COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Jeudi 11 mars 2021
La séance est ouverte à douze heures cinquante.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Raymond Avrillier, membre du conseil d'exploitation des régies d'assainissement et d'eau de Grenoble-Alpes, ancien conseiller municipal (Association Démocratie Écologie Solidarité) de Grenoble (1989-2008) et ancien vice-président de la communauté d'agglomération grenobloise, chargé de l'assainissement et des eaux pluviales (1995-2008).
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences poursuit ses auditions. Nous accueillons à présent M. Raymond Avrillier, membre du conseil d'exploitation des régies d'assainissement et d'eau de Grenoble-Alpes, ancien conseiller municipal (Association Démocratie Écologie Solidarité) de Grenoble (1989-2008) et ancien vice-président de la communauté d'agglomération grenobloise, chargé de l'assainissement et des eaux pluviales (1995-2008). Il a mené de nombreuses luttes en faveur de l'écologie et de la transparence de la vie politique. Il a ainsi contribué à mettre en lumière, en 1994, le scandale de la corruption lors de la privatisation des services d'eau de Grenoble par son maire, Alain Carignon.
Monsieur Avrillier, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Raymond Avrillier prête serment.
Depuis la mission d'enquête et de contrôle sur le financement et la gestion de l'eau en 2001, présidée par M. Yves Tavernier et dont M. Didier Migaud était le rapporteur, l'Assemblée nationale ne s'est pas suffisamment intéressée aux services publics de l'eau et de l'assainissement. Il est bon qu'une enquête parlementaire sérieuse soit aujourd'hui engagée.
Je m'exprimerai aujourd'hui au nom d'un collectif, qui mène des actions sur l'eau et l'assainissement depuis une trentaine d'années, dans l'agglomération grenobloise, mais aussi au niveau de la commission locale de l'eau du Drac et de la Romanche, en Isère.
J'ai été membre élu d'assemblées délibérantes locales de 1989 à 2008 et ai notamment été vice-président en charge de l'assainissement et des eaux pluviales pour l'agglomération grenobloise de 1995 à 2008. Si les élus définissent des orientations politiques, il revient aux services et aux personnels de mettre en œuvre le service public de l'eau et de l'assainissement. À cet égard, je vous invite à auditionner des directeurs de régies pour les services d'eau et d'assainissement. Je suis aujourd'hui membre du conseil d'exploitation des régies métropolitaines d'eau et d'assainissement. J'ai également été élu membre du conseil d'administration d'une régie communale à personnalité morale de 2000 à 2008.
Les services de Grenoble-Alpes Métropole et moi-même restons à votre disposition pour vous fournir tous les éléments dont vous pourriez avoir besoin, d'autant que nous avons connu tous les modes de gestion possibles : concession, concession à des sociétés d'économie mixte, régie à personnalité morale, régie à simple autonomie financière, société publique locale. Il nous est donc facile de comparer un même service selon différents modes de gestion.
Par ailleurs, nos rapports annuels sur le prix et la qualité des services publics sont librement accessibles sur le site internet de Grenoble-Alpes Métropole. Ceux-ci mériteraient d'ailleurs d'être étendus à d'autres services que l'eau, l'assainissement et les déchets. En effet, depuis 1995, sur proposition de M. Michel Barnier, les services publics de l'eau sont obligés de publier un rapport annuel sur le prix et la qualité du service public.
Nous avons repris le contrôle, puis remunicipalisé les services de l'eau et de l'assainissement, qui avaient été concédés au secteur privé en 1989, pour vingt-cinq ans. Nous avons pu reprendre le contrôle à l'issue d'une série de péripéties s'étant déroulées de 1995 à 2000. Ce n'est qu'en 2000 que nous sommes parvenus à remunicipaliser le service public de l'eau et de l'assainissement, sachant que l'assainissement a été transféré à la communauté d'agglomération et a donc été pris en charge par la régie d'assainissement de l'agglomération. Nous avons accompli cette opération dix ans avant Paris.
La republicisation communale et intercommunale de services concédés a également donné lieu à une reprise de la gestion de l'usine d'épuration des eaux usées de Grenoble-Alpes Métropole, située au Fontanil-Cornillon. Là aussi, nous sommes capables de comparer différents modes de gestion – concession, régie publique.
