Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du mercredi 16 juin 2021 à 16h00

Résumé de la réunion

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  • assainissement
  • guadeloupe
  • mayotte
  • potable

La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Mercredi 16 juin 2021

La séance est ouverte à seize heures.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer

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Nous achevons les auditions de notre commission d'enquête consacrées à la gestion de l'eau en Guadeloupe en recevant M. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer. Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. L'audition devant être contenue dans un temps limité, je propose que nous en venions directement aux questions et aux réponses. Vos propos pourront être complétés par écrit. Je vous saurais gré de déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, qui l'imposent aux personnes auditionnées par une commission d'enquête, je vous invite, monsieur le ministre, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Sébastien Lecornu prête serment.

Monsieur le ministre, le 31 décembre 2020 vous avez déclaré : « Je le redis, je ne suis pas le responsable de l'eau en Guadeloupe mais il se trouve que la situation est tellement dramatique que le Président de la République m'a demandé des résultats, et la seule chose qui compte, c'est que l'on remette de l'eau dans les tuyaux ». À quel résultat vous engagez-vous ? Qu'allez-vous faire, et à quelle échéance ?

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Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer

Le dossier de l'eau en Guadeloupe m'accompagne depuis assez longtemps : j'ai eu à en connaître comme secrétaire d'État à l'Écologie, puis comme ministre chargé des Collectivités territoriales et maintenant dans mes fonctions de ministre des Outre-mer. Je suppose que nous reviendrons sur la situation dans les autres territoires, des causes différentes produisant les mêmes effets. Ainsi, à Mayotte, les difficultés d'accès à l'eau potable tiennent à un problème de ressources alors qu'en Guadeloupe il s'agit d'un problème de gestion de la distribution.

J'ai tenu les propos que vous rapportez en insistant sur le fait que l'accès à l'eau potable est, depuis très longtemps, une compétence décentralisée. C'était déjà le cas avant les lois de décentralisation des années 1980, les considérations hydrographiques et géographiques à prendre en compte poussant à ce que ce service public soit organisé sur le terrain. Ayant été parlementaire, j'ai constaté que les compétences décentralisées dont la gestion et l'application montrent des carences n'ont pas forcément été prises en main par l'État. Il est même assez rare que le Parlement se permette, si j'ose dire – mais il a bien raison de le faire – d'évaluer comment s'exercent ces compétences.

Les contraintes constitutionnelles sont celles-là : on ne peut pas reprendre la main d'un claquement de doigts sur le service public de l'eau et il est démagogique et mensonger de le prétendre. Les préfets peuvent intervenir par voie d'arrêté en vertu de leur pouvoir de police, selon une procédure très encadrée par le juge, mais l'exercice des missions de service public décentralisées relève du bloc communal – communes ou intercommunalités, qui peuvent le déléguer à un syndicat –, responsable de sa gestion devant les électeurs, les usagers du service public et les contribuables.

Pour autant, l'État peut-il se satisfaire d'une situation préoccupante ayant de graves effets pour la population, entre 300 000 et 400 000 Ultramarins éprouvant de graves difficultés à accéder à l'eau potable ? Je pense utile de parler de l'assainissement autant que de l'eau potable, car en territoire insulaire le traitement des eaux grises et noires peut avoir des effets sanitaires ou environnementaux tout aussi redoutables que le manque d'eau claire. L'État ne pouvait rester sans rien faire, même s'il a peut-être tardé à agir ; en tout cas, nous nous employons depuis le début de ce quinquennat à redresser la pente. Comment ?

Vous le savez, un plan d'actions pour les services d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe, dit plan Eau DOM, décidé au cours du précédent quinquennat, a permis d'amorcer des accompagnements financiers et surtout les premiers accompagnements d'ingénierie. Ce plan a plutôt bien fonctionné, mais son efficacité doit être évaluée et des missions d'inspection seront dépêchées prochainement à cette fin. À la différence de ce qui se passe à Mayotte, en Polynésie et en Guyane, on produit de l'eau potable sans difficulté en Guadeloupe. Ce qui est préoccupant, c'est que l'on ne parvient pas à la distribuer correctement jusqu'au robinet, et la distribution est l'affaire des collectivités territoriales.

