Intervention de Aude Sturma

Réunion du jeudi 15 avril 2021 à 17h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Aude Sturma, sociologue au sein de l'unité mixte de recherche Centre d'étude et de recherche travail organisation pouvoir du CNRS et de l'université de Toulouse :

Je vous exposerai ce qu'il faut retenir de la question de l'eau à Mayotte en m'appuyant sur le fruit de mes recherches sur le terrain.

Alors que 30 % des foyers mahorais n'ont pas accès à l'eau potable à domicile, il faut en moyenne aux autres 17 % de leur budget pour honorer leurs factures d'eau. Le taux d'effort acceptable tournant autour de 3 %, le prix de l'eau fait dès lors figure d'enjeu majeur à Mayotte. Il se situe dans la moyenne française. Seulement, les Mahorais disposent d'un revenu moyen trois fois moindre que les Français de métropole. En outre, du fait de la grande solidarité qui règne sur l'île, de nombreuses familles se partagent un même compteur, ce qui augmente le prix du mètre cube.

Les habitants du village de Kahani, traversé par un cours d'eau très pollué, s'approvisionnent en eau dans un puits insalubre, or ils sont loin de constituer une exception. De nombreux cours d'eau à Mayotte charrient des détritus. La présence d'habitations au-dessus de puits suppose un risque de contamination par les sols également. Dans certaines écoles, plus d'une centaine d'élèves se partagent deux robinets et ne disposent que de sanitaires insalubres.

Seule une proportion de 18 % de la population mahoraise est connectée à un service d'assainissement collectif. Les autres se contentent d'un assainissement traditionnel, rarement aux normes.

Le problème de l'eau à Mayotte relève d'une crise permanente. Beaucoup sur l'île souffrent de maladies hydriques. L'enjeu sanitaire, de taille, atteint une ampleur nationale. En 2016, 40 cas de fièvre typhoïde sur les 149 diagnostiqués en France venaient de Mayotte, contre 3 % seulement de Guyane.

Le maillage de l'île en bornes fontaines monétiques s'avère insuffisant pour garantir l'accès de tous à l'eau potable. Le seul point de vente des cartes monétiques se situe à Mamoudzou, où les populations vulnérables qui souhaitent en acquérir ont parfois du mal à se rendre.

Notons une logique contreproductive de certains organes de l'État : alors que l'agence régionale de santé (ARS) soutient l'installation de bornes fontaines dans les quartiers précaires, la préfecture privilégie une approche sécuritaire. La police aux frontières (PAF) organise des rafles aux abords des bornes.

Enfin, la gouvernance locale de l'eau s'avère défaillante. Les élus peinent à porter des projets dans le domaine de l'accès à l'eau et à l'assainissement, notamment au sein du syndicat mixte d'eau et d'assainissement de Mayotte. Les élus et délégués du Syndicat intercommunal d'eau et d'assainissement de Mayotte (SIEAM) relaient mal les problèmes de leurs administrés.

Les difficultés d'application du droit commun français et de transposition des lois sur ce territoire sans commune mesure économique, sociale, culturelle ou climatique avec la métropole posent enfin des problèmes aux organes de l'État. Les changements incessants de personnel y freinent la capitalisation des savoirs et des savoir-faire ainsi que le développement d'une vision sur le long terme.

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