Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 15h35

Résumé de la réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Jeudi 27 mai 2021

La séance est ouverte à 15 heures 35

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim.

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La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences poursuit le cycle de ses auditions.

Nous accueillons à présent M. Gérard Mestrallet. De 2008 à 2016, vous avez été président-directeur général du groupe GDF-Suez, devenu Engie, et président de Suez, puis président du conseil d'administration d'Engie de 2016 à 2018. Plus récemment, en tant que membre du comité stratégique international du cabinet Equanim, vous êtes intervenu comme médiateur entre Veolia et Suez. Vous avez également été président du conseil d'administration de la fondation Agir contre l'exclusion, de 2007 à 2020.

Monsieur le président, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations, notamment les intérêts que vous déteniez dans les groupes au 30 août 2020, lors de la première offre de Veolia sur Suez, et au début de votre prestation de médiateur.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. Gérard Mestrallet prête serment.

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Le 30 août 2020, je détenais 16 000 actions Suez, mais je n'en avais plus aucune quand la médiation a commencé. Je n'ai jamais détenu aucune action Veolia. Dans le cadre de la médiation, ma présidence de Suez était évidemment connue des deux parties.

Mon histoire avec ce groupe ayant duré trente-sept ans, j'y suis plus attaché que quiconque. Lorsque j'ai pris la présidence de Suez, en 1995, Suez était un groupe bancaire et financier, qui détenait notamment les banques Indosuez et Sofinco. Très vite, je me suis aperçu que notre groupe n'avait pas les moyens de devenir un grand acteur européen dans le domaine de la finance. Nous avons donc décidé, avec le conseil d'administration, de céder toutes ses activités bancaires et de transformer le groupe en groupe industriel.

La première étape a consisté à fusionner avec la Lyonnaise des eaux, en 1997. Le groupe Suez est ainsi devenu un groupe industriel du secteur de l'environnement et de l'énergie. À l'époque, le groupe détenait également des activités dans le secteur de la communication (M6, Paris Première), que nous avons cédées, et des activités dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui ont été à l'origine du groupe Vinci. Ainsi est né le groupe Suez-Lyonnaise des eaux, dont j'ai présidé le directoire en 1997, tandis que Jérôme Monod en présidait le conseil de surveillance.

Nous nous sommes ensuite beaucoup développés dans les domaines de l'environnement (eau, déchets) et de l'énergie. Nous avons ainsi réalisé trois fusions transfrontalières (Société générale de Belgique, Tractebel, Electrabel). En 2008, nous avons fusionné avec Gaz de France (GDF), donnant ainsi naissance au groupe GDF-Suez. À l'époque, la condition posée par l'État pour réaliser cette fusion était que le groupe Suez devienne minoritaire dans Suez Environnement. C'est la raison pour laquelle nous avons distribué les deux tiers du capital de Suez Environnement aux actionnaires et que GDF-Suez, devenu Engie, a gardé un peu plus de 30 % du capital. Cette situation a perduré pendant 12 ans.

Pendant toute cette période, le groupe comptait un ensemble dédié à l'énergie – il était d'ailleurs devenu l'un des leaders mondiaux de l'énergie non pétrolière –, à savoir GDF-Suez, et un groupe d'environnement, Suez Environnement, coté en bourse. J'ai été le président de Suez Environnement, tandis que Jean-Louis Chaussade en était le directeur général. Cette situation a permis à Suez Environnement de bien se développer. Lorsque GDF-Suez est devenu Engie, Suez Environnement est devenu Suez.

En 2012, nous avons amorcé un rapprochement amiable entre Suez et Veolia. Les discussions s'étaient alors limitées à Antoine Frérot, Jean-Louis Chaussade et moi-même. Le projet se voulait amical, mais l'opération n'a finalement pas abouti. En ce qui me concerne, je considère que de telles opérations ne fonctionnent bien que si elles sont amicales et que les parties parviennent à un accord.

