COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Jeudi 1er avril 2021
La séance est ouverte à dix heures trente.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à la table ronde, ouverte à la presse, des associations et lanceurs d'alerte autour du bassin aquifère de Volvic réunissant M. Jacky Massy, président de l'association PREVA – Protection des entrées sur les volcans d'Auvergne, M. Laurent Campos-Hugueney, porte‑parole du collectif Eau bien commun 63, référent Eau à la Confédération paysanne du Puy-de-Dôme et M. Édouard de Féligonde, propriétaire de la pisciculture de Saint-Genest l'Enfant.
Nous continuons nos auditions consacrées à l'étude de la situation de la nappe dans le bassin aquifère de Volvic. Dans un second temps, nous recevons en table ronde les associations et lanceurs d'alerte autour du bassin aquifère de Volvic.
Avant de débuter l'audition, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Je vous rappelle également que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
MM. Jacky Massy, Laurent Campos-Hugueney et Édouard de Féligonde prêtent serment.
Les trois sources sur ma propriété (du Gargouilloux, du Rocher et de la Chapelle des eaux) sont connues des Romains sous le nom de Dragonara. Au XIIIe siècle, les moines de l'abbaye de Mozac y élevaient déjà des truites. En 1651, l'édification du fief de Saint-Genest-l'Enfant permet de protéger les trois sources et d'assurer une distribution équitable via les trois ruisseaux qui irriguent l'aval jusqu'à l'Allier.
Les sources de front de coulée sont les seuls exutoires de l'impluvium de Volvic jusqu'en 1927, date à laquelle est creusé le puits du Goulet. Aussi, contrairement au marketing de Danone, les sources de Volvic n'existent pas. Pourtant, 80 000 personnes visitent chaque année des sources qui n'existent pas.
En 1876, la pisciculture de Saint-Genest-l'Enfant est considérée comme la plus belle d'Europe. J'ai toujours connu, avant l'arrivée de Danone, une production de 60 tonnes et un chiffre d'affaires de 2,3 millions d'euros et j'employais alors six personnes. Aujourd'hui, je subis un préjudice direct supérieur à 26 millions d'euros – sans compter les autres préjudices qui n'ont pas encore été évalués par mes conseils.
Depuis 1851, la propriété est gracieusement ouverte au public. Jusqu'en novembre 2018, 10 000 enfants venaient chaque année y apprendre à pêcher.
Restaurer la pisciculture requiert 65 mois de travaux et l'emploi de 20 personnes à temps plein. 160 arbres centenaires devront être abattus pour cette restauration. Relancer la production piscicole représente 36 mois de travaux. À 56 ans, je peux donc oublier mon métier.
Les salamandres ont disparu de la propriété. Plusieurs tonnes de poissons sont morts par manque d'oxygène dans l'eau. La pisciculture ne prélève ni ne retient aucune eau. La pisciculture est en rupture d'eau cinq mois par an depuis 2017.
Le site est entièrement classé monument historique – y compris les bassins et le système hydraulique. Si les bassins en pierre de Volvic se retrouvent sans eau, ils s'effondrent. Qu'est-ce qu'un réseau hydraulique sans eau ?
En 1927, les débits des sources du Gargouilloux, du Rocher et de la Chapelle des eaux sont mesurés à 427 litres par seconde par les services de l'État. En 1982, une déclaration d'utilité publique (DUP) interdit tout forage dans le périmètre immédiat et étendu de Volvic. Les usagers des eaux devront être indemnisés de tous les dommages dont ils pourront prouver que ceux-ci leur ont été causés par la dérivation des eaux. En 1989, est réalisé le forage d'Aubignat en infraction avec cette DUP. En 1991, est réalisé le dorage de Clairval en infraction avec cette DUP. En 1993, Danone achète les eaux de Volvic. En 1993, est réalisé le forage d'Arvic Sud en infraction avec la DUP.
Selon la direction départementale des territoires (DDT), tous les forages sont équipés pour mesurer et enregistrer en continu le niveau dynamique de la nappe et le débit des prélèvements.
