COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Vendredi 11 juin 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures vingt.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Philippe Gustin, ancien préfet de la Guadeloupe, directeur de cabinet du ministre des Outre-Mer.
Nous auditionnons aujourd'hui M. Philippe Gustin, fin connaisseur du dossier, puisqu'il a été préfet de la Guadeloupe de mai 2018 à juin 2020. Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
M. Philippe Gustin prête serment.
La situation de l'eau en Guadeloupe est indigne d'un pays développé au XXIe siècle. Pourtant, à la différence d'autres territoires ultra-marins, le département, jadis surnommé l'île aux belles eaux, ne connaît pas de problèmes de ressource. Malheureusement, cette ressource est mal utilisée, gâchée même, puisque les estimations des pertes oscillent, selon les opérateurs, entre 65 % et 85 %. Jusqu'à l'an dernier, le nombre de fuites sur le réseau était estimé à 8 000.
Environ 39 % des factures n'étaient pas recouvrées en 2018. Il me semble important de ne pas affirmer que les Guadeloupéens ne paient pas l'eau. La principale raison de ce non-recouvrement des factures réside dans leur non-émission. Par ailleurs, une partie des factures émises sont contestables et donc contestées. Enfin, certains usagers ne règlent pas leurs factures, parce qu'ils estiment ne pas avoir bénéficié du service correspondant.
Les maux de l'eau en Guadeloupe découlent de la géographie et de l'histoire. La ressource provient essentiellement de la Basse-Terre, des pentes de la Soufrière et, plus précisément, d'une zone située entre Capesterre-Belle-Eau et Petit-Bourg, c'est-à-dire de la région la moins peuplée du département. Cette eau, qui dessert le reste de la Basse-Terre mais aussi la Grande-Terre, est acheminée jusqu'à la Désirade.
Une telle conception du réseau implique une parfaite solidarité entre les territoires. En réalité, l'organisation de la gestion du service public de l'eau s'est longtemps ressentie des relations tendues entre ceux qui estimaient posséder la ressource et ceux qui la consommaient.
Un rapport des inspections générales de juillet 2018 reconnaît la bonne conception d'origine du réseau, mais le fonctionnement et la répartition des différents opérateurs ont abouti au fait que ceux qui manquaient d'eau en achetaient à ceux qui la détenaient sans pour autant la leur payer. Les conditions de la défaillance généralisée du service, en particulier ces dernières années, se trouvaient dès lors réunies.
Comme cela a été réclamé à l'issue des mouvements de 2009, il faudrait, sur un territoire de moins de 400 000 habitants, instaurer une structure gestionnaire de l'eau unique, qui mette fin au moins aux dysfonctionnements générés par les ventes et achats d'eau.
Compte tenu des estimations selon lesquelles un quart de la population guadeloupéenne souffre de tours d'eau, les discussions portent souvent sur la ressource, au détriment d'un point tout aussi important, celui de l'assainissement.
La situation de l'assainissement s'avère encore plus grave, voire ubuesque. La plupart des opérateurs de l'eau, aujourd'hui défaillants, se révèlent incapables de réaliser les investissements nécessaires pour changer les réseaux, ou même d'assumer leurs coûts de fonctionnement en versant des salaires à leurs agents. En revanche, comme une large part des investissements en matière d'assainissement provient aujourd'hui de fonds européens, aucun problème de liquidité ne se pose de ce point de vue. Toutefois, nous constatons les mêmes errements en matière d'assainissement que de gestion d'eau.
Certains ouvrages ont été construits en suivant le modèle en l'occurrence inadéquat de la métropole. De mauvaise qualité, car inadaptés au climat guadeloupéen, ils n'ont pourtant pas coûté moins cher. Leur entretien n'a pas été convenablement géré, ce qui a conduit à des catastrophes, comme à Petit-Bourg.
Beaucoup de nos auditionnés ont dénoncé la défaillance de l'État dans le contrôle de légalité. Qu'en pensez-vous ?
Ces soi-disant connaisseurs feraient bien de réviser leurs cours de droit administratif. La compétence de l'eau a compté parmi les premières déléguées aux collectivités locales dans notre République, à la fin du XIXe siècle. Le contrôle de légalité porte sur le budget des opérateurs. Les bonnes âmes à l'origine des critiques déplorent en réalité, dans la guerre que se livrent les opérateurs à propos de la vente et de l'achat d'eau, l'absence de mandatements d'office pour recouvrer les dettes des uns et des autres.
