Intervention de Marc Laimé

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 13h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Marc Laimé, journaliste spécialisé et conseil sur les politiques publiques de l'eau auprès de collectivités territoriales :

Selon moi, depuis la création de la Générale des eaux en 1853, ces entreprises ne sont pas totalement distinctes de l'appareil d'État et de l'action des pouvoirs publics. Pourtant, il ne s'agit plus d'entreprises françaises depuis longtemps. En effet, le capital de Veolia est détenu par des fonds d'investissement étrangers à hauteur de 60 %.

Voilà quelques mois, la société Veolia a cru que j'étais payé par Suez pour la critiquer, mais elle m'a finalement présenté ses excuses.

Ces entreprises ne sont pas des entreprises comme les autres. Elles ont toujours eu un lien organique avec l'appareil d'État. L'affrontement public-privé a connu de grands cycles historiques depuis Napoléon III et des retours de balanciers tous les trente ou quarante ans. Je pense que nous sommes aujourd'hui à l'orée d'un retour vers la gestion publique. Ces vingt dernières années, Veolia et Suez ont perdu 20 % de leurs clients français, en nombre d'usagers desservis. Voilà 20 ans, les trois majors desservaient 80 % des Français, contre 60 % aujourd'hui. Une forme de paix armée s'est instaurée entre les opérateurs privés et les opérateurs publics. S'agissant de l'assainissement, la gestion publique domine.

Il me semble que l'équilibre actuel n'évoluera que peu dans les années à venir, car l'essentiel des relais de croissance de Veolia et Suez se trouve à l'étranger. La majeure partie de leur chiffre d'affaires s'effectue aujourd'hui hors des frontières françaises. Voilà qui explique l'opération conduite par M. Antoine Frérot. En effet, Veolia était en difficulté dans certains pays et dans certains métiers.

Voilà quelques années, Suez a racheté General Electric Water, l'un des plus grands acteurs américains, ce qui lui a donné le primat dans la gestion de l'eau industrielle. S'agissant de l'eau potable, Suez desservait également davantage de clients que Veolia. En outre, Veolia accusait un certain retard en termes de digitalisation. La conjonction de ces différents facteurs a conduit Antoine Frérot à agir. S'il ne l'avait pas fait, Veolia aurait pu se trouver en difficulté, alors que Suez innovait dans le domaine des eaux industrielles et des smart cities.

À ce propos, la maîtrise des données apparaît comme un enjeu majeur pour les années à venir. J'ai été stupéfait de découvrir que M. François Rebsamen, à Dijon Métropole, et M. Christophe Béchu, à Angers Loire Métropole, avaient confié la gestion de tous les flux numériques de leur ville à Suez. L'enjeu est considérable en termes de politiques publiques et de respect de la vie privée. La gestion des données est un axe de développement essentiel, me semble-t-il.

Il existe deux enjeux principaux à l'échelle mondiale, à savoir le numérique et le changement climatique. Or Suez et Veolia n'étaient pas au même niveau sur ces enjeux. Veolia accusait un certain retard dans un certain nombre de domaines d'avenir, ce qui l'a incité à lancer cette opération brutale, dont nul ne sait comment elle se terminera. En effet, au-delà de l'autorité de régulation en France et des autorités de régulation étrangères, il reste de nombreux obstacles à la validation définitive de l'OPA.

Nous assistons au déroulement d'une opération prédatrice, qui supposera, pour aller à son terme, que Veolia vende des actifs à des acteurs étrangers. Alors que M. Frérot vantait la construction d'un géant mondial, pour pouvoir défendre les entreprises françaises que sont Veolia et Suez des appétits imaginaires des opérateurs chinois, nous assistons à une forme de dépeçage de deux grandes entreprises, dont la pérennité, en l'état, n'est pas du tout assurée. Parmi les opérateurs qui reprendront l'entreprise Suez reconfigurée figurent Meridiam et Global Infrastructure Partners (GIP), un fonds d'investissement américain. Le fondateur de GIP est un oligarque nigérian, mais j'ignore d'où proviennent les fonds lui ayant permis de constituer son fonds d'investissement.

Les engagements formalisés dans le cadre de l'OPA – garantir l'emploi, par exemple – sont sans valeur. Si l'OPA aboutit, nous assisterons à un grand jeu de bonneteau. Pour comprendre les fondements de cette opération et le rôle de l'État, il faut savoir que celle-ci s'inscrit dans un vaste jeu de construction, initié par M. Emmanuel Macron. Tout à sa soif de réformes, tel Guizot sous Napolépon III, M. Emmanuel Macron veut reconfigurer le tissu industriel français et nos champions nationaux. La « saga » Veolia-Suez s'inscrit dans ce cadre. Elle n'est qu'un élément visant à la reconstitution d'un nouveau tissu industriel français, que MM. Emmanuel Macron et Alexis Kohler considèrent comme absolument indispensable pour affronter les enjeux du nouveau monde, notamment celui du changement climatique. L'OPA menée par Veolia sur Suez n'est qu'un effet collatéral d'une entreprise plus vaste. Il est important d'inscrire l'affaire Veolia-Suez dans ce contexte plus général.

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