Intervention de Édouard de Féligonde

Réunion du jeudi 8 avril 2021 à 10h45
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Édouard de Féligonde, propriétaire de la pisciculture de Saint-Genest-l'Enfant :

Les trois sources sur ma propriété (du Gargouilloux, du Rocher et de la Chapelle des eaux) sont connues des Romains sous le nom de Dragonara. Au XIIIe siècle, les moines de l'abbaye de Mozac y élevaient déjà des truites. En 1651, l'édification du fief de Saint-Genest-l'Enfant permet de protéger les trois sources et d'assurer une distribution équitable via les trois ruisseaux qui irriguent l'aval jusqu'à l'Allier.

Les sources de front de coulée sont les seuls exutoires de l'impluvium de Volvic jusqu'en 1927, date à laquelle est creusé le puits du Goulet. Aussi, contrairement au marketing de Danone, les sources de Volvic n'existent pas. Pourtant, 80 000 personnes visitent chaque année des sources qui n'existent pas.

En 1876, la pisciculture de Saint-Genest-l'Enfant est considérée comme la plus belle d'Europe. J'ai toujours connu, avant l'arrivée de Danone, une production de 60 tonnes et un chiffre d'affaires de 2,3 millions d'euros et j'employais alors six personnes. Aujourd'hui, je subis un préjudice direct supérieur à 26 millions d'euros – sans compter les autres préjudices qui n'ont pas encore été évalués par mes conseils.

Depuis 1851, la propriété est gracieusement ouverte au public. Jusqu'en novembre 2018, 10 000 enfants venaient chaque année y apprendre à pêcher.

Restaurer la pisciculture requiert 65 mois de travaux et l'emploi de 20 personnes à temps plein. 160 arbres centenaires devront être abattus pour cette restauration. Relancer la production piscicole représente 36 mois de travaux. À 56 ans, je peux donc oublier mon métier.

Les salamandres ont disparu de la propriété. Plusieurs tonnes de poissons sont morts par manque d'oxygène dans l'eau. La pisciculture ne prélève ni ne retient aucune eau. La pisciculture est en rupture d'eau cinq mois par an depuis 2017.

Le site est entièrement classé monument historique – y compris les bassins et le système hydraulique. Si les bassins en pierre de Volvic se retrouvent sans eau, ils s'effondrent. Qu'est-ce qu'un réseau hydraulique sans eau ?

En 1927, les débits des sources du Gargouilloux, du Rocher et de la Chapelle des eaux sont mesurés à 427 litres par seconde par les services de l'État. En 1982, une déclaration d'utilité publique (DUP) interdit tout forage dans le périmètre immédiat et étendu de Volvic. Les usagers des eaux devront être indemnisés de tous les dommages dont ils pourront prouver que ceux-ci leur ont été causés par la dérivation des eaux. En 1989, est réalisé le forage d'Aubignat en infraction avec cette DUP. En 1991, est réalisé le dorage de Clairval en infraction avec cette DUP. En 1993, Danone achète les eaux de Volvic. En 1993, est réalisé le forage d'Arvic Sud en infraction avec la DUP.

Selon la direction départementale des territoires (DDT), tous les forages sont équipés pour mesurer et enregistrer en continu le niveau dynamique de la nappe et le débit des prélèvements.

En 2002, est réalisé un test au iodure de sodium. Selon le rapport d'Alexandra Stouls réalisé en 2009 et payé par Danone, les sources de Saint-Genest-l'Enfant réagissent en moins de 45 jours depuis les puits de Volvic. Selon la thèse de Simon Rouquet réalisée en 2012 et payée par Danone, la source du Gargouilloux réagit en moins de 11 à 12 jours depuis les puits de Volvic.

Il est donc certain que Danone connaissait au moins depuis 2002 la relation de cause à effet des pompages dans les puits de Volvic sur la pisciculture, même si les résultats de ce traçage sont curieusement différents dans les deux écrits.

En 2002, est réalisé le forage Volvillante Est en infraction avec la DUP. Ce forage ne peut être considéré comme un remplacement de Volvillante : cette dernière avait un diamètre de 150 millimètres, alors que le nouveau forage possède un diamètre de 273 millimètres et une profondeur de 100 mètres.

En 2002, les maires des communes voisines de la pisciculture se sont opposés à la hausse des prélèvements de Danone. La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) s'y est également opposée en raison de l'absence d'étude d'impact. Le préfet a accepté la demande de Danone.

En 2006, la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques hiérarchise les besoins : en premier lieu, l'alimentation en eau potable ; viennent ensuite les milieux naturels ; et enfin, les minéraliers.

En 2012, la thèse de Simon Rouquet mentionne le test de iodure de sodium de 2002. Cette thèse est classée confidentielle jusqu'en 2023 par la Société des eaux de Volvic.

