Intervention de Philippe Gustin

Réunion du vendredi 11 juin 2021 à 17h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Philippe Gustin, ancien préfet de la Guadeloupe, directeur de cabinet du ministre des Outre-Mer :

Il ne faudrait pas mélanger torchons et serviettes. Tout d'abord, j'ignore d'où provient cette estimation d'un milliard d'euros, qui n'est nulle part documentée. L'excellent rapport de 2018 que j'évoquais tout à l'heure avançait un chiffre, que j'avais d'ailleurs corroboré, avoisinant les 900 millions d'euros.

Mettre en rapport ces 900 millions d'euros avec les 71 millions d'euros du plan d'actions prioritaires, décidé en 2018 et cofinancé par la région, le département et l'État, n'a pas de sens. Ce dernier plan visait avant tout à se substituer à des collectivités dépourvues des moyens de procéder au minimum d'investissements requis.

Ni l'État, ni la région ne sont en principe compétents pour gérer l'eau ou investir dans ce domaine. Je serais moins affirmatif à propos du département, compétent en ce qui concerne l'eau agricole. Ce plan d'actions prioritaires, d'une durée de trois ans, prendra fin cette année. Il énumérait 37 projets clairement définis en vue d'un objectif parfaitement intelligible pour la population : mettre fin aux tours d'eau, instaurés en 2014. À l'évidence, tout n'était pas censé aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, une fois les 71 millions d'euros dépensés. Il était prévu de mener, en parallèle, un travail sur la gouvernance de l'eau, qu'a récemment parachevé le vote de la loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance du service public d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe.

Les réquisitions que j'ai décrétées l'an dernier nous ont enseigné que, plutôt que de chercher à investir des milliards d'euros, il vaut mieux accorder la priorité à l'entretien des réseaux. Un opérateur de l'eau est censé réparer les fuites et s'assurer du recouvrement des factures, de manière à faire vivre le système selon lequel « l'eau paye l'eau ». À partir de mai et juin dernier, une fois réparées un peu plus de la moitié des fuites, les usagers ont retrouvé de l'eau à leur robinet.

Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas réaliser les investissements nécessaires pour rendre le réseau moins obsolète. Certaines canalisations de Guadeloupe datent encore des années 1950. La priorité actuelle ne doit pas aller au déblocage d'un milliard d'euros, mais à s'assurer que les opérateurs s'acquittent de leur mission en entretenant les canalisations.

Une bonne part des fuites se situent à proximité immédiate des compteurs. Combien coûte leur réparation ? Six centimes d'euro le joint. Il ne sert donc à rien de verser des milliards sans procéder aux réparations qui s'imposent d'abord.

Pourquoi les opérateurs ne s'en sont-ils pas occupés ? Leurs agents ne sont pas en cause. J'en ai reçu à de nombreuses reprises au cours de mes vingt-six mois en Guadeloupe. Si les joints à six centimes d'euro et l'essence pour se déplacer à bord de leur véhicule ne leur sont pas fournis, ils ne peuvent pas effectuer leur travail.

La priorité doit aller au retour à un fonctionnement normal du réseau, ce qui passe par la recherche et la réparation de fuites, mais aussi par le recouvrement des factures.

Un important travail a été fourni sur le modèle d'affaires d'une structure de l'eau idéale. Même en disposant de tout l'argent voulu, la nécessité de trouver des entreprises compétentes ne permettrait pas de consacrer plus de 60 millions d'euros par an à la remise en état du réseau d'eau en Guadeloupe. De fait, le plan d'actions prioritaires n'a mobilisé que 30 millions d'euros par an. À ce rythme, il faudrait près de trente ans avant d'arriver au bout du tunnel. Or les Guadeloupéens ont déjà trop attendu d'avoir de l'eau pour patienter encore trente ans.

En résumé, il faut d'abord que le fonctionnement de l'opérateur retourne à la normale, par la réparation des fuites et le recouvrement des factures, puis réaliser les investissements nécessaires en fonction de la capacité des entreprises à procéder aux travaux correspondants.

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