En 2002, est réalisé un test au iodure de sodium. Selon le rapport d'Alexandra Stouls réalisé en 2009 et payé par Danone, les sources de Saint-Genest-l'Enfant réagissent en moins de 45 jours depuis les puits de Volvic. Selon la thèse de Simon Rouquet réalisée en 2012 et payée par Danone, la source du Gargouilloux réagit en moins de 11 à 12 jours depuis les puits de Volvic.
Il est donc certain que Danone connaissait au moins depuis 2002 la relation de cause à effet des pompages dans les puits de Volvic sur la pisciculture, même si les résultats de ce traçage sont curieusement différents dans les deux écrits.
En 2002, est réalisé le forage Volvillante Est en infraction avec la DUP. Ce forage ne peut être considéré comme un remplacement de Volvillante : cette dernière avait un diamètre de 150 millimètres, alors que le nouveau forage possède un diamètre de 273 millimètres et une profondeur de 100 mètres.
En 2002, les maires des communes voisines de la pisciculture se sont opposés à la hausse des prélèvements de Danone. La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) s'y est également opposée en raison de l'absence d'étude d'impact. Le préfet a accepté la demande de Danone.
En 2006, la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques hiérarchise les besoins : en premier lieu, l'alimentation en eau potable ; viennent ensuite les milieux naturels ; et enfin, les minéraliers.
En 2012, la thèse de Simon Rouquet mentionne le test de iodure de sodium de 2002. Cette thèse est classée confidentielle jusqu'en 2023 par la Société des eaux de Volvic.
En 2013, un avis sanitaire est réalisé par Mme Monique Fremion, hydrogéologue, à la demande de Volvic. Ce dossier formule les demandes d'exploiter Volvillante Est en remplacement de Volvillante, de réintégrer le forage d'Arvic et d'annualiser les prélèvements.
Ce dossier se fonde sur le rapport de Mme Joux de 2002 payé par Danone, le rapport d'Alexandra Stouls de 2009 payé par Danone et le rapport de Simon Rouquet de 2012 payé par Danone. Le dossier mentionne le Gargouilloux comme l'une des trois sources de front de coulée, mais ne mentionne pas l'activité de pisciculture existant pourtant au moins depuis le XVIIe siècle.
Sur la base des éléments fournis par le dossier de demande d'autorisation et sous réserve du strict respect des prescriptions et mesures énoncées, la demande de la Société des eaux de Volvic reçoit un avis favorable. En 2014, l'arrêté préfectoral n° 2014332-0006 du 28 novembre 2014, autorisant au titre de l'article L214-3 du code de l'environnement la Société des eaux de Volvic à exploiter la ressource en eau minérale des forages F1 à F5 sur la commune de Volvic, entérine l'avis favorable donné à la demande de Danone.
En 2014, un comité de suivi est mis en place. Il est présidé par le sous-préfet de Riom, l'agence régionale de santé (ARS), l'hydrogéologue agréé, la DDT, la DREAL, la Société des eaux de Volvic, la communauté d'agglomération Riom Limagne et Volcans (RLV) et le syndicat mixte des utilisateurs d'eau de la région de Riom (SMUERR). Je ne suis pas autorisé à y participer.
En 2015, la Société des eaux de Volvic est chargée de centraliser les données et de procéder à leur analyse. À cette étape, je tiens à dénoncer les méthodes dilatoires de Danone dans le cadre des procédures en cours.
En 2017, a lieu la première rupture d'eau totale à la pisciculture. M. Livet me démontre qu'un litre d'eau prélevé en haut est égal à un litre d'eau en moins en bas.
En 2018, je lance les procédures contre Danone, le SMUERR, le syndicat d'adduction d'eau potable de la région de Riom (SAEP) et l'État. J'ai vendu mes bureaux pour financer les experts et les procédures.
En 2019, est pris un arrêté planifiant les mesures de préservation des ressources en eau en période d'étiage. Volvic n'est pas concerné : il faut protéger l'annualisation des prélèvements aux dépends de la pisciculture.
En 2020 ,est réalisé le forage d'Arvic Nord en infraction avec la DUP de 1982.
Le 16 décembre 2020, est organisée une réunion d'information sur l'impluvium de Volvic. Le préfet ne m'autorise pas à y participer. Le sous-préfet se moque de moi dans mon dos, en disant qu'il ne fallait pas que je joue à la « Manon des sources » – en atteste le compte rendu de la réunion rédigé par l'association PREVA.