Nous sommes très attentifs à ce dossier, car il nous a été transmis par nos prédécesseurs. En 1882, des services et des élus ont décidé de prendre possession de terrains, pour préserver l'un des plus grands champs de captage d'eau potable préservé, à savoir la nappe de Rochefort, située au sud de l'agglomération grenobloise. Ils en ont fait une ressource pour les siècles à venir. Nous avons donc repris le contrôle d'un patrimoine commun, auquel l'article premier de la loi de 1992 fait référence : « l'eau fait partie du patrimoine commun de la nation ».
Avez-vous été confrontés à des difficultés particulières pour revenir à une régie municipale ? Si oui, quels changements législatifs et réglementaires pourraient-ils être opérés ? Quels sont les mécanismes problématiques utilisés par les délégataires privés ?
Je fais confiance à la représentation nationale pour prendre des mesures qui permettraient d'activer des dispositions déjà existantes, mais peu utilisées.
La première difficulté à laquelle nous avons été confrontés en 1989, lorsque nous étions minoritaires, tenait au fait que le contrat de délégation de service public était inaccessible aux conseillers municipaux. Seuls le maire et le représentant de la Lyonnaise des eaux en étaient signataires. Les usagers, contribuables, associations et membres de l'assemblée délibérante n'étaient que des tiers au contrat, une fois le contrat passé pour vingt-cinq ans. Les tiers sont considérés comme étrangers au contrat conclu entre la collectivité publique et le prestataire privé.
Par ailleurs, nous avions affaire à une logique d'oligopole, plus qu'à une logique de concurrence. Les concessions étaient réparties entre trois grands groupes et quelques autres, faisant partie de la fédération patronale des entreprises de l'eau (FP2E).
Une fois nos premières actions engagées, il nous a fallu attendre huit ans pour que le Conseil d'État annule la délibération autorisant la signature du contrat en 1989, le 1er octobre 1997, après que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ma requête. Si la délibération a fini par être annulée, tel n'était pas le cas du contrat, puisque celui-ci était inatteignable. À l'heure actuelle, malgré la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014, il est toujours aussi difficile de mettre en cause ces contrats, y compris quand ils sont irréguliers.
Un contrat de concession est tout à fait différent d'un contrat de marché public. Lorsque M. Didier Migaud était président de la communauté d'agglomération et que j'étais vice-président en charge de l'assainissement, nous avons passé de nombreux marchés publics, y compris avec des filiales de la Lyonnaise des eaux. En effet, nous ne disposons pas d'usines de fabrication de compteurs ou de canalisations. Dans le cadre des marchés publics, nous définissons un cahier des charges et nous obtenons la prestation commandée. En revanche, dans le cadre d'une concession, la gestion des biens publics, des installations et des équipements est concédée à un opérateur privé pour la durée du contrat. La gestion du patrimoine commun, hérité des élus en place en 1882, ne se fait donc pas à long terme, alors que nous avons à cœur de préserver les ressources dans la durée.
Quand ils sont fixés dans un contrat de concession, les tarifs échappent à la collectivité publique pour toute la durée du contrat. À l'inverse, reprendre le contrôle direct permet de réviser les tarifs annuellement, en vertu des principes d'égalité, de continuité, d'adaptabilité et de clarté.
Lorsque la gestion est confiée à un concessionnaire, les coûts sont opaques, car ils relèvent du secret des affaires. À l'époque, il nous a d'ailleurs fallu recourir à des prestataires indépendants – ce qui est très difficile à trouver, car la plupart des bureaux d'études sont liés aux grands groupes – pour parvenir à calculer le taux de rendement interne de la concession. En effet, en 1995, plus personne n'était présent dans les services pour contrôler le délégataire. Les taux de rendement se sont révélés supérieurs de dix points à ceux qui étaient affichés dans le contrat. Le prestataire pour l'assainissement nous a d'ailleurs remboursé le trop-perçu. En revanche, en régie, les coûts sont connus, puisque des marchés publics sont passés et qu'ils sont ensuite contrôlés.
