Veolia est entré dans un cycle de financiarisation croissante. Cette entreprise devra porter un endettement colossal, puisqu'elle était déjà endettée à hauteur d'une douzaine de milliards d'euros et qu'il faudra y ajouter huit à dix milliards d'euros supplémentaires. Il ne sera pas possible de se défaire du poids de cette dette uniquement en revendant des actifs. Voilà qui fragilise l'avenir du nouveau Veolia.
En outre, Veolia reste un acteur minuscule au niveau international. Même avec les actifs arrachés à Suez, Veolia ne pèsera que 4 ou 5 % au niveau mondial dans ces nouveaux marchés. Il n'est pas le géant annoncé.
Compte tenu des mutations extrêmement importantes que connaîtra ce type d'entreprise – du fait des effets cumulés du changement climatique et de la digitalisation – j'estime que de nombreuses incertitudes demeurent sur la pérennité de Veolia et de ses actifs. À cet égard, je rappelle que Veolia (et la Générale des eaux auparavant) a construit son empire avec l'argent des usagers de l'eau et de l'assainissement. La pérennité du nouveau modèle voulu par M. Frérot pose question. Veolia s'éloigne de ses fondamentaux et les financiers feront la loi.
De nombreux problèmes se poseront en France en termes de libre concurrence entre les entreprises. D'ailleurs, que fera le Syndicat des eaux d'Île-de-France (SEDIF), qui vient de décider de confier un nouveau contrat au secteur privé ? Un semblant de concurrence est indispensable. Or, le nouveau Suez, réduit aux acquêts, est un attelage singulier. En effet, le fonds Meridiam est le fruit de conflits d'intérêts incessants. M. Thierry Déau, qui a commencé sa carrière dans le bureau d'études spécialisé de la Caisse des dépôts et consignations, a construit Meridiam, qui n'avait, jusqu'alors, aucune expérience de la gestion des services publics délégués dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. En outre, le retrait d'Ardian a été compensé par la présence extrêmement importante au capital de la Caisse des dépôts et de CNP. S'y ajoutent GIP, dont j'ignore d'où proviennent les fonds. Un tel attelage remplace une entreprise plus que centenaire, qui avait des capacités éminentes sur les volets techniques, juridiques et financiers. Elle se trouve aujourd'hui reprise en mains, en termes capitalistiques, par des acteurs sans expérience probante dans ce domaine.
Pour information, Ardian était auparavant Axa Asset Management, qui avait été malmené lors d'une énième opération de reprise avec procédure d'achat à effet de levier – leveraged buy-out (LBO) et avait perdu un milliard d'euros. Il est donc compréhensible qu'Ardian ait renoncé à prendre part à l'opération.
En définitive, nous connaîtrons bientôt une nouvelle configuration en France, reposant sur un acteur majoritaire et sur Suez. Celle-ci ne favorisera pas une meilleure concurrence et ne sera pas gage de transparence, au contraire. Paradoxalement, je suis convaincu que cette situation accentuera le mouvement en faveur de la gestion publique.
Plutôt que de chercher à savoir quel est le degré d'implication de M. Alexis Kohler, je préfère me concentrer sur l'analyse des logiques structurelles, dans un contexte complexe. Ces entreprises sont tout à fait particulières, parce qu'elles ont introduit en France le modèle de la common law à l'anglo-saxonne. Dès lors, l'État ne joue plus le rôle d'administrateur ni de régulateur.