Intervention de Raymond Avrillier

Réunion du jeudi 11 mars 2021 à 12h50
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Raymond Avrillier, membre du conseil d'exploitation des régies d'assainissement et d'eaux de Grenoble-Alpes, ancien conseiller municipal de Grenoble et ancien vice-président de la communauté d'agglomération grenobloise :

Je fais confiance à la représentation nationale pour prendre des mesures qui permettraient d'activer des dispositions déjà existantes, mais peu utilisées.

La première difficulté à laquelle nous avons été confrontés en 1989, lorsque nous étions minoritaires, tenait au fait que le contrat de délégation de service public était inaccessible aux conseillers municipaux. Seuls le maire et le représentant de la Lyonnaise des eaux en étaient signataires. Les usagers, contribuables, associations et membres de l'assemblée délibérante n'étaient que des tiers au contrat, une fois le contrat passé pour vingt-cinq ans. Les tiers sont considérés comme étrangers au contrat conclu entre la collectivité publique et le prestataire privé.

Par ailleurs, nous avions affaire à une logique d'oligopole, plus qu'à une logique de concurrence. Les concessions étaient réparties entre trois grands groupes et quelques autres, faisant partie de la fédération patronale des entreprises de l'eau (FP2E).

Une fois nos premières actions engagées, il nous a fallu attendre huit ans pour que le Conseil d'État annule la délibération autorisant la signature du contrat en 1989, le 1er octobre 1997, après que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ma requête. Si la délibération a fini par être annulée, tel n'était pas le cas du contrat, puisque celui-ci était inatteignable. À l'heure actuelle, malgré la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014, il est toujours aussi difficile de mettre en cause ces contrats, y compris quand ils sont irréguliers.

Un contrat de concession est tout à fait différent d'un contrat de marché public. Lorsque M. Didier Migaud était président de la communauté d'agglomération et que j'étais vice-président en charge de l'assainissement, nous avons passé de nombreux marchés publics, y compris avec des filiales de la Lyonnaise des eaux. En effet, nous ne disposons pas d'usines de fabrication de compteurs ou de canalisations. Dans le cadre des marchés publics, nous définissons un cahier des charges et nous obtenons la prestation commandée. En revanche, dans le cadre d'une concession, la gestion des biens publics, des installations et des équipements est concédée à un opérateur privé pour la durée du contrat. La gestion du patrimoine commun, hérité des élus en place en 1882, ne se fait donc pas à long terme, alors que nous avons à cœur de préserver les ressources dans la durée.

Quand ils sont fixés dans un contrat de concession, les tarifs échappent à la collectivité publique pour toute la durée du contrat. À l'inverse, reprendre le contrôle direct permet de réviser les tarifs annuellement, en vertu des principes d'égalité, de continuité, d'adaptabilité et de clarté.

Lorsque la gestion est confiée à un concessionnaire, les coûts sont opaques, car ils relèvent du secret des affaires. À l'époque, il nous a d'ailleurs fallu recourir à des prestataires indépendants – ce qui est très difficile à trouver, car la plupart des bureaux d'études sont liés aux grands groupes – pour parvenir à calculer le taux de rendement interne de la concession. En effet, en 1995, plus personne n'était présent dans les services pour contrôler le délégataire. Les taux de rendement se sont révélés supérieurs de dix points à ceux qui étaient affichés dans le contrat. Le prestataire pour l'assainissement nous a d'ailleurs remboursé le trop-perçu. En revanche, en régie, les coûts sont connus, puisque des marchés publics sont passés et qu'ils sont ensuite contrôlés.

Enfin, lorsqu'un service essentiellement souterrain est concédé au secteur privé, le problème est que le concédant ne connaît pas l'état des réseaux. Le concédant a beau avoir une obligation de contrôle du concessionnaire, il n'a pas les moyens de la mettre en œuvre, puisqu'il n'existe plus de personnel pour effectuer ce travail. Quand nous avons repris la compétence assainissement au niveau de l'intercommunalité, nous avons récupéré des concessions pour lesquelles le concessionnaire ne disposait même pas des plans du réseau et ne connaissait pas l'état des canalisations. La métropole a immédiatement réalisé un curage des réseaux. La régie, quant à elle, garantit une bien meilleure connaissance du patrimoine.

En résumé, concéder un service public revient à perdre du personnel, c'est-à-dire des acteurs de l'intérêt général, mais aussi à perdre la mémoire du service. Lorsque la Lyonnaise des eaux a pris possession de l'eau à Grenoble, elle a pris les cartes datant de 1890 et y a apposé son cachet. Elle s'est ainsi approprié notre patrimoine. En dix années de concession, nous avons surtout perdu des savoirs, c'est-à-dire la connaissance de ce patrimoine.

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