Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du jeudi 25 mars 2021 à 11h00

Résumé de la réunion

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  • SEDIF
  • délégataire
  • eaux
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  • régie
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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Jeudi 25 mars 2021

La séance est ouverte à onze heures.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. François Leblanc, consultant, ancien directeur général adjoint de la régie Eau de Paris .

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en entendant M. François Leblanc, consultant, ancien directeur général adjoint de la régie Eau de Paris, membre du conseil d'administration de l'Association scientifique et technique pour l'eau et l'environnement (ASTEE).

Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. François Leblanc prête serment.

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François Leblanc

Merci Mme la présidente. Actuellement consultant, je délivre mes conseils aux collectivités dans le domaine de l'eau potable et des services publics de l'eau. Ma carrière m'a conduit à occuper des fonctions de direction dans le service public, le secteur public et le secteur privé. J'ai en effet successivement été fonctionnaire au ministère de l'agriculture, puis ingénieur-conseil, avant de démissionner de l'administration pour rejoindre la Générale des eaux durant une quinzaine d'années ? J'y ai occupé un poste de direction à la recherche et à l'ingénierie. J'ai ensuite occupé un poste de directeur industriel, puis de directeur du développement, dans une des importantes filiales industrielles de ce groupe, qui a été cédée lorsque M. Jean-Marie Messier a restructuré la Générale des eaux.

J'ai alors rejoint entre 2003 et 2015 la Société anonyme de gestion des eaux de Paris (SAGEP), qui a ensuite été renommée Eau de Paris. Dans ce cadre, j'ai suivi le processus de transformation de la SAGEP en régie. J'y ai occupé les postes de directeur général adjoint, puis de directeur général par intérim. Je dispose donc d'une vision de l'organisation du service de l'eau dans le privé et dans le public en région parisienne.

Alors que ma carrière m'a conduit à assurer des missions opérationnelles, je souhaite évoquer le poids excessif pris par les opérateurs privés en matière de choix techniques relatifs à la gestion de l'eau.

Par ailleurs, j'ai toujours été actif dans des instances collectives. En effet, j'ai longtemps présidé la commission alimentation de l'eau de l'Association française de normalisation (AFNOR). Actuellement, je suis administrateur de l'ASTEE et je participe également aux travaux du comité d'experts spécialisés eaux de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). À ce titre, j'ai toujours cherché à promouvoir l'intérêt général face à des intérêts privés ou des tentatives de détournement de l'intérêt général.

Au sein de la région parisienne, il est de notoriété publique que les intérêts privés sont majoritairement en charge des orientations, des choix et des activités des services de l'eau. Chacun connaît le Syndicat des eaux d'Île-de-France (SEDIF), mais c'est également le cas d'autres structures plus discrètes. Ainsi, la Lyonnaise des eaux assure la délégation de service public à l'ouest de Paris dans le cadre du Syndicat des eaux de la presqu'île de Gennevilliers (SEPG), rebaptisé Sénéo, mais aussi du Syndicat des eaux de Versailles Saint-Cloud, ou d'autres grandes structures au sud de Paris. Ces contrats très rentables ont été conclus il y a très longtemps et servent de vitrine à ces opérateurs pour assurer la promotion de la gestion déléguée dans le monde entier.

Dans la mesure où ces contrats sont stratégiques, les grands groupes travaillent en permanence à les renouveler et à les améliorer, plutôt qu'à baisser le prix de l'eau. Ayant été en première ligne, je sais combien la maîtrise de la technique et des savoir-faire sont des éléments stratégiques permettant d'atteindre ces objectifs. Or c'est bien le laboratoire public d'Eau de Paris qui a mis au point la méthode de recherche de Covid-19 dans les eaux usées, alors qu'aucun laboratoire des opérateurs privé n'avait travaillé sur ce sujet. Je suis heureux d'avoir contribué à recruter les scientifiques à l'origine de ce succès, alors même que les opérateurs privés avaient contribué à limiter les financements dédiés au programme de recherche public Aqua Publica Europea, et alors que ces mêmes opérateurs privés obtenaient des financements dans le cadre des pôles de développement.

Par ailleurs, la notion d'exclusivité des techniques, du patrimoine et des savoir-faire, qui vise à mettre en avant une forme de complexité, permet de favoriser le statu quo, notamment lorsque les opérateurs privés font la promotion des contrats en entreprise générale. Afin de sortir de cette logique, Eau de Paris a lancé des contrats dans le cadre de marchés séparés, afin de favoriser la concurrence. Cependant, une telle démarche nécessite de disposer de moyens et de compétences qui ne sont pas à la portée de tous les intervenants.