Il faut faire des travaux. Qui dit « travaux » dit « moyens financiers » et « gouvernance ». Des moyens financiers, l'État en met beaucoup, par divers canaux : le plan de relance, le budget général de l'État, des accompagnements de l'Agence française de développement (AFD) ou les Aqua prêts de la Caisse des dépôts. Une panoplie d'outils financiers existent désormais qui permettent au gestionnaire local de mobiliser beaucoup de fonds et de faire ces travaux. La difficulté ne tient pas à un problème de ressources financières, puisque les crédits alloués dans le cadre du plan Eau DOM et même dans le budget de mon ministère ne sont pas complétement consommés. Le véritable problème, c'est la gouvernance. Lorsque, à la Guadeloupe, la répartition se fait par intercommunalités, que la production d'eau se situe dans une partie du territoire et que le manque d'eau se fait sentir à l'autre extrémité du territoire, on s'interroge sur l'interconnexion des réseaux, leur gestion et leur entretien au fil des ans. L'évident défaut d'entente entre les différents opérateurs a entraîné une défaillance massive dans l'entretien des réseaux.

La loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe, issue d'une proposition déposée conjointement par Mme la députée Justine Bénin et par M. le sénateur Dominique Théophile, crée un syndicat unique dans l'archipel. En clair, sans ce texte, les intercommunalités ne se seraient pas rassemblées au sein d'un même ensemble qui donnera une vision complète, unique moyen de mener les bonnes opérations, puisque les réseaux sont interdépendants mais que, jusqu'à présent, il n'y avait pas interdépendance des décideurs.

À cela s'ajoutent les problèmes d'ingénierie, qui ne sont pas propres à la Guadeloupe : malheureusement, beaucoup de projets Outre-mer, sont en défaut. Quelques démagogues prétendent que dire cela, c'est remettre en cause les compétences des Guadeloupéens. Nullement : chacun admettra que dans un territoire insulaire où vivent 200 000 à 300 000 habitants, certains profils professionnels puissent manquer, comme certaines formations d'ingénierie technique et scientifique ou d'ingénierie de dossier. L'AFD et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) traitent ce volet.

Il n'y a pas de solution miracle : l'argent ne suffit pas, il faut une bonne gouvernance, une bonne entente, un plan de bataille et une solide hiérarchisation des investissements. Pour avoir été maire et président de département, je sais d'expérience que c'est une vue de l'esprit d'imaginer ouvrir des tranchées dans tous les coins et faire tous les travaux d'un seul coup : cela ne fonctionnera pas. Il faut une vraie gouvernance, et des capacités d'ingénierie à la hauteur. J'irai même plus loin : je suis tellement convaincu que la situation n'est pas due à un manque de fonds que si tous les crédits sont consommés, je m'engage à trouver des ressources financières nouvelles, par redéploiement ou par création de lignes budgétaires nouvelles, pour accélérer les projets.

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La Commission européenne menace de saisir la Cour européenne de justice au sujet de l'assainissement en France. Dans le même temps, l'agence régionale de santé (ARS) et l'Office français de la biodiversité (OFB) nous indiquent que, si rien n'est fait, il n'y aura plus aucun point de baignade en Guadeloupe avec des eaux de bonne qualité d'ici dix ans. Ne devrez-vous pas aller beaucoup plus vite ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Mes anciennes fonctions d'élu local me permettent de penser que cette situation n'est pas le propre de la Guadeloupe. Là encore, il s'agit d'une responsabilité locale, la compétence de l'assainissement appartenant au bloc communal. Bien entendu, par le biais des agences de l'eau en métropole et de leurs homologues dans les territoires ultramarins, par l'AFD, par les préfectures et par les ARS, nous sensibilisons les élus au fait que ces travaux deviennent urgents, et si la situation sanitaire devient préoccupante, des moyens légaux existent pour forcer les investissements. Là encore, nous mettons de l'argent sur la table : pendant des années, les agences de l'eau ont alloué des primes de performance épuratoire destinées à financer la réalisation de ces travaux Outre-mer, et d'autres outils financiers existent. Ce n'est pas le Gouvernement qui retarde la mise aux normes et la mise à niveau de ces équipements. Le diagnostic global est maintenant connu et je souhaite qu'en ce début de mandat municipal les élus s'emparent véritablement du sujet. Des outils de contractualisation spécifiques prévoient des sommes importantes pour la réalisation de travaux de ce type, et le plan de relance prévoit une enveloppe pour ce faire ; elle doit être utilisée. Je tiens à la disposition de la commission d'enquête l'état précis du niveau de consommation des crédits de l'État alloués à cette fin aux collectivités territoriales.