En tant que préfet, je ne me suis pas privé, au cours de mes vingt-six mois en poste en Guyane, de procéder à des mandatements d'office, concernant l'eau et d'autres secteurs encore, compte tenu de la fréquence des impayés en Guadeloupe. J'en ai de fait réalisé entre 100 et 150 par an, chiffre sans commune mesure avec ce qui se pratique en métropole. Le préfet ne saurait toutefois se substituer à l'ordonnateur. En outre, pour qu'un mandatement soit suivi d'effet, c'est-à-dire d'un paiement, il faut que son destinataire dispose de la trésorerie suffisante.
Le contrôle de légalité a été effectué correctement, du moins les actes demandés, car là aussi, les opérateurs ont failli à leur tâche. Le préfet ne peut tout de même pas engager de son propre chef une procédure de mandatement d'office. Encore faut-il lui en adresser la requête. Mes prédécesseurs, mon successeur et moi-même, avons accompli notre travail comme il se doit.
Une question surgit, qui dépasse le cadre de l'eau : un système attribuant à des élus la gestion d'un service public peut-il leur permettre d'agir à leur guise ? Aucune sanction n'est prévue, hormis celle du suffrage universel, qui n'est pas toujours rationnelle. Des dettes entre différentes collectivités ou établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) se montaient à plusieurs dizaines de millions d'euros. Des procédures de contentieux étaient naturellement engagées auprès du tribunal administratif, mais voilà tout. Un préfet ne peut pas se substituer aux maires ni à un président de communauté d'agglomération ou de communes. Ainsi le veut la loi, que le préfet est censé respecter.
L'investissement nécessaire à la remise en état du réseau d'eau potable et d'assainissement est estimé à un milliard d'euros. Confirmez-vous ce chiffre ?
Un plan d'ores et déjà annoncé prévoit le versement de 71 millions d'euros. Cette somme vous paraît-elle suffisante ? Comment pensez-vous possible de financer la rénovation des réseaux à hauteur des besoins ?
Il ne faudrait pas mélanger torchons et serviettes. Tout d'abord, j'ignore d'où provient cette estimation d'un milliard d'euros, qui n'est nulle part documentée. L'excellent rapport de 2018 que j'évoquais tout à l'heure avançait un chiffre, que j'avais d'ailleurs corroboré, avoisinant les 900 millions d'euros.
Mettre en rapport ces 900 millions d'euros avec les 71 millions d'euros du plan d'actions prioritaires, décidé en 2018 et cofinancé par la région, le département et l'État, n'a pas de sens. Ce dernier plan visait avant tout à se substituer à des collectivités dépourvues des moyens de procéder au minimum d'investissements requis.
Ni l'État, ni la région ne sont en principe compétents pour gérer l'eau ou investir dans ce domaine. Je serais moins affirmatif à propos du département, compétent en ce qui concerne l'eau agricole. Ce plan d'actions prioritaires, d'une durée de trois ans, prendra fin cette année. Il énumérait 37 projets clairement définis en vue d'un objectif parfaitement intelligible pour la population : mettre fin aux tours d'eau, instaurés en 2014. À l'évidence, tout n'était pas censé aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, une fois les 71 millions d'euros dépensés. Il était prévu de mener, en parallèle, un travail sur la gouvernance de l'eau, qu'a récemment parachevé le vote de la loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance du service public d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe.
Les réquisitions que j'ai décrétées l'an dernier nous ont enseigné que, plutôt que de chercher à investir des milliards d'euros, il vaut mieux accorder la priorité à l'entretien des réseaux. Un opérateur de l'eau est censé réparer les fuites et s'assurer du recouvrement des factures, de manière à faire vivre le système selon lequel « l'eau paye l'eau ». À partir de mai et juin dernier, une fois réparées un peu plus de la moitié des fuites, les usagers ont retrouvé de l'eau à leur robinet.
Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas réaliser les investissements nécessaires pour rendre le réseau moins obsolète. Certaines canalisations de Guadeloupe datent encore des années 1950. La priorité actuelle ne doit pas aller au déblocage d'un milliard d'euros, mais à s'assurer que les opérateurs s'acquittent de leur mission en entretenant les canalisations.
Une bonne part des fuites se situent à proximité immédiate des compteurs. Combien coûte leur réparation ? Six centimes d'euro le joint. Il ne sert donc à rien de verser des milliards sans procéder aux réparations qui s'imposent d'abord.