Le 21 mars 2021, les journées mondiales de l'eau sont organisées à la pisciculture de Saint-Genest l'Enfant. Les élus locaux y ont brillé par leur absence, notamment M. Frédéric Bonnichon, président de la communauté d'agglomération Riom Limagne et Volcans, et M. Laurent Thévenot, maire de Volvic. J'en ai déduit que l'eau ne les intéressait pas.
Un travail sérieux sur les gâchis d'eau du SMUERR, du SAEP et de Danone représenterait un gain de 110 litres d'eau par seconde. Cela représente 22,550 tonnes de poisson par an, et surtout, cela permettrait de maintenir l'activité piscicole et de ne pas détruire un monument historique.
En 2020, Danone annonce que le gâchis d'eau ne représente plus que 0,46 litre d'eau pour un 1 litre d'eau vendu. Pourquoi les autorisations de pompages ne sont-elles pas abaissées d'autant, pour permettre à la pisciculture d'augmenter ses ventes ? En outre, les droits de pompages excessifs octroyés à Danone – multipliés par six – ont été accordés sans réelle étude d'impact ; celles-ci sont pourtant obligatoires.
Par ailleurs, comment doit-on considérer les droits de prélèvement octroyés par le préfet sur des puits construits en infraction avec la DUP de 1982 ?
Danone a construit un business artificiel sur une eau qui n'est pas une eau de source et qui n'est pas naturelle puisqu'elle est retraitée. Cette extraction d'eau au territoire est, pour 70 %, exportée dans soixante pays. Quarante bouteilles de Volvic se vendent toutes les secondes dans le monde. En 2018, le chiffre d'affaires de Volvic s'élevait à 495,6 millions d'euros. Voilà une entreprise bien peu vertueuse qui fait de l'argent aux dépens des autres.
Je reviendrai d'abord sur l'historique, puis je vous présenterai un certain nombre de constats effectués, et je rappellerai enfin les demandes que nous avons formulées à l'attention de l'État, des collectivités territoriales et de Danone.
Notre aquifère fait partie des dix aquifères nés de la période volcanique. La nappe d'eau de Volvic a été jugée exceptionnelle du fait des volumes charriés au niveau des résurgences de Saint-Genest-l'Enfant. De là est née une véritable économie dans la vallée, qui a perduré du Moyen-Âge jusqu'au XXe siècle.
Le seul usage de l'eau était alors consacré aux milieux naturels. Cet usage a dû composer avec la découverte de l'eau potable en 1927. Cela a permis, heureusement, d'amener de l'eau au robinet des personnes habitant les montagnes, jusqu'alors sans eau potable. Aujourd'hui, 62 000 personnes bénéficient de cette eau potable.
Néanmoins, en 1927, les prélèvements d'eau potable avaient déjà chahuté l'aval, au point que le ministre des finances, Étienne Clémentel, alors maire de Riom, avait créé un protocole pour que l'usage de l'eau potable s'harmonise avec l'usage de l'eau pour les milieux naturels. Ce protocole a perduré jusqu'à l'arrivée du minéralier Boussois-Souchon-Neuvesel (BSN) en 1964.
En 1964, l'arrivée du minéralier et le creusement du puits d'Arvic permettant de pomper l'eau à 100 mètres ont très rapidement révélé des conflits d'usages. Au tournant des années 1990, au fur et à mesure que les minéraliers creusaient des puits, les habitants ont constaté l'effondrement des niveaux des sources. Ces deux éléments ont été clairement mis en corrélation. L'environnement très vert se détériorait à vue d'œil. Cela a donné lieu à des manifestations très vives de colère et d'anxiété dans la population.
De là est née l'association PREVA – Protection des entrées sur les volcans d'Auvergne. Nous avons proposé aux habitants une méthode collaborative : nous allions investiguer auprès de toutes les parties prenantes pour nous faire une opinion de la situation réelle et essayer de proposer une solution de sortie à la crise opposant les usages pour l'eau potable, les milieux naturels et les minéraliers. Pendant deux ans, nous avons donc rencontré toutes les parties prenantes de l'eau dans la région : Danone, les collectivités territoriales, l'État, le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), ainsi que les hydrogéologues référents.
