au sujet de la Moselle et de l'eau potable à Nancy, d'une part, et de la pollution des têtes de bassin, d'autre part, pourraient vous intéresser.
Le collectif Bassines non merci est un collectif citoyen informel. Nous n'avons pas de statut officiel ni de salariés. Nous regroupons une trentaine d'organisations très diverses (syndicats, partis, associations), ainsi que des citoyens.
Nous luttons depuis quatre ans contre un dispositif technique de stockage d'eau d'un genre nouveau, les bassines, aussi appelées « réserves de substitution » par les porteurs de projets. Ce dispositif consiste à créer des cratères dans des zones de plaine calcaire, c'est-à-dire à décaisser la roche-mère sur plusieurs hectares et à établir des digues et des talus avec la matière prélevée, puis à bâcher l'ensemble de ces ouvrages, dont certains peuvent couvrir vingt hectares, étant donné que le calcaire n'est pas étanche.
Contrairement à ce qu'affirment les porteurs de projet, les bassines ne se rempliront pas seules, grâce aux précipitations. En réalité, elles seront remplies avec l'eau des nappes phréatiques, grâce à des forages. Il s'agirait donc d'une eau de qualité, qui, en vertu de la loi, devrait être destinée en priorité à la consommation d'eau potable, puis à la préservation des zones humides et des milieux naturels, avant d'être utilisée en tant qu'eau économique. Pourtant, ces bassines ne serviront qu'à fournir de l'eau économique, en particulier de l'eau agricole pour la culture du maïs – entre 30 et 50 % de l'assolement. Or le maïs est une plante très gourmande en eau, qui plus est pendant la saison où l'eau est la plus rare.
À travers ce projet, nous dénonçons la mainmise sur l'eau par des intérêts privés. Le projet, qui vise à stocker huit millions de mètres cubes sur le bassin de la Sèvre Niortaise et dont le coût atteindra 60 millions d'euros pour seize ouvrages, sera financé à 70 % par de l'argent public, dont 50 % proviendront de l'agence de l'eau. La ressource en eau, mais aussi les financements publics, seront ainsi accaparés par quelques-uns. En effet, les bassines concernent 10 % des exploitants du territoire.
Jusque dans les années 1970, l'irrigation n'avait pas cours sur ce territoire. D'ailleurs, il existe encore un savoir-faire paysan qui démontre qu'il est possible de nourrir le territoire sans avoir recours à l'irrigation massive.
Le dossier est aujourd'hui à l'arrêt. Notre collectif met tout en œuvre pour que les travaux ne démarrent pas. Ils auraient dû être lancés incessamment, mais nous avons appris la semaine dernière qu'ils étaient repoussés au 1er septembre prochain.
Les modalités d'action du collectif sont multiples. Nous organisons, par exemple, des manifestations non violentes regroupant plusieurs milliers de personnes. Nous menons également des actions auprès des élus locaux. À ce jour, vingt-cinq communes du bassin versant ont adopté des motions pour exprimer leur opposition de fond à ce projet. Enfin, nous intervenons sur le volet juridique. Chaque projet de bassine est systématiquement attaqué par les associations de protection de la nature, pour qui il est facile de démontrer que le projet contrevient aux directives européennes.
Le projet des Deux-Sèvres est aujourd'hui suspendu à une décision du tribunal administratif de Poitiers. Si le tribunal suit toutes les décisions qui ont été prises sur des projets de bassines équivalents aux alentours, l'issue est évidente et le projet sera rejeté. En dépit de ce risque, l'État semble prêt à commencer les travaux sans attendre les jugements, quitte à ce que de l'argent public soit dépensé inutilement et que de l'argent supplémentaire doive être déboursé pour remettre en état les milieux.
Le dossier du marais poitevin est ouvert depuis une trentaine d'années. Il s'agit de la deuxième zone humide de France, puisqu'elle représente plus de 100 000 hectares, auxquels s'ajoutent les littoraux et la baie de l'Aiguillon, où l'ostréiculture et la mytiliculture sont des activités économiques majeures.
Nous avons entamé une démarche de pétition auprès de l'Union européenne, qui fera l'objet d'un examen en urgence. Voilà qui témoigne de la gravité de la situation. Notre argumentaire repose sur le fait que sept directives européennes relatives à l'eau et à l'environnement ne sont pas respectées. La DCE oblige les États à obtenir des résultats en matière d'amélioration des masses d'eau, quels que soient les moyens à employer. Or les bassines, dont certaines existent déjà en Charente-Maritime et en Vendée, auront des conséquences multidimensionnelles, notamment sur les milieux, les ressources en eau souterraines, la qualité des eaux, la gestion quantitative de l'eau, les habitats des oiseaux et des poissons, ainsi que sur le paysage et la végétation.