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Monsieur le ministre, vous avez indiqué dans un courrier que la nouvelle gouvernance ne devrait pas être assurée par les mêmes, pour ne pas parvenir à de mauvais résultats. À qui pensiez-vous ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Posée dans le cadre d'une commission d'enquête qui contrôle l'action du Gouvernement, la question est assez politique, monsieur le député. N'étant pas électeur en Guadeloupe, il ne m'appartient pas de décider à la place des élus locaux. Je dirai seulement que le Gouvernement, soutenu par le Parlement, a mis beaucoup de moyens sur la table et beaucoup d'énergie politique en vue de la création d'un syndicat unique, ce qui n'avait jamais été fait. Nul ne pourra désormais se prévaloir des turpitudes des autres et chacun doit prendre ses responsabilités. Je ne peux pas être plus clair.

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À qui pensez-vous ? Aux techniciens ? Aux élus ? Aux deux ? Aux opérateurs ?

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Sébastien Lecornu, ministre

J'ai été maire et président de département, je vous l'ai dit ; je considère que les équipes techniques sont des gens engagés, qui disposent des formations que l'on veut bien leur donner et des savoir-faire que l'on a bien voulu leur apporter. Venu de nombreuses fois en Guadeloupe, j'y ai rencontré des agents du Syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe(SIAEAG), et des agents des intercommunalités, eux aussi complétement engagés et qui se donnent beaucoup de mal pour rétablir l'eau, dans des conditions parfois terribles, au centre hospitalier universitaire (CHU) ou dans des écoles, y compris pendant des astreintes, le dimanche ou la nuit. Je rends hommage à tous ces travailleurs particulièrement attachés à ce service public, et je reprends ma casquette d'ancien élu pour dire que nous, élus locaux, avons aussi une responsabilité que nous a conférée la décentralisation. Dire que les compétences sont décentralisées a une signification ! Et s'il y a des élections municipales tous les six ans avec des résultats changeants, cela veut bien dire que toutes les gestions ne se valent pas. En tant que jeune ministre, je forme le vœu que les collègues élus locaux s'emparent de ce dossier. Je crois savoir que c'est le cas et je veux leur rendre hommage – bienheureux celles et ceux qui s'engagent !

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Une fois le SIAEAG dissous et liquidé, quel sera le devenir des dettes fournisseurs de ce syndicat ?

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Sébastien Lecornu, ministre

J'ai déjà pris un engagement à ce sujet devant le Parlement lors de la discussion de la proposition de loi. D'abord, je souhaite qu'une solution personnalisée soit trouvée pour chaque agent du syndicat dissous. Certains peuvent faire valoir leurs droits à la retraite, d'autres trouver une reconversion professionnelle dans les collectivités territoriales qui se voient réattribuer la compétence ou dans le nouveau syndicat. Je pense qu'il y a de la place pour tout le monde et M. Alexandre Rochatte, préfet de région, a reçu pour instruction de suivre de près la situation en matière de ressources humaines ; j'y suis très attaché.

La question financière doit être traitée avec le plus grand sérieux, car il en va de la crédibilité bancaire des intercommunalités qui vont récupérer ces dettes. À la Guadeloupe, la plupart des fournisseurs sont des fournisseurs locaux qui attendent d'être payés depuis bien longtemps ; il est normal de ne pas demander à une petite entreprise locale de pallier des défaillances publiques avec sa trésorerie. Je souhaite donc qu'une solution soit trouvée, à condition que cela soit fait dans la transparence et la clarté. Comme vous le savez, nous avons mobilisé l'AFD et l'ensemble de nos partenaires pour créer des offres financières spécifiques, permettant de transformer la dette fournisseurs en une « vraie bonne dette » des collectivités territoriales concernées. Et si tout le monde joue le jeu de la création du syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe, l'État peut être amené à encourager tout cela dans le cadre du dialogue à venir.

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D'une part, le président du SIAEAG nous a indiqué que 80 à 90 % des dettes ne sont pas des dettes auprès de fournisseurs locaux mais des dettes publiques. Sur le fond, pourquoi parlez-vous de transfert de la dette à d'autres collectivités alors que les créances et dettes devraient suivre le régime qui s'applique à une structure en liquidation ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Parce que, conformément au code général des collectivités territoriales, quand un syndicat est dissous, la compétence concernée doit repasser, ne serait-ce que quelques instants, par l'intercommunalité avant d'être transférée au nouveau syndicat : telle est la loi de la République. Pour ce qui est de votre première observation, je ne suis pas allé, en préparant cette audition, jusqu'à ce degré de détail du mécanisme de transfert de dettes sur lequel vous m'interrogez.

