Intervention de Jean-Pierre Clamadieu

Réunion du lundi 7 juin 2021 à 14h05
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie :

Je précise qu'en plus d'être président du conseil d'administration d'Engie, j'en suis également un petit actionnaire.

Engie est un grand groupe énergétique, qui a clarifié récemment sa stratégie en se concentrant sur deux métiers : la production d'électricité d'origine renouvelable et les infrastructures énergétiques des collectivités locales (réseau de chaleur, réseau froid).

L'État détient environ 23 % du capital d'Engie. Notre entreprise n'est ni publique ni contrôlée par l'État. Toutefois, l'État y a investi une participation suffisante pour jouer un rôle dans sa gouvernance. Notre conseil d'administration compte trois représentants de l'État.

Je n'ai pas été nommé par M. Gérard Mestrallet, comme je l'ai entendu, mais sélectionné par le comité de nomination du conseil d'administration d'Engie, puis proposé à l'assemblée générale par ce conseil. J'ai été nommé à l'assemblée générale en 2018, puis le conseil m'a choisi comme président. Je suis administrateur indépendant au sein du conseil et libre d'intérêts.

En juillet 2008, au moment de la fusion entre Suez et Gaz de France (GDF), il a été décidé que les activités d'environnement de Suez ne feraient pas partie de l'ensemble fusionné, mais qu'elles seraient isolées dans une entreprise, nommée Suez Environnement, qui a été placée en bourse.

Un pacte d'actionnaires a été conclu, dont Engie a été partie prenante. Ce pacte nous a imposé certaines obligations, en particulier celui de rester actionnaires de l'entreprise. Celui-ci a pris fin en juillet 2013.

À partir de ce moment-là, Suez est devenu une participation financière pour Engie. Nous ne consolidions pas Suez dans nos comptes ; nous étions simplement propriétaires de 32 % du capital, et nous avons été représentés au conseil au fil du temps par quatre, trois puis deux administrateurs.

De plus, nous entretenions très peu de synergies opérationnelles. L'an dernier, quelques dizaines de millions d'euros de chiffre d'affaires ont été réalisées sur des projets communs entre Suez et Engie.

Depuis 2013, la question du devenir de la participation d'Engie est régulièrement posée. Lorsque j'ai pris mes fonctions de président du conseil d'Engie, il m'a semblé évident qu'il fallait s'orienter soit vers une intégration complète de Suez chez Engie, soit vers une cession de nos parts. Je me suis ensuite rendu compte que la réalité était plus complexe.

Fin 2018-début 2019, un nouveau directeur général de Suez a été nommé, M. Jean-Louis Chaussade ayant atteint la limite d'âge, puis un nouveau président. Au sein du conseil d'administration d'Engie, nous avons pris une position qui a fait l'objet d'une communication publique en décembre 2018. Nous y avons indiqué que le statut quo nous convenait pour le moment, et que nous resterions actionnaires à un peu plus de 30 %.

Début 2019, M. Bertrand Camus a été nommé directeur général de Suez. C'est Mme Isabelle Kocher, la directrice générale d'Engie, qui a participé aux discussions qui ont abouti à cette nomination. En mai 2019, M. Bertrand Camus, qui venait tout juste de prendre ses fonctions, est venu me consulter.

Je me rappelle lui avoir dit qu'il avait une situation particulière à gérer. Le fait que 32 % de son capital était détenu par une autre entreprise industrielle ne représentait pas une situation stable. Il fallait donc qu'il se prépare, soit à une augmentation de participation et à une intégration de Suez - son rôle dans ce scénario étant plutôt passif -, soit à une cession de participation. Dans le second cas, il devait imaginer une solution permettant de défendre ses intérêts.

Fin 2019, Suez a dû choisir un nouveau président du conseil. Engie, qui détenait plus de 30 % des droits de vote, avait une capacité forte à influer sur ce choix. J'ai rencontré les quelques candidats qui avaient été identifiés, et je leur ai signifié qu'il faudrait rapidement envisager les conditions d'évolution de l'actionnariat de Suez.

À l'époque, Engie n'avait pas fait de choix. L'avenir de notre participation chez Suez était lié à un sujet plus large : déterminer si le groupe allait se concentrer sur ses métiers de développeur de projets ou s'il allait inclure parmi ses ambitions stratégiques une volonté de développement dans les services.