Ce projet ne peut voir le jour que grâce à un financement public massif. En réalité, 85 à 90 % du coût du projet sera pris en charge par un financement public, étant donné qu'un certain nombre d'organisations qui financent le projet sont elles-mêmes financées par des fonds publics, alors même qu'il s'agit d'un projet extrêmement nocif.
C'est la raison pour laquelle nous avons saisi le Parlement européen et sa commission des pétitions. Les conséquences de ce projet seront extrêmement graves. Nous réclamons une enquête parlementaire européenne, pour dresser un état des lieux.
Nous avons affaire à un montage institutionnel très opaque. Ainsi, l'information n'est accessible ni aux citoyens, ni aux associations de protection de la nature et de l'environnement, ni aux élus locaux. Ce montage repose sur des sociétés coopératives anonymes de gestion de l'eau ou de bassin. Un examen juridique approfondi de ce type de structure serait mérité, dans la mesure où la gestion de ces sociétés privées n'est absolument pas transparente.
Pour ce projet d'ensemble, qui se réalisera sur une quinzaine d'années et concernera la Vendée, la Charente-Maritime, les Deux-Sèvres, la Vienne et la Charente, l'assistance à maîtrise d'ouvrage, ainsi que les études et d'autres fonctions essentielles en matière d'aménagement hydraulique, ont été confiées à une société d'économie mixte appelée Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne du Sud-Ouest. Or cette société est aujourd'hui en faillite. Selon le rapport de la Cour des comptes publié en novembre dernier, le fonds de roulement et la trésorerie de cette société ont été dilapidés dans le préfinancement des bassines.
Nous constatons un accaparement des ressources en eau, bien qu'elles fassent normalement partie du patrimoine commun de la nation, comme stipulé dans la loi sur l'eau de 1964, celle de 1992 et celle de 2006. Ce principe est continu dans la reconnaissance juridique de la nature de l'eau en France. Pourtant, nous assistons à un accaparement privatif et extrêmement minoritaire de la ressource en eau souterraine, qui a des conséquences sur les ressources en eau de surface.
L'association Alsace nature a 55 ans. Elle est l'une des premières associations généralistes de défense de l'environnement à s'être constituée. J'en ai été le président et je suis membre du directoire Eau de France Nature Environnement. À ce titre, je fais partie du Comité national de l'eau (CNE). Je suis également vice-président du comité de bassin Rhin-Meuse et administrateur de l'agence de l'eau. Je suis un professionnel de l'eau, puisque voilà quarante ans que je la défends. J'ai commencé à défendre l'eau à la fin des Trente Glorieuses, une époque où la qualité et la quantité d'eau n'étaient pas des sujets de préoccupation. J'étais alors agent du Conseil supérieur de la pêche, devenu l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, puis l'Office français de la biodiversité (OFB). J'ai passé trente ans sur le terrain et j'ai ainsi pu observer toutes les mauvaises pratiques liées à l'eau.
La mutation intellectuelle consistant à considérer l'eau comme un bien commun n'a pas encore eu lieu. Nous continuons à essayer d'adapter la nature et les ressources à nos besoins. Or ce modèle arrive à bout de souffle. Il nous faut désormais adapter nos consommations à ce que la nature peut nous fournir. De nombreuses mauvaises solutions, telles que les bassines, par exemple, sont mises en œuvre.
J'ai eu la chance de faire partie de la mission menée en 2018 par le préfet Pierre-Étienne Bisch relative à la gestion quantitative de l'eau pour faire face aux épisodes de sécheresse. Dans le Grand Est, d'où je viens, il est de coutume de considérer que la quantité d'eau ne pose pas de problème – surtout en Alsace, où la nappe phréatique représente 35 milliards de mètres cubes d'eau –, et que celle-ci peut donc être utilisée sans y prêter attention. Pourtant, en été, le niveau de la nappe se révèle relativement bas, ce qui n'est pas sans conséquence sur les zones humides, les cours d'eau et la biodiversité.
Lorsque j'ai visité le Sud-Ouest, j'ai découvert que les pratiques étaient les mêmes que dans le Nord-Est. Toutefois, l'irrigation du maïs n'a pas les mêmes conséquences dans ces deux régions. Par ailleurs, le maïs cultivé dans le Gers a vocation à produire de l'éthanol. Il s'agit donc d'une agriculture industrielle, plus que nourricière. Ces deux types d'agriculture ne devraient pas être considérés de la même manière, en termes de priorité d'accès à l'eau.
La consommation d'eau liée à la culture du maïs dans le Gers pour produire de l'éthanol est équivalente à celle de la communauté urbaine de Bordeaux sur une année. Or la communauté urbaine de Bordeaux est victime de problèmes d'approvisionnement en eau. À l'évidence, l'eau n'est pas utilisée là où elle est la plus nécessaire. Il est pourtant indispensable de respecter la priorité des usages de l'eau. Indiscutablement, l'eau potable doit être l'usage prioritaire de l'eau, puis viennent les milieux naturels, c'est-à-dire la biodiversité.