Enfin, lorsqu'un service essentiellement souterrain est concédé au secteur privé, le problème est que le concédant ne connaît pas l'état des réseaux. Le concédant a beau avoir une obligation de contrôle du concessionnaire, il n'a pas les moyens de la mettre en œuvre, puisqu'il n'existe plus de personnel pour effectuer ce travail. Quand nous avons repris la compétence assainissement au niveau de l'intercommunalité, nous avons récupéré des concessions pour lesquelles le concessionnaire ne disposait même pas des plans du réseau et ne connaissait pas l'état des canalisations. La métropole a immédiatement réalisé un curage des réseaux. La régie, quant à elle, garantit une bien meilleure connaissance du patrimoine.
En résumé, concéder un service public revient à perdre du personnel, c'est-à-dire des acteurs de l'intérêt général, mais aussi à perdre la mémoire du service. Lorsque la Lyonnaise des eaux a pris possession de l'eau à Grenoble, elle a pris les cartes datant de 1890 et y a apposé son cachet. Elle s'est ainsi approprié notre patrimoine. En dix années de concession, nous avons surtout perdu des savoirs, c'est-à-dire la connaissance de ce patrimoine.
Compte tenu de mes nombreuses questions, je propose que vous répondiez à certaines d'entre elles par écrit, à l'issue de l'audition.
Avez-vous connaissance d'éléments prouvant d'éventuelles collusions entre les trois grands acteurs privés de l'eau ? Que deviennent les petits opérateurs, qui détiennent 10 % du marché ?
Les grands groupes ont anticipé l'adoption de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi Sapin, qui rend obligatoire la mise en concurrence pour les délégations de service public. Ils ont donc fait en sorte de conclure des contrats sans mise en concurrence, en se répartissant les secteurs. Je n'en ai pas la preuve, mais tout se passe comme si Bordeaux appartenait à la Lyonnaise des eaux, tandis que Toulouse, Montpellier et Marseille reviennent à Veolia.
Les vingt plus grandes villes de France ont toutes passé des contrats avant 1993, puis elles les ont prolongés par des avenants, qui ont été mal ou peu contestés. Ni les préfets, pourtant chargés du contrôle de légalité, ni la justice administrative n'ont assuré le contrôle de régularité, de telle sorte que le territoire s'est trouvé réparti à l'issue d'ententes, dont nous n'avons pas la preuve.
Il convient de renforcer les autorités de contrôle, qui ont été défaillantes à tous les niveaux. Les assemblées délibérantes elles-mêmes ne prennent pas toujours des décisions en connaissance de cause. En effet, dans le cadre d'une concession, seul l'exécutif négocie les contrats.
Par ailleurs, les analyses comparatives entre les modes de gestion sont réalisées par des bureaux d'études qui ne sont pas indépendants des grands groupes.
La démocratie délibérative, c'est-à-dire la démocratie active de nos instances représentatives, doit être renforcée. Faisons en sorte que l'assemblée délibérante puisse prendre des décisions en connaissance de cause.
Comment pourrions-nous concrètement renforcer le contrôle exercé par l'assemblée délibérante ?
Les collectivités doivent disposer d'outils d'accès aux informations et d'analyses pluralistes prenant en compte l'ensemble des expériences. Depuis 2012, la fédération France Eau Publique, qui réunit quatre-vingt-dix collectivités, met des outils à disposition d'autres collectivités qui souhaiteraient reprendre le contrôle sur leur service d'eau.
Même en situation de concession, le concédant peut, de nouveau, se doter d'outils de contrôle. L'assemblée délibérante et les services de la collectivité doivent disposer d'outils communs. L'aide des parlementaires peut être précieuse pour que nous profitions d'outils au service des collectivités, pour pouvoir tenir compte des expériences des uns et des autres, y compris des expériences en régie directe qui se sont révélées être des échecs.
L'action des élus, adossée à des services sérieux, est primordiale. De plus, plutôt que de faire disparaître les outils de l'État mis à disposition des collectivités au niveau des directions départementales, des agences de l'eau ou des services des ministères, il est nécessaire de recréer des services de l'État qui se mettent au service des collectivités, en faveur du patrimoine commun de la nation que sont les services publics de l'eau et de l'assainissement.