La maîtrise de la technique passe également par la maîtrise exclusive de l'information, notamment concernant les fichiers clientèle, les techniques et les processus, enfin l'élaboration des indicateurs et des éléments permettant de fixer le prix de l'eau. Là encore, la maîtrise de ces éléments contribue au statu quo et au maintien de prix élevés.

Ces difficultés techniques sont même entretenues afin de bloquer les mutations. Ceci explique pourquoi les élus et les services hésitent à changer de solution. Mais cette complexité rend également difficile le contrôle. En effet, le fait que le contrôleur soit lui-même formé par le contrôlé n'est pas un gage d'indépendance permet difficilement de promouvoir l'intérêt général.

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Pourriez-vous détailler les difficultés que vous avez rencontrées dans le cadre de la remunicipalisation des services de l'eau et de l'assainissement de Paris et formuler des propositions permettant d'aider d'autres communes souhaitant réaliser un choix comparable ? J'aimerais également que vous évoquiez le poids excessif des opérateurs privés concernant les choix de métier. Enfin, avez-vous rencontré des difficultés pour obtenir des informations relatives à l'état des réseaux de la part des acteurs privés qui opéraient à Paris ?

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François Leblanc

La remunicipalisation de l'eau à Paris a constitué une expérience assez comparable à celles que j'ai vécues lors de rachats d'entreprises lorsque je travaillais dans le privé. La situation a été assez conflictuelle, alors que les choses devraient se passer normalement lorsqu'au terme d'un contrat le maître d'ouvrage décide de changer de fournisseur.

Il convient d'ajouter que, dans le cas de Paris, les contrats ne prévoyaient pas leur fin et la réversibilité dans le cadre d'un transfert. En particulier, le fait que les systèmes d'information soient la propriété exclusive de la Lyonnaise des eaux et de Veolia a imposé de conclure des marchés transitoires en la matière, sans doute facturés à un prix exorbitant, dans la mesure où il n'existait aucun moyen de les justifier. Les coûts de transition ont donc été conséquents, mais ont largement été compensés par les économies générées ultérieurement.

La leçon à tirer est qu'il faut préparer très en amont ce type de mutation, tout d'abord au niveau du personnel, qu'il convient d'accueillir et de former dans de bonnes conditions, mais aussi des connaissances des processus, en vue d'assurer la continuité du service. À Paris, nous avons réussi la remunicipalisation en forçant les délégataires sortants à assurer dans de bonnes conditions la continuité de service.

Concernant l'état des réseaux, les inventaires étaient généralement incomplets. En réalité, toutes sortes d'informations ne nous ont pas été transmises. Il a donc fallu aller les chercher, ce qui a induit une perte de temps et d'énergie. Surtout, nous n'avons jamais réussi à obtenir certaines informations. En effet, dès lors que les systèmes d'information des délégataires ne sont plus opérationnels, les données ne peuvent plus circuler.

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Quelles sont les grandes différences entre une gestion par régie publique et une gestion déléguée au privé ?

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François Leblanc

La délégation conduit à transférer à un délégataire privé des responsabilités et des risques. Le délégataire doit fournir un service selon la quantité et la qualité requise, et ce de manière pérenne. Cependant, contrairement à ce que pensent certaines collectivités, le maître d'ouvrage voit sa responsabilité engagée dès qu'une véritable difficulté apparaît.

En réalité, la véritable différence entre régie publique et gestion déléguée au privé réside au niveau des intentions et des choix. Un opérateur privé aura pour objectif d'accroître progressivement son niveau de marge au fil du contrat, puis de conserver dans le cadre d'un renouvellement le niveau de marge élevé atteint à la fin de la durée du premier contrat. En revanche, une régie n'aura pas pour objectif de conserver un certain niveau de marge, mais la qualité du service et la pérennité du dispositif à long terme. Très concrètement, dans le cadre d'une délégation, un opérateur privé peut estimer qu'il a rénové le réseau uniquement en remplaçant des joints pour supprimer des fuites. Or, si une telle pratique permet effectivement d'améliorer les indicateurs relatifs aux linéaires rénovés, la durée de vie d'une telle rénovation est très inférieure à celle résultant de la rénovation complète d'une conduite. À Paris, la remunicipalisation a permis de retrouver des bonnes pratiques, en renouvelant totalement des conduites d'une durée de vie de cent ans.