Après une journée sans eau dans un cours d'eau, il faut des années d'effort pour retrouver un cours d'eau fonctionnel. À cet égard, les débits réservés posent parfois problème, lorsque l'eau est utilisée pour produire de l'électricité. Nous nous sommes d'ailleurs battus pour que les débits réservés soient suffisants pour maintenir la biodiversité dans les cours d'eau.
L'agriculture nourricière vient en troisième position des priorités des usages de l'eau. Je suis, moi aussi, opposé aux bassines. Les bassines et les rétentions d'eau doivent être une solution de dernier recours, mise en œuvre quand toutes les autres l'ont déjà été.
La meilleure façon de stocker l'eau est de le faire de façon souterraine, ce qui suppose de laisser les sols vivants. Actuellement, l'agriculture accuse une baisse de production, notamment s'agissant des céréales, à cause du changement climatique, d'une part et de l'épuisement des sols, d'autre part. L'usage de pesticides et d'engrais chimiques a rendu les sols stériles.
Outre le fait que les retenues sont des solutions onéreuses, financées par de l'argent public, le rapport Bisch a démontré que là où des retenues ont été construites, personne n'est prêt à payer l'eau à son prix véritable. L'entretien des ouvrages existants n'est donc pas assuré.
Pour que l'agriculture continue à produire, le meilleur moyen est que celle-ci s'adapte aux ressources, et non l'inverse. Il faut cesser de se référer à des modèles obsolètes.
Selon les agences de l'eau, les priorités ne sont pas les mêmes. L'agence de l'eau Rhin-Meuse s'est dotée d'une commission chargée de la ressource en eau, donc du partage de la ressource. Les retenues d'eau sont considérées comme une solution devant rester tout à fait exceptionnelle.
Les agences de l'eau sont devenues des agences de l'eau et de la biodiversité. Il s'agit d'un outil efficace, dans la mesure où il est proche du terrain et des réalités. Cependant, l'État a rogné les ressources des agences, tout en leur confiant des missions supplémentaires. Par conséquent, les agences risquent de comparer les recettes et les coûts liés à l'eau, d'une part, et à la biodiversité, d'autre part. Ainsi, le coût du financement de l'OFB ne sera pas compensé par des recettes. Il convient non seulement de s'interroger sur les priorités, mais aussi sur le financement des organismes publics qui permettent de mieux gérer les milieux aquatiques.
L'eau est un droit. Pourtant, de nos jours, la mauvaise qualité de l'eau et le manque d'eau provoquent plus de décès dans le monde que la Covid-19. Il serait facile de lutter contre cette réalité, dans la mesure où le coût pour fournir de l'eau à tous n'est pas exorbitant.
Vous avez évoqué le fait que les puissances privées tendent à s'accaparer les droits de l'eau. Pourriez-vous détailler cette problématique ?
Le décret nomenclature fixe un seuil à partir duquel le prélèvement d'eau est soumis à déclaration ou à autorisation. En dehors des droits d'eau historiques, antérieurs à la Révolution française, la prise d'eau et les rejets d'eau sont réglementés par des arrêtés. Or la plupart de ces arrêtés sont devenus obsolètes, dans la mesure où le régime hydrologique des cours d'eau a évolué, à la faveur du changement climatique. Ainsi, à certains endroits, les droits de prélèvement sont exorbitants par rapport à la situation réelle. Il en va de même pour les rejets. Les rejets d'eaux usées à la sortie d'une station d'épuration font l'objet d'un calcul prenant en considération un coefficient de dilution, qui tient compte du débit du cours d'eau. Pour atteindre les objectifs de bonne qualité du cours d'eau fixés par la DCE, il sera nécessaire de revoir les autorisations de rejet.
Selon moi, il est indispensable de réexaminer les autorisations qui ont été octroyées, de façon à les mettre en cohérence avec le régime hydrologique réel, pour mieux répartir et protéger l'eau. Il s'agit d'un énorme travail.
Il existe des milliers de retenues en France dont l'administration n'a même pas connaissance et celles-ci n'ont jamais été contrôlées. En réalité, les droits n'ont jamais été inventoriés précisément, par bassin ou par sous-bassin. En outre, l'effet cumulatif n'a jamais été pris en compte dans le système d'autorisation ou de déclaration. Il serait bon d'éclaircir la situation, afin que chacun sache quelle est la ressource disponible et comment elle peut être répartie au mieux.