En 2013, un avis sanitaire est réalisé par Mme Monique Fremion, hydrogéologue, à la demande de Volvic. Ce dossier formule les demandes d'exploiter Volvillante Est en remplacement de Volvillante, de réintégrer le forage d'Arvic et d'annualiser les prélèvements.

Ce dossier se fonde sur le rapport de Mme Joux de 2002 payé par Danone, le rapport d'Alexandra Stouls de 2009 payé par Danone et le rapport de Simon Rouquet de 2012 payé par Danone. Le dossier mentionne le Gargouilloux comme l'une des trois sources de front de coulée, mais ne mentionne pas l'activité de pisciculture existant pourtant au moins depuis le XVIIe siècle.

Sur la base des éléments fournis par le dossier de demande d'autorisation et sous réserve du strict respect des prescriptions et mesures énoncées, la demande de la Société des eaux de Volvic reçoit un avis favorable. En 2014, l'arrêté préfectoral n° 2014332-0006 du 28 novembre 2014, autorisant au titre de l'article L214-3 du code de l'environnement la Société des eaux de Volvic à exploiter la ressource en eau minérale des forages F1 à F5 sur la commune de Volvic, entérine l'avis favorable donné à la demande de Danone.

En 2014, un comité de suivi est mis en place. Il est présidé par le sous-préfet de Riom, l'agence régionale de santé (ARS), l'hydrogéologue agréé, la DDT, la DREAL, la Société des eaux de Volvic, la communauté d'agglomération Riom Limagne et Volcans (RLV) et le syndicat mixte des utilisateurs d'eau de la région de Riom (SMUERR). Je ne suis pas autorisé à y participer.

En 2015, la Société des eaux de Volvic est chargée de centraliser les données et de procéder à leur analyse. À cette étape, je tiens à dénoncer les méthodes dilatoires de Danone dans le cadre des procédures en cours.

En 2017, a lieu la première rupture d'eau totale à la pisciculture. M. Livet me démontre qu'un litre d'eau prélevé en haut est égal à un litre d'eau en moins en bas.

En 2018, je lance les procédures contre Danone, le SMUERR, le syndicat d'adduction d'eau potable de la région de Riom (SAEP) et l'État. J'ai vendu mes bureaux pour financer les experts et les procédures.

En 2019, est pris un arrêté planifiant les mesures de préservation des ressources en eau en période d'étiage. Volvic n'est pas concerné : il faut protéger l'annualisation des prélèvements aux dépends de la pisciculture.

En 2020 ,est réalisé le forage d'Arvic Nord en infraction avec la DUP de 1982.

Le 16 décembre 2020, est organisée une réunion d'information sur l'impluvium de Volvic. Le préfet ne m'autorise pas à y participer. Le sous-préfet se moque de moi dans mon dos, en disant qu'il ne fallait pas que je joue à la « Manon des sources » – en atteste le compte rendu de la réunion rédigé par l'association PREVA.

Le 21 mars 2021, les journées mondiales de l'eau sont organisées à la pisciculture de Saint-Genest l'Enfant. Les élus locaux y ont brillé par leur absence, notamment M. Frédéric Bonnichon, président de la communauté d'agglomération Riom Limagne et Volcans, et M. Laurent Thévenot, maire de Volvic. J'en ai déduit que l'eau ne les intéressait pas.

Un travail sérieux sur les gâchis d'eau du SMUERR, du SAEP et de Danone représenterait un gain de 110 litres d'eau par seconde. Cela représente 22,550 tonnes de poisson par an, et surtout, cela permettrait de maintenir l'activité piscicole et de ne pas détruire un monument historique.

En 2020, Danone annonce que le gâchis d'eau ne représente plus que 0,46 litre d'eau pour un 1 litre d'eau vendu. Pourquoi les autorisations de pompages ne sont-elles pas abaissées d'autant, pour permettre à la pisciculture d'augmenter ses ventes ? En outre, les droits de pompages excessifs octroyés à Danone – multipliés par six – ont été accordés sans réelle étude d'impact ; celles-ci sont pourtant obligatoires.

Par ailleurs, comment doit-on considérer les droits de prélèvement octroyés par le préfet sur des puits construits en infraction avec la DUP de 1982 ?

Danone a construit un business artificiel sur une eau qui n'est pas une eau de source et qui n'est pas naturelle puisqu'elle est retraitée. Cette extraction d'eau au territoire est, pour 70 %, exportée dans soixante pays. Quarante bouteilles de Volvic se vendent toutes les secondes dans le monde. En 2018, le chiffre d'affaires de Volvic s'élevait à 495,6 millions d'euros. Voilà une entreprise bien peu vertueuse qui fait de l'argent aux dépens des autres.

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