Il convient également de faire en sorte que les instances de contrôle juridique – chambres régionales des comptes, Cour des comptes, tribunaux administratifs, cours administratives d'appel, Conseil d'État, parquets – soient réellement actives. Ces instances ont été défaillantes. La chambre régionale des comptes s'est intéressée au dossier de Grenoble en novembre 1995, alors qu'il était complètement corrompu depuis déjà six ou huit ans. Une mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale a été mise en place en 2001.
Nous devons nous appuyer sur les chambres régionales des comptes, ainsi que sur la juridiction administrative, qui est supposée être saisie par le préfet. L'article 72 de la Constitution confie à celui-ci une mission de contrôle de la légalité, qui s'avère défaillante. En 1989, le préfet de l'Isère a émis une observation sur le contrat de concession de l'eau de Grenoble, mais il a été muté quelques mois plus tard, étant donné qu'il exerçait son contrôle de légalité sur un maire qui avait été son ministre.
La durée des contrôles de la juridiction administrative est insupportable. Il a fallu huit ans pour obtenir du Conseil d'État qu'il annule la délégation de service public.
Que pensez-vous de l'impact du projet de Veolia, numéro un français de la gestion de l'eau et des déchets, de racheter le numéro deux, Suez, tout en revendant les activités de Suez dans le traitement et la distribution de l'eau en France au fonds d'investissement Meridam ?
Je ne suis pas compétent pour répondre à cette question. Ce projet transformera un oligopole en un monopole, en dépit de toute logique de concurrence libre et non faussée.
Le contrat de concession de l'usine d'épuration grenobloise, que nous avons récupéré en 1995, avait été passé à parts égales avec la Lyonnaise des eaux et la Générale des eaux. Un monopole était donc déjà organisé. Aucun contrôle de légalité n'a jamais été exercé à propos de cette décision.
Le projet auquel vous faites référence permettra de renforcer la puissance d'une entreprise de l'eau française, dans une logique de concurrence internationale. J'ai eu l'occasion d'accompagner Danielle Mitterrand en Uruguay, au Brésil, en Argentine et en Bolivie en 2005. J'ai alors pris conscience de l'emprise des sociétés françaises sur les marchés d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale.
Au milieu des années 1990, vous avez mis en évidence un cas de corruption lié au maire de Grenoble. Comment la mise en place d'un pacte de corruption a-t-elle été rendue possible ? Ces faits pourraient-ils encore avoir lieu aujourd'hui ?
Ces faits d'irrégularité se sont produits dans de nombreuses villes en France, en métropole et dans les territoires ultramarins, à la faveur de la passivité des élus et de certaines organisations syndicales. La corruption résulte d'abord de la passivité de nos instances démocratiques et républicaines, mais aussi de nos instances collectives d'usagers. Ce qui s'est produit à Grenoble avait lieu ailleurs de la même manière. Nous aurions voulu que les corrupteurs payent, mais tel n'a pas été le cas. La Lyonnaise des eaux n'a jamais été condamnée en tant que personne morale. Le président-directeur général (PDG) de la Lyonnaise des eaux a été entendu comme simple témoin.
Tout est fait pour que le système corruptif perdure, car les corrupteurs n'ont pas payé. Seuls des acteurs secondaires ont été mis en cause. À Bordeaux, Toulouse, Marseille, Lille et Lyon, les contrats passés à la même époque et les avenants qui ont suivi ont donné lieu à des arrangements qui n'ont jamais fait l'objet d'investigations sérieuses. Dans ce domaine, les parquets sont dépossédés.
Il ne s'agit pas d'affaires politico-financières, mais d'affaires économiques et financières. Avant de mettre en cause les élus, il convient de s'attaquer à la manière dont ces contrats sont conclus, en dehors des règles de mise en concurrence.
Le dossier de Grenoble a été jugé par le parquet de Lyon, car, à l'époque, de 1989 à 1995, le parquet de Grenoble était dépendant du maire. Le procureur général avait lui-même pour notaire l'un des élus corrompus de Grenoble.