Selon vous, la mutation intellectuelle n'est pas encore achevée. Alors que nous avons tendance à chercher à adapter la nature aux besoins de l'homme, il faudrait plutôt adapter les besoins de l'homme aux capacités naturelles. Quelle forme cette démarche pourrait-elle prendre ?
Je fais partie de la Commission internationale de la protection du Rhin. Le régime hydrologique du Rhin a changé : alors qu'il avait traditionnellement de fortes eaux en été et des eaux basses en hiver, les eaux sont désormais basses également en été, car la neige est moins abondante dans les Alpes. La diminution des débits a des conséquences sur la navigation fluviale, à tel point que celle-ci doit parfois être interrompue, à moins que les bateaux ne soient chargés qu'à moitié, faute d'un tirant d'eau suffisant. Face à cette situation, les Allemands proposent d'approfondir le fleuve, mais j'estime que cette solution n'a aucun sens. Il serait préférable de faire naviguer des bateaux moins grands, dont le tirant d'eau est plus faible.
Le même raisonnement doit s'appliquer à l'agriculture. Plutôt que de continuer à produire à tout prix des plantes inadaptées à certains terroirs, il conviendrait de faire évoluer le type de végétaux cultivés. Le modèle agricole doit évoluer, de façon à ce que l'agroécologie prenne la place de l'agriculture industrielle.
À Vittel, l'eau est prélevée dans une nappe profonde, mais celle-ci est aujourd'hui surexploitée. Cette situation, qui sert l'enrichissement d'une multinationale, est parfaitement immorale.
Il est prévu que la commission d'enquête se rende à Vittel. Comment définiriez-vous un « sol vivant » ?
Un sol vivant est un sol qui ne subit plus de labours profonds ni d'amendements chimiques à l'azote de synthèse. Un sol est vivant lorsqu'il contient une biodiversité, qui permet au sol de mieux absorber l'eau. En effet, la présence de micro-organismes dans le sol augmente sa capacité de rétention en eau.
Les zones humides sont vitales. Elles se chargent quand l'eau est abondante, puis se déchargent en période d'étiage. Pourtant, en un siècle, la France a perdu 80 % de ses zones humides. Les sols continuent à être drainés, donc asséchés, même si cela n'a aucun sens.
La plupart du temps, le bon sens permettrait de résoudre les difficultés. Pour être vivants, les sols doivent être respectés. En outre, les sols vivants permettent de stocker davantage de carbone, donc de lutter contre le réchauffement climatique.
Nous développons un projet d'adaptation et d'atténuation du changement climatique. Le retour à des sols vivants en est un point important, dont les bénéfices s'expriment en termes de production, d'irrigation et de biodiversité. La problématique du sol a trop longtemps été négligée. Le fait de revenir à des sols vivants permettrait de résoudre un certain nombre de problèmes liés à l'eau.
Disposez-vous de chiffres confirmant que la mauvaise qualité de l'eau provoque plus de décès que la Covid-19 ?
Je n'ai pas ces chiffres à ma disposition. Cependant, il me semble que ces chiffres sont accessibles sur le site de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Ce dont je parlais concerne les chiffres dans le monde, la mauvaise qualité de l'eau provoque plus de décès que la Covid-19. En France, l'accès à l'eau potable est un droit réel.
La question de la mainmise par les intérêts privés et celle de la prise de conscience qu'un nouveau modèle est nécessaire sont très liées à la problématique de la gouvernance d'un projet territorial. Il convient d'avoir une approche intégrée de l'eau dans un projet de territoire, reposant sur une vision de l'avenir, choisie collectivement.
Le projet de recherche Adapt'eau, par exemple, est l'aboutissement d'une démarche prospective menée avec différents acteurs. Quatre scénarios proposant des visions différentes de l'avenir ont été élaborés. Mettre en avant le besoin en eau des espaces urbains est l'un des scénarios possibles, mais il en existe d'autres. Ainsi, le scénario baptisé « une voie pour l'écosystème » considère que les espaces de nature sont prioritaires et que les espaces urbains ou agricoles doivent s'appuyer sur des pratiques alternatives. Un autre scénario concerne l'adaptation par ajustement (chaque acteur considère la ressource de façon privative et individualisée) et le dernier porte sur le lobbying (une entente entre acteurs partageant le même discours conduit à exclure les citoyens de la décision).
Selon moi, développer une approche intégrée à un projet de territoire et de gouvernance est un bon moyen de ne pas laisser la place à une mainmise organisée.
