COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Jeudi 15 juillet 2021
La séance est ouverte quatorze heures cinq.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'examen du rapport.
Nous allons conclure cet après-midi les travaux de la commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences.
Je tiens tout d'abord à adresser mes vifs remerciements au rapporteur Olivier Serva et aux administrateurs, qui ont réalisé un travail très fourni. Nous pouvons nous en féliciter : la commission d'enquête a effectué quatre-vingt-une auditions et deux déplacements sur le terrain. Elle a ainsi consacré plus d'une centaine d'heures à l'écoute de toutes les parties prenantes : associations, universitaires, élus et anciens élus, services de l'État, responsables des entreprises concernées, ministres chargés du dossier de l'eau – soit 245 personnes au total.
Dans le cadre de ses pouvoirs d'investigation sur pièces et sur place, le rapporteur a envoyé six demandes de communication de documents, relatifs notamment à la gestion des délégations de service public (DSP) en Guadeloupe.
La commission d'enquête a examiné de manière approfondie plusieurs cas emblématiques, dont la gestion de la ressource en eau du bassin de Volvic, la gestion assurée par le Syndicat des eaux d'Île-de-France (Sedif), la situation de l'eau à Mayotte et à La Réunion.
En outre, des délégations de la commission d'enquête se sont rendues sur le terrain pour rencontrer les acteurs locaux. Les 9 et 10 avril derniers, certains d'entre nous se sont ainsi entretenus avec les acteurs impliqués dans la gestion de la nappe des grès du Trias inférieur du secteur de Vittel, dans les Vosges, dont la surexploitation et les conflits d'usage font l'objet de controverses, un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) étant en cours d'élaboration. Du 7 au 16 juin, nous avons entendu l'ensemble des témoins et des acteurs, présents et passés, de la crise de l'eau en Guadeloupe.
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il présente son projet de rapport, je souhaite détailler les enseignements que je retiens de nos travaux.
Il y a onze ans, grâce à l'impulsion de la Bolivie, l'Organisation des Nations unies (ONU) a reconnu le droit à l'eau potable et à l'assainissement comme un droit fondamental, essentiel à la vie et à l'exercice des droits humains. Onze ans plus tard, le temps est venu d'un sursaut, le droit à l'eau et à l'assainissement étant en danger à l'échelle mondiale. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) nous indique que, d'ici à 2025, la moitié de la population mondiale sera en situation d'insécurité pour l'approvisionnement en eau. D'ici à 2050, le changement climatique aura un impact sur 75 % des réserves d'eau souterraine, principale source d'eau potable pour 2,5 milliards d'êtres humains, sachant que la fonte des glaciers a déjà fortement affecté le cycle de l'eau.
L'ONU nous alerte : la sécheresse est en passe de devenir la prochaine pandémie. Une guerre de l'eau couve autour du Nil, et la première famine directement attribuable au dérèglement climatique touche plus d'un million de personnes à Madagascar en ce début d'été 2021. Le Canada brûle sous une canicule mortelle. En Allemagne, les pluies torrentielles ont causé plusieurs morts. Au Japon, plus d'un million d'habitants ont dû être évacués à la suite de pluies torrentielles et de coulées de boue.
La perturbation du cycle de l'eau, la raréfaction de la ressource, la mauvaise qualité de l'eau font désormais plus de morts dans le monde que toutes les guerres réunies. La pandémie de Covid-19 que nous sommes en train de vivre a confirmé l'urgence de garantir le droit fondamental à l'eau et à l'assainissement.
Si le groupe La France insoumise a pris l'initiative de cette commission d'enquête, c'est parce qu'il estime que la marchandisation aggrave encore les dangers que le dérèglement climatique fait peser sur l'eau. Nous devons prendre très au sérieux l'alerte qui nous vient de la Californie, où il est possible, depuis septembre 2020, de spéculer en bourse sur l'eau. Nous devons tirer les leçons de ce qui s'est passé en Australie, premier État au monde à avoir organisé un marché de l'eau : pendant les méga-feux de 2019, une entreprise singapourienne a vendu à un fonds de pension états-unien, pour 490 millions de dollars, 89 millions de mètres cubes d'eau destinés à la culture d'amandes pour l'exportation. Cela illustre bien l'absurdité de la mainmise des intérêts privés sur l'eau.