Pourquoi les opérateurs ne s'en sont-ils pas occupés ? Leurs agents ne sont pas en cause. J'en ai reçu à de nombreuses reprises au cours de mes vingt-six mois en Guadeloupe. Si les joints à six centimes d'euro et l'essence pour se déplacer à bord de leur véhicule ne leur sont pas fournis, ils ne peuvent pas effectuer leur travail.
La priorité doit aller au retour à un fonctionnement normal du réseau, ce qui passe par la recherche et la réparation de fuites, mais aussi par le recouvrement des factures.
Un important travail a été fourni sur le modèle d'affaires d'une structure de l'eau idéale. Même en disposant de tout l'argent voulu, la nécessité de trouver des entreprises compétentes ne permettrait pas de consacrer plus de 60 millions d'euros par an à la remise en état du réseau d'eau en Guadeloupe. De fait, le plan d'actions prioritaires n'a mobilisé que 30 millions d'euros par an. À ce rythme, il faudrait près de trente ans avant d'arriver au bout du tunnel. Or les Guadeloupéens ont déjà trop attendu d'avoir de l'eau pour patienter encore trente ans.
En résumé, il faut d'abord que le fonctionnement de l'opérateur retourne à la normale, par la réparation des fuites et le recouvrement des factures, puis réaliser les investissements nécessaires en fonction de la capacité des entreprises à procéder aux travaux correspondants.
Laissons là les discussions sur l'attribution de la compétence en eau. Je citerai à ce propos monsieur le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, le 31 décembre 2020 : « Je ne suis pas le responsable de l'eau en Guadeloupe, mais il se trouve que la situation est tellement dramatique que le Président de la République m'a demandé des résultats, et la seule chose qui compte, c'est qu'on remette de l'eau dans les tuyaux. »
Selon vous, les opérateurs n'ont pas effectué leur travail, ce qui explique la quantité de fuites. Pourriez-vous préciser votre propos ?
Pour identifier et réparer les fuites, un opérateur doit disposer d'une structure opérationnelle. La constitution d'équipes mixtes composées d'une part, d'entreprises locales secondées par une société suisse et, d'autre part, d'agents mêmes de l'un des opérateurs les plus décriés, à savoir le Syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), a montré, l'an dernier, qu'il était possible d'y parvenir, opposant un démenti à bien des rumeurs. Pourquoi ce résultat n'a-t-il pas été obtenu plus tôt ?
Il ne devait pas être agréable de se retrouver dans la peau d'un agent du SIAEAG lors d'un déjeuner dominical en famille. Ces agents d'une grande compétence, dotés d'une excellente connaissance du réseau, ne disposaient malheureusement pas des moyens de mener leurs tâches à bien.
J'ai parlé des joints à six centimes d'euro, mais combien de fois n'ai-je pas entendu des agents se plaindre de ne même pas disposer d'une pelle ! La situation actuelle résulte d'une déliquescence complète des opérateurs, noyés sous les dettes.
En matière de défaillance, la régie d'eau de la communauté Grand Sud Caraïbe (CASBT) n'a rien à envier au SIAEAG. La répartition des agents de la Générale des eaux, lors de son départ, a plutôt regroupé les cadres au SIAEAG et les agents fontainiers et d'exécution, à la régie de Grand Sud Caraïbe, ce qui y explique la quasi-absence, aujourd'hui, de personnel d'encadrement. La régie de Sainte-Rose ne fonctionne pas bien non plus.
Ne relevons pourtant pas uniquement les dysfonctionnements. Certaines structures fonctionnent efficacement, comme la régie de Trois-Rivières, qui a su s'organiser, même si elle devra tôt ou tard faire face aux limites de ses capacités d'investissement. Eau d'excellence, la régie de Cap Excellence, fonctionne, elle aussi, plutôt bien, au prix d'investissements humains et du déploiement d'outils de recouvrement et de relations client.
Les tours d'eau ne concernent que 100 000 personnes, soit un quart de la population. Dans de nombreuses zones de Guadeloupe, les usagers reçoivent de l'eau.
Vous n'avez évoqué ni les régies eau et assainissement Nord Caraïbes (les RÉNOC) ni la Côte-sous-le-vent.
La commune de Deshaies a délégué le service public de l'eau à la Nantaise des eaux voici fort longtemps, de même que celle du Lamentin. Les RÉNOC, régies du SIAEAG, ont vu le jour après le démantèlement de la Générale des eaux. Elles rencontrent déjà, en termes de fonctionnement et de capacité d'investissement, de grandes difficultés liées au cœur de la problématique de l'eau, à savoir son achat et sa vente, qui perturbent complètement le modèle économique de ces opérateurs.
