Le dossier de l'eau en Guadeloupe m'accompagne depuis assez longtemps : j'ai eu à en connaître comme secrétaire d'État à l'Écologie, puis comme ministre chargé des Collectivités territoriales et maintenant dans mes fonctions de ministre des Outre-mer. Je suppose que nous reviendrons sur la situation dans les autres territoires, des causes différentes produisant les mêmes effets. Ainsi, à Mayotte, les difficultés d'accès à l'eau potable tiennent à un problème de ressources alors qu'en Guadeloupe il s'agit d'un problème de gestion de la distribution.
J'ai tenu les propos que vous rapportez en insistant sur le fait que l'accès à l'eau potable est, depuis très longtemps, une compétence décentralisée. C'était déjà le cas avant les lois de décentralisation des années 1980, les considérations hydrographiques et géographiques à prendre en compte poussant à ce que ce service public soit organisé sur le terrain. Ayant été parlementaire, j'ai constaté que les compétences décentralisées dont la gestion et l'application montrent des carences n'ont pas forcément été prises en main par l'État. Il est même assez rare que le Parlement se permette, si j'ose dire – mais il a bien raison de le faire – d'évaluer comment s'exercent ces compétences.
Les contraintes constitutionnelles sont celles-là : on ne peut pas reprendre la main d'un claquement de doigts sur le service public de l'eau et il est démagogique et mensonger de le prétendre. Les préfets peuvent intervenir par voie d'arrêté en vertu de leur pouvoir de police, selon une procédure très encadrée par le juge, mais l'exercice des missions de service public décentralisées relève du bloc communal – communes ou intercommunalités, qui peuvent le déléguer à un syndicat –, responsable de sa gestion devant les électeurs, les usagers du service public et les contribuables.
Pour autant, l'État peut-il se satisfaire d'une situation préoccupante ayant de graves effets pour la population, entre 300 000 et 400 000 Ultramarins éprouvant de graves difficultés à accéder à l'eau potable ? Je pense utile de parler de l'assainissement autant que de l'eau potable, car en territoire insulaire le traitement des eaux grises et noires peut avoir des effets sanitaires ou environnementaux tout aussi redoutables que le manque d'eau claire. L'État ne pouvait rester sans rien faire, même s'il a peut-être tardé à agir ; en tout cas, nous nous employons depuis le début de ce quinquennat à redresser la pente. Comment ?
Vous le savez, un plan d'actions pour les services d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe, dit plan Eau DOM, décidé au cours du précédent quinquennat, a permis d'amorcer des accompagnements financiers et surtout les premiers accompagnements d'ingénierie. Ce plan a plutôt bien fonctionné, mais son efficacité doit être évaluée et des missions d'inspection seront dépêchées prochainement à cette fin. À la différence de ce qui se passe à Mayotte, en Polynésie et en Guyane, on produit de l'eau potable sans difficulté en Guadeloupe. Ce qui est préoccupant, c'est que l'on ne parvient pas à la distribuer correctement jusqu'au robinet, et la distribution est l'affaire des collectivités territoriales.
Il faut faire des travaux. Qui dit « travaux » dit « moyens financiers » et « gouvernance ». Des moyens financiers, l'État en met beaucoup, par divers canaux : le plan de relance, le budget général de l'État, des accompagnements de l'Agence française de développement (AFD) ou les Aqua prêts de la Caisse des dépôts. Une panoplie d'outils financiers existent désormais qui permettent au gestionnaire local de mobiliser beaucoup de fonds et de faire ces travaux. La difficulté ne tient pas à un problème de ressources financières, puisque les crédits alloués dans le cadre du plan Eau DOM et même dans le budget de mon ministère ne sont pas complétement consommés. Le véritable problème, c'est la gouvernance. Lorsque, à la Guadeloupe, la répartition se fait par intercommunalités, que la production d'eau se situe dans une partie du territoire et que le manque d'eau se fait sentir à l'autre extrémité du territoire, on s'interroge sur l'interconnexion des réseaux, leur gestion et leur entretien au fil des ans. L'évident défaut d'entente entre les différents opérateurs a entraîné une défaillance massive dans l'entretien des réseaux.
La loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe, issue d'une proposition déposée conjointement par Mme la députée Justine Bénin et par M. le sénateur Dominique Théophile, crée un syndicat unique dans l'archipel. En clair, sans ce texte, les intercommunalités ne se seraient pas rassemblées au sein d'un même ensemble qui donnera une vision complète, unique moyen de mener les bonnes opérations, puisque les réseaux sont interdépendants mais que, jusqu'à présent, il n'y avait pas interdépendance des décideurs.
À cela s'ajoutent les problèmes d'ingénierie, qui ne sont pas propres à la Guadeloupe : malheureusement, beaucoup de projets Outre-mer, sont en défaut. Quelques démagogues prétendent que dire cela, c'est remettre en cause les compétences des Guadeloupéens. Nullement : chacun admettra que dans un territoire insulaire où vivent 200 000 à 300 000 habitants, certains profils professionnels puissent manquer, comme certaines formations d'ingénierie technique et scientifique ou d'ingénierie de dossier. L'AFD et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) traitent ce volet.
Il n'y a pas de solution miracle : l'argent ne suffit pas, il faut une bonne gouvernance, une bonne entente, un plan de bataille et une solide hiérarchisation des investissements. Pour avoir été maire et président de département, je sais d'expérience que c'est une vue de l'esprit d'imaginer ouvrir des tranchées dans tous les coins et faire tous les travaux d'un seul coup : cela ne fonctionnera pas. Il faut une vraie gouvernance, et des capacités d'ingénierie à la hauteur. J'irai même plus loin : je suis tellement convaincu que la situation n'est pas due à un manque de fonds que si tous les crédits sont consommés, je m'engage à trouver des ressources financières nouvelles, par redéploiement ou par création de lignes budgétaires nouvelles, pour accélérer les projets.