Les investigations que vous menez pourraient permettre de balayer la défaillance des parquets. Il serait utile que vous entendiez les services d'inspection économiques et financiers de la police judiciaire et des parquets.
Vous avez évoqué des présomptions fortes d'entente et de corruption, en France hexagonale et en outre-mer. Avez-vous des éléments plus précis à nous fournir concernant l'outre-mer ?
Non. En revanche, j'ai échangé avec des collègues qui se sont rendus outre-mer et qui ont travaillé ces dossiers. Je vous transmettrai leurs coordonnées.
Le prix de l'eau a tendance à augmenter d'année en année. Comment ce phénomène s'explique-t-il, selon vous ?
L'entretien, le renouvellement et la conservation du patrimoine devraient nous préoccuper en premier lieu. Il convient de s'attacher à la qualité de l'eau avant de s'attacher à son prix. Lorsque nous avons repris le service public, nous avons baissé les prix, mais ce n'était pas notre préoccupation première. Notre ambition étant avant tout de tripler les travaux d'entretien et de renouvellement du réseau.
Il faut établir une programmation de longue durée de l'entretien et du renouvellement, c'est-à-dire un plan prévisionnel à 10 ans, à 20 ans et à plus long terme encore. La qualité du service dépend de l'entretien et du renouvellement du patrimoine. La préservation de la ressource, qui peut passer par l'acquisition de terrains, en fait partie. À Grenoble, nous avons la chance d'avoir une eau naturellement pure. La ville est alimentée par le Drac, grâce à une convention conclue avec Électricité de France (EDF) pour garantir un débit régulier en aval des barrages, de sorte que le champ de captage des eaux de Rochefort soit toujours alimenté. Si les barrages venaient à être privatisés, nos ressources pourraient être menacées.
La ressource, le patrimoine et la qualité doivent passer avant la question du prix.
Différents rapports, émanant de parlementaires, de la FP2E ou du ministère, ont pointé la problématique des fuites, en insistant sur la nécessité d'effectuer d'importants travaux. Ce n'est pas faux. Cette situation est le résultat d'un manque d'entretien et de renouvellement de la part des concessionnaires, ceux-là mêmes qui réclament aujourd'hui un grand plan de réhabilitation des réseaux. L'augmentation des tarifs peut donc être justifiée par la somme des travaux devant être réalisés pour renouveler les réseaux datant des années 1950 ou 1960.
Législativement parlant, l'eau est un service public industriel et commercial (SPIC). Son budget doit donc être équilibré, uniquement par les redevances des usagers, alors que ce service est avant tout un service sanitaire et social. Une partie de ce service devrait donc être considérée comme un service public administratif. À Grenoble, dans le cadre de notre dispositif d'accès social à l'eau, le budget principal finance les aides automatiques attribuées à 10 000 ménages. Ceux-ci reçoivent un chèque qui leur permet de ne pas dépenser plus de 3 % de leurs revenus dans les factures d'eau. Dès lors qu'une partie du service est considérée comme un service public administratif, le contribuable participe à sa fonction sanitaire et sociale.
La politique des agences de l'eau est majoritairement financée par les consommateurs d'eau potable. Qu'en pensez-vous ? Qui devrait la payer ?
84 % des ressources des agences de l'eau proviennent des redevances des usagers domestiques. La gouvernance des agences de l'eau est d'ailleurs très déséquilibrée, au détriment des usagers domestiques et même des petites entreprises. En revanche, les conseils d'exploitation et les conseils d'administration des régies comptent des représentants des industriels, des associations environnementales et des associations des usagers.
Le conseil d'administration d'une régie à personnalité morale a une voix délibérative. Les représentants sont élus par l'assemblée délibérante de la collectivité. En revanche, la voix du conseil d'exploitation de Grenoble-Alpes Métropole est consultative, puisque le conseil d'exploitation rend un avis, afin que les élus de l'assemblée délibérante décident in fine. Cette instance est néanmoins extrêmement active.