À la fin du mois de juillet 2020, Engie a annoncé la vente de sa participation de 30 % dans Suez. Un mois plus tard, Veolia faisait une offre à Engie. Le problème ne tient pas à la cession des titres Suez par Engie. Certes, mon projet initial, lors de la fusion avec Gaz de France, était de garder 100 % de Suez Environnement, mais nous nous sommes conformés à la condition posée par l'État. Douze ans plus tard, les deux entreprises, toutes deux cotées en bourse, ont poursuivi leur chemin. Il n'était donc plus question de revenir en arrière. J'avais d'ailleurs prévenu Jean-Louis Chaussade qu'il nous faudrait peut-être céder cette participation de 30 % dans Suez, si Engie connaissait un fort développement dans le domaine de l'énergie. Je ne voyais donc pas d'inconvénient à ce qu'Engie sorte du capital de Suez. À l'époque, j'avais néanmoins dit à Jean-Louis Chaussade que si une telle décision était précise, il faudrait l'annoncer suffisamment tôt et qu'il faudrait préparer un processus, pour permettre à toutes les parties susceptibles d'être intéressées de se déclarer. Il faudrait ensuite analyser les projets présentés par les différents candidats sur le plan financier, industriel et social.

J'ai pris la parole dans la presse en septembre, pour alerter sur les risques d'une opération inamicale. En effet, j'estime que les opérations inamicales détruisent de la valeur et de l'enthousiasme. À cet égard, j'y ai toujours été très hostile et n'en ai jamais conduit.

En définitive, la vente des 30 % de participation d'Engie dans Suez a été réalisée rapidement, en un mois environ. Cela a profondément changé le cours des événements. Peu de temps après, Veolia a formellement déposé son offre publique d'achat (OPA). Suez s'est alors retrouvé dans une situation très inconfortable, puisque son concurrent principal, qui détenait 30 % de son capital, avait lancé une OPA sur le reste du capital. Malgré les efforts de Suez pour essayer de trouver des partenaires, personne n'a été en mesure de lancer une contre-OPA. Veolia avait alors le champ libre.

Une bataille médiatique et judiciaire s'est alors ouverte, entraînant du même coup une certaine paralysie des entreprises, donc une perte d'énergie, de temps et d'argent. La perception de la place financière de Paris en a également pâti. Il fallait donc que cette opération ne dure pas trop longtemps.

Les tensions se sont durcies entre les deux parties. Au début du printemps, j'ai repris la parole dans la presse, parce que cette situation m'attristait beaucoup. J'ai appelé à l'apaisement et au dialogue. Compte tenu du processus en cours, il ne restait que deux options : soit la guerre continuait pendant encore huit à douze mois pour finalement aboutir à ce que Veolia détienne 100 % de Suez, soit les deux parties comprenaient l'intérêt d'une solution permettant à chacune de sortir de cette crise par le haut, moyennant une trêve. Tel est bien l'esprit de la médiation, que Suez avait d'ailleurs réclamé à plusieurs reprises.

Les dirigeants de Veolia et Suez se sont tournés vers la seule plateforme de médiation internationale capable d'offrir une solution adaptée, à savoir Equanim. Equanim a alors proposé une liste de médiateurs aux deux parties. Equanim s'appuie sur un vivier de quinze médiateurs, dont je fais partie, mais aucun de ces médiateurs n'est actionnaire, mandataire social ou salarié d'Equanim. Les deux parties se sont finalement accordées sur mon nom. La médiation a ainsi pu commencer.

Une médiation n'est pas un arbitrage. Quand deux parties recourent à un arbitre, ce dernier décide, tel un juge. La décision de l'arbitre est exécutoire, c'est-à-dire qu'elle s'impose aux parties. À l'inverse, le médiateur n'impose rien. La prestation d'Equanim consiste à aider les parties à conclure un accord de principe (ce qui a été fait au Bristol le 11 avril), puis à aider à transformer cet accord de principe en accord définitif (ce qui a été fait le 14 mai), et à superviser toutes les opérations conduisant à la fin de l'OPA et au rachat du nouveau Suez, tout en veillant aux garanties sociales. Cette mission peut durer jusqu'à deux ans.

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Je les ai vendues au premier trimestre de l'année 2021. Je n'ai pas bénéficié de la hausse du prix de l'OPA.

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Détenez-vous des actions chez Meridiam ou Ardian ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Non, absolument pas.