Il convient de penser une gestion collective et démocratique de ce commun, afin de préserver la ressource en eau, quantitativement et qualitativement, et de garantir les droits humains en la matière. La présente enquête constitue notre contribution à cette réflexion. Je crois que nous ne nous sommes pas trompés en choisissant un tel objet d'étude, puisque le rapporteur spécial sur les droits de l'homme à l'eau potable et à l'assainissement du Conseil des droits de l'homme de l'ONU consacrera lui-même son prochain rapport, attendu pour octobre 2021, aux risques liés à la marchandisation de l'eau.
Je suis très heureuse que nous nous retrouvions sur les recommandations formulées dans le rapport d'Olivier Serva. Cela prouve qu'il y a là un intérêt général humain, et qu'il est urgent d'agir, la situation étant alarmante aussi dans notre propre pays.
Je suis heureuse que le rapport indique explicitement que la délégation de la gestion de l'eau au privé comporte des risques, ce qui conduit à préférer la gestion directe en régie publique.
Je suis heureuse que le rapporteur soit comme moi favorable – j'espère que nous le serons tous – à la gratuité des premiers mètres cubes d'eau indispensables à une vie digne. De la sorte, le droit à l'eau sera véritablement garanti, puisqu'il ne sera plus subordonné aux ressources des usagers. Pour les mètres cubes suivants, il conviendrait d'appliquer des tarifs différenciés en fonction de l'usage de l'eau. Réaffirmons avec force que l'eau ne peut pas avoir la même valeur lorsqu'on la boit, lorsqu'on la consomme pour se doucher, lorsqu'on la destine à des usages « de confort » – remplir une piscine, laver une voiture – ou lorsqu'on l'utilise à des fins économiques.
Les travaux de la commission d'enquête ont en outre montré qu'il était urgent que l'État soit beaucoup plus attentif à la situation de mainmise des intérêts privés sur la ressource en eau. Nous devrons impérativement changer certaines choses, soit dans le cadre du prochain projet de loi de finances, soit grâce à d'autres textes de loi, que nous pourrions d'ailleurs défendre ensemble.
Je suis enfin particulièrement heureuse que nous ayons consacré plus d'un tiers de nos auditions aux outre-mer, nos concitoyennes et concitoyens ultramarins étant les plus durement touchés par les atteintes quotidiennes au droit à l'eau. Nous pensons principalement à deux territoires : Mayotte, où la situation est absolument catastrophique, et la Guadeloupe, où la situation est urgente à bien des égards – nous y avons passé onze jours.
En Guadeloupe, la population subit des coupures d'eau quotidiennes ; certaines familles n'ont plus d'eau à domicile depuis trois à six ans ; des enfants manquent jusqu'à un mois et demi de cours par an parce qu'il n'y a pas d'eau à l'école – nous avons nous-mêmes rencontré, au cours de notre déplacement, des enfants qui n'étaient pas à l'école pour cette raison. Le gaspillage atteint des proportions terrifiantes : d'après les estimations, 60 à 65 % de l'eau est perdue à cause des fuites. De ce fait, alors même que la ressource en eau est importante en Guadeloupe – la quantité d'eau disponible par an et par habitant y est deux à trois fois supérieure à ce qu'elle est dans l'Hexagone –, les nappes phréatiques sont dans un état très inquiétant, la baisse de leur niveau induisant des risques de salinisation.
Enfin, la commission d'enquête a découvert l'ampleur des problèmes d'assainissement en Guadeloupe. La situation est vraiment catastrophique en la matière, ce qui entraîne des risques sanitaires très élevés, mais aussi des risques écologiques et économiques, pour l'ensemble de l'archipel. On nous a dit sur place que, dans dix ans, si l'on ne fait rien, il n'y aura plus nulle part en Guadeloupe d'eaux de baignade d'excellente qualité.
Je suis heureuse, je le répète, que nous nous soyons entendus sur des recommandations. Si le rapport est adopté, il nous reviendra de les promouvoir ensemble.
