Intervention de Laure de La Raudière

Séance en hémicycle du jeudi 30 novembre 2017 à 21h30
Résidence de l'enfant en cas de séparation des parents — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaure de La Raudière :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, en écoutant les interventions des orateurs qui se sont exprimés tout à l'heure et à l'instant, je me suis demandé si cette proposition de loi était vraiment utile et justifiée. Comme si nous pouvions par la loi et par le changement du lieu de résidence de l'enfant résoudre les problèmes qui se posent aux couples divorcés sur sa garde ! Personnellement, je ne le pense pas.

Le sujet de la résidence de l'enfant en cas de divorce ne laisse bien sûr personne indifférent. Et pour cause : c'est une situation à laquelle nous avons certainement tous été confrontés un jour, directement ou à travers nos proches. Et nous avons reçu de nombreuses sollicitations des habitants de nos circonscriptions sur ce sujet.

La détermination de la résidence des enfants en cas de séparation des parents est un de ces sujets de société qui dépassent les clivages habituels. Il touche à l'intime de chaque député, et j'imagine mal, comme sur d'autres sujets de société, des votes unanimes au sein de nos groupes. Ces sujets de société font appel non seulement à la conscience, voire à l'éthique, mais aussi à notre vécu et à celui de notre entourage. Quelles que soient les positions qui seront exprimées, et quelle que soit l'issue de cette discussion, la présente proposition de loi est importante, car elle permet de soulever un sujet complexe qu'on ne peut occulter.

Depuis déjà plusieurs années, les séparations et les divorces sont en forte augmentation. Cette situation, que l'on sait douloureuse pour chacun des parents mais surtout pour les enfants, concerne près d'un couple sur trois en France, et un sur deux en Île-de-France. Il y a donc de plus en plus d'enfants confrontés à la question de la détermination de leur résidence par le juge aux affaires familiales. L'INSEE évalue leur nombre à 1,5 million. Rendez-vous compte, chers collègues : ce sont 1,5 million d'enfants dont le lieu de vie a vocation à être déterminé par la loi et par le juge. C'est tout sauf anodin, et nous nous devons de prendre la mesure de la responsabilité qui pèse sur le législateur aujourd'hui alors qu'il nous est proposé de modifier des dispositions du code civil.

En l'état actuel du droit, vous l'avez rappelé, en cas de séparation des parents, le principe est double : la résidence de l'enfant peut être fixée au domicile de l'un d'eux ou en alternance au domicile de chacun d'eux. L'article 373-2-9 du code civil prévoit en effet que la résidence peut être déterminée après accord des parents ou par décision du juge. En l'absence d'accord des parents, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée.

L'auteur de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui propose une nouvelle rédaction de l'article 373-2-9 du code civil en posant le principe selon lequel la résidence de l'enfant est fixée au domicile de chacun des parents d'après les modalités de fréquence et de durée déterminées par accord entre les parents ou par le juge. Ce principe d'équilibre des domiciles parentaux laisse au juge la possibilité de fixer des modalités distinctes à celle d'une stricte égalité de temps et au besoin d'apporter des dispositions transitoires ou temporaires.

L'auteur de la proposition de loi souhaite par ailleurs que cette modernisation du droit de la famille permette de raccourcir les procédures afin d'alléger les tribunaux actuellement en surcharge. Et, bien sûr, il instaure une exception à la règle de base de la double résidence. Permettez-moi de vous dire qu'en situation de divorce, quand les parents sont d'accord, l'absence de double résidence ne pose pas forcément de problème, car alors l'accord porte sur la résidence alternée ou sur la résidence chez l'un d'eux. Un problème se pose en revanche en cas de désaccord. Or dans ce cas, le fait de poser une exception à la règle aura pour conséquence, du fait de la perversité du système, que les gens utiliseront cette exception pour obtenir gain de cause. Avec une telle rédaction, plutôt que de se régler, la situation s'aggravera.

Selon vos propos, monsieur le rapporteur, cette proposition de loi doit constituer un symbole destiné à faire prendre conscience à chaque parent de sa responsabilité en matière d'éducation des enfants. Mais ne soyons pas naïfs, mes chers collègues ! Croyez-vous vraiment qu'un texte de loi suffise à faire prendre conscience aux parents de la responsabilité qui leur incombe en la matière ? J'en doute !

C'est sans doute une affaire de culture, de pédagogie et de société, mais il faut être naïf – permettez-moi de vous le dire, chers collègues du groupe MODEM – pour croire qu'un morceau de texte de loi changera les choses ! J'évoquerai quelques chiffres issus d'une étude relative à la résidence des enfants de parents séparés, publiée en 2013 par le ministère de la justice et portant sur 6 042 décisions définitives rendues par les juges aux affaires familiales au sujet de 9 399 enfants. Elle fournit un éclairage intéressant sur la garde des enfants et les éventuelles divergences entre les parents.

Selon cette étude, 80 % des parents s'accordent sur la résidence des enfants. Dans 17 % des cas, ils optent pour une résidence alternée. Le juge valide quasi systématiquement l'accord conclu entre les parents. Les cas de parents exprimant des demandes différentes au sujet de la résidence de leurs enfants ne représentent que 10 % des situations de divorce.

Dans les situations de désaccord, le juge décide d'une résidence chez la mère dans 63 % des cas et chez le père dans 24 % des cas. Notons que le juge décide d'une résidence chez le père deux fois plus souvent qu'en cas d'accord entre les parents, qui n'y aboutit que dans 10 % des cas. Par ailleurs, en cas de désaccord, le juge accorde plus fréquemment un droit de visite classique élargi à l'autre parent.

S'agissant de la résidence alternée, elle est prononcée dans 12 % des cas si les deux parents sont en désaccord ; elle l'est rarement si elle n'est pas demandée par au moins l'un des deux parents. Par ailleurs, cette enquête menée par le ministère de la justice démontre que le juge a plus fréquemment ordonné des mesures d'enquête ou de médiation en cas de désaccord entre les parents.

Par ailleurs, les juges prennent évidemment en compte l'âge de l'enfant. Pour les enfants de moins de 5 ans, la résidence chez la mère sera privilégiée ; pour les enfants de 5 à 10 ans, c'est plutôt la résidence alternée qui est privilégiée ; pour les enfants de plus de 10 ans, et surtout à partir de 15 ans, la résidence chez le père est plus souvent prononcée. En conclusion, cette étude menée par le ministère de la justice révèle que 93 % des demandes des pères sont satisfaites par les décisions des juges. Pour les mères, ce chiffre est de l'ordre de 96 %, donc comparable.

Si nous comprenons la volonté qui anime notre collègue Latombe et partageons son souhait de voir les pères occuper toute leur place auprès de leurs enfants, et plus largement d'améliorer le partage des tâches au sein du couple et de renforcer l'égalité entre les hommes et les femmes, nous sommes toutefois réservés au sujet de la rédaction du texte et de son caractère opportun.

Ce sujet doit faire l'objet d'une discussion approfondie entre les associations de parents, les magistrats et les professionnels de l'enfance et de la médiation de couple. Il doit surtout véritablement prendre en compte les faits de façon dépassionnée et objective et conserver comme premier objectif l'intérêt de l'enfant, que nous avons tous à l'esprit.

Par ailleurs, ne faut-il pas responsabiliser davantage les futurs parents sur la complémentarité de leurs rôles auprès de leur enfant et sur la nécessité de maintenir ce lien avec lui tout au long de la vie ? Pour les raisons que je viens d'évoquer, les députés du groupe UDI, Agir et indépendants ne voteront pas ce texte.

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