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Entre gestion déléguée et régie, quel modèle faut-il privilégier ?

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François Leblanc

Le modèle de la régie doit être privilégié au regard de l'intérêt général et de l'intérêt des citoyens, puisqu'il permet d'offrir un service à un prix mesuré sur la durée.

À titre d'exemple, sous l'influence du délégataire, le SEDIF a choisi d'adopter la technologie d'osmose inverse basse pression (OIBP). Or une régie n'aurait sans doute pas fait un choix comparable. En effet, cette technologie, également utilisée pour dessaler l'eau de mer, consiste à faire transiter de l'eau sous pression à travers une membrane afin de capter toutes les particules. Au cours des dernières années, une amélioration de la qualité des membranes a permis de déployer cette technique dans le cadre de basses pressions. Le SEDIF disposera ainsi d'une eau débarrassée du chlore et du calcaire.

Le problème est que ce projet est extrêmement coûteux, puisque son coût sera sans doute compris entre 1 et 1,5 milliard d'euros et représentera environ 30 % du prix de l'eau. Surtout, ce projet impactera les services de l'eau de l'ensemble de la région parisienne. En effet, dans la mesure où l'eau pure n'est pas potable, il sera nécessaire de mélanger l'eau produite à une autre source avant d'être distribuée. Par ailleurs, cette eau très particulière pourra créer des problèmes au niveau des réseaux. Enfin, l'eau produite, dépourvue de chlore, pourra difficilement être offerte en secours à d'autres opérateurs en cas de difficulté.

De plus, cet investissement important, destiné à éliminer les micro-particules, les micro-polluants, les perturbateurs endocriniens, les pesticides et les résidus médicamenteux, engage l'avenir. Or il existe des alternatives, notamment déployées par Eau de Paris, visant à appliquer un « juste traitement » permettant d'obtenir une « juste qualité de l'eau », c'est-à-dire à ne pas dépasser certains seuils concernant la teneur en chlore ou en calcaire, au moyen de techniques traditionnelles. Ces dernières peuvent bénéficier d'amélioration, par exemple en utilisant des charbons actifs. Car, bien évidemment, l'objectif n'est pas de refuser le progrès, mais de lutter contre la « sur-technique » et la sur-qualité.

À mes yeux, ces choix ne sont pas faits par hasard. En effet, en faisant la promotion de l'OIBP, un délégataire privé privilégiera une technologie complexe et nécessitant des investissements importants afin de créer en France un équipement de référence utile à son développement international. Est-ce bien le rôle d'un service public de l'eau, alors que d'autres types d'investissements permettraient de baisser le prix de l'eau ?

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Vous estimez qu'un opérateur privé a pour objectif d'accroître progressivement son niveau de marge au fil du contrat, puis de conserver ce niveau élevé lors du renouvellement du contrat. Qui rédige les contrats de délégation de service public ? Ces contrats contiennent-ils des clauses défavorables pour les collectivités ? Les abonnements sont-ils rédigés dans les mêmes conditions ? Comment lutter contre le phénomène que vous décrivez ?

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François Leblanc

Les contrats de délégation de service public sont rédigés par les maîtres d'ouvrages, aidés d'assistants à maîtrise d'ouvrage. Cependant, il difficile d'anticiper lors de cette rédaction tous les problèmes susceptibles d'apparaître au cours de la durée de la délégation, et qui impliquent de rédiger des avenants.

Par ailleurs, concernant les choix techniques qui impacteront le prix, le maître d'ouvrage est souvent isolé face à un grand groupe. C'est pourquoi il serait utile de créer une structure dépassant les autorités organisatrices, disposant de la compétence technique, capitalisant les expériences et capables d'organiser des formations.

Ainsi, avant la remunicipalisation, les deux délégations de service public en vigueur à Paris prévoyaient le déploiement d'un réseau de télé-relevés, dont les caractéristiques techniques étaient uniquement connues des délégataires. De plus, ces réseaux de télé-relevés de Veolia et de la Lyonnaise des Eaux ne communiquaient pas entre eux, puisqu'ils étaient portés par les systèmes d'information des propriétaires respectifs. Les délégataires avaient parfaitement anticipé cette évolution, contrairement à la ville de Paris. De plus, lors du rachat de ces deux réseaux de télé-relevés, la régie de Paris a dû payer un prix calculé selon une valeur nette comptable extrêmement élevée, qu'il n'a pas été possible de vérifier, alors même que la réunification ces deux réseaux par la suite a généré des coûts supplémentaires.