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Les préfigurateurs, notamment le préfet M. Richard Samuel qui est chargé de ce dossier au conseil régional, nous ont indiqué que les dettes devraient suivre le régime d'une structure en liquidation, non pas être transférées à une autre structure.

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Sébastien Lecornu, ministre

Le préfet Richard Samuel ne représente plus l'État, puisqu'il est collaborateur du président du conseil régional. Je ne mettrai jamais en doute ses qualités professionnelles ; néanmoins, je vous propose d'apporter à ce sujet une réponse écrite précise qui engagera l'État.

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La Commission européenne a évoqué la responsabilité de l'État français dans le scandale de l'assainissement. À cela, vous avez répondu que l'État ne freinerait pas l'action des élus locaux. L'État ne devrait-il pas être beaucoup plus actif pour résoudre ce scandale sanitaire, sans se limiter à ne rien freiner ?

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Sébastien Lecornu, ministre

L'État est déjà très actif. La question de l'assainissement a été sous-évaluée au fil des ans, parce qu'elle n'est pas très excitante, si je peux me permettre, si bien que peu d'élus locaux fondent une campagne électorale sur le sujet, pourtant majeur, et que bien peu de préfets ou de représentants des services de l'État font de grands discours à ce propos. La question de l'eau potable et de l'assainissement n'a commencé à intéresser véritablement qu'avec la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques dont M. André Flajolet a été le rapporteur. Ensuite, il y a eu une prise de conscience générationnelle chez les décideurs au sein de l'État et chez les élus locaux. Je salue l'action des agences de l'eau, et le fait que les travaux d'assainissement soient éligibles aux fonds structurels européens est une évolution assez récente. Si l'objet de la commission d'enquête est de trouver des solutions, je pense que c'est un peu l'affaire de chacun, désormais. Si son but est de trouver des responsabilités, je puis vous dire ce que je sais : lorsque j'étais maire, nous parlions des questions d'assainissement au bureau de la communauté d'agglomération, mais le sujet ne dominait pas nécessairement lors des conversations.

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Le lien entre la qualité de l'eau et le drame de la chlordécone a souvent été fait devant nous car la gestion de cette pollution a un coût élevé. D'aucuns considèrent que c'est à l'État, jugé responsable de la situation, de prendre en charge cette partie du coût de la production d'une eau de qualité ; qu'en pensez-vous ?

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Sébastien Lecornu, ministre

C'est le cas. Si les collectivités territoriales sont compétentes pour la production, la distribution et la facturation de l'eau potable et pour la gestion de l'assainissement jusqu'à la facturation à l'usager, la responsabilité de la qualité sanitaire de l'eau revient aux ARS, ainsi qu'aux préfets qui, en vertu de leur pouvoir de police, ont compétence pour contrôler cette qualité, adresser les mises en demeure éventuelles, informer la population et prendre les mesures de restriction de la distribution d'eau en cas de sécheresse. Ce sont évidemment les services de l'État qui ont élaboré le plan Chlordécone IV présenté en février dernier ; vous en connaissez la teneur et vous savez qu'il comporte un volet traitant du lien entre eau potable et pollution au chlordécone, que l'État prend en charge.

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Mais l'État ne prend pas en charge le financement du traitement de l'eau potable au charbon actif, qui coûte extrêmement cher. D'autre part, des associations nous ont signalé que 8 à 9 % seulement des terres figurent dans la cartographie des teneurs en chlordécone ; dans ces conditions, comment se fera la décontamination, plus qu'urgente ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Je ne m'avancerai qu'avec prudence car je ne suis pas un scientifique, mais je sais que la question de la teneur des terres en chlordécone est dissociée de l'analyse de la nappe phréatique et de l'eau au robinet. Le programme des jardins familiaux (JAFA) est un exemple de qui est fait en termes de sensibilisation à la question. L'usage de charbon actif est une compétence des intercommunalités. Jamais, lors de mes très nombreux contacts avec les élus, je n'ai eu vent d'un problème de financement par l'État à ce sujet ; vous me l'apprenez. Mais, de mémoire d'élu local, je ne suis pas certain que les sommes en jeu soient très importantes.

