Intervention de Bertrand Camus

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 16h30
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Bertrand Camus, directeur général de Suez :

Nous avons compris qu'Engie comptait vendre sa participation à la fin du mois de juillet. D'après les discussions que nous avons eues avec le président d'Engie, cette opération était supposée se réaliser en fin d'année 2020 ou en début d'année 2021. Nous avions convenu de rechercher des investisseurs, pour racheter le bloc de 32 % qu'Engie mettrait à la vente.

Parallèlement, nous avons rencontré plusieurs responsables fin juillet, notamment M. Martin Vial, directeur général de l'agence des participations de l'État (APE), et le directeur de cabinet du Premier ministre. Nous leur avons parlé de notre société, de notre plan stratégique, de nos enjeux et du travail que nous menions pour identifier des investisseurs pour reprendre les actions d'Engie.

L'opération a finalement été lancée le 30 août au soir. Nous en avons été prévenus quelques heures auparavant. Pendant le mois de septembre, nous avons défendu notre cause auprès des responsables politiques et de leur cabinet. Nous avons fait savoir que Suez était capable de mener son projet de manière indépendante. Durant cette période, malheureusement trop courte pour trouver des investisseurs, nous avons bénéficié du soutien du ministre de l'Économie et de son directeur de cabinet, M. Emmanuel Moulin.

Une deuxième étape s'est ensuite ouverte. Notre stratégie a toujours été de préserver l'intégrité du groupe, en défendant l'intérêt social. Non seulement nous avons essayé de bloquer l'avancée de Veolia, mais nous avons également cherché des investisseurs pour nous accompagner et rééquilibrer les discussions. Veolia détenant 29,9 % des parts de Suez, nous étions conscients qu'une négociation devrait avoir lieu si nous voulions que les deux groupes se séparent.

Nous sommes parvenus à sécuriser un groupe d'actionnaires à la fin de l'année 2020. Nous avons tenté à plusieurs reprises d'entrer en discussion avec Veolia, mais cela n'a pas été possible. Le directeur du Trésor a également essayé de rapprocher les deux parties. De notre côté, nous avons toujours déclaré que nous étions prêts à discuter, pour trouver une solution. Il a néanmoins fallu faire monter la pression en mars et en avril, grâce à la vente de certains actifs en Australie et à la création d'une fondation, pour finalement réussir à entamer des discussions avec Veolia. La médiation a ainsi commencé la semaine précédant le 11 avril. Elle nous a permis d'obtenir un accord de principe le 11 avril.

Cet accord est relativement satisfaisant, compte tenu du rapport de force dans lequel nous nous trouvions à cette époque. En tant que mandataire social et responsable d'une entreprise comptant plus de 80 000 salariés, il était de ma responsabilité d'admettre la nécessité de trouver un accord, même si telle n'était pas mon vœu initial. L'accord trouvé le 11 avril a été finalisé le 14 mai dernier.

Par rapport à la situation de fin août 2020, nos actionnaires ont reçu une valorisation beaucoup plus en ligne avec la valeur de Suez et les garanties sociales ont été étendues à l'ensemble du périmètre français pour une durée plus longue (quatre ans pour les collaborateurs qui rejoindront Veolia et cinq ans pour ceux qui seront intégrés au nouveau Suez). En outre, le projet initial, qui prévoyait de ne vendre que les activités « eau » en France au fonds d'investissement Meridiam n'était pas satisfaisant du point de vue de la qualité de service offerte à nos clients et ne nous permettait pas de nous positionner en véritable concurrent sur le marché français, faute d'atteindre une taille critique et d'avoir accès à l'innovation.

Le nouveau Suez est aujourd'hui un ensemble pesant sept milliards d'euros et comptant 35 000 salariés dans le monde. Il restera le numéro un du recyclage et de la valorisation des déchets non dangereux en France et numéro deux dans le domaine de l'eau. Il aura une envergure internationale, avec une capacité d'intervention très étendue, s'appuyant sur des équipes locales, et sera capable de poursuivre ses investissements en recherche et développement, grâce à ses centres de recherche localisés en France. Nous serons donc en mesure de maintenir une véritable concurrence avec les autres acteurs sur le marché français. Outre les garanties sociales données aux salariés, ceux qui rejoindront le nouveau Suez pourront prendre des participations dans la société, puisque 10 % du capital leur sera réservé.

Cet accord permet à Suez de repartir de l'avant et de mettre fin au conflit qui l'opposait à Veolia. Un équilibre a été trouvé. Ainsi, Suez et Veolia, qui sont aujourd'hui concurrents, le resteront demain.

Permettez-moi désormais de dire quelques mots sur la ressource en eau. La gestion de la ressource est un enjeu fondamental pour les décennies à venir, notamment dans le cadre du changement climatique. Les problématiques de sécheresse et d'inondations font ainsi l'objet d'études.

Un changement drastique dans les usages de l'eau doit s'opérer. Chacun fait des efforts pour réduire sa consommation individuelle, mais il ne s'agit que d'une petite fraction de l'usage en eau. Les usages agricoles, notamment, sont importants. Un changement radical doit avoir lieu, pour faire face à l'évolution de la ressource.

Par ailleurs, la ressource a tendance à se fragiliser. Du fait du changement climatique, les débits d'étiage dans les rivières seront de 40 à 60 % plus faibles dans les vingt ou trente ans à venir, ce qui nous obligera à mieux épurer les effluents, pour maintenir la qualité de la ressource et protéger la biodiversité. Par conséquent, les changements au niveau des usages doivent s'accompagner d'investissements, pour faire face aux besoins et sécuriser l'approvisionnement en eau, que ce soit pour l'usage domestique ou les activités économiques.

Depuis une dizaine d'années, 6,5 milliards d'euros sont investis dans le petit cycle de l'eau chaque année en France, alors que, de l'avis des industriels, il en faudrait 9 à 10 milliards pour faire face à l'ensemble des besoins qui ont été identifiés. À titre personnel, je pense même qu'il faudrait investir davantage encore.

Sur ces sujets, il faut investir aujourd'hui, pour observer des effets à l'horizon 2030. L'anticipation est donc essentielle. Il me semble que nous stagnons, désormais, alors que la France avait pris de l'avance grâce aux agences de l'eau, aux entreprises et au système d'investissement qui avait été mis en place. Pourtant, l'urgence climatique nous impose d'agir rapidement.

Le Green Deal européen apparaît cependant comme une lueur d'espoir. D'ailleurs, les véritables progrès réalisés en France ces dernières années l'ont été grâce à l'Europe et à ses directives sur l'eau, les eaux usées ou encore les eaux de baignade. Un rapport sur l'hydrosphère rédigé pour l'Union européenne estime qu'il faudrait investir 500 milliards d'euros dans les dix ans à venir (dont la moitié en stations d'épuration) pour protéger l'ensemble des ressources – lacs, rivières, nappes souterraines.

En ce qui concerne les entreprises de l'eau, je considère que le fait de disposer de grands opérateurs professionnels est une chance pour notre pays. Il s'agit d'ailleurs d'une particularité à l'échelle mondiale. Les entreprises françaises ont su se développer à l'international, contrairement aux acteurs privés des autres pays. Ce phénomène s'explique par notre modèle très concurrentiel, qui pousse les entreprises à être toujours plus innovantes, à trouver des solutions sur mesure et à faire preuve de flexibilité dans les modèles contractuels. Avec des entreprises de cette taille, il est possible d'investir dans l'innovation et la recherche, ce qui est absolument nécessaire pour faire face aux défis susmentionnés.

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