Dans le cadre du projet de bassines, les exploitants sont supposés s'engager à mettre en place des pratiques vertueuses en termes d'agroécologie. Ainsi, pour bénéficier de l'eau, les exploitants peuvent s'engager en faveur de l'agriculture de conservation des sols. Alors que le principe vertueux de conservation des sols consiste à laisser de la végétation, pour éviter l'érosion en hiver et apporter de la matière organique, la pratique de conservation des sols généralisée en France est de se débarrasser du couvert végétal à l'aide de glyphosate. Ainsi, depuis trois ans, le phénomène des « champs orange » se développe sur notre territoire, alors que le glyphosate ne devrait plus être utilisé. Comment une mesure de conservation des sols conduisant à l'usage systématique de pesticides peut-elle être considérée comme un engagement agroécologique ?
Le maïs peut non seulement être utilisé pour l'alimentation des animaux, l'alimentation humaine et l'ensilage, mais aussi pour approvisionner les méthaniseurs. Depuis l'année dernière, nous observons que du maïs est cultivé à partir du mois de juillet, après une culture d'orge ou de blé, à grand renfort d'irrigation, uniquement pour produire de la matière organique destinée au digesteur Demeter de Mauzé-sur-le-Mignon. Or la matière organique qui rejoindra le digesteur ne contribuera pas à nourrir les sols, alors même que la ressource en eau a été très sollicitée pour la produire. Il s'agit d'un cercle vicieux. Le Mignon coule littéralement à l'envers à partir du 1er juillet, quand la campagne d'irrigation commence aux alentours, alors que les territoires sont déjà équipés de bassines.
Le droit de l'eau correspond à la législation sur l'eau. Il ne doit pas être confondu avec les droits d'eau, qui sont généralement fondés en titre et antérieurs à la Révolution française. Il s'agit du seul privilège féodal ayant été maintenu après la Révolution.
Il convient de distinguer les droits d'eau qui consomment de l'eau et ceux qui n'en consomment pas. Le droit d'eau ne consomme pas d'eau lorsqu'il consiste à gérer le passage de l'eau dans des biefs ou des vannes, pour l'usage des moulins. Les moulins se contentent d'utiliser la force motrice de l'eau.
En revanche, les droits d'eau d'irrigation consomment de l'eau. Or les droits d'eau fondés en titre en termes d'irrigation sont issus des communautés paysannes et villageoises antérieures à la Révolution française. Il s'agit donc de droits d'eau collectifs. Il en existe beaucoup dans le Sud-Est de la France, où il existait une tradition écrite des droits d'eau, ce qui explique qu'ils se soient perpétués jusqu'à aujourd'hui et qu'ils soient encore reconnus par les cours d'appel. La surface des périmètres irrigués communautaires a néanmoins diminué.
En ce qui concerne l'irrigation du maïs, l'administration n'octroie pas des droits d'eau, mais des autorisations et des dérogations. Autrement dit, elle accorde la possibilité de contourner la législation en matière de pompage ou de détournement des eaux de surface. Le fait de consommer de la ressource souterraine ou de surface par autorisation et dérogation est une réalité majeure en France, en particulier dans le Sud-Ouest. Il ne s'agit pas de droits d'eau reconnus, fondés en titre.
L'enjeu de mutation intellectuelle concerne non seulement l'état d'esprit vis-à-vis de la nature, mais aussi les questions institutionnelles. Trois principaux paradigmes permettent de gérer l'eau dans le monde, à savoir la centralisation de la gestion de l'eau, sa décentralisation et sa délégation.
La gestion de l'eau est déléguée en matière d'eau potable et d'assainissement lorsque les collectivités délèguent leur mission de service public à des opérateurs privés. Cette situation est très fréquente.
Lorsqu'elle est centralisée, la gestion de l'eau revient à l'État ou à des structures d'état, concentrées ou déconcentrées. En France, les agences de l'eau sont l'exemple même d'une gestion décentralisée. La France compte six agences de l'eau, pour cinq grands bassins. Le nombre d'agences est lié à l'existence de trois grands corps d'ingénieurs – ingénieurs des eaux et forêts, ingénieurs des ponts et chaussées, ingénieurs des mines – lesquels devaient se partager le pouvoir s'agissant de l'eau. L'agence de l'eau Artois-Picardie a donc été créée, pour équilibrer la représentation des trois corps d'ingénieurs.
Les agences de l'eau se trouvent aujourd'hui dans une impasse, à cause d'un déséquilibre des représentations au sein de leurs conseils d'administration et des comités de bassin. En effet, 90 % des fonds des agences de l'eau proviennent des factures d'eau et d'assainissement, donc des usagers domestiques de l'eau, mais ceux-ci sont sous-représentés dans les comités de bassin. Une réforme majeure est aujourd'hui nécessaire, pour corriger l'asymétrie de pouvoirs liée au fait que des lobbies professionnels (industriels ou agricoles) sont représentés dans différents collèges, au détriment des usagers de l'eau et des associations de protection de la nature et de l'environnement. Le système décentralisé de gestion de l'eau, incarné par les agences de l'eau, doit faire l'objet d'une révolution intellectuelle. Un changement institutionnel important doit être opéré, de façon à rééquilibrer les pouvoirs.
