Intervention de Gérard Mestrallet

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 15h35
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim :

Le 30 août 2020, je détenais 16 000 actions Suez, mais je n'en avais plus aucune quand la médiation a commencé. Je n'ai jamais détenu aucune action Veolia. Dans le cadre de la médiation, ma présidence de Suez était évidemment connue des deux parties.

Mon histoire avec ce groupe ayant duré trente-sept ans, j'y suis plus attaché que quiconque. Lorsque j'ai pris la présidence de Suez, en 1995, Suez était un groupe bancaire et financier, qui détenait notamment les banques Indosuez et Sofinco. Très vite, je me suis aperçu que notre groupe n'avait pas les moyens de devenir un grand acteur européen dans le domaine de la finance. Nous avons donc décidé, avec le conseil d'administration, de céder toutes ses activités bancaires et de transformer le groupe en groupe industriel.

La première étape a consisté à fusionner avec la Lyonnaise des eaux, en 1997. Le groupe Suez est ainsi devenu un groupe industriel du secteur de l'environnement et de l'énergie. À l'époque, le groupe détenait également des activités dans le secteur de la communication (M6, Paris Première), que nous avons cédées, et des activités dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui ont été à l'origine du groupe Vinci. Ainsi est né le groupe Suez-Lyonnaise des eaux, dont j'ai présidé le directoire en 1997, tandis que Jérôme Monod en présidait le conseil de surveillance.

Nous nous sommes ensuite beaucoup développés dans les domaines de l'environnement (eau, déchets) et de l'énergie. Nous avons ainsi réalisé trois fusions transfrontalières (Société générale de Belgique, Tractebel, Electrabel). En 2008, nous avons fusionné avec Gaz de France (GDF), donnant ainsi naissance au groupe GDF-Suez. À l'époque, la condition posée par l'État pour réaliser cette fusion était que le groupe Suez devienne minoritaire dans Suez Environnement. C'est la raison pour laquelle nous avons distribué les deux tiers du capital de Suez Environnement aux actionnaires et que GDF-Suez, devenu Engie, a gardé un peu plus de 30 % du capital. Cette situation a perduré pendant 12 ans.

Pendant toute cette période, le groupe comptait un ensemble dédié à l'énergie – il était d'ailleurs devenu l'un des leaders mondiaux de l'énergie non pétrolière –, à savoir GDF-Suez, et un groupe d'environnement, Suez Environnement, coté en bourse. J'ai été le président de Suez Environnement, tandis que Jean-Louis Chaussade en était le directeur général. Cette situation a permis à Suez Environnement de bien se développer. Lorsque GDF-Suez est devenu Engie, Suez Environnement est devenu Suez.

En 2012, nous avons amorcé un rapprochement amiable entre Suez et Veolia. Les discussions s'étaient alors limitées à Antoine Frérot, Jean-Louis Chaussade et moi-même. Le projet se voulait amical, mais l'opération n'a finalement pas abouti. En ce qui me concerne, je considère que de telles opérations ne fonctionnent bien que si elles sont amicales et que les parties parviennent à un accord.

À la fin du mois de juillet 2020, Engie a annoncé la vente de sa participation de 30 % dans Suez. Un mois plus tard, Veolia faisait une offre à Engie. Le problème ne tient pas à la cession des titres Suez par Engie. Certes, mon projet initial, lors de la fusion avec Gaz de France, était de garder 100 % de Suez Environnement, mais nous nous sommes conformés à la condition posée par l'État. Douze ans plus tard, les deux entreprises, toutes deux cotées en bourse, ont poursuivi leur chemin. Il n'était donc plus question de revenir en arrière. J'avais d'ailleurs prévenu Jean-Louis Chaussade qu'il nous faudrait peut-être céder cette participation de 30 % dans Suez, si Engie connaissait un fort développement dans le domaine de l'énergie. Je ne voyais donc pas d'inconvénient à ce qu'Engie sorte du capital de Suez. À l'époque, j'avais néanmoins dit à Jean-Louis Chaussade que si une telle décision était précise, il faudrait l'annoncer suffisamment tôt et qu'il faudrait préparer un processus, pour permettre à toutes les parties susceptibles d'être intéressées de se déclarer. Il faudrait ensuite analyser les projets présentés par les différents candidats sur le plan financier, industriel et social.

J'ai pris la parole dans la presse en septembre, pour alerter sur les risques d'une opération inamicale. En effet, j'estime que les opérations inamicales détruisent de la valeur et de l'enthousiasme. À cet égard, j'y ai toujours été très hostile et n'en ai jamais conduit.

En définitive, la vente des 30 % de participation d'Engie dans Suez a été réalisée rapidement, en un mois environ. Cela a profondément changé le cours des événements. Peu de temps après, Veolia a formellement déposé son offre publique d'achat (OPA). Suez s'est alors retrouvé dans une situation très inconfortable, puisque son concurrent principal, qui détenait 30 % de son capital, avait lancé une OPA sur le reste du capital. Malgré les efforts de Suez pour essayer de trouver des partenaires, personne n'a été en mesure de lancer une contre-OPA. Veolia avait alors le champ libre.

Une bataille médiatique et judiciaire s'est alors ouverte, entraînant du même coup une certaine paralysie des entreprises, donc une perte d'énergie, de temps et d'argent. La perception de la place financière de Paris en a également pâti. Il fallait donc que cette opération ne dure pas trop longtemps.

Les tensions se sont durcies entre les deux parties. Au début du printemps, j'ai repris la parole dans la presse, parce que cette situation m'attristait beaucoup. J'ai appelé à l'apaisement et au dialogue. Compte tenu du processus en cours, il ne restait que deux options : soit la guerre continuait pendant encore huit à douze mois pour finalement aboutir à ce que Veolia détienne 100 % de Suez, soit les deux parties comprenaient l'intérêt d'une solution permettant à chacune de sortir de cette crise par le haut, moyennant une trêve. Tel est bien l'esprit de la médiation, que Suez avait d'ailleurs réclamé à plusieurs reprises.

Les dirigeants de Veolia et Suez se sont tournés vers la seule plateforme de médiation internationale capable d'offrir une solution adaptée, à savoir Equanim. Equanim a alors proposé une liste de médiateurs aux deux parties. Equanim s'appuie sur un vivier de quinze médiateurs, dont je fais partie, mais aucun de ces médiateurs n'est actionnaire, mandataire social ou salarié d'Equanim. Les deux parties se sont finalement accordées sur mon nom. La médiation a ainsi pu commencer.

Une médiation n'est pas un arbitrage. Quand deux parties recourent à un arbitre, ce dernier décide, tel un juge. La décision de l'arbitre est exécutoire, c'est-à-dire qu'elle s'impose aux parties. À l'inverse, le médiateur n'impose rien. La prestation d'Equanim consiste à aider les parties à conclure un accord de principe (ce qui a été fait au Bristol le 11 avril), puis à aider à transformer cet accord de principe en accord définitif (ce qui a été fait le 14 mai), et à superviser toutes les opérations conduisant à la fin de l'OPA et au rachat du nouveau Suez, tout en veillant aux garanties sociales. Cette mission peut durer jusqu'à deux ans.

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