Ces parties prenantes avaient des comportements extrêmement différents. Je vous présenterai donc les constats de nos investigations. Notre association avait pour but de travailler sagement, de manière républicaine et citoyenne, en associant les habitants auxquels nous présentions des rapports réguliers. Nous avons dû revoir largement nos ambitions à la baisse. Rien ne se jouait si facilement ; et notamment avec les structures censées nous représenter et nous défendre – l'État et les collectivités territoriales.
Je résumerais la situation ainsi : Danone est « planqué » derrière les autorisations qui lui ont été royalement accordées par l'État, notamment par le biais de l'arrêté préfectoral de 2014. Cet arrêté prévoit pourtant des amortissements et des régulateurs. Danone applique les autorisations qui lui ont été accordées, qui s'élèvent à 2,7 milliards de litres de prélèvements d'eau annuels possibles. L'État a failli en ne conduisant aucune analyse préalable à chaque forage demandé et en ne portant aucun regard bienveillant sur les milieux naturels. L'État ne se soucie pas de la destruction des milieux naturels, voire de l'écocide qui se produit de manière extrêmement claire depuis 2017 : en témoignent les tarissements de ruisseaux, la mort des parties boisées à cause du stress hydrique et la disparition d'écrevisses et de truites dans les ruisseaux. L'État a failli et est encore défaillant de ce point de vue-là.
L'État se targue d'annoncer des programmes de gestion durable de la ressource à l'horizon 2025, comme les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Mais l'État nie la relation existant entre ces programmes de gestion durable de la ressource et les décisions qu'il prend aujourd'hui, par exemple les arrêtés sécheresse qui exonèrent la grande agriculture industrielle et Danone. Pour l'État, ces décisions sont des actes courants, naturels, qui n'interfèrent pas avec une logique de gestion durable de la ressource. L'État est défaillant car il aurait la possibilité de réguler la ressource par arrêté, mais il ne le fait pas.
De plus, l'État a autorisé Danone à pomper quand l'entreprise le veut. Cela constitue un crime à nos yeux. Danone pompe en fonction de ses marchés car l'entreprise ne stocke jamais plus d'une semaine d'eau embouteillée. Ainsi, Danone pompe très fortement en périodes chaudes et de canicule. L'été, les habitants constatent donc, ébahis, que 250 camions et trois convois de train comptant jusqu'à 27 wagons quittent chaque jour l'usine de Danone. Il est invraisemblable que l'on laisse se dérouler un tel scénario. Cela est incroyable. Danone bénéficie de nombreuses largesses de la part de l'État, sans qu'aucune étude d'impact n'ait été conduite.
Nos demandes, portées auprès de l'État, des collectivités territoriales et de Danone sont simples. Avant de distribuer un bien commun tel que l'eau, nous souhaitons qu'un véritable état des lieux de l'aquifère soit conduit. Un tel état des lieux n'existe pas à ce jour. Nous distribuons une ressource qui présente des faiblesses (en témoignent les résurgences de Saint-Genest-l'Enfant qui se tarissent pendant cinq ou six mois de l'année), y compris s'agissant de l'eau potable. Nous devons donc conduire un état des lieux extrêmement précis et transparent de la ressource, avec les citoyens.
Jusqu'à présent, aucune partie civile n'a été associée aux prises de décisions qui se font « en catimini ». Nous avons ainsi appris que les collectivités territoriales ont connecté l'eau de l'Allier avec l'eau de l'aquifère. L'eau de l'Allier peut donc dorénavant être distribuée au robinet des habitants. Cette adjonction de réseau, qui a été très coûteuse pour la collectivité, n'a absolument pas été médiatisée auprès du public. Nous l'avons découvert au détour d'une promenade en constatant la pose de tuyaux. Cela est grave. Nous demandons à l'État d'arrêter ce jeu-là.
Une fois l'investigation sur l'aquifère conduite, nous souhaitons que les usages soient redisciplinés en privilégiant l'eau potable. Nous devons garantir que cet aquifère pourra distribuer de l'eau potable au plus grand nombre. Nous devons également honorer les milieux naturels par un débit réservé, que nous avons chiffré à 250 litres par seconde. Au mieux, le débit actuel s'élève à 70 litres par seconde. Nous demandons donc un retour de l'eau pour alimenter la pisciculture et les milieux naturels. Si des moyens demeurent, nous pourrons alors enfin honorer l'embouteillage. Nous ne souhaitons pas tuer Danone. L'entreprise représente 900 emplois. Nous jugeons nécessaire de revoir le modèle économique et de réorganiser correctement les usages de l'eau, notamment en respectant la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006.