L'agglomération de Nancy est alimentée en eau potable par la Moselle, mais pas par la Meurthe, polluée par les rejets des soudières situés en amont. Ces sites, qui fabriquent du carbonate de sodium et du bicarbonate, rejettent du chlorure de calcium, qui pollue la Meurthe et la nappe phréatique, rendant l'eau impropre à la consommation et à la purification. La Moselle reçoit, elle aussi, des polluants provenant des populations ou des industries. Bien que les industries respectent la réglementation et que les stations d'épuration fonctionnent à plein, une part des polluants continue à être rejetée dans la rivière. Ces polluants s'accumulent à ceux qui rejoignent la rivière par ruissellement et forment un ensemble composé de résidus industriels, de nanoparticules, de résidus de médicaments, de produits phytosanitaires et de détergents. Ils forment alors un milieu réactionnel, susceptibles de favoriser l'apparition de produits néo-formés. Or cette eau devra être transformée en eau potable pour alimenter Nancy, grâce à des procédés très coûteux, financés par les contribuables.
Est-il normal que le contribuable paie pour traiter une eau polluée par des rejets, quand bien même la réglementation a été respectée ? Je ne le pense pas. Selon moi, toute eau rejetée devrait être aussi propre que celle qui a été prélevée, mais la réglementation ne l'impose pas.
En outre, une fois traitée, l'eau sera chlorée, au risque que des organochlorés (notamment du chloroforme et du pentachlorophénol) se forment s'il reste de la demande chimique en oxygène (DCO), c'est-à-dire de la pollution organique dure ayant échappé aux stations d'épuration et à la station de traitement de l'eau. En effet, il est impossible d'obtenir une eau parfaitement pure, à moins d'utiliser des procédés extrêmement coûteux, tels que la nanofiltration ou l'osmose inverse, ce qui est inenvisageable financièrement parlant.
Par ailleurs, la réglementation compte sur les capacités d'auto-épuration des rivières, qui ont l'intérêt d'être gratuites. Cependant, cette approche mériterait d'être mise en débat. Pouvons-nous profiter ainsi de la nature de façon délibérée, sans contrepartie ?
Enfin, la réglementation sur les rejets est fondée sur les débits d'étiage quinquennaux des cours d'eau. Or les débits d'étiage diminuent, à cause du réchauffement climatique. Par conséquent, une révision des arrêtés préfectoraux s'impose.
Il est vrai que les droits d'eau liés aux moulins ou à l'hydroélectricité ne consomment pas d'eau en tant que telle, mais ils ont des conséquences en termes de fragmentation des rivières et de qualité des eaux. Certes, cette source d'énergie est renouvelable, mais elle n'est pas nécessairement verte pour autant. Or je pense que la plupart des citoyens assimilent l'énergie renouvelable à une énergie nécessairement vertueuse vis-à-vis de la nature. La petite hydroélectricité a des conséquences importantes sur les milieux, car le cours d'eau se trouve haché et l'eau a tendance à se réchauffer.
Il est possible de pomper de l'eau dans les rivières sans autorisation, sous réserve de ne pas prélever plus de 1 000 mètres cubes par jour ou de ne pas avoir un impact de plus de 2 ou 5 % sur le débit. Toutefois, l'effet cumulatif n'est jamais considéré. Autrement dit, une multitude de pompages peuvent se succéder sur certains cours d'eau, sans que personne n'ait une idée précise des volumes prélevés dans la rivière. Il est primordial d'agir sur cette problématique.
Les pompages domestiques posent un problème similaire. Une simple déclaration en mairie suffit pour installer un pompage domestique, mais celle-ci n'est pas faite, la plupart du temps. Nous n'avons donc aucune idée des volumes réellement pompés dans les masses d'eau. En Auvergne, nous connaissons ce problème au niveau de la masse d'eau du Devès. Nous constatons des pollutions clandestines, dont nous ne connaissons pas l'origine, mais il est probable que les pompages domestiques soient en cause.
En ce qui concerne la gouvernance, la France est exemplaire avec ses comités de bassins et ses schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Il faut cependant réformer cette gouvernance, car la place des citoyens y est insuffisante. L'existence de parlements de l'eau doit néanmoins être saluée. De nombreux pays nous les envient. Toutefois, si la décentralisation permet de redonner du pouvoir aux territoires, elle provoque aussi une perte de cohérence. Il arrive ainsi que les différents schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) d'un même bassin soient élaborés sans consultation réciproque, au point qu'ils sont parfois en contradiction les uns avec les autres.