Je vous remercie chaleureusement, madame la présidente, d'avoir créé cette commission d'enquête sur le droit de tirage de votre groupe. J'avais moi-même exprimé des préoccupations à ce sujet, et je suis ravi que mon groupe, La République en marche, m'ait désigné rapporteur. J'ai travaillé avec vous en bonne intelligence, non seulement du point de vue politique, mais aussi parce que nous avons une approche commune de l'intérêt général. Qui plus est, nos relations de travail ont été tout à fait cordiales, sinon harmonieuses. Je remercie les membres de votre équipe, notamment Mmes Lorraine Champagne de Labriolle et Lynda-May Azibi.
Je remercie également tous les membres de la commission d'enquête, dont j'ai apprécié l'implication au fil de nos séances hebdomadaires. Mes remerciements s'adressent aussi à l'équipe du secrétariat de la commission d'enquête, avec qui j'ai travaillé étroitement et qui nous a assistés pendant nos longues heures d'audition. Je remercie enfin mes collaboratrices, Oxann Sahai, Elyssa Laurent et Keiza Nubret Grand-Bonheur, qui ont été elles aussi pleinement mobilisées.
Je vais maintenant vous présenter mes conclusions, dont vous avez pu prendre connaissance en lisant le projet de rapport.
Le sujet de notre étude était vaste : existe-t-il, en France, des cas emblématiques de financiarisation, de prédation, de corruption et de mauvaise gestion de l'eau par les opérateurs privés ? Quel est le rôle de l'État et des autorités organisatrices des services d'eau potable et d'assainissement ? Quelles en sont les conséquences ?
Vous l'avez dit, madame la présidente, la commission d'enquête a effectué quatre-vingt-une auditions et deux déplacements sur le terrain. Elle a ainsi consacré plus d'une centaine d'heures à l'écoute de toutes les parties prenantes : associations, universitaires, élus et anciens élus, responsables des entreprises concernées, ministres chargés du dossier de l'eau – soit, au total, 245 personnes.
Dans le cadre des pouvoirs d'investigation sur pièces et sur place dont je disposais en ma qualité de rapporteur, j'ai adressé six demandes de communication de documents, relatifs notamment à la gestion des DSP en Guadeloupe.
Nous avons examiné de manière approfondie plusieurs cas emblématiques, dont la gestion de la ressource en eau du bassin de Volvic, la gestion assurée par le Sedif, la situation de l'eau à Mayotte et à La Réunion.
La commission d'enquête a recueilli des témoignages d'élus ou d'anciens élus, rapportant des faits parfois graves de corruption, de détournement de fonds publics ou de pressions exercées sur des élus, mais sans que les auteurs soient en mesure d'apporter des éléments confirmant leurs déclarations.
En tout cas, notre commission a été confrontée à des cas de mauvaise gestion, notamment en Guadeloupe. Face à des entreprises privées, certains élus ne se sont pas donné les moyens nécessaires pour s'assurer que leur cocontractant fournissait les prestations demandées avec la rigueur et la qualité requises. Face à la dégradation d'un service public essentiel, les représentants de l'État n'ont pas pris de mesures pour garantir l'accès à l'eau et l'assainissement pour tous.
Le simple fait qu'un opérateur privé se voie confier la gestion de l'eau potable ou de l'assainissement ou qu'une entreprise opère des prélèvements sur la ressource en eau pour l'embouteiller et la mettre sur le marché n'est pas en soi constitutif de prédation ou de financiarisation de cette ressource. Cependant, la puissance publique – autorités communales et intercommunales, État – ne peut se désintéresser de ces activités privées et les laisser prospérer sans exercer un contrôle fin et constant. Selon moi, les intérêts privés peuvent entrer en collision avec les objectifs d'une gestion collective de la ressource et de la distribution de l'eau, si l'État ne garantit pas une régulation équitable et transparente.
La loi pose plusieurs grands principes qui déterminent les droits et devoirs relatifs à l'utilisation de l'eau. Ainsi, faut-il le rappeler, « l'eau fait partie du patrimoine commun de la nation ». Toutefois, cette notion est marquée par une certaine ambivalence.