Je suis installé en maraîchage biologique depuis cinq ans dans les Combrailles suite à une reconversion. J'étais auparavant ingénieur divisionnaire du ministère de l'Agriculture.
Depuis 2019, le collectif Eau bien commun 63 s'est intéressé à la question de l'eau sur l'ensemble du département du Puy-de-Dôme. Le collectif a dénoncé la mainmise sur l'eau opérée par Danone au détriment de la population et des milieux naturels.
Nous nous sommes précisément intéressé au rôle de l'État et des représentants de l'État dans le département en période de sécheresse lorsque la ressource en eau vient à manquer. L'arrêté préfectoral n° 2013-01490 du 22 juillet 2013 définissant les mesures de limitation provisoire de certains usages de l'eau dans le département du Puy-de-Dôme prévoit la répartition des usages et de l'accès à l'eau en cas de sécheresse. Le collectif s'est aperçu que cet arrêté cadre « sécheresse » n'était pas conforme à la réglementation en vigueur, et en particulier à la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006. La loi prévoit un usage prioritaire de l'eau pour la population et pour la préservation des milieux naturels humides ; viennent ensuite, si l'eau est disponible en quantités suffisantes, les autres usages tels que les usages industriels et agricoles. À notre grand étonnement, l'arrêté cadre « sécheresse » prévoit tout l'inverse : pour différents motifs tout à fait contestables, des sociétés comme Danone ou Limagrain sont exemptées des mesures de limitation de la consommation d'eau en cas de diminution de la ressource.
Cet arrêté cadre « sécheresse » devait être modifié. Nous avons tenu une première réunion portant sur le travail de modification de l'arrêté cadre en mars 2020. La préfecture a souhaité modifier cet arrêté cadre car elle a constaté une baisse de la ressource en eau liée au changement climatique induisant des périodes de sécheresse de plus en plus longues et intenses dans le département et une moindre recharge en eau. La préfecture a considéré que l'arrêté cadre « sécheresse » jusqu'alors en place était devenu obsolète et qu'il était nécessaire de le modifier. La première réunion a associé le comité départemental de l'eau. Rapidement ensuite, le confinement a interrompu le travail de rénovation de l'arrêté cadre. Finalement, presque un an après la première réunion et sans la transmission d'aucune information depuis, la DDT a convié le comité départemental de l'eau à une nouvelle réunion le 15 janvier 2021. La DDT nous a alors présenté un projet. Nous avons bénéficié d'à peine un mois pour faire part de nos observations : ce temps est très réduit pour un texte d'une trentaine de pages assez complexe et pointu. À notre grande surprise, nous avons constaté que rien n'avait été modifié : des sociétés comme Danone et Limagrain sont de nouveau exemptées du champ d'application de la loi.
Pour Danone, la DDT avance qu'il n'y a pas de corrélation établie entre le niveau de la nappe de Volvic et le débit des résurgences des sources en aval. L'hydrologue officiel du département prouve pourtant le contraire. Les arguments sont donc incohérents.
S'agissant de Limagrain, la DDT explique que le syndicat des irrigants est organisé en tours d'eau. Pour respecter ces tours d'eau qui ont été autorisés par l'État, il n'est pas possible de réduire les prélèvements. L'État justifie donc cet état de faits par les autorisations qu'il a déjà accordé par ailleurs.
Avez-vous connaissance de faits précis et circonstanciés de collusion entre l'entreprise Danone et les services de l'État ou les collectivités territoriales ?
Je n'ai pas de preuve de collusion. En revanche, je suis un ancien fonctionnaire du ministère de l'Agriculture. Je sais, par expérience, comment les choses se passent sur certains dossiers. Les fonctionnaires peuvent subir des pressions courtoises de la part de personnes souhaitant orienter leurs décisions ou leur façon de conduire des dossiers. Je n'ai pas voulu, à l'époque, me plier à ce que l'on me demandait de faire. C'est pourquoi j'ai quitté le ministère de l'Agriculture.