Cette réflexion stratégique s'est poursuivie chez Engie au fil de l'année 2020. Nous avons conclu cette réflexion au cours d'un conseil d'administration qui s'est tenu au mois de juillet 2020. Nous y avons pris des orientations stratégiques relatives aux énergies renouvelables et au réseau énergétique des collectivités locales.

Dans le domaine des services, nous avons fait le choix de réduire notre position au service énergétique. Cette décision a conduit Engie au projet d'isoler un ensemble large d'activités de services (installation et montage).

Eu égard à la focalisation du groupe sur ses métiers industriels, le conseil a pris la décision de désinvestir notre participation chez Suez. À l'occasion de la présentation du compte de résultat à la fin du mois de juillet, la question de la participation d'Engie chez Suez m'a été posée. J'ai alors répondu que tout était possible.

Préalablement, j'avais informé M. Philippe Varin, président de Suez, de notre intention. Je lui avais indiqué que la réflexion stratégique était engagée au sein du conseil d'Engie, et qu'une sortie du capital était envisagée. Au mois de juillet, je l'ai appelé deux autres fois pour l'informer que la décision se précisait. Philippe Varin m'a alors signifié qu'il faisait appel à des banquiers et à des avocats pour se préparer à cette situation.

Je précise que les décisions concernant les orientations stratégiques ont été prises à l'unanimité du conseil.

Le 3 août, M. Antoine Frérot m'a appelé pour manifester son intérêt vis-à-vis de l'avenir de cette participation, et pour me signifier qu'il serait prêt à faire des propositions le moment venu. Le 27 ou le 28 août, je l'ai rencontré à l'université d'été du Medef. Il m'a alors proposé de prendre rendez-vous afin de me faire une proposition.

Antoine Frérot a souhaité fixer une rencontre un dimanche matin, ce qui m'a donné à penser qu'il avait des éléments précis à me présenter. En effet, les réunions entre entreprises qui ont lieu le dimanche portent souvent sur des sujets que l'on souhaite traiter au moment de la fermeture des marchés.

Ce dimanche, Antoine Frérot m'a indiqué sa volonté de réaliser une offre pour l'achat de 29,9 % d'Engie, en portant un accent fort sur le fait que cette opération pourrait être réalisée rapidement. J'ai été surpris qu'il souhaite rendre sa proposition publique. Je savais en effet que si tel était le cas, nous perdrions en partie le contrôle de ce processus.

L'opération s'est ensuite déroulée de manière publique. Dans un premier temps, le conseil d'Engie a considéré que la proposition était intéressante mais qu'elle ne paraissait pas répondre à ses attentes, que ce soit en matière de prix ou de garanties relatives au projet industriel et à ses impacts sociaux.

Tout au long du mois de septembre, nous avons négocié avec Veolia pour obtenir l'amélioration de cette proposition. Dans le même temps, j'ai signifié à Philippe Varin, président du conseil d'administration de Suez, que nous accueillerions avec beaucoup d'intérêt une proposition alternative venant de Suez. Or cette proposition n'a jamais été faite.

Pendant cette période, Suez s'est plutôt éloigné et n'a jamais souhaité partager ses réflexions avec nous, alors même que nous avions indiqué clairement qu'à conditions égales, nous privilégierions une offre supportée par le conseil d'administration de Suez.

L'offre de Veolia expirait le 30 septembre. Nous avons réuni un conseil ce jour-là, pour constater que l'offre avait été largement améliorée sur le plan financier, puisqu'elle conduisait au prix de 18 euros. De plus, les engagements sociaux qui avaient été pris dans une lettre nous paraissaient solides. Le projet industriel semblait également cohérent.

En revanche, il nous semblait qu'un effort supplémentaire devait être mené pour réellement ouvrir le dialogue entre Suez et Veolia. Le 30 septembre, nous avons donc demandé un délai supplémentaire pour qu'une discussion directe s'engage entre Suez et Veolia.

Ce délai a expiré le 5 octobre. Pendant ces cinq jours, j'ai joué le rôle de médiateur entre les parties. Nous avons réalisé certaines avancées sur les éléments qui pouvaient rendre cette opération amicale. Finalement, nous avons constaté que les parties ne parvenaient pas à s'aligner.

Dans ce contexte, nous avons décidé de vendre notre participation à Veolia. L'opération a été exécutée dans les jours suivants.

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