Je m'en tiendrai à l'exemple du SIAEAG, dont je me souviens le mieux. Ses dettes fournisseurs s'élevaient à 35 ou 38 millions d'euros. Il devait de l'argent à toutes sortes d'entreprises locales nécessaires à son fonctionnement, s'occupant de gérer son parc automobile ou encore de lui vendre du chlore. Ces sociétés finissaient par refuser leurs services au SIAEAG, parce que celui-ci ne les payait plus.
Rappelez-vous, lors des réquisitions, la petite pompe du Gosier, dont l'arrêt du fonctionnement privait à peu près 1 500 personnes d'eau. Le SIAEAG avait commandé une pompe de remplacement, d'un coût de 6 000 euros, en novembre 2019, seulement, l'entreprise refusait de la livrer parce que le SIAEAG lui devait toujours 150 000 euros.
Les dettes du SIAEAG, entravant son fonctionnement, se sont accumulées au fil du temps en raison de l'absence de recettes, due aux problèmes de recouvrement.
En somme, les opérateurs n'ont pas pu effectuer leur travail, à cause de leurs dettes, dues à leurs difficultés de recouvrement.
Il semblerait aussi que les élus aient décidé de fixer un prix de l'eau relativement bas, négligeant les investissements.
Je ne l'exclus pas. Notons qu'aucune plainte n'a été déposée, ce qui laisse penser que tout le monde s'y retrouvait. Il est quand même avéré que les élus ont joué avec le prix de l'eau, notamment lors de campagnes électorales. L'ancien maire de Capesterre-Belle-Eau ne s'en est pas caché devant vous. Il doit son élection à son incitation à ne pas payer l'eau. Une telle attitude n'est pas responsable.
Au cours de nombreuses réunions, j'ai été ému par des personnes âgées malheureuses de ne pas être en mesure de payer leur eau. Les Guadeloupéens ne sont pas malhonnêtes. Seulement, ils ne reçoivent pas de factures ou du moins pas de factures crédibles. J'en ai vu d'un montant de 20 000 euros, émis avec trois ou quatre ans de retard. L'État a d'ailleurs, lui aussi, été soumis à ce genre de désagrément. Il n'était pas facile aux casernes de gendarmerie d'établir un budget annuel en l'absence de facture d'eau.
Signalons aussi une part importante de dettes sociales. Certains opérateurs ne versaient pas la contribution générale à la sécurité sociale (CGSS), ni d'ailleurs ce qu'ils devaient à l'office de l'eau, qui attend toujours de recouvrer une créance de 30 millions d'euros. Restent enfin les dettes bancaires, encore que celles-ci supposent, de la part de l'opérateur, des capacités d'investissement dont ne disposaient pas ceux dont il est ici question.
À qui attribuez-vous la responsabilité de la situation, qualifiée par vous d'indigne, de l'eau en Guadeloupe : à la Générale des eaux ou aux élus ?
Bien qu'historien, je ne m'aventurerai pas sur ce terrain-là. Selon moi, un malheureux concours de circonstances s'est reproduit, année après année. La Générale des eaux est partie, parce qu'elle n'était pas payée, à l'instar d'autres grandes entreprises, dans le secteur du traitement des déchets, sur le point de l'imiter. Une société privée, quelle que soit sa taille, ne fonctionne pas comme l'Armée du salut.
Le départ de la Générale des eaux a peut-être été insuffisamment organisé. J'ai toutefois bien constaté, durant mon mandat, et notamment la période des réquisitions, la situation lamentable de certains opérateurs. À qui en attribuer la responsabilité ? Nous n'attendons pas d'un élu qu'il soit spécialiste de l'eau. Des techniciens devaient en principe les assister. La responsabilité se partage entre les techniciens, au rôle d'encadrement, et des élus qui n'ont pas voulu se rendre compte de la dégradation progressive de la situation.
Il ne me semble pas normal que les RÉNOC, des structures récentes, soient aussi rapidement parvenues à un tel état de déliquescence.
Je ne suis ni policier ni procureur et encore moins juge. Les responsabilités me semblent croisées.
J'ai vu et constaté une défaillance, mais ne mettons pas tous les opérateurs dans le même sac. Certaines structures disposaient d'une meilleure gestion que d'autres.
