La coexistence des trois acteurs majeurs de l'hydroélectricité française, que sont EDF, la CNR et la SHEM, pose déjà de nombreux problèmes.
Si le réseau s'effondre, les barrages doivent réalimenter les centrales nucléaires. Sur le Rhône, les barrages de la CNR sont donc censés reconstituer le réseau en alimentant les centrales d'EDF. Il existe dans ce cadre des scénarios de renvoi de tension très complexes, qui doivent être testés régulièrement. Selon nos sources, ces scénarios ne sont plus testés depuis que les barrages sont à la CNR. Il se pourrait donc que le quart sud-est de la France ne redémarre pas en cas de black-out.
Pour prendre un autre exemple de conflit, la CNR n'a qu'un barrage capable de modifier le débit du Rhône. C'est le barrage de Génissiat, situé juste en amont de la centrale nucléaire du Bugey. Lors de la définition des missions de la CNR en 2001, le cahier des charges a omis de préciser que Génissiat devait assurer le débit de refroidissement de la centrale du Bugey. Par conséquent, la CNR baisse les débits le week-end parce que l'électricité est moins chère.
Le turbinage coûte à la CNR entre 15 000 et 20 000 euros par week-end. En parallèle, EDF peut gagner 4 millions d'euros si ses deux tranches du Bugey refroidies par le Rhône tournent. Chaque week-end, les Françaises et les Français paient des transactions, car Génissiat n'a pas envie de turbiner, tandis qu'EDF en a besoin.
Un autre exemple concerne l'Isère, équipée de barrages d'EDF, qui se jette dans le Rhône, équipé de barrages de la CNR. Régulièrement, il faut ouvrir des vannes de fond pour enlever les sédiments et la boue qui bouchent les retenues et rendent les barrages inutiles. Depuis vingt ans, des conflits surviennent à chaque fois qu'EDF doit entretenir la rivière Isère et nettoyer les barrages, parce que la CNR prétend que les conditions ne sont pas réunies. Des dizaines de millions d'euros sont en jeu dans des procès interminables.
Pour finir sur la CNR, le politique a donné de force 20 % du parc et un tiers du productible à la CNR en 2001, alors que la concession EDF durait jusqu'en 2023. EDF a en outre continué à payer les salariés pendant quatre ans et n'a reçu aucune compensation pour les vingt-deux ans de manque à gagner. Ce n'est pas compatible avec une concurrence libre et non faussée.
Des problèmes se posent aussi avec la SHEM, notamment dans les Pyrénées. La concession du barrage d'Orédon est passée d'EDF à la SHEM en 2010. Le cahier des charges prévoit des soutiens d'étiage pour la Neste. En découvrant les contraintes et les coûts induits par cette obligation, la SHEM a poursuivi la société EDF en demandant qu'elle participe à ce soutien d'étiage avec le barrage voisin de Cap de Long. La SHEM a perdu en première instance et fait appel. Au mieux, des tractions auront lieu dans l'urgence et les citoyens paieront la facture. Au pire, des procès interminables et coûteux se succéderont.
C'est pourquoi SUD, contrairement aux autres syndicats, n'est pas favorable à la coexistence de ces trois opérateurs. Il existe trois sociétés anonymes de trop, alors qu'il faudrait un seul service public.
Pour citer un dernier exemple, les débits réservés ont été multipliés par quatre en France et en Suisse au début des années 2000 face à l'éveil des consciences écologiques. En France, l'opérateur public l'a fait gratuitement. En Suisse, les entreprises qui pilotent les barrages, détenues par le privé pour une part importante, se sont appuyées sur les cahiers des charges et ont réclamé un paiement pour le manque à turbiner.
Avec trois opérateurs, nous constatons donc déjà des tractations très chères, des procès sans fin très coûteux et des compensations par l'État, donc par les citoyens, pour ce qui n'est pas prévu dans les cahiers de charge. Ce sera encore pire quand il y aura dix opérateurs sur l'ensemble des barrages français.