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Il a été fait état devant nous de 350 000 euros pour six communes l'année dernière.

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Sébastien Lecornu, ministre

Je suis tout disposé à examiner cette question.

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Même si vous dites que les questions ne sont pas complétement liées, confirmez-vous que la cartographie de la teneur en chlordécone ne concerne ce jour que de 8 à 9 % des terres ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Je ne suis pas capable de répondre à cette question.

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En somme, vous nous dites que vous êtes prêt à sortir le carnet de chèque mais que le principal problème n'est pas celui-là. Mais au cours de nos échanges avec les Guadeloupéennes et les Guadeloupéens, une question est revenue répétitivement, que je vous transmets : si, dans n'importe quelle région métropolitaine, des enfants n'allaient pas à l'école, des familles étaient privées d'eau pendant trois ans, des communes devaient organiser des tours d'eau, et que se posaient un risque écologique majeur et un risque sanitaire avéré, le tout assorti d'une contamination au chlordécone avec un cocktail d'effets que l'on connaît assez peu, pensez-vous vraiment que cette situation aurait perduré et que l'État aurait été autant en retrait, se retranchant derrière des questions de compétences ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Si vous voulez me faire dire que l'on ne parle pas assez des Outre-mer à la télévision et à la radio et qu'à Paris on ne s'intéresse pas assez à nos territoires ultramarins, je suis le premier à le regretter. Qui parle de la situation électorale Outre-Mer dans les journaux télévisés de 20 heures aujourd'hui ? Qui parle des Outre-mer lorsqu'il s'y passe quelque chose de bien ? Si l'on parle de l'eau potable en Guadeloupe, c'est parce que la situation est devenue intolérable et que le président de la République et le Gouvernement ont décidé de faire de cette question un sujet majeur.

Dans une autre assemblée, on me reproche parfois de malmener la libre administration des collectivités territoriales et d'infantiliser les collègues élus locaux. À votre question directe, je réponds franchement : personne n'a proposé la recentralisation de cette compétence. Même votre groupe parlementaire, madame la présidente, dont je crois savoir qu'il voit quelques vertus au jacobinisme, ne va pas jusqu'à dire qu'il faut recentraliser la gestion de l'eau. Pour ma part, je fais plutôt confiance aux élus locaux. Le sujet de fond, c'est évidemment le désintérêt persistant et attristant pour ce qui se passe Outre-mer. Mais il faut savoir ce que l'on veut. Il existe un principe constitutionnel de subsidiarité dans l'organisation des compétences ; soit on fait, comme moi, confiance aux élus locaux, soit on ne leur fait pas confiance et en ce cas il faut recentraliser, mais rien ne sert de se payer de mots. Je n'ai aucun intérêt politique dans cette affaire, et rencontrer, sur place, des familles contraintes de subir les tours d'eau fait mal au cœur. C'est intolérable, et j'ai pour seul objectif que l'eau coule du robinet.

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Et à quelle date en aura-t-on fini avec les tours d'eau ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Je souhaite que ce soit le plus rapidement possible. La création du syndicat unique permettra d'accélérer fortement les opérations mais il est très difficile de s'engager sur une date parce que je n'ai pas complétement la main sur les travaux. Ni le gouvernement ni le Parlement ne sont les maîtres d'ouvrage de ces travaux, et ce n'est pas une insulte de rappeler aux élus locaux que, dans une République démocratique et décentralisée, ils sont compétents en la matière et que c'est très bien ainsi. Ensuite, si ces élus locaux et les collectivités territoriales concernées ont besoin d'aide pour réaliser les travaux nécessaires, la loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe, issue de la proposition de Mme Bénin et de M. Théophile que vous avez adoptée, y pourvoit.

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Comment expliquer que, selon les chiffres de la préfecture, quatre agents seulement s'occupent de la police de l'eau pour toute la Guadeloupe ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Je ne suis en mesure d'évaluer ni leur charge de travail ni les besoins ni les manques éventuels. Mais si la commission d'enquête établit qu'il y a des difficultés de ce point de vue, je serai évidemment tout disposé à étudier la question.

