Intervention de Mathilde Panot

Réunion du jeudi 15 juillet 2021 à 14h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot, présidente :

Nous allons conclure cet après-midi les travaux de la commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences.

Je tiens tout d'abord à adresser mes vifs remerciements au rapporteur Olivier Serva et aux administrateurs, qui ont réalisé un travail très fourni. Nous pouvons nous en féliciter : la commission d'enquête a effectué quatre-vingt-une auditions et deux déplacements sur le terrain. Elle a ainsi consacré plus d'une centaine d'heures à l'écoute de toutes les parties prenantes : associations, universitaires, élus et anciens élus, services de l'État, responsables des entreprises concernées, ministres chargés du dossier de l'eau – soit 245 personnes au total.

Dans le cadre de ses pouvoirs d'investigation sur pièces et sur place, le rapporteur a envoyé six demandes de communication de documents, relatifs notamment à la gestion des délégations de service public (DSP) en Guadeloupe.

La commission d'enquête a examiné de manière approfondie plusieurs cas emblématiques, dont la gestion de la ressource en eau du bassin de Volvic, la gestion assurée par le Syndicat des eaux d'Île-de-France (Sedif), la situation de l'eau à Mayotte et à La Réunion.

En outre, des délégations de la commission d'enquête se sont rendues sur le terrain pour rencontrer les acteurs locaux. Les 9 et 10 avril derniers, certains d'entre nous se sont ainsi entretenus avec les acteurs impliqués dans la gestion de la nappe des grès du Trias inférieur du secteur de Vittel, dans les Vosges, dont la surexploitation et les conflits d'usage font l'objet de controverses, un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) étant en cours d'élaboration. Du 7 au 16 juin, nous avons entendu l'ensemble des témoins et des acteurs, présents et passés, de la crise de l'eau en Guadeloupe.

Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il présente son projet de rapport, je souhaite détailler les enseignements que je retiens de nos travaux.

Il y a onze ans, grâce à l'impulsion de la Bolivie, l'Organisation des Nations unies (ONU) a reconnu le droit à l'eau potable et à l'assainissement comme un droit fondamental, essentiel à la vie et à l'exercice des droits humains. Onze ans plus tard, le temps est venu d'un sursaut, le droit à l'eau et à l'assainissement étant en danger à l'échelle mondiale. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) nous indique que, d'ici à 2025, la moitié de la population mondiale sera en situation d'insécurité pour l'approvisionnement en eau. D'ici à 2050, le changement climatique aura un impact sur 75 % des réserves d'eau souterraine, principale source d'eau potable pour 2,5 milliards d'êtres humains, sachant que la fonte des glaciers a déjà fortement affecté le cycle de l'eau.

L'ONU nous alerte : la sécheresse est en passe de devenir la prochaine pandémie. Une guerre de l'eau couve autour du Nil, et la première famine directement attribuable au dérèglement climatique touche plus d'un million de personnes à Madagascar en ce début d'été 2021. Le Canada brûle sous une canicule mortelle. En Allemagne, les pluies torrentielles ont causé plusieurs morts. Au Japon, plus d'un million d'habitants ont dû être évacués à la suite de pluies torrentielles et de coulées de boue.

La perturbation du cycle de l'eau, la raréfaction de la ressource, la mauvaise qualité de l'eau font désormais plus de morts dans le monde que toutes les guerres réunies. La pandémie de Covid-19 que nous sommes en train de vivre a confirmé l'urgence de garantir le droit fondamental à l'eau et à l'assainissement.

Si le groupe La France insoumise a pris l'initiative de cette commission d'enquête, c'est parce qu'il estime que la marchandisation aggrave encore les dangers que le dérèglement climatique fait peser sur l'eau. Nous devons prendre très au sérieux l'alerte qui nous vient de la Californie, où il est possible, depuis septembre 2020, de spéculer en bourse sur l'eau. Nous devons tirer les leçons de ce qui s'est passé en Australie, premier État au monde à avoir organisé un marché de l'eau : pendant les méga-feux de 2019, une entreprise singapourienne a vendu à un fonds de pension états-unien, pour 490 millions de dollars, 89 millions de mètres cubes d'eau destinés à la culture d'amandes pour l'exportation. Cela illustre bien l'absurdité de la mainmise des intérêts privés sur l'eau.