Enfin, il n'est généralement pas possible de contrôler les coûts associés aux modifications inscrites dans les avenants.

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Quelle forme pourrait prendre la structure qui chapeauterait les différentes autorités organisatrices ?

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François Leblanc

Il est difficile de répondre à cette question. Il pourrait s'agir d'une structure de coopération. Ainsi, des sociétés publiques locales (SPL) ou des groupements d'intérêt économiques (GIE) devraient permettre de mutualiser des moyens. Cependant, il s'avère difficile de concrétiser les premières tentatives en la matière, au regard de difficultés identifiées en matière de droit, de gouvernance et de financement.

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Vous avez évoqué le nécessaire contrôle du déléguant sur le délégataire, y compris dans le cadre d'une régie. Or une telle démarche génère des coûts et impose de disposer d'une maîtrise technique.

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François Leblanc

Par définition, une régie est contrôlée par son autorité organisatrice, puisqu'elle en est l'émanation. Ce contrôle s'apparente à celui d'une entreprise par son conseil d'administration. Il est normal qu'elle rende compte à travers l'examen d'indicateurs, tout en évitant une complexité inutile en la matière. En réalité, le contrôle des régies passe par une gouvernance élargie. Ainsi, le conseil d'administration d'Eau de Paris a intégré des représentants des usagers, du monde scientifique, des associations environnementales, des associations de consommateurs, ou encore des salariés.

En revanche, le contrôle des délégations de services publics doit reposer sur des indicateurs permettant de disposer d'informations précises, qui ne doivent pas être quémandées en permanence par la collectivité organisatrice. Cette dernière doit par ailleurs éviter une trop grande proximité avec le délégataire.

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Dans le cadre d'une régie, une autorité organisatrice ne conservant pas en son sein des compétences techniques indépendantes ne risque-t-elle pas d'être confrontée à des risques comparables à ceux identifiés dans le cadre d'une délégation de service public ?

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François Leblanc

Ce risque existe. Cependant, la gouvernance mise en place et la diffusion d'informations dans le cadre de données ouvertes doivent permettent un contrôle extérieur suffisant. Les régies sont en réalité bien plus transparentes que les délégations de service public. Cette caractéristique est particulièrement importante dans le cadre d'activités non régulées, par exemple en matière d'achat d'eau en gros.

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En juillet 2011, dix-huit mois après la remunicipalisation de la gestion de l'eau à Paris, le prix de l'eau a baissé de 8 %, ce qui a induit une diminution des recettes de 15 millions d'euros par an. Or la chambre régionale des comptes a ensuite pointé un sous-investissement d'un montant de 28 millions d'euros par an entre 2010 et 2013.

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François Leblanc

Eau de Paris a eu l'occasion de répondre à la chambre régionale des comptes sur ce sujet. En réalité, les programmes d'investissement n'avaient pas été transmis par les anciens délégataires. Il a donc été nécessaire de relancer des marchés, dans le cadre du code des marchés publics, ce qui a pris un certain temps. Par ailleurs, l'adoption d'une comptabilité publique a contribué à allonger certains délais de paiement, et par conséquent à décaler certaines facturations, y compris concernant des travaux déjà réalisés. Ces différents éléments expliquent pourquoi les investissements constatés au cours des deux premières années suivant la remunicipalisation ont été inférieurs aux ambitions affichées.

Les montants des investissements ont ensuite progressé et, après un premier programme quinquennal permettant de terminer les programmes initiés par la SAGEP et les distributeurs privés, le deuxième programme a permis d'augmenter le montant des investissements.

Par ailleurs, le volume des investissements doit être évalué au regard de la nature des opérations engagées. Ainsi, concernant les investissements dédiés au renouvellement du réseau, j'ai déjà eu l'occasion de souligner que les interventions programmées permettent désormais de remplacer des tronçons entiers du réseau, et non de remplacer uniquement des joints fuyards. Par ailleurs, alors que les distributeurs privés avaient tendance à favoriser des investissements permettant de remplacer des linéaires dans les zones les plus accessibles, Eau de Paris a investi en priorité sur le remplacement des canalisations de gros diamètre, ce qui constitue une opération plus coûteuse, afin de garantir la pérennité du réseau à long terme.