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Comment justifiez-vous votre nomination en tant que médiateur dans le conflit qui oppose Veolia à Suez, alors que le cabinet Equanim mentionne dans son règlement que la médiation doit être suspendue ou interrompue dans le cas où il existerait « un intérêt financier ou autre, direct ou indirect, dans l'issue de la médiation, une relation d'ordre privé ou professionnel antérieure avec une des parties ou si le médiateur a agi en qualité autre que celle de médiateur pour l'une des parties » ? N'auriez-vous pas dû vous mettre en retrait ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Non. Cette question a été examinée par les dirigeants d'Equanim. Comme je vous l'ai indiqué, je n'ai aucun intérêt financier. Quant aux potentiels conflits d'intérêts que vous évoquez, liés à ma présidence, ils n'en sont pas dès lors que les deux parties savaient pertinemment, lorsqu'elles m'ont choisi comme médiateur, que j'avais occupé ces fonctions.

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N'avez-vous pas entretenu une relation d'ordre professionnel antérieure avec l'une des parties, telle qu'évoquée dans le règlement d'Equanim ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Cette relation a bien évidemment existé, mais elle était parfaitement connue de Veolia. A partir du moment où les deux parties connaissent la situation, cela ne pose pas de problème. Je pense même que j'ai été choisi comme médiateur pour cette raison. Le médiateur n'étant pas un arbitre, il ne décide de rien. En revanche, ma connaissance de l'entreprise a sans doute contribué à réduire la durée de la première partie de la médiation.

Le vivier de médiateurs d'Equanim comprend quatre anciens premiers ministres européens, ainsi que de très grands patrons français, allemands, anglais et américains. Tous auraient fait de très bons médiateurs, mais il leur aurait fallu davantage de temps qu'à moi pour bien comprendre la situation.

Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas contrevenu au règlement d'Equanim, puisque le seul point qui aurait pu laisser penser à un conflit d'intérêts était connu des deux parties. En revanche, le fait de cacher un conflit d'intérêts potentiel à l'une des parties peut entraîner la nullité de la médiation.

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Des personnes ayant occupé des responsabilités au sein d'Engie ou de Suez siègent au conseil d'administration d'Equanim. Vous êtes-vous abstenu d'échanger avec les membres d'Equanim potentiellement en situation de conflit d'intérêts ? Garantissez-vous n'avoir eu aucun échange public ou privé avec les membres d'Equanim sur ce dossier ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Je vous le garantis. Je suis tenu au secret absolu par le code pénal. Ni les autres médiateurs potentiels ni Mme Bensalah Chaqroun, qui est membre du conseil de Suez, n'ont été informés de quoi que ce soit, jusqu'à ce que le conseil de Suez soit convoqué dans la nuit du 11 au 12 avril. Hormis ceux qui ont participé à la dernière partie de la médiation au Bristol, le dimanche 11 avril, à savoir Louis Schweitzer et Antoine Frérot, d'une part, et Delphine Ernotte et Philippe Varin, d'autre part, aucun des administrateurs de Suez ou de Veolia n'a été informé du déroulement de la procédure de médiation avant la tenue du conseil.

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Pourquoi M. Camus n'était-il pas présent le 11 avril ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Je ne peux pas vous répondre, mais je vous confirme qu'il n'était pas présent.

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S'agissant de votre rôle de médiateur, la presse a fait écho d'honoraires s'élevant à 10 millions d'euros. Quel a été le montant exact de vos honoraires pour cette prestation ? Qui a sollicité la médiation et à quelle date ? Quelle était la prestation commandée ? Combien d'heures avez-vous consacrées à ce travail ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Le travail n'est pas terminé. Il peut encore durer jusqu'à deux ans.

Concernant le montant de la prestation, je n'ai pas le droit de vous répondre. Le code pénal me l'interdit, au nom du secret professionnel. La divulgation de ces informations m'exposerait à un an de prison ferme. Je me dois de respecter la loi, en particulier l'article 1531 du code de procédure civile, qui résulte de la transposition en droit français d'une directive européenne relative à la médiation. Un chiffre a circulé, mais personne ne l'a confirmé ni infirmé, car personne n'a le droit de le faire.

