Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, si nous sommes réunis ce soir, c'est pour débattre d'un sujet délicat, d'une proposition de loi qui cherche à établir un principe général de résidence des enfants chez chacun de leurs parents, afin, selon l'auteur, de traduire leur égalité « dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ».
Comme beaucoup de Français, je m'interroge et surtout je m'inquiète. En effet, alors que j'examinais cette proposition de loi sur le principe de la garde alternée – nous avons aujourd'hui un faux nez de la garde alternée avec la résidence alternée – , je me disais qu'il était bien loin le temps où nous écrivions le code civil comme des poètes, le temps où les mots étaient posés, mesurés, où l'on ne modifiait la loi que pour reprendre les termes de Montesquieu, « d'une main tremblante ».
Sans entrer dans des considérations philosophiques, j'aimerais qu'au fond, nous nous demandions à quoi sert la loi, ce qu'est une loi. Certains considèrent que la loi possède trois caractéristiques fondamentales. Elle est terriblement humaine, comme le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Elle doit être nécessaire. Enfin, elle doit être utile.
Mais, la loi qui nous est soumise aujourd'hui me semble être une loi d'affichage. Elle n'est ni nécessaire, ni utile ; pire encore, elle présente des risques.
La réforme proposée est inutile, parce qu'elle ne prend pas en compte la situation actuelle. Le code civil est aujourd'hui équilibré. La résidence alternée est déjà privilégiée lorsque les parents la demandent. Si elle est minoritaire dans les décisions de justice rendues, c'est parce qu'elle n'est demandée que par une minorité de parents – 19 % d'entre eux. Seuls 18,8 % des pères la demandent et 17,3 % l'obtiennent. Seulement 1,5 % des demandes des pères en matière de résidence alternée ne sont pas satisfaites.
Lorsque la garde alternée est sollicitée, le juge examine si les critères déterminés par la loi sont remplis, dans l'intérêt de l'enfant : la proximité géographique, la stabilité de l'enfant, des conceptions éducatives identiques. La justice cherche à établir un esprit de coparentalité.
Vous déposez une proposition de loi pour répondre à un prétendu problème, qui n'en est pas un, tout en refusant d'en voir les conséquences. Vous voulez renforcer les droits des parents au détriment de ceux des enfants.
Malgré des amendements censés l'édulcorer, ce texte présenté à la va-vite comporte des risques que nous devons absolument éviter.
Tout d'abord, je rappelle qu'il n'a pas fait l'objet d'une étude d'impact.
Ensuite, la résidence administrative de l'enfant étant étroitement liée à la répartition des parts fiscales et des droits sociaux, le texte présente des risques économiques majeurs pour l'un des deux conjoints, le plus souvent la mère.
Toutes les inquiétudes liées aux aspects socio-économiques de la résidence de l'enfant ont purement été balayées en commission. Quid également des pensions alimentaires non versées par le père ? Nous ne disposons d'aucune donnée précise sur leur nombre – certains évoquent 40 %, d'autres 18 %. La proposition de loi ignore ce problème. Avant d'examiner ce texte, nous aurions dû dresser un bilan de la situation.
Enfin, comme vous le savez, je me suis particulièrement engagée ces dernières années contre les violences conjugales. Permettez-moi de vous faire part du témoignage de Florence, mère de deux enfants et victime de violences physiques et psychologiques de la part du père. Cette mère a accepté pendant trois ans la garde alternée, je la cite, « par peur, à cause des menaces et de la pression. J'ai accepté la résidence alternée parce que je n'en pouvais plus. Il m'appelait le soir jusqu'à une heure du matin, parfois soixante fois par jour pour obtenir ce mode de garde. Devant le juge, j'ai fini par dire que j'étais d'accord. »
La garde alternée – une semaine chez papa, une semaine chez maman – est un outil de contrôle pour les conjoints violents. Elle peut aussi être utilisée pour s'exonérer du paiement de la pension alimentaire. Elle permet au conjoint violent de demander des comptes sur le quotidien des enfants : le choix de l'école, le menu des repas, les activités sportives.
Pire, ce mode de garde suppose que les ex-conjoints habitent à proximité l'un de l'autre. Qu'importent les menaces et la réalité, ce qui compte, c'est l'égalité, dite réelle, entre la mère et le père. Qu'importe le recours au juge, puisque les parents sont d'accord – le recours au juge est devenu facultatif. Qu'importe l'avenir de leurs enfants, puisque seul le droit des parents compte.
Pourquoi faire courir de tels risques à ces milliers de femmes et d'enfants pour satisfaire une minorité de pères qui n'obtient pas la garde ? Je rappelle que 1,5 million d'enfants sont concernés.
La loi ne peut pas tout. Envisageons une éducation à la famille et à l'investissement des parents. Nous sommes députés, pas apprentis sorciers. Cessons de jouer avec la vie des gens, a fortiori celle des familles et des enfants.
Je ne voterai évidemment pas un texte qui représente un véritable danger pour les femmes victimes de violences au lendemain du discours du Président de la République dans lequel il a endossé le costume de défenseur des femmes et des enfants.