Il convient de penser une gestion collective et démocratique de ce commun, afin de préserver la ressource en eau, quantitativement et qualitativement, et de garantir les droits humains en la matière. La présente enquête constitue notre contribution à cette réflexion. Je crois que nous ne nous sommes pas trompés en choisissant un tel objet d'étude, puisque le rapporteur spécial sur les droits de l'homme à l'eau potable et à l'assainissement du Conseil des droits de l'homme de l'ONU consacrera lui-même son prochain rapport, attendu pour octobre 2021, aux risques liés à la marchandisation de l'eau.

Je suis très heureuse que nous nous retrouvions sur les recommandations formulées dans le rapport d'Olivier Serva. Cela prouve qu'il y a là un intérêt général humain, et qu'il est urgent d'agir, la situation étant alarmante aussi dans notre propre pays.

Je suis heureuse que le rapport indique explicitement que la délégation de la gestion de l'eau au privé comporte des risques, ce qui conduit à préférer la gestion directe en régie publique.

Je suis heureuse que le rapporteur soit comme moi favorable – j'espère que nous le serons tous – à la gratuité des premiers mètres cubes d'eau indispensables à une vie digne. De la sorte, le droit à l'eau sera véritablement garanti, puisqu'il ne sera plus subordonné aux ressources des usagers. Pour les mètres cubes suivants, il conviendrait d'appliquer des tarifs différenciés en fonction de l'usage de l'eau. Réaffirmons avec force que l'eau ne peut pas avoir la même valeur lorsqu'on la boit, lorsqu'on la consomme pour se doucher, lorsqu'on la destine à des usages « de confort » – remplir une piscine, laver une voiture – ou lorsqu'on l'utilise à des fins économiques.

Les travaux de la commission d'enquête ont en outre montré qu'il était urgent que l'État soit beaucoup plus attentif à la situation de mainmise des intérêts privés sur la ressource en eau. Nous devrons impérativement changer certaines choses, soit dans le cadre du prochain projet de loi de finances, soit grâce à d'autres textes de loi, que nous pourrions d'ailleurs défendre ensemble.

Je suis enfin particulièrement heureuse que nous ayons consacré plus d'un tiers de nos auditions aux outre-mer, nos concitoyennes et concitoyens ultramarins étant les plus durement touchés par les atteintes quotidiennes au droit à l'eau. Nous pensons principalement à deux territoires : Mayotte, où la situation est absolument catastrophique, et la Guadeloupe, où la situation est urgente à bien des égards – nous y avons passé onze jours.

En Guadeloupe, la population subit des coupures d'eau quotidiennes ; certaines familles n'ont plus d'eau à domicile depuis trois à six ans ; des enfants manquent jusqu'à un mois et demi de cours par an parce qu'il n'y a pas d'eau à l'école – nous avons nous-mêmes rencontré, au cours de notre déplacement, des enfants qui n'étaient pas à l'école pour cette raison. Le gaspillage atteint des proportions terrifiantes : d'après les estimations, 60 à 65 % de l'eau est perdue à cause des fuites. De ce fait, alors même que la ressource en eau est importante en Guadeloupe – la quantité d'eau disponible par an et par habitant y est deux à trois fois supérieure à ce qu'elle est dans l'Hexagone –, les nappes phréatiques sont dans un état très inquiétant, la baisse de leur niveau induisant des risques de salinisation.

Enfin, la commission d'enquête a découvert l'ampleur des problèmes d'assainissement en Guadeloupe. La situation est vraiment catastrophique en la matière, ce qui entraîne des risques sanitaires très élevés, mais aussi des risques écologiques et économiques, pour l'ensemble de l'archipel. On nous a dit sur place que, dans dix ans, si l'on ne fait rien, il n'y aura plus nulle part en Guadeloupe d'eaux de baignade d'excellente qualité.

Je suis heureuse, je le répète, que nous nous soyons entendus sur des recommandations. Si le rapport est adopté, il nous reviendra de les promouvoir ensemble.

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