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Nous ne demandons pas la recentralisation : nous demandons que l'État intervienne, à la fois parce qu'il a une part de responsabilité dans la situation actuelle et surtout parce qu'il s'agit de fonctions régaliennes. Lorsqu'on parle d'éducation, l'État a un rôle à jouer ; lorsqu'on parle de la sécurité civile et de pompiers qui, parce qu'ils ne trouvent pas d'eau, ne peuvent pas éteindre un feu correctement, l'État est impliqué ; et si la France est condamnée par la Cour européenne de justice en raison des lacunes de ses réseaux d'assainissement, elle n'aura que faire de savoir à qui revient la compétence mais demandera qu'une action soit prise en raison de risques sanitaires avérés et de risques écologiques majeurs. Vous nous dites que si cette situation s'était produite en Occitanie ou n'importe quelle autre région métropolitaine, elle aurait perduré aussi longtemps ; pour sa part, l'ancien ministre M. Victorin Lurel a évoqué tout à l'heure devant nous une manière coloniale de voir les choses.

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Sébastien Lecornu, ministre

Ce n'est absolument pas mon point de vue et je n'ai pas comparé les régions métropolitaines et la Guadeloupe. Même si des parlementaires m'expliquent : « On se moque de savoir qui est compétent pour tel service public », ni moi ni même la présidence de l'État ne peuvent faire grand-chose, puisque c'est une loi de la République, votée par le Parlement de l'époque, qui donne la compétence de la gestion de l'eau aux collectivités territoriales. Il faut donc aller jusqu'au bout du propos, et proposer la recentralisation. Dire que ce qui est décentralisé est forcément l'affaire de l'État est un argument inopérant. À quelles recommandations concrètes cela conduit-il, sinon à une ingérence dans l'administration d'une collectivité territoriale et donc à reprendre la main sur des compétences dévolues, sans base légale ? Il ne faut pas se payer de mots, même quand on est à quelques mois d'élections nationales. Si l'eau et sa distribution sont des sujets importants, un travail d'ensemblier s'impose, qui doit forcément être fait en partenariat et qui suppose nécessairement la responsabilisation de tous les acteurs. Dire « l'État doit prendre ses responsabilités » signifie que vous proposez une recentralisation ; sinon, ce sont des incantations.

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Si ce n'est que la préfecture a déjà procédé à des réquisitions à ce sujet.

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Sébastien Lecornu, ministre

Vous n'ignorez pas que le pouvoir de police des préfets n'a rien à voir avec l'exercice des compétences relatives à la production, la distribution et la facturation de l'eau et à l'assainissement. Ce n'est pas la position d'un ministre, c'est la loi de la République, votée par le Parlement,

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Des amibes responsables de maladies potentiellement fatales sont présentes dans les bassins d'eau chaude de Guadeloupe. Comme elles ne se développent que dans les eaux à la température très élevée, le problème ne se pose pas en métropole et la question est ignorée dans les normes sanitaires nationales. Comment en tenir compte dans les normes qui s'imposent en zones de baignade ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Je n'ai pas la réponse à cette question mais elle vous sera transmise par écrit ; en matière scientifique, il est bon d'être précis, et si le sujet est important, il sera traité comme il se doit.

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Le Syndicat mixte d'eau et d'assainissement de Mayotte (SMEAM), chargé de distribuer l'eau, rassemble les dix-sept communes mahoraises. Le ministre a parlé de décentralisation, mais la réalité est malheureusement celle que je vais exposer. La situation ne date pas de la présente législature : en 2016 déjà, nous avons connu une crise de l'eau telle que l'on nous avait promis l'envoi de tankers pour nous alimenter. Quand le ministre dit que la compétence de production et de distribution de l'eau revient aux collectivités locales, il dit vrai – si ce n'est que l'État a la main et que lorsque les élus locaux mahorais cherchent à prendre des initiatives, l'État les sape et impose sa propre lecture. En est-il ainsi à Mayotte exclusivement ? Je ne sais, mais c'est en tout cas ce qui s'est passé lorsque le SMEAM a proposé le financement et la réalisation d'une usine de dessalement à Petite-Terre avec le concours de l'État.

L'État a imposé que ce marché soit confié, sans appel d'offres, à une entreprise qui se chargeait de fournir à peu près 5 000 mètres cubes d'eau par jour. Cette usine a été payée par avec les fonds européens sans que les travaux soient réalisés ; elle devrait être en fonction depuis deux ans et ne l'est toujours pas. Et lorsque le syndicat a commencé à hausser le ton, la préfecture l'a muselé et a cherché à lui arracher toutes les compétences en lui forçant la main, notamment en transférant la mise en œuvre de ces politiques à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, qui n'a pas aucune compétence ni juridique ni technique en la matière. D'ailleurs, quand le président de la République est venu à Mayotte, je l'ai interrogé à ce sujet ; on sent une relation si resserrée entre l'État et de grandes entreprises nationales qu'elles sont plus puissantes que l'intérêt des collectivités.