De façon générale, des autorisations sont accordées sans considérer l'impact du changement climatique ni l'effet cumulatif. Nous assistons aujourd'hui à une vague de projets de petite hydroélectricité, y compris sur des rivières classées en liste 1, qui ne sont pas supposées recevoir ce type d'équipement, et sur les axes de migrateurs. Ainsi, il existe plusieurs projets de centrales hydroélectriques sur l'axe Loire-Allier, notamment à Vichy, alors que cet axe est fréquenté par les saumons. D'un côté, la France investit pour rétablir la continuité écologique, mais de l'autre, elle laisse s'installer des microcentrales hydroélectriques. La situation est incompréhensible pour les citoyens. Il semble difficile de définir des priorités.
Aujourd'hui, l'état d'urgence climatique pourrait être décrété. Nous sommes contraints de gérer l'inévitable. Des actions structurelles doivent être menées. L'hydroélectricité est une activité économique sous perfusion, puisqu'elle repose sur des tarifs de rachat et d'autres avantages qui en font un investissement rentable. Or la petite hydroélectricité contribue à détruire des rivières, notamment en tête de bassin, pour ne produire que quelques kilowatts-heure. Alors que l'apport à la transition énergétique est minime, la biodiversité et les cours d'eau se trouvent détruits. Voilà qui est aberrant, d'autant que la loi affirme que la transition énergétique ne passera pas par l'hydroélectricité. La menace d'accaparement de l'eau à des fins économiques est réelle.
70 % des services publics d'eau potable font l'objet d'une gestion directe, couvrant 28 millions d'habitants (soit 42 % de la population française), tandis que 30 % d'entre eux sont gérés en délégation par des opérateurs privés, pour 58 % de la population. Selon vous, le recours à la gestion publique ou privée a-t-il un impact sur la protection de la ressource en eau ?
Par ailleurs, avez-vous connaissance d'un modèle alternatif de production du maïs, qui ne reposerait pas sur l'irrigation ?
Je partage l'avis de Monsieur Burner au sujet de la petite hydroélectricité. Il n'est pas pertinent de détruire l'environnement pour produire quelques kilowatts-heure subventionnés.
En ce qui concerne le maïs, il convient de connaître l'usage qui sera fait de cette plante avant d'envisager des alternatives. De nos jours, le système laitier repose essentiellement sur l'alimentation en ensilage. En matière d'alimentation animale, l'alternative pourrait être de bannir le maïs des fonds de vallée et de remettre en place l'indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN), de façon à maintenir l'élevage et les prairies de fauche. Le sorgho peut également représenter une alternative intéressante, dans la mesure où il requiert beaucoup moins d'intrants et consomme moins d'eau.
L'eau est un bien commun, sur un territoire commun. Il convient donc de déterminer à quoi sert l'agriculture. La communauté d'agglomération niortaise fait actuellement l'objet d'un projet alimentaire de territoire (PAT), né du constat que les habitants de l'agglomération se nourrissent des productions du territoire à hauteur de 2 %, alors même que le potentiel d'auto-alimentation du territoire est estimé à 90 % par les agronomes. Si l'eau sert à remplir les objectifs du PAT, l'alternative au maïs est toute trouvée. Ainsi, il sera possible de nourrir le territoire, tout en nourrissant les paysans.
Le maïs s'est installé sur notre territoire grâce à la politique agricole commune (PAC), encouragée par le ministère de l'Agriculture et la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). Dans les années 1980, un éleveur touchait entre 500 et 1 200 francs l'hectare, quand un producteur de maïs touchait 3 500 francs l'hectare, voire 4 200 francs l'hectare s'il avait réalisé des investissements en faveur de l'irrigation. Les fermes se sont ainsi engouffrées dans une voie sans issue. Pour sortir de ce système, il est important que l'État reconnaisse sa responsabilité et mobilise des moyens, pour permettre aux agriculteurs, notamment aux éleveurs laitiers qui pratiquent l'élevage intensif en stabulation, d'entrer dans une démarche de transition écologique.
La problématique de l'eau est extrêmement complexe. Elle dépend des territoires, des usages de l'eau et de l'histoire.
La question des régies ou des délégations de service public n'est pas la plus importante. Le principal problème se pose au niveau institutionnel, en termes de contrôle exercé par la puissance publique et les collectivités sur la qualité du service de distribution d'eau potable et d'assainissement, donc sur les rejets des eaux épurées dans les milieux. Certains régimes sont catastrophiques, tandis que d'autres sont exemplaires, indépendamment du mode de fonctionnement, en régie ou en délégation de service public.
L'État et les collectivités doivent exercer un contrôle, notamment sur les aspects contractuels, tels que les marges bénéficiaires dégagées par les opérateurs de l'eau en délégation de service public. Bien souvent, les élus sont ignorants des chausse-trappes financiers, comptables et contractuels dans lesquels ils peuvent tomber. Ceux-ci permettent à de grandes sociétés d'engranger des marges colossales.