J'étais à l'époque en détachement au sein de la province Nord de Nouvelle-Calédonie. J'y occupais alors le poste de responsable du service formation de la collectivité. Je présidais par ailleurs, en parallèle de mon activité professionnelle, une association environnementale dénonçant la piètre gestion des déchets dans la province, qui causait une forte pollution des eaux. La province Nord était responsable de la gestion de déchets. J'ai été convoqué par le secrétaire général de la collectivité, qui m'a demandé de cesser mon activité au sein de l'association environnementale. J'ai refusé. Quelques mois après, mon contrat n'a pas été renouvelé. Je sais d'expérience qu'il existe des pressions importantes.
Monsieur Édouard de Féligonde, vous avez expliqué que votre activité de pisciculture a été mise à mal par le pompage de Volvic. Que faudrait-il faire pour que votre activité puisse retrouver sa vigueur ?
Avant toute chose, je souhaite répondre à votre question sur la collusion entre Danone et les services de l'État. J'ai compris que Mediapart allait publier des informations très attendues sur ce sujet. Par ailleurs, lorsque j'ai lancé mes procédures contre l'État et contre Danone, j'ai été immédiatement entendu par la gendarmerie qui m'a indiqué que mon dossier était suivi en très haut lieu. À l'époque, le président de la République avait recruté trois ministres au sein de Danone.
Tous les droits de pompage ont été octroyés sans étude d'impact. Par ailleurs, je constate un énorme gâchis d'eau, de l'ordre de 110 litres par seconde. La pisciculture peut très bien fonctionner avec 250 litres d'eau par seconde. Les réunions du comité de suivi affirment que des solutions existent – j'attends toujours que l'on veuille bien me les communiquer. Il n'y a aucune raison que la pisciculture ne reprenne pas une activité normale. Alors, les ruisseaux seront irrigués et l'ensemble des problèmes sera résolu.
Disposez-vous d'informations laissant penser que l'alimentation en eau potable des habitants du bassin de Volvic serait compromise ?
J'ai lu dans La Montagne que des problèmes existaient à Charbonnières et que de ce fait, des permis de construire étaient suspendus.
Monsieur Massy, nous sommes passés d'une moyenne annuelle de 390 litres par seconde en 1983 pour les trois sources à 144 litres par seconde en 2012 et à 75 litres par seconde en 2019. Selon vous, cela est dramatique et, à ce rythme, les sources seront taries dans cinq ans et l'impact sur la biodiversité sera terrible. Pouvez-vous s'il vous plaît détailler cet impact ?
Je reviendrai d'abord brièvement sur l'arrêté « sécheresse ». La justification avancée par l'État pour exempter Danone de ces mesures est que l'aquifère dans lequel Danone prélève serait en vase clos, c'est-à-dire qu'il ne serait pas connecté avec les systèmes aquatiques environnants. Cela est faux. Une corrélation a été établie entre les résurgences et les prélèvements.
Par ailleurs, s'agissant du monde agricole, le président de la République Emmanuel Macron a demandé au préfet de favoriser l'agriculture. Il ne souhaite plus débourser 70 millions d'euros chaque année pour cause de sécheresse. Cela ouvre donc une opportunité pour que l'agriculture puisse disposer de l'eau à plaisir et ne contribue pas aux plans sécheresse.
Je répondrai ensuite à votre question sur les collusions. À mes yeux, le fait que l'État relaye les fausses nouvelles produites par la communication de Danone constitue une collusion. L'État a toujours soutenu ce que défend Danone, à savoir d'abord qu'il n'existe aucune corrélation entre les prélèvements et les résurgences, et ensuite que tout serait dû aux dérives climatiques. Or Météo France a affirmé que la pluviométrie n'avait pas changé au niveau de l'impluvium ; l'eau est souterraine et donc ne souffre pas d'évaporation une fois à l'intérieur de l'aquifère. Météo France affirme donc que l'on a toujours les mêmes volumes d'eau.
J'en viendrai enfin à votre question sur l'impact sur la biodiversité. L'association PREVA a élaboré une projection linéaire simple des trois courbes (eau potable, prélèvements de Danone et restes des résurgences) qui montre une mauvaise surprise à l'horizon 2025.
