Je suis ravie d'être avec vous pour parler de la gestion de cette ressource fondamentale qu'est l'eau. L'eau est l'un des biens les plus précieux de notre planète, elle est une condition de notre survie, elle fait partie de notre culture. Pendant trop longtemps, son abondance nous a donné l'illusion de son infinité. Comment imaginer que la planète bleue puisse un jour manquer d'eau ? C'était aberrant, impensable. Et pourtant, c'est désormais le cas, et les choses ne vont pas aller en s'améliorant.
Vous serez heureuse de savoir, madame la présidente, que je partage l'avis du président Mélenchon, lorsqu'il dit que parler de l'eau rend le problème écologique concret. Parler de l'eau, au fond, c'est parler de tous les combats que je mène, c'est parler du changement climatique et de ses conséquences concrètes et quotidiennes, de nos écosystèmes et de nos espèces des milieux aquatiques, littoraux et marins, de l'irrigation de nos champs, du refroidissement de nos centrales nucléaires, de l'eau potable, de la sécurité contre les incendies. C'est parler de notre adaptation, de notre résilience dans ce siècle chamboulé à la fois par les sécheresses et par les inondations. C'est parler de nos outre-mer, monsieur le rapporteur, de nos espaces maritimes, de notre responsabilité historique devant le monde. C'est parler de service public, de droits fondamentaux et d'égalité.
Oui, parler de l'eau, c'est parler d'écologie et de République, c'est parler de dignité, une dignité que le législateur a consacrée petit à petit dans le code de l'environnement. Petit à petit, ai-je dit, parce que toute avancée de cette ampleur est le fruit de combats et de conquêtes sociales. Aujourd'hui, l'eau fait partie du patrimoine commun de notre nation. C'est notre responsabilité que de veiller à sa protection, à sa mise en valeur et à l'optimisation de sa gestion dans le respect des équilibres naturels. Aujourd'hui, chacune et chacun a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. Aujourd'hui, les coupures d'eau en cas de non-paiement des factures sont interdites. Aujourd'hui, il existe un système de solidarité qui aide les plus précaires de nos concitoyens à régler leurs factures. Aujourd'hui, la porte est ouverte à une tarification sociale de l'eau, en fonction des revenus. Aujourd'hui, la priorité est donnée, dans la loi, à l'usage de l'eau pour la santé publique, la sécurité civile et l'alimentation en eau potable.
Tout cela, mesdames et messieurs les députés, c'est bien plus que du droit public ou des articles de loi : c'est la marque d'une société mature, soucieuse de la vie de ses membres, soucieuse que la vie de nos concitoyens, notamment des plus modestes, s'améliore significativement, en métropole comme en outre-mer. Bref, ce sont des victoires pour la dignité humaine.
Mais il reste beaucoup à faire, et je suis sûre que nous sommes nombreux à partager ce constat. Aujourd'hui encore, 235 000 personnes sont privées d'un accès permanent à l'eau dans notre pays – c'est l'équivalent de la ville de Bordeaux ; 235 000 personnes sont privées de l'un des droits les plus fondamentaux. À Mayotte, 82 % des habitants ne sont pas raccordés à un système d'évacuation des eaux usées : cela donne une idée de l'ampleur des inégalités entre nos territoires. Et je ne peux me résoudre à considérer qu'avoir couvert 99,99 % de la population, c'est déjà bien. Quid des 0,01 % restants ? Ce n'est pas que de la statistique ! La promesse républicaine consiste à ne jamais se reposer tant qu'il reste un endroit où les droits fondamentaux ne sont pas une réalité.