Pas une semaine ne se passe sans que nous soyons confrontés à l'obligation de faire une déclaration auprès de la direction départementale des territoires ou de la police de l'eau, ou d'aller en justice, à propos d'hydroélectricité ou de retenues collinaires. Nous travaillons sur cinq ou six affaires juridiques en parallèle.
Par exemple, le projet de doublement de la route nationale (RN) 88 en Haute-Loire est complètement disproportionné. Il aura des conséquences sur vingt hectares de zones humides et deux kilomètres de cours d'eau seront réaménagés. Des recours suspensifs ont été lancés, pour demander l'arrêt des travaux.
De même, nous voyons fleurir des microcentrales hydroélectriques à des endroits stratégiques. Ainsi, une collectivité porte un projet de microcentrale en amont de la salmoniculture de Chanteuges, qui est le conservatoire national du saumon. Voilà qui est tout à fait paradoxal. La température de l'eau en sera modifiée, ce qui ne sera pas sans conséquence pour la salmoniculture.
Je souscris aux propos de Jean-Louis Couture au sujet de la délégation de service public et de la régie. Selon les cas, ces deux systèmes peuvent se révéler performants ou ne pas fonctionner correctement.
L'hydroélectricité est une énergie renouvelable, mais pas nécessairement une énergie verte. En effet, elle a des conséquences sur la continuité écologique et la qualité de l'eau. Il convient donc de distinguer l'énergie photovoltaïque et éolienne ou la géothermie de l'énergie hydroélectrique. Certaines installations sont toutefois exemplaires et fonctionnent très bien.
L'État doit impérativement exercer sa fonction régalienne qui consiste à contrôler le bon respect des arrêtés (les débits réservés, par exemple). Or l'État a tendance à privilégier l'autocontrôle plutôt que la mise en œuvre d'actions réelles de contrôle. Il est pourtant primordial de contrôler les débits réservés et l'efficacité des ouvrages de franchissement.
La DCE a instauré le principe de non-dégradation. Or toute nouvelle installation hydroélectrique provoquera nécessairement une dégradation de la masse d'eau. Il est donc préférable de mieux faire fonctionner les sites existants, plutôt que de créer de nouvelles centrales. Les marges de progrès sont énormes s'agissant de la production d'hydroélectricité. Il est possible de gagner en efficacité en changeant les turbines, par exemple.
L'herbe doit être préférée au maïs lorsqu'il est destiné à l'ensilage. Par ailleurs, nous achetons des protéines végétales à des pays qui pratiquent la déforestation, alors que nous pourrions en produire nous-mêmes. Voilà qui limiterait le déficit commercial de la France. Le problème de l'eau est aussi un problème de commerce international, puisque, quand nous achetons des protéines végétales produites dans un autre pays, la consommation d'eau et les problèmes hydrauliques associés sont exportés. Nous devons nous montrer responsables, en consommant localement.
Pour une grande partie, la culture du maïs vise à fournir des matières premières pour l'industrie. Cependant, ces matières premières pourraient être produites différemment, sans utiliser de pesticides ni d'engrais chimiques, qui contribuent à l'aggravation du changement climatique. Il faut cesser de raisonner en silos, car le problème est global. Nous ne nous en sortirons qu'en acceptant de revoir notre modèle de développement.
Je vous propose de continuer à répondre à nos questions par écrit, de façon à compléter vos interventions.
Le passage de la recherche à la pratique permet de réintroduire le problème du changement climatique et de la complexité qu'il entraîne. De nombreux facteurs s'avèrent enchevêtrés et les incertitudes restent nombreuses. Pourtant, des actions sont mises en œuvre selon des modèles obsolètes, sans que les informations de référence aient été mises à jour. Mieux intégrer la production scientifique dans la pratique permettrait, selon moi, de mieux arbitrer les différents scénarios possibles et de faire reconnaître d'autres intérêts, comme la biodiversité, par exemple.
L'ambition du collectif Sécheresses est justement de collecter des faits sur lesquels s'appuyer, tout en ayant en tête que ceux-ci sont susceptibles d'évoluer et qu'il faut rester humbles devant ces informations.
D'après une étude de Sandrine Bossel menée en 2009, quand la température de l'air s'élève d'un degré, la consommation d'eau potable augmente de 1,6 %. Une approche intégrée est donc indispensable.
La teneur en protéines du maïs étant très faible, il est nécessaire d'y ajouter du soja pour nourrir les animaux. Le maïs et le soja pourraient tout à fait être remplacés par l'herbe, mais aussi par d'autres sources de protéines végétales comme la luzerne ou le trèfle blanc, voire du soja cultivé en France.
La séance s'achève à douze heures quarante-cinq.