Aussi convient-il de repenser le rôle de la puissance publique en matière de régulation des activités privées dans le domaine de l'eau, en définissant l'eau, par la loi, comme un bien commun, un bien à gérer en commun, une ressource qui doit être utilisée de manière responsable. Ensuite, il faut examiner la manière dont la gestion de la distribution de l'eau potable et de l'assainissement par des acteurs privés pourrait être améliorée pour éviter que des entreprises en situation d'oligopole ne tirent des profits injustifiés de leurs missions de service public.
Après avoir étudié la situation dans quatre départements et régions d'outre-mer, je constate que la protection de la ressource et l'accès à l'eau ne sont pas garantis, du fait des moyens insuffisants des collectivités organisatrices et d'une vigilance insuffisante de l'État, trop longtemps tolérant face au rôle excessif des délégataires et aux dysfonctionnements de ces services publics, ainsi qu'à l'égard des dirigeants de l'époque.
Mon projet de rapport contient soixante-seize propositions, visant notamment trois objectifs : refonder la gestion de la ressource en eau et du grand cycle de l'eau autour de la qualification juridique de l'eau comme bien commun ; renforcer les moyens de contrôle de la puissance publique sur les acteurs privés chargés de la gestion du service public de l'eau et de l'assainissement ; rétablir le système d'eau et d'assainissement en Guadeloupe, en restaurant la confiance des habitants et en soldant les errements passés dans le cadre de la mise en place du syndicat mixte ouvert unique prévu par la loi du 29 avril 2021.
Mme la présidente vient de rappeler l'importance première de la ressource en eau et les menaces qui pèsent sur elle du fait de l'activité anthropique. Je pense que nous partageons tous ces constats. Il est vain d'espérer que des nouvelles technologies nous dispenserons de chercher avec application et constance à nous inscrire de manière durable dans notre environnement.
Pour améliorer la gestion de la ressource en eau, le premier des combats à mener est celui de la compréhension précise du fonctionnement de cette ressource et des conséquences de nos activités. Je recommande donc que des modèles prédictifs soient établis partout où c'est nécessaire et que le réseau de piézomètres soit densifié, en amont et en aval des points de captage. Le manque de certitudes scientifiques ne doit cependant pas servir de paravent à d'éventuels accaparements de la ressource. Ainsi, le cas du bassin de Volvic, marqué en particulier par une exploitation de la ressource en eau par la société minéralière du groupe Danone, invite à réaffirmer le besoin d'appropriation du principe de précaution afin de concilier les différents usages humains et environnementaux de la ressource.
Par ailleurs, le régime juridique qui encadre l'utilisation de la ressource en eau ne semble pas apporter toutes les garanties nécessaires à sa protection. Pour réorganiser la protection de la ressource, il me semble indispensable de graver dans notre droit que l'eau est un bien commun, dont seul l'usage est possible. Autrement dit, la production et la consommation de l'eau ne pourraient pas être divisées entre les individus, ni faire l'objet d'une appropriation individuelle. La notion de bien commun pourrait faire l'objet d'une reconnaissance constitutionnelle. Surtout, la loi pourrait établir une hiérarchie plus claire entre les différents usages de l'eau.
Au-delà du cadre juridique, la commission d'enquête s'est interrogée sur l'action effective menée par l'État pour protéger la ressource en eau. Or, malgré les efforts engagés, les contrôles effectués au titre de la police de l'eau et la réponse judiciaire ne sont pas encore à la hauteur de l'enjeu. Je recommande donc d'accroître les moyens de la justice environnementale, en spécialisant la formation des magistrats et en raffermissant la politique pénale.
L'insuffisance des contrôles soulève la question des moyens dont dispose l'État pour protéger la ressource en eau. En effet, ceux-ci ne semblent pas en cohérence avec les ambitions affichées. Du point de vue budgétaire, le plafond de redevance, dit « plafond mordant », et sa dynamique baissière sont à l'origine d'une diminution des moyens des agences de l'eau. Il conviendrait de relever ce plafond, dont le niveau actuel n'apparaît pas soutenable au vu des missions des agences de l'eau.
Plus encore peut-être que les moyens budgétaires, les moyens humains font défaut. Depuis une dizaine d