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À quelle date la médiation a-t-elle commencé ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

J'ai été appelé à commencer la médiation le mercredi 7 avril. J'ai su quelques jours auparavant que mon nom était porté sur la liste des médiateurs proposés, mais j'ai appris que j'avais été choisi le 7 avril. Nous sommes ensuite parvenus à un accord, le 11 avril. Il ne s'agissait cependant que d'une première étape. Cette médiation aurait pu échouer, comme cela a été le cas des précédentes intermédiations.

La prestation comprend plusieurs étapes. La première consiste à réunir les parties et à les laisser trouver un accord. L'accord du 11 avril n'est pas celui du médiateur. Il ne concerne que les deux parties en présence. Les négociateurs se sont entendus sur un accord de trois pages, lequel a été présenté le soir même aux deux conseils d'administration, qui l'ont approuvé.

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Comprenez-vous que le montant de 10 millions d'euros qui a circulé dans la presse ait pu choquer les salariés ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Il ne faut pas confondre ce que touche Equanim et ce qui revient au médiateur. L'une des deux entreprises impliquées a révélé que les honoraires qu'elle a versés aux avocats et aux banquiers se sont élevés à 130 millions d'euros, mais personne n'a été désigné nommément. De même, dans le cadre de la médiation, c'est la société Equanim qui est rémunérée. En outre, rappelons-nous que la médiation a réussi. L'épouvantable bataille, qui donnait une image désastreuse de la place de Paris, voire de la France, a immédiatement pris fin. Tel était bien l'objectif de la médiation.

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La rémunération d'une prestation de médiation dépend-elle de la réussite ou de l'échec de la médiation ? Auriez-vous touché le même montant dans les deux cas ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Non, il n'est pas possible de dire cela, mais je ne peux pas rentrer dans les détails.

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Comprenez-vous que les salariés soient choqués par un tel montant ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Je comprends que ce montant puisse choquer s'il est assimilé à une seule personne, mais tel n'est pas le cas. La somme revient à une entreprise, et non pas à un individu.

La médiation a atteint son objectif. Le climat a instantanément changé, grâce à la médiation et au rapprochement des deux parties. Le rôle du médiateur a consisté à mettre les deux parties d'accord. Comme l'ont dit les présidents de Suez et Veolia, le gain est énorme pour l'entreprise. Mettre fin à cette bataille a permis aux deux parties de gagner beaucoup d'argent.

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Je me permets de vous rappeler que le secret des affaires n'est pas opposable dans le cadre d'une commission d'enquête. Nous vous demanderons donc de répondre à nos questions par écrit.

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Selon vous, quelle a été la plus-value de la médiation dans cette affaire ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

La médiation a permis aux deux parties de se mettre d'accord, mais le médiateur ne conçoit pas l'accord. Son contenu a été élaboré par les deux parties. Le médiateur s'est contenté de les réunir, afin qu'elles négocient et s'accordent. La médiation a servi à mettre fin à la guerre que se livraient deux très grandes entreprises françaises, en donnant à voir un spectacle assez attristant. En outre, la situation était inquiétante pour les salariés et coûteuse pour l'entreprise. Le management était concentré sur cette bataille, qui commençait à dégénérer. La médiation a donc représenté un véritable gain, y compris financier, pour les deux entreprises, puisque les honoraires d'avocats, banquiers et consultants en communication ont cessé de croître.

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Les syndicats représentatifs du groupe Suez, que nous venons d'auditionner, sont circonspects quant à l'intérêt de ce rapprochement pour Suez. Ils ont d'ailleurs intenté un certain nombre d'actions judiciaires. Qu'en pensez-vous ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Le médiateur n'a pas à juger l'accord. Il se contente de le favoriser. Je pense que les quatre années de garanties sociales qui ont été consenties sont satisfaisantes. Cette médiation évite toute casse sociale, puisqu'il ne sera procédé à aucun licenciement.