Autre exemple : le SMEAM a demandé que des terres destinées à la construction d'une troisième retenue collinaire soient expropriées ; l'État ayant refusé de déclarer l'utilité publique, on en est toujours au même point. Des sommes importantes sont inscrites et des conventions sont signées pleines de grands mots, mais en réalité tout est verrouillé pour que les choses ne fonctionnent pas, si bien que les problèmes d'eau perdurent. Nous souhaitons que l'État soit notre partenaire, non qu'il prenne la place des élus. La compétence étant transférée, comment faire pour que l'État accepte d'entendre les positions des élus au lieu qu'il les empêche d'agir pour leur reprocher ensuite de ne rien faire ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Avant que vous ne vous connectiez à la réunion, monsieur le député, j'avais évoqué la situation à Mayotte, tout aussi difficile qu'à la Guadeloupe mais pour des raisons différentes. À Mayotte, le problème d'accès à la ressource primaire s'explique par la pression anthropique : l'accroissement démographique crée une demande croissante, et à cela s'ajoutent les saisons sèches, facteurs de très fort stress hydrique. Il y a donc deux moyens d'augmenter la ressource naturelle initiale, la première étant la construction de retenues collinaires avec, parfois, des difficultés connues. Je suis de près la vie politique et la campagne électorale mahoraises et il se dit, je le sais, que la troisième retenue collinaire aurait été refusée par l'État. C'est évidemment faux. Un problème d'accès au foncier se pose, que nous devrons régler par des dispositions législatives ; le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit loi 4D, nous permettra de trouver des solutions. Je me rendrai à Mayotte prochainement et nous aurons l'occasion de traiter de ce sujet capital.

L'autre moyen d'agir, c'est par le dessalement. Je salue l'engagement de l'équipe actuelle du SMEAM, qui a retroussé ses manches et cherche véritablement à faire progresser le pacte pour l'eau. Des travaux relatifs à l'usine de dessalement de Petite-Terre sont en cours avec les services de l'État, le SMEAM, la Société mahoraise des eaux et Vinci, pour résoudre les difficultés avant la prochaine saison sèche. Je ne manquerai pas de vous communiquer les renseignements au sujet de ces travaux dès que j'en aurai. Vous m'avez parlé plusieurs fois de la procédure de passation du marché public. Selon les informations dont je dispose, ce marché a été l'objet de contrôles récents dans le cadre de l'attribution de fonds européens. Un contrôle de régularité de la passation de ce marché a eu lieu en 2019, qui n'a mis en évidence aucune difficulté de forme ; telles sont les informations que l'on me donne. N'étant pas sur le terrain, je ne peux les vérifier moi-même, mais je n'ai pas reçu de renseignements me laissant penser qu'il y a une difficulté. Si vous disposez d'éléments nouveaux qui permettraient d'étayer cette opinion, je suis évidemment à votre disposition, monsieur le député.

Je vous remercie à nouveau pour votre investissement dans l'élaboration du projet de loi relatif à Mayotte, à venir. Le texte traitera de nombreux sujets régaliens et de sujets de convergence sociale, mais aussi de sujets environnementaux dont le champ normatif actuel freine parfois la production nouvelle d'eau potable. Comme vous, beaucoup d'autres élus participent à la concertation sur ce projet de loi, dont nous souhaitons qu'il comporte des dispositions importantes relatives à l'eau potable.

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En Guadeloupe, a-t-il été dit, l'effectif de la police de l'eau se limiterait à trois agents. À Mayotte, je ne suis pas sûr qu'un seul agent soit chargé de ce service ; si tel est le cas, pourquoi ne pas créer dans l'archipel une police de l'eau comme il en existe un peu partout ailleurs sur le territoire national ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Je demanderai aux services de communiquer à votre commission l'état des effectifs et des moyens consacrés à la police de l'eau dans chaque territoire d'outre-mer, comparé à ceux de la métropole.

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Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir consacré le temps de cette audition. Nous attendons les documents promis, qui éclaireront les membres de notre commission d'enquête.

L'audition s'achève à seize heures cinquante.