Enfin, cette comparaison impose de vérifier le prix payé pour réaliser des investissements comparables. Or, à l'issue de la remunicipalisation, nous avons obtenu une réduction des prix pratiqués de l'ordre de 25 % à 30 %.

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François Leblanc

Nous avons lancé de nouvelles consultations, portant parfois sur des marchés aux périmètres moins étendus, et dans le cadre de restructurations techniques permettant à d'autres acteurs d'intervenir afin de favoriser la concurrence ou le recours à des capacités techniques plus performantes. Les marchés portaient par ailleurs sur des durées inférieures, permettant d'améliorer la visibilité des entreprises.

À moyen terme, ces différents éléments ont permis de réaliser un plus grand volume de travaux à budget constant, mais aussi d'améliorer la valeur technique du patrimoine.

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Pourquoi n'était-il pas possible d'enregistrer des coûts inférieurs dans le cadre de la délégation de service public ?

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François Leblanc

Les coûts avaient été fixés dans le cadre de contrats de délégation de service public datant de 1984 et progressaient régulièrement en appliquant des indices qui n'étaient jamais remis en cause. Par ailleurs, au regard des caractéristiques particulières du réseau parisien, il s'avérait difficile de vérifier le prix exact de certaines prestations avant de consulter et de mettre en concurrence les prestataires. Avec le recul, il est possible de constater que les nouveaux marchés ont permis de diminuer de 25 % à 30 % le prix de certains travaux.

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Concernant la gestion de l'eau en Île-de-France, les établissements publics territoriaux constitutifs de la métropole de Paris en charge de la compétence eau sont le plus souvent alimentés par le SEDIF dans le cadre d'une délégation de service public attribuée à Veolia. Certains souhaitent quitter ce syndicat au profit d'une gestion publique. Quel regard portez-vous sur les deux services d'eau de la métropole, Eau de Paris et le SEDIF ? Lequel est le plus performant et pourquoi ?

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François Leblanc

Il convient tout d'abord de préciser la manière d'évaluer la qualité d'un service. Les indicateurs relatifs au respect des normes de qualité de l'eau et à la continuité de service sont identiques. D'ailleurs, des protocoles d'accord permettent de garantir un secours mutuel entre les deux services. En revanche, un écart important apparaît en matière de prix, puisque Eau de Paris a baissé ses prix et n'a d'autre objectif que d'équilibrer ses comptes et de garantir la pérennité du service, alors qu'un délégataire privé doit dégager une certaine marge. La stratégie des deux acteurs diffère également, puisque, dans la perspective du renouvellement du contrat, le SEDIF cherche à recruter de nouveaux adhérents et d'empêcher tout départ, alors qu'Eau de Paris a pour seul objectif de vendre de l'eau.

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Vous avez travaillé au sein de la Générale des eaux, qui a assuré la délégation du service public en Guadeloupe durant plus de quarante ans. Avez-vous identifié des anomalies dans le cadre de cette délégation du service public ?

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François Leblanc

Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question, car je n'ai pas eu l'occasion de travailler personnellement sur ce contrat particulier.

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Avez-vous eu connaissance de faits actuels, spécifiques et précis constitutifs de financiarisation, prédation et corruption ? Quels détails pourriez-vous donner à la commission d'enquête ?

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François Leblanc

Je n'ai pas connaissance de faits de cette nature. Je constate simplement que la maîtrise exclusive de certains sujets par un délégataire génère des coûts et des choix techniques qui ne me semblent pas conformes à l'intérêt général. C'est pourquoi je juge nécessaire la création d'une autorité régulatrice, notamment en région parisienne.

En particulier, j'observe que le SEDIF, ainsi que son délégataire, imposent une déconnexion physique totale du réseau aux établissements publics territoriaux (EPT) membres souhaitant quitter ce syndicat pour adopter une gestion en régie. Il en résulte un surcoût pour ces entités souhaitant prendre leur autonomie, mais aussi le démembrement d'un remarquable réseau mutualisé. Or le fait de mobiliser des moyens techniques générant des coûts considérables ne semble pas être une méthode dictée par l'intérêt général.

Le SEDIF justifie sa position par la nécessité de comptabiliser l'eau passant d'un opérateur à un autre et de réguler l'ensemble. Or ces deux objectifs qui pourraient être atteints par d'autres moyens. Ce syndicat estime ensuite que ses demandes ont pour objectifs de maîtriser la qualité de l'eau. Or, en cas de départ d'un EPT, ce dernier sera responsable de la qualité de l'eau sur son territoire. Les arguments avancés semblent donc peu pertinents, ce qui pose la question de la motivation réelle de ceux qui les avancent.