Cela conduirait à la mort des résurgences. Nous avons montré une coupe à l'État à ce sujet – personne n'a nié cette réalité. Les sources sont greffées dans l'aquifère à un certain niveau. Elles se trouvent dans des zones aujourd'hui moins saturées en eau du fait des prélèvements. Les cinq puits de Danone sont très proches de l'eau potable : ils ont été creusés à l'aplomb du Goulet, en plein dans les milieux saturés. Les résurgences sont nettement moins profondes dans l'édifice : Danone pompe dans l'aquifère à une profondeur de 100 mètres ; dans la morphologie de l'aquifère, les résurgences sont greffées plus haut. Inévitablement, elles vont souffrir les premières ; ensuite viendra l'eau potable ; puis enfin, Danone.
Je souhaite revenir sur votre question sur les éventuelles collusions. En tant que membres de la société civile, nous avons été associés à la modification de l'arrêté cadre « sécheresse ». Mais cette association de la société civile est très succincte et purement administrative : nous avons tenu deux réunions pour préparer la modification de l'arrêté cadre « sécheresse », puis l'on nous a accordé des délais extrêmement courts pour répondre au projet proposé. Le nouvel arrêté cadre « sécheresse » a été soumis à consultation au mois de mars pour un délai très court (21 jours), sans réunion publique et sans communication mis à part un article dans La Montagne. L'on consulte la société civile uniquement dans le cadre réglementaire imposé et l'on ne tient pas compte des avis défavorables exprimés. Les réponses obligatoires apportées par la DDT tombent pour la plupart à côté du sujet. Cela montre un parti-pris délibéré. Par ailleurs, lors du temps de travail consacré à la modification de l'arrêté cadre « sécheresse », des réunions ont été organisées à l'initiative de la DDT avec les industriels – Danone et les irrigants agricoles défenseurs de la cause Limagrain. La société civile n'a jamais été invitée par la DDT à participer à ce type de réunion ni à présenter nos doléances. Cela montre un parti-pris délibéré.
Je ne sais pas si cela relève de collusions ou d'un hasard malheureux, mais les responsables de ce sujet au niveau de l'État ne cessent de changer. Depuis que nous avons débuté les discussions sur la modification de l'arrêté cadre « sécheresse », le préfet, le chef du service Environnement et le directeur de la DDT ont été remplacés. Nous travaillons avec des interlocuteurs changeants : les responsabilités en sont diluées. Nous savons que si l'on dépose un recours devant le tribunal administratif pour dénoncer l'arrêté cadre « sécheresse », au mieux, l'arrêté sera rendu caduque mais les responsabilités des fonctionnaires et du préfet ne seront nullement engagées. Je constate une irresponsabilité forte par rapport aux conséquences de ces décisions.
Monsieur de Féligonde, vous avez qualifié le comportement de Danone de « dilatoire ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous utilisez ce terme ?
J'emploie à raison ce terme car l'expert nommé par le juge est empêché de faire son travail. Alors qu'en 2014, Danone a été chargé de collecter toutes les données de l'impluvium et de les analyser, l'expert nommé par le juge demande à pouvoir accéder à certaines de ces données pour faire son travail. La réponse de Danone est absolument incroyable : « Vous disposez notamment des données piézométriques existantes et des données de débit : annuelles de 1992 à 2020, mensuelles de 2000 à 2020 et journalières de 2015 à 2020. Par ailleurs, comme la Société des eaux de Volvic n'est pas en possession des données antérieures à 1992, la référence de débit maximum autorisé par les arrêtés jusqu'en 1992 permet d'apprécier l'importance de son activité à l'époque ». Les données transmises à l'expert nommé par le juge sont des données d'échelles totalement différentes, qui regroupent parfois des puits ; il est donc impossible de les comparer entre elles, et cela fait traîner les choses. L'expert a par ailleurs fait remarquer que les données qu'il avait demandées sont présentes dans la thèse de M. Simon Rouquet. Voilà ce que j'appelle des méthodes dilatoires.
Merci à tous d'avoir pris le temps de répondre à notre invitation. Je vous invite, si vous le pouvez, à répondre par écrit au questionnaire qui vous a été adressé pour compléter vos réponses.
L'audition s'achève à onze heures quarante-cinq.