En vertu de l'article R. 2222-1 du code général des collectivités territoriales, toute entreprise liée à une commune ou à un établissement public communal par une convention financière est tenue de fournir à la collectivité contractante des comptes détaillés de ses opérations. De plus, la collectivité doit créer une commission de contrôle financier, dont la composition est fixée par une délibération du conseil. Or dans 99 % des collectivités, cette disposition n'est pas appliquée. La commission de contrôle devrait pourtant examiner sur pièces et sur place les comptes du concessionnaire. Ceux-ci doivent être transparents et joints à ceux de la commune lors du vote du compte administratif.
Vous avez évoqué la problématique des fuites. Des quantités considérables d'eau sont perdues chaque année à cause de fuites, mais sont facturées aux usagers. Quelles sont vos recommandations sur ce point ?
S'agissant des fuites, il convient de tenir compte des différences de situation selon les collectivités.
Grenoble est situé dans une cuvette et la nappe phréatique est très proche. De ce fait, les réseaux d'assainissement servent de réseaux de drainage de la nappe phréatique. Des eaux parasites rejoignent donc le réseau d'assainissement et finissent par être traitées à l'usine d'épuration. Parallèlement, notre grand champ de captage nous fournit une eau naturellement pure, qui n'a pas besoin d'être traitée. Le coût de pompage et de distribution de l'eau est ainsi plus faible qu'ailleurs. Le rendement s'établit aujourd'hui à 87 %, car nous avons réalisé d'importants travaux d'entretien sur le réseau.
Quand l'eau nécessite un traitement préalable, chaque fuite coûte très cher.
Les grands groupes prestataires cherchent à faire des fuites le sujet principal. Or l'enjeu premier ne doit pas être celui des fuites, mais celui de la mise en place d'un plan pluriannuel d'entretien et de renouvellement des réseaux.
Une partie de la fonction d'entretien du réseau, qui a été délaissée pendant des années, pourrait être considérée comme un service public administratif. En effet, il ne revient pas aux seuls usagers de payer l'entretien défaillant du réseau.
Dans tous les cas, la réponse doit être différenciée selon les collectivités.
Quel est votre avis au sujet de la prise de compétence « eau et assainissement » par les intercommunalités ? Lorsque cette prise de compétence deviendra obligatoire sur l'ensemble du territoire, les collectivités ne risquent-elles pas de recourir à la délégation de service public, au regard de la difficulté que peut représenter la gestion de l'eau et de l'assainissement sur des territoires éclatés ?
Avant de prendre une décision en la matière, il est important d'accéder aux informations, de disposer d'analyses pluralistes et de tenir un débat public contradictoire, de façon à ce que les décisions soient prises clairement et qu'elles soient ensuite contrôlées et adaptées. Je recommande la méthode dite IADECA : information, analyse pluraliste, débat public contradictoire, exposé clair des choix, contrôle régulier, adaptation des décisions en fonction de l'évolution du service.
La réponse à votre question ne peut pas se résumer à la préconisation de ne pas transférer les services. Elle est nécessairement plus complexe.
Notre expérience montre qu'il est possible d'engager une solidarité intercommunale, avec le transfert de la compétence eau. Les ressources de la commune de Vif, au sud de l'agglomération grenobloise, ayant été polluées par une source mal entretenue par la commune voisine, nous avons construit un puits, afin d'alimenter un secteur du sud de l'agglomération. Cet ouvrage a été réalisé grâce aux ressources de la métropole, donc à la solidarité intercommunale. Plus d'un million d'euros ont été dépensés pour bâtir ce puits. La commune n'aurait jamais pu financer seule une telle installation.
L'eau et l'assainissement sont des enjeux qui dépassent les territoires communaux. Dès lors, la question du transfert de compétence mérite un débat éclairé et démocratique, dans lequel les usagers seraient consultés.
L'assainissement de l'agglomération grenobloise ne peut être que communautaire.
Selon moi, il faut éviter de prendre une compétence au niveau intercommunautaire, si cela doit aboutir à la délégation de concessions au secteur privé. Néanmoins, la prise de compétence communautaire peut être parfaitement justifiée. Dans ce cas, la décision doit être claire. À cet égard, le législateur a un pouvoir considérable pour renforcer l'accès des collectivités territoriales et des services de l'État aux informations, de manière à ce que les décisions soient prises de façon éclairée, et non pas sous la pression de tel ou tel intérêt.
La réunion s'achève à treize heures cinquante.