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En 2017, 70 % des services publics d'eau potable faisaient l'objet d'une gestion directe, pour une population de 28 millions d'habitants, soit 42 % de la population générale. Les services gérés en délégation représentaient, quant à eux, 30 % des services, mais couvraient près de 58 % de la population. Comment analysez-vous les évolutions en cours dans le domaine de la gestion de l'eau et la tendance à une remunicipalisation des services de l'eau ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Je suis un fervent adepte du partenariat public-privé dans le domaine des services publics : électricité, gaz, eau, déchets, télécommunications. Le partenariat public-privé impose cependant une règle : les partenaires publics décident, tandis que les partenaires privés exécutent. Dès lors que cette répartition des rôles est claire, les deux parties en tirent avantage. A titre personnel, je serais d'ailleurs favorable à un partenariat public-privé à l'échelle internationale.

Je constate que le chiffre d'affaires de la Lyonnaise des eaux est stable depuis dix ans. Nous assistons à quelques remunicipalisations, en même temps qu'à des renouvellements de délégation de service public (DSP). Il arrive également que, à l'occasion d'une remise en concurrence, un opérateur perde un contrat au profit d'un de ses concurrents. De façon générale, la situation est relativement stable.

Je suis partisan du partenariat public-privé, dès lors que le partenaire public le souhaite. Aucun groupe privé ne peut imposer un partenariat public-privé. Toute concession suppose une autorité concédante, c'est-à-dire un partenaire public. Il faut ensuite que les règles du jeu soient claires. Lorsque tel est le cas, le partenaire public obtient un service qui correspond à ce qu'il souhaite, sans avoir eu à réaliser lui-même des investissements ni à recruter. Je connais peu de communes pouvant détenir les compétences techniques indispensables pour gérer des services d'eau, de déchets ou d'énergie. En définitive, la décision revient malgré tout aux communes, qui peuvent très bien choisir de recourir à la gestion directe.

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Comment la DSP peut-elle être plus favorable que la régie du point de vue des coûts de gestion, alors même que le délégataire est assujetti à l'impôt sur les sociétés, qu'il amortit sur la durée du contrat, qu'il a des objectifs de maximisation de son profit et qu'il supporte des rémunérations de siège ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Il est vrai que les entreprises privées délégataires paient l'impôt sur les sociétés, quand elles font des bénéfices, et qu'elles supportent des charges, mais d'autres facteurs, tels que l'efficacité ou la productivité, entrent en ligne de compte pour comparer la gestion privée et la gestion publique.

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Au temps où vous étiez en charge, qui avait la responsabilité de l'entretien du réseau d'eau potable en Guadeloupe ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

À ma connaissance, nous n'en étions pas responsables, mais MM. Frérot et Camus sont sans doute mieux informés que moi à ce sujet. Je n'ai jamais entendu parler de DSP en Guadeloupe pour Suez.

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Comment avez-vous été approché par le cabinet Equanim pour devenir membre de son panel de médiateurs ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Les deux avocats fondateurs d'Equanim, Me Patrick Klugman et Me Matthias Fekl, ont eu l'idée de constituer une plateforme de médiation. Ils sont d'ailleurs actionnaires d'Equanim, avec une troisième personne. Trois autres personnes ont joué un rôle dans l'histoire d'Equanim, à savoir Enrico Letta (ancien premier ministre italien), Maurice Lévy (président de Publicis) et moi-même. Ensemble, nous avons réfléchi à la médiation. Les deux fondateurs avaient l'intuition qu'il existait une place pour un autre mode de résolution des conflits entre entreprises que l'arbitrage, qui se révèle souvent long et coûteux, ou les tribunaux. Généralement, les entreprises hésitent à s'en remettre à l'arbitrage.

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Comment avez-vous été approché par le cabinet Equanim, que vous avez participé à fonder ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Je ne l'ai pas fondé. Je ne suis ni actionnaire ni mandataire social d'Equanim. Le conseil stratégique n'est pas un conseil d'administration. Il réunit les médiateurs, qui sont des personnalités de très haut niveau.

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Qui vous a proposé d'intégrer le conseil stratégique ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Patrick Klugman m'a contacté.

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Cela remonte au début de l'année dernière, me semble-t-il. Nous avons beaucoup réfléchi à la médiation et à qui pourraient être les médiateurs. Les cinq personnes qui ont travaillé sur le concept d'Equanim ont réuni des personnalités de tout premier ordre. Il est bon pour la place de Paris de disposer d'une telle plateforme de médiation internationale.

