Merci Mme la présidente. Actuellement consultant, je délivre mes conseils aux collectivités dans le domaine de l'eau potable et des services publics de l'eau. Ma carrière m'a conduit à occuper des fonctions de direction dans le service public, le secteur public et le secteur privé. J'ai en effet successivement été fonctionnaire au ministère de l'agriculture, puis ingénieur-conseil, avant de démissionner de l'administration pour rejoindre la Générale des eaux durant une quinzaine d'années ? J'y ai occupé un poste de direction à la recherche et à l'ingénierie. J'ai ensuite occupé un poste de directeur industriel, puis de directeur du développement, dans une des importantes filiales industrielles de ce groupe, qui a été cédée lorsque M. Jean-Marie Messier a restructuré la Générale des eaux.
J'ai alors rejoint entre 2003 et 2015 la Société anonyme de gestion des eaux de Paris (SAGEP), qui a ensuite été renommée Eau de Paris. Dans ce cadre, j'ai suivi le processus de transformation de la SAGEP en régie. J'y ai occupé les postes de directeur général adjoint, puis de directeur général par intérim. Je dispose donc d'une vision de l'organisation du service de l'eau dans le privé et dans le public en région parisienne.
Alors que ma carrière m'a conduit à assurer des missions opérationnelles, je souhaite évoquer le poids excessif pris par les opérateurs privés en matière de choix techniques relatifs à la gestion de l'eau.
Par ailleurs, j'ai toujours été actif dans des instances collectives. En effet, j'ai longtemps présidé la commission alimentation de l'eau de l'Association française de normalisation (AFNOR). Actuellement, je suis administrateur de l'ASTEE et je participe également aux travaux du comité d'experts spécialisés eaux de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). À ce titre, j'ai toujours cherché à promouvoir l'intérêt général face à des intérêts privés ou des tentatives de détournement de l'intérêt général.
Au sein de la région parisienne, il est de notoriété publique que les intérêts privés sont majoritairement en charge des orientations, des choix et des activités des services de l'eau. Chacun connaît le Syndicat des eaux d'Île-de-France (SEDIF), mais c'est également le cas d'autres structures plus discrètes. Ainsi, la Lyonnaise des eaux assure la délégation de service public à l'ouest de Paris dans le cadre du Syndicat des eaux de la presqu'île de Gennevilliers (SEPG), rebaptisé Sénéo, mais aussi du Syndicat des eaux de Versailles Saint-Cloud, ou d'autres grandes structures au sud de Paris. Ces contrats très rentables ont été conclus il y a très longtemps et servent de vitrine à ces opérateurs pour assurer la promotion de la gestion déléguée dans le monde entier.
Dans la mesure où ces contrats sont stratégiques, les grands groupes travaillent en permanence à les renouveler et à les améliorer, plutôt qu'à baisser le prix de l'eau. Ayant été en première ligne, je sais combien la maîtrise de la technique et des savoir-faire sont des éléments stratégiques permettant d'atteindre ces objectifs. Or c'est bien le laboratoire public d'Eau de Paris qui a mis au point la méthode de recherche de Covid-19 dans les eaux usées, alors qu'aucun laboratoire des opérateurs privé n'avait travaillé sur ce sujet. Je suis heureux d'avoir contribué à recruter les scientifiques à l'origine de ce succès, alors même que les opérateurs privés avaient contribué à limiter les financements dédiés au programme de recherche public Aqua Publica Europea, et alors que ces mêmes opérateurs privés obtenaient des financements dans le cadre des pôles de développement.
Par ailleurs, la notion d'exclusivité des techniques, du patrimoine et des savoir-faire, qui vise à mettre en avant une forme de complexité, permet de favoriser le statu quo, notamment lorsque les opérateurs privés font la promotion des contrats en entreprise générale. Afin de sortir de cette logique, Eau de Paris a lancé des contrats dans le cadre de marchés séparés, afin de favoriser la concurrence. Cependant, une telle démarche nécessite de disposer de moyens et de compétences qui ne sont pas à la portée de tous les intervenants.
La maîtrise de la technique passe également par la maîtrise exclusive de l'information, notamment concernant les fichiers clientèle, les techniques et les processus, enfin l'élaboration des indicateurs et des éléments permettant de fixer le prix de l'eau. Là encore, la maîtrise de ces éléments contribue au statu quo et au maintien de prix élevés.
Ces difficultés techniques sont même entretenues afin de bloquer les mutations. Ceci explique pourquoi les élus et les services hésitent à changer de solution. Mais cette complexité rend également difficile le contrôle. En effet, le fait que le contrôleur soit lui-même formé par le contrôlé n'est pas un gage d'indépendance permet difficilement de promouvoir l'intérêt général.