Intervention de Christophe Poinssot

Réunion du jeudi 18 mars 2021 à 9h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Christophe Poinssot, directeur général délégué au sein du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) :

Le BRGM est un établissement public créé en 1959. Il joue le rôle de service géologique national. Non seulement le BRGM est un organisme de recherche, mais il apporte également un appui significatif aux politiques publiques, grâce à ses implantations dans toutes les régions françaises, y compris en outre-mer.

Le BRGM compte plus de 1 000 salariés, qui travaillent sur six enjeux stratégiques, dont la gestion des eaux souterraines. Ce sujet représente 22 % de notre activité, à 90% pour les pouvoirs publics.

Les eaux souterraines, contenues dans les nappes phréatiques, aussi appelées aquifères, sont un enjeu majeur. L'eau douce ne représente que 2,5 % de l'eau présente sur terre. Les eaux souterraines représentent 30 % de la réserve mondiale d'eau douce, tandis que les glaciers en représentent 68 % et les eaux de surface 0,4 %. Il est donc primordial de gérer correctement les nappes phréatiques.

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Les nappes phréatiques se reconstituent grâce à l'infiltration d'eau dans les sols. Les précipitations rechargent les nappes phréatiques. En France, environ 32 milliards de mètres cubes d'eau douce sont prélevés chaque année, soit l'équivalent de vingt-trois jours de pluie. La gestion de l'eau est un équilibre entre prélèvements et recharge, lequel doit être considéré sur le long terme et pas seulement annuellement.

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Le refroidissement des centrales électriques, thermiques ou nucléaires, représente une part significative des usages de l'eau, sachant que l'eau de surface utilisée est alors rapidement rendue au milieu naturel. La production d'eau potable, les usages agricoles et les usages industriels viennent ensuite. La proportion d'eau souterraine varie selon ces trois usages. Ainsi, les deux tiers de l'eau potable proviennent des nappes phréatiques, tandis que les eaux souterraines représentent 40 % des eaux industrielles et agricoles. La consommation d'eau potable représente la moitié de la consommation d'eau globale.

En moyenne, chaque habitant consomme 146 litres d'eau par jour. Une très faible proportion de cette eau est destinée à la boisson ou à la nourriture.

Les spécificités territoriales sont extrêmement fortes, que ce soit au niveau des usages de l'eau ou de la part des eaux souterraines. Globalement, l'eau souterraine reste prédominante dans l'approvisionnement du territoire.

La France dispose de 6 500 aquifères, dont 200 sont particulièrement importants. Ceux-ci sont abrités par des roches variées, qui peuvent être des roches très perméables (graviers, sables), des roches sédimentaires (calcaires, craie) ou des roches plus imperméables (granit). La dynamique des nappes phréatiques varie considérablement selon le type de roche qui les accueille. Certaines nappes de grande ampleur ont une forte inertie, tandis que les systèmes karstiques réagissent beaucoup plus vite.

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La situation est plus contrastée dans les départements et régions d'outre-mer, où les variations saisonnières sont beaucoup plus fortes. Il existe également d'importantes variations spatiales, liées aux vents dominants, par exemple. Les débits auxquels il est possible d'accéder diffèrent selon les territoires. Enfin, l'activité tellurique (géothermie, volcanologie, sismologie) a des conséquences. Globalement, les départements et régions d'outre-mer sont sous tension.

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La Guadeloupe, où la pluviométrie varie fortement d'un point à l'autre de l'archipel, est confrontée à une problématique de qualité de l'eau, à cause d'intrusions salines, en particulier sur Grande-Terre.

La ressource en eau est étroitement surveillée, grâce à un réseau de 1 775 piézomètres, qui permet de suivre les niveaux d'eau en temps réel. D'autres acteurs participent également au suivi. Toutes les données sont compilées dans le portail Accès aux données sur les eaux souterraines (ADES). Chaque mois, le BRGM réalise un état des lieux des nappes phréatiques. Les nappes dont le niveau est haut ou très haut sont figurées en bleu sur une carte, tandis que les nappes dont le niveau est bas apparaissent en jaune ou en rouge. La situation au 1er mars 2021 révèle que les nappes phréatiques sont en cours de rechargement.

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Grâce à ces données, nous réalisons un suivi sur la durée, non seulement en termes de quantité d'eau, mais aussi en termes de qualité. Entre 2013 et 2019, le niveau des nappes a eu tendance à s'améliorer. Du point de vue qualitatif, la situation est également en amélioration. Cependant, il faut parfois attendre plusieurs décennies pour que le marquage des nappes phréatiques par des polluants soit levé. S'agissant de la pollution aux nitrates, entre 2004 et 2019, la situation s'est dégradée par endroits, mais elle s'est nettement améliorée ailleurs.

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La connaissance des aquifères et les outils de modélisation permettent d'anticiper l'évolution des nappes. Le BRGM a notamment développé l'outil MétéEAU Nappes, grâce auquel il est possible de faire des prévisions quant à la manière dont les nappes phréatiques évolueront au cours de l'année, en intégrant les éléments climatiques fournis par Météo-France et les données relatives au niveau des eaux de surface. Il devient ainsi possible d'anticiper la gestion collective des nappes d'eau.

Nous simulons également la manière dont les nappes phréatiques pourraient évoluer à long terme. L'enjeu consiste à anticiper les conséquences du changement climatique. À l'horizon 2070, nous nous attendons à une baisse du niveau des nappes phréatiques, dont l'ampleur dépendra des régions. Sans surprise, la baisse sera plus marquée dans le sud de la France que dans le nord.

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Les simulations peuvent être réalisées à des échelles relativement fines, comme celle du bassin de la Somme, par exemple. Là, la baisse du niveau des nappes phréatiques sera particulièrement marquée sur les plateaux.

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Face à ces évolutions de court et de long terme, la question des mesures d'adaptation se pose. Ainsi, des études sont en cours au sujet de la recharge maîtrisée, qui peut être ponctuelle ou continue. Cette solution est déjà mise en œuvre par endroits, notamment à Crépieux-Charmy, près de Lyon.

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Il est absolument nécessaire de mettre en œuvre une gestion raisonnée, laquelle doit reposer sur un équilibre entre les ressources et les prélèvements. Cela suppose de connaître les aquifères de manière approfondie et les besoins des territoires. En effet, la régulation à l'échelle des territoires est primordiale. À cet égard, il apparaît nécessaire de renforcer notre connaissance des départements et régions d'outre-mer.

Il existe un fort enjeu de suivi des aquifères et des prélèvements. Nous disposons déjà d'outils opérationnels et pertinents s'agissant du suivi des nappes, même s'il nous faut continuer à renforcer ces réseaux d'observation. En ce qui concerne la qualité des nappes, il est nécessaire d'anticiper l'émergence éventuelle de polluants. Enfin, il est important d'avoir une vision fiable des volumes prélevés.

Nous pourrons améliorer la situation actuelle et renforcer la résilience des territoires si nous disposons de modèles prédictifs robustes. Cependant, l'exercice est tout à fait différent selon qu'il s'agit de prédire à l'échelle de quelques jours ou de quelques décennies. Il est également important de développer des outils d'aide à la décision, pour assurer le juste partage des ressources en fonction des besoins. Ce partage doit se faire à l'échelle des territoires, en intégrant les dimensions sociétales, économiques et politiques, afin de parvenir à une gestion collective appropriée. Les bassins sont les territoires de référence pertinents, même s'ils ne coïncident pas avec le découpage administratif du pays. Dès lors, un travail collectif, mené sur des échelles de temps adaptées à la dynamique des bassins, est indispensable.

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