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Concernant le marché de l'eau en gros, vous avez estimé que la concurrence était faussée entre des opérateurs publics et privés. Quelle en est la conséquence pour les usagers ?

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François Leblanc

Le marché des ventes d'eau en gros est peu connu, mais porte sur des montants considérables. En effet, le prix de la ressource représente entre 50 % et 60 % du prix de l'eau commercialisé. Bien évidemment, si le prix de vente de l'eau en gros est supérieur au prix exact de la ressource, l'usager est pénalisé.

Par ailleurs, les ventes d'eau en gros sont utilisées par le SEDIF pour défendre le statu quo face à des EPT ne disposant pas de ressources en eau sur leur territoire. En effet, alors que le SEDIF se trouve en situation de quasi-monopole, il n'existe aucun moyen de vérifier si ce dernier demande le juste prix pour avoir accès à cette ressource.

Dans le cadre de mes fonctions au sein d'Eau de Paris, j'ai participé à diverses batailles relatives aux ventes d'eau en région parisienne. Cependant, Eau de Paris n'a jamais réussi à vendre de l'eau dans un cadre concurrentiel. Ceci s'explique par le fait que les producteurs d'eau privés vendent de l'eau en gros à un prix moins élevé, alors que le prix qu'ils appliquent à l'usager final est au contraire très supérieur à celui appliqué par Eau de Paris. Cette situation est totalement anormale. C'est pourquoi je milite pour que les ventes d'eau en gros soient régulées par une autorité suprarégionale prenant en compte l'intérêt général, afin qu'elles ne servent plus à soutenir les positions respectives des grands opérateurs.

À titre d'exemple, le SEPG achète à un prix exorbitant de l'eau à la Lyonnaise des eaux au titre de la capacité de secours, une sécurité qui en réalité n'a jamais été activée, alors que cet acteur aurait tout intérêt à mutualiser son réseau avec Eau de Paris afin de bénéficier quasi gratuitement d'un tel secours. Là encore, cette solution serait facilitée par la création d'une entité suprarégionale.

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Quel devrait être le rôle d'une telle autorité régulatrice ?

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François Leblanc

À mes yeux, le dispositif d'approvisionnement en eau de la grande métropole de Paris ne peut pas uniquement résulter de la concurrence entre opérateurs. L'autorité que j'appelle de mes vœux aurait donc pour mission de trouver la meilleure solution collective sur le long terme, alors que le dispositif actuel vise uniquement à conserver un statu quo et à améliorer la rentabilité d'un acteur. Le schéma actuel est extrêmement dangereux, puisqu'il peut conduire à ne pas protéger correctement, ou à mal répartir, certaines ressources en eau, donc à mal desservir certains secteurs d'Île-de-France.

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Élue du territoire de l'établissement public territorial (EPT) Grand-Orly Seine Bièvre, je sais que certaines communes souhaitant sortir du SEDIF se heurtent à l'attitude que vous dénoncez. Avez-vous rencontré une telle opposition lors de la remunicipalisation de l'eau à Paris ? Par ailleurs, quelles seraient les alternatives permettant de contrôler la quantité d'eau ?

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François Leblanc

Nous n'avons pas été confrontés à ce type d'opposition lors de la remunicipalisation de l'eau à Paris, car l'opération a permis de mutualiser les réseaux et les installations précédemment réparties entre la SAGEP, la Lyonnaise des eaux et Veolia. Nous regrettions en effet que l'eau puisse transiter par une dizaine d'opérateurs différents avant d'être distribuée au consommateur.

Par ailleurs, alors que nous connaissons parfaitement les volumes d'eau consommée par les usagers, grâce aux factures et aux compteurs, ainsi que les volumes d'eau sortant des usines, le SEDIF refuse de communiquer les données relatives au rendement des réseaux entre ces deux étapes. Cet élément fait partie de la stratégie de rétention de l'information évoquée précédemment.

En cas de départ d'un EPT, il serait parfaitement possible de maîtriser les volumes servant à la facturation et de l'eau en gros en implantant des compteurs à certains endroits, au moins durant une phase transitoire, plutôt que de couper les réseaux. Cette stratégie serait bien moins coûteuse.

L'audition s'achève à douze heures.