Alors oui, nous avons du pain sur la planche pour assurer la pleine effectivité de ce droit à l'eau. Il faut, pour commencer, remettre ce dossier tout en haut de la pile. Votre commission d'enquête y contribue et je vous en remercie sincèrement. Rendre ce droit pleinement effectif suppose aussi de nous en donner les moyens. Nous en avons déjà beaucoup, avec l'Office français de la biodiversité (OFB), mon ministère, les aides aux collectivités, les agences de l'eau et le plan de relance. Je prendrai un seul exemple : d'ici 2024, 4,5 milliards d'euros seront engagés par les six agences de l'eau pour améliorer les installations de traitement, renouveler les réseaux et favoriser l'interconnexion. À cette somme vient s'ajouter une enveloppe dédiée de 850 millions pour améliorer la gestion des eaux pluviales, ainsi que 250 millions du plan de relance pour accompagner les collectivités rurales dans la modernisation de leur réseau et la remise aux normes de leurs installations. Nous disposons donc de moyens importants, qui nous sont alloués par le législateur, mais je tiens à le dire clairement et en responsabilité devant votre commission d'enquête : si nous devions avoir plus de moyens, nous saurions quoi en faire !
Mesdames et messieurs les députés, la bataille que nous menons pour la dignité humaine, pour un droit à l'eau effectif, en tout temps et en tout lieu, est d'abord une bataille de terrain. Notre approche est profondément territoriale et laisse à chacun des acteurs la possibilité d'exprimer ses besoins. Le rôle de l'État est de coordonner l'action, de fixer et de faire respecter le cadre et de laisser, dans les territoires, les collectivités et les usagers concrétiser les choses, au plus près des besoins et des ressources. C'est à eux qu'il revient de choisir, sur le plan technique comme sur le plan politique, le mode de gestion du service d'eau qu'ils désirent ; c'est à eux de se concerter pour élaborer les fameux projets territoriaux de gestion de l'eau (PTGE), qui visent à identifier les besoins et la répartition de la ressource disponible. Je sais parfaitement que, dans cette bataille, nous pouvons compter sur les élus : ils connaissent le terrain et savent quoi faire, comment, où et pour qui. C'est pour cette raison que le législateur leur a ouvert la possibilité d'introduire la tarification sociale de l'eau et la gratuité d'un premier volume. C'est aussi la raison pour laquelle les agences de l'eau sont des partenaires financiers privilégiés des collectivités. Je crois aux territoires, à leur intelligence et à leur sens des réalités pratiques.
J'ai beaucoup parlé, depuis le début de mon intervention, de la dignité de nos concitoyens, du droit à l'eau, de la nécessité de faire toujours plus et mieux et de n'abandonner personne sur le bord du chemin. Je voudrais aussi, comme ministre et comme écologiste, vous dire quelques mots sur l'état de la ressource en eau dans notre pays. Nous avons une pluviométrie raisonnable mais devons faire face, comme tous nos voisins, aux conséquences du changement climatique : des pluies et des inondations plus intenses et plus fréquentes et des sécheresses qui durent bien plus longtemps qu'avant. Ma responsabilité, en tant que ministre, c'est aussi de veiller à ce que notre pays dispose, au long cours, de la quantité et de la qualité d'eau dont il a besoin. Or l'activité humaine a un impact considérable sur nos ressources en eau : l'urbanisme, l'industrie, l'agriculture, les transports modifient la qualité de l'eau, le débit de nos cours d'eau, la richesse et la fonctionnalité de nos écosystèmes. Plus de 51 % des eaux de surface continentales de notre pays ont vu la morphologie de leur milieu se modifier ; plus de 43 % sont affectées par des pollutions diffuses ; plus d'un quart sont victimes de pollutions ponctuelles. Ce constat glaçant vaut aussi pour les eaux souterraines : un tiers d'entre elles sont affectées par des pollutions diffuses, aux nitrates et aux pesticides, notamment.
Nous avons la responsabilité morale et politique de garantir à chacune et chacun, pour aujourd'hui et pour demain, l'accès à l'eau, qui fait partie du patrimoine commun de notre nation. C'est la responsabilité que j'assume au quotidien. Je sais qu'au-delà des appartenances politiques, nous partageons tous le sens de ce combat pour la dignité et pour l'écologie, et je sais que les travaux de votre commission vont faire avancer cette cause. Par avance, je vous en remercie et je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.