Revenons à l'assainissement. La situation apparaît gravissime. Que conviendrait-il de mettre en œuvre, au cours des prochains mois ou années, pour y remédier, si tant est que ce soit possible ?
Il faudrait, là encore, améliorer l'exploitation, c'est-à-dire, commencer par entretenir régulièrement des ouvrages ayant bénéficié d'investissements, en particulier de l'Union européenne, qui demandera sans doute un jour des comptes à la Guadeloupe.
La conception de certains ouvrages déjà réalisés n'est probablement pas adaptée au climat de la Guadeloupe, comme le montre l'exemple de Petit-Bourg.
Des investissements s'avéreront aussi nécessaires, même si le problème de leur financement s'annonce plus simple à résoudre, puisqu'il est possible, comme cela a d'ailleurs déjà été le cas en Guadeloupe, de recourir à des fonds européens.
Comment les entités responsables de l'assainissement pourraient-elles dégager des capacités de financement ?
La priorité doit aller au bon fonctionnement quotidien des opérateurs. Il faut créer un cercle vertueux, dans lequel interviendra bientôt le syndicat mixte ouvert (SMO), pour produire de l'eau, gérer l'assainissement, procéder aux réparations et recouvrer les factures. En principe, l'assainissement est facturé en même temps que l'eau.
Tout part du non-recouvrement de près de la moitié des factures. Un problème de répartition se pose aujourd'hui. Le SIAEAG, pendant près de dix-huit mois, n'a rien facturé alors que, dans le même temps, ses dettes fournisseurs s'accumulaient. Le SMO devra parvenir à restaurer rapidement la confiance en procédant aux réparations nécessaires pour, si ce n'est fournir de l'eau à tous les usagers, du moins respecter les tours d'eau annoncés.
Il faudra aussi s'occuper du recouvrement. Les usagers de Guadeloupe ne s'opposent pas au règlement de leur facture, pour peu que le service correspondant leur soit rendu. Il convient d'instaurer un cercle vertueux illustrant le bel adage « l'eau paye l'eau » et accessoirement l'assainissement.
Venons-en au syndicat mixte ouvert (SMO). Vous avez beaucoup œuvré à sa création, décidée par la loi. Certains élus locaux l'ont déploré. N'existait-il pas d'autre moyen de parvenir à une structure de gestion unifiée ?
En 2014, un accord, auquel vous-même avez pris part, en vue d'une organisation unique, s'apprêtait à aboutir, quand certains ont finalement refusé de la ratifier. Nous en revenons à l'histoire et à la géographie. Mme Michaux-Chevry, présidente de la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe, a refusé d'adhérer au syndicat unique en 2014, parce qu'elle s'estimait propriétaire d'une eau monnayable. Cap Excellence n'a pas non plus adhéré au projet, parce que, comptant le plus grand nombre d'usagers, cette communauté d'agglomération souhaitait disposer d'un nombre de voix supérieur au sein du conseil syndical. Je suis le premier à regretter qu'il ait fallu une loi pour créer une structure unique, mais nous avons agi pour l'intérêt général.
Le SMO remplit une condition nécessaire mais non suffisante à la bonne gestion de l'eau. Il faut s'atteler dès aujourd'hui à la préfiguration de la structure qui verra effectivement le jour au 1er septembre prochain. Les travaux doivent se poursuivre afin de restaurer la confiance des usagers et de recouvrer des factures qu'il conviendra dorénavant d'émettre de façon conforme.
Si un tel travail n'est pas mené correctement, si nous reprenons les mêmes personnes en charge de l'encadrement que par le passé, les mêmes problèmes ressurgiront, en admettant que la situation ne se dégrade pas encore plus.
C'est vous qui le dites. La Guadeloupe dispose de ressources humaines. Seulement, nous voyons à quoi a mené une gestion de l'eau toujours confiée aux mêmes personnes. Certaines s'en sont d'ailleurs retirées d'elles-mêmes. Il faut tirer les conclusions des défaillances, à la fois politiques et techniques, en vue de la préfiguration du SMO puis de la mise en place d'une gouvernance technique. Il conviendra de recruter les meilleurs techniciens, au vu de la complexité du chantier.
Certains ont défrayé la chronique. Je crois même que vous avez commencé vos auditions en interrogeant l'un d'eux.
J'ignore où en est sa préfiguration.