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Le contrat de médiation relatif au conflit entre Veolia et Suez est-il le seul contrat aujourd'hui détenu par Equanim ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Je l'ignore. Je ne suis pas mandataire social. Si je connaissais la réponse à cette question, cela signifierait que le secret a été rompu.

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Quels étaient les deux autres médiateurs en lice pour assurer la médiation entre Veolia et Suez ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Je n'ai pas cherché à le savoir.

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Avez-vous eu des échanges ou des contacts de quelque nature que ce soit avec des membres de l'Elysée, du gouvernement ou des représentants de l'État au sujet du dossier Veolia-Suez dans la période allant de juin 2020 jusqu'à ce jour ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Non. J'ai reçu un appel téléphonique du directeur général du Trésor lorsque j'ai publié ma deuxième tribune, au début du printemps. Cette tribune était un appel à l'apaisement et le directeur général du Trésor m'a fait savoir qu'il partageait mon point de vue. Je ne lui ai rien dit de la médiation. D'ailleurs, je n'avais pas encore été choisi comme médiateur. Il m'a dit quelques mots du travail qu'il avait lui-même réalisé, à la demande du ministre de l'Économie et des finances, M. Bruno Le Maire. J'ai ainsi obtenu quelques informations sur les points de tension entre les acteurs et ceux sur lesquels ils pouvaient se montrer plus flexibles. Son travail a été utile. Il a fait avancer les choses, mais il n'était pas un médiateur.

Pour entrer dans une médiation, il faut que les deux parties le veuillent et que le médiateur soit choisi en commun. Equanim propose plusieurs médiateurs possibles, entre lesquels les parties choisissent.

L'intervention du directeur général du Trésor, à l'initiative du ministre de l'Économie et des finances, s'est révélée constructive. Il a fait office de conciliateur.

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Comment la garantie du maintien des avantages sociaux et de l'emploi vis-à-vis des salariés de Suez, pendant quatre ans, se matérialise-t-elle ? De telles promesses avaient été prononcées dans le cas d'Alstom, mais elles n'ont pas été tenues. Pourquoi serait-ce différent cette fois-ci ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Veolia a pris des engagements forts s'agissant de la partie de Suez qu'il reprendra. En vertu de l'accord du Bristol, le consortium Meridiam – GIP – Caisse des Dépôts et consignations – Caisse nationale de prévoyance (CNP) a l'obligation de reprendre intégralement ces engagements. Il a d'ailleurs donné son accord sur ce point.

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Pourquoi Veolia n'a-t-il racheté que 29,9 % des parts de Suez et pas l'intégralité des 32 % détenues par Engie ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Je vous suggère de poser la question à M. Frérot.

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Comment expliquez-vous votre changement de position entre votre première et votre deuxième tribune ?

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Gérard Mestrallet, ancien président du groupe Engie, membre du cabinet de médiation Equanim

Je suis favorable aux opérations négociées, c'est-à-dire amicales. J'étais opposé au lancement d'une opération hostile, contraire à ma philosophie. Cependant, au mois d'avril, Veolia détenait 30 % du capital de Suez et avait lancé une OPA sans qu'aucune contre-OPA ne puisse être montée. Par conséquent, si rien ne se passait, la bataille était vouée à se poursuivre et Veolia aurait fini par détenir 100 % du capital de Suez. Nous aurions assisté à une victoire par knock out (K.O.) et Veolia serait devenu le seul maître à bord. Compte tenu de cette situation, qui n'était pas la même qu'en septembre, il fallait trouver un accord. La situation avait radicalement changé entre ma première tribune, période à laquelle Veolia n'avait aucune participation au capital, et la seconde, en avril. Là, deux options étaient envisageables, à savoir poursuivre une guerre néfaste, pour les deux entreprises comme pour la place de Paris, pendant huit à douze mois, ou trouver un accord. Les deux parties ont pensé que je pouvais les aider à trouver un accord.

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Je vous remercie, monsieur Mestrallet. Nous attendons désormais vos réponses écrites à nos questions, notamment en ce qui concerne les conditions de la médiation.

La réunion se termine à seize heures trente-cinq.