Intervention de Jean-Claude Oliva

Réunion du mercredi 12 mai 2021 à 13h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Jean-Claude Oliva, conseiller municipal de Bagnolet, vice-président de l'établissement public territorial Est Ensemble, en charge de l'eau et de l'assainissement et directeur de la coordination Eau Île-de-France :

La coordination Eau Île-de-France a été créée en 2008 car les citoyens ne parvenaient pas à se faire entendre auprès du SEDIF. À cette époque, le débat concernant le choix entre gestion publique et gestion privatisée a été escamoté. Le SEDIF a en effet directement procédé à un vote sur une forme de délégation de service public (DSP), qui plus est à bulletin secret.

Treize ans plus tard, le monde de l'eau a bien changé. La régie de Grand Paris Sud se trouve en plein développement dans l'Essonne, profitant du succès d'Eau de Paris. De leur côté, les établissements publics territoriaux (EPT) Est Ensemble et Grand-Orly Seine Bièvre sont sortis du SEDIF au 1er janvier 2018 et se trouvent en phase de transition vers la gestion publique. Depuis les dernières élections municipales, de grandes métropoles comme Bordeaux et Lyon ont également opté pour la gestion publique. Selon les chiffres de France eau Publique, nous sommes ainsi passés ces dernières années de 28 à 40 % des usagers de l'eau desservis en gestion publique.

Le SEDIF est pourtant resté dans l'ancien monde. Comme en 2013, le comité syndical ne pourra pas se prononcer entre gestion publique et gestion privatisée en 2021. Ainsi, sur les quatre scenarii qui seront soumis au choix du comité syndical le 27 mai, aucun ne permet d'engager une gestion publique. Trois d'entre eux correspondent en effet à des formes différentes de gestion privatisée : concession, société d'économie mixte à opération unique (SEMOP), combinaison des deux.

Le quatrième scénario consiste quant à lui à envisager une gestion publique partielle et à renvoyer l'essentiel à plus tard. Le prétexte invoqué est celui de la généralisation de l'OIBP. Pourtant, il n'existe aucune raison technique qui empêcherait une régie publique d'utiliser cette technologie. De son côté, Eau de Paris l'utilise de façon ponctuelle pour utiliser des captages dégradés. Pourquoi donc renvoyer la gestion publique de la production à un horizon indéterminé ?

Dans les prochaines années, l'OIBP coûtera au moins 1 milliard d'euros et les investissements se concentreront sur la production. Est-ce la raison pour laquelle le SEDIF souhaite à tout prix en conserver la gestion sous forme privatisée ? Ce point renvoie à la mainmise des intérêts privés sur la ressource en eau, dont le SEDIF constitue sans doute l'instrument principal en Île-de-France.

Créé en 1922 par 66 villes et élargie l'année suivantes à 66 autres, le SEDIF a toujours été lié à la Compagnie générale des eaux, devenue par la suite Veolia. Dans le livre L'empire de l'eau, le journaliste Yvan Stefanovitch rapporte les propos suivants de monsieur Santini : « C'est la Générale des eaux qui a créé le SEDIF ». Vous pourrez lui demander s'il confirme sa déclaration.

Cette imbrication des intérêts privés à l'intérieur du SEDIF ne passe pas inaperçue et est régulièrement pointée du doigt par les autorités chargées de contrôler la gestion des organismes publics. Ainsi, quelques jours avant l'attribution du contrat actuel à Veolia le 21 mai 2010, la chambre régionale des comptes a publié un rapport faisant état d'une « imparfaite fiabilité » et d'une « importante lacune » concernant les comptes du SEDIF. Une « comptabilité tronquée » a même été évoquée, ne permettant pas de fournir une image fidèle de la situation financière du service public.

Le rapport de la chambre régionale des comptes du 30 juin 2017 pointe de nouvelles dérives. Le Figaro titrait à cette époque « Eaux, les coûts de la gestion de Veolia en Île-de-France épinglés ». Comme en 2008, lorsque des surfacturations massives au profit de Veolia avaient été épinglées, le SEDIF promet de se réformer. Celui-ci s'avère pourtant incapable de contrôler réellement son délégataire, alors que les rémunérations de Veolia explosent. Le SEDIF ne contrôle donc pas Veolia, c'est Veolia qui contrôle le SEDIF. Cette situation induit de graves conséquences pour les usagers.

Le SEDIF maintient une différence de tarif de 30 centimes d'euro par mètre cube par rapport à Eau de Paris, soit un surcoût de près de 30 % pour des services sensiblement équivalents. Sans les baisses consenties périodiquement par le SEDIF, l'écart entre les tarifs des deux opérateurs aurait même doublé au cours de ces dernières années. Les scenarii du SEDIF prévoient en effet des hausses tarifaires comprises entre 15 et 37 centimes d'euro par mètre cube. Cet élément explique pourquoi nous avons souhaité en sortir.

Il est presque impossible pour les membres du SEDIF d'en sortir. La seule possibilité consiste à transférer la compétence Eau. C'est donc seulement lorsque la réforme territoriale a donné cette compétence aux EPT de la métropole du Grand Paris qu'Est Ensemble, Grand-Orly Seine Bièvre et Pleine Commune ont pu quitter le SEDIF.

Ces dernières années, avant chaque décision importante de notre conseil de territoire concernant l'eau, les élus ont reçu une lettre de monsieur Santini. Ces courriers contenaient des menaces de hausses exorbitantes du tarif de l'eau, de blocage des travaux de dévoiement des réseaux pour les jeux olympiques, ou encore d'interruption unilatérale de la convention provisoire signée avec le SEDIF. En 2020, nous avons même eu droit à un gel de tous les travaux de gros entretien et de renouvellement des canalisations sur le territoire d'Est Ensemble. Voilà donc les pressions que fait subir le SEDIF aux collectivités qui ne partagent pas ses choix.

Il convient de mentionner la rétention systématique d'information sur les données concernant le patrimoine de notre collectivité dans le cadre de la séparation des biens en cours. Cette rétention d'information touche également les citoyens. Pendant longtemps, les statuts du SEDIF n'étaient par exemple pas disponibles sur son site web. La coordination a dû intervenir pour qu'ils soient publiés. Pour lever les sérieux doutes pesant sur la justification des tarifs, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a recommandé la transparence dans son rapport de 2016. Celui-ci encourage notamment la production de statistiques de consommation effective par habitant et par ménage. Cette mesure ne figure pourtant pas à l'ordre du jour du SEDIF.

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