À aucun moment, je n'ai avancé le nom d'un opérateur. Le choix incombera aux élus impliqués dans la gouvernance du SMO. Madame la présidente a fait l'apologie de la régie. Je n'y suis pas opposé. Seulement, celle de Sainte-Rose est défaillante et ne parlons même pas de celle de Grand Sud Caraïbe. Il n'existe pas de modèle unique à suivre. Il convient de s'adapter.
Il m'est arrivé de me retrouver en charge de restructurations. J'ai vu des entreprises sauvées par la mise en place d'une équipe de gestion de transition, chargée d'instaurer une structure opérante. Le dimensionnement des ressources humaines revêt, lui aussi, son importance. Bien des collectivités de Guadeloupe emploient une masse salariale disproportionnée. Je préconise de mettre en place, à partir du 1er septembre prochain, une équipe de transition, pour éviter que la création du SMO ne se traduise par aucun changement effectif.
À terme, vous souhaiteriez donc plutôt un opérateur unique. Penchez-vous plus pour une régie ou une délégation de service public (DSP) ?
Je n'en ai aucune idée.
Certaines mauvaises langues prétendent que l'État, que vous incarnez, souhaiterait plutôt un opérateur unique privé, adossé à ce SMO.
L'eau constitue un bien trop précieux pour être laissé aux mains d'incompétents. Il existe des personnes compétentes au sein de grandes entreprises, mais aussi de régies. Tous les modèles sont envisageables. J'insiste toutefois sur la nécessité de mener au préalable à bien la phase de transition.
Estimez-vous excessive la masse salariale à transférer au SMO ? Auquel cas, que faire du personnel surnuméraire ?
Le ministre s'est engagé à trouver des solutions, cas par cas, aux dettes fournisseurs à transférer au SMO. Disposez-vous d'informations plus précises ?
L'an dernier, environ 600 personnes travaillaient dans la gestion de l'eau et de l'assainissement en Guadeloupe. Il n'en faudrait, selon certaines études d'ailleurs financées par l'État, que 300 à 350. Cela n'implique pas qu'il faille du jour au lendemain supprimer les postes en trop. Certains agents m'ont impressionné par leur connaissance du réseau, acquise au fil de leur longue expérience. Il faudra donc veiller à préserver le savoir engrangé par le personnel des différents opérateurs.
Les organisations syndicales sont partantes pour accompagner une partie des agents ayant suffisamment travaillé pour prendre leur retraite sans forcément y aspirer. Un plan de départ devra permettre, au cours des années à venir, d'atteindre un nombre d'employés cible, condition indispensable à l'efficacité du modèle économique à mettre en place.
Un nombre non négligeable d'agents sont susceptibles de partir à la retraite au cours des deux ou trois années à venir. Subsistera tout de même le problème d'un encadrement qui s'annonce pléthorique après la création d'une organisation unique. Il ne me paraît pas souhaitable de conserver l'ensemble des cadres, à terme.
Les dettes fournisseurs ne concernent pas toutes les collectivités. Le ministre s'est engagé à accompagner les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) auxquels elles reviendront. Les créances à recouvrer ne sont pas négligeables. Un travail en ce sens a été mené, y compris au sein du SIAEAG.
Cet accompagnement en vue d'absorber les dettes résiduelles prendra-t-il la forme de prêts à long terme ou de subventions ?
Je suppose qu'il s'agira de prêts.
En tant que directeur de cabinet du ministre des outre-mer, vous affirmez que les EPCI ne bénéficieront pas de subventions.
En effet.
Lorsqu'à l'Assemblée nationale, le débat a porté sur le choix entre régie publique ou DSP, M. Lecornu a déclaré : « la question ne se pose pas car, il faut le dire, il n'y a plus aucune entreprise privée qui veuille s'occuper de l'eau en Guadeloupe. Seule la puissance publique pourra relever le défi du service public de l'eau potable. »
Pourquoi est-il prévu que le SMO n'accorde aux usagers qu'un rôle consultatif et non décisionnel ?
De par la loi, un syndicat mixte, quel qu'il soit, ne peut accueillir parmi sa structure exécutive d'autres personnalités que des élus.
Les représentants des usagers ont compris, à l'issue de nos échanges, qu'ils auraient de toute manière été minoritaires par rapport aux élus et qu'ils risquaient de se retrouver pris dans une logique d'instrumentalisation inconfortable pour eux. Leur représentant au sein du comité exécutif aurait en effet pu être considéré comme co-responsable en cas de non-amélioration de la situation.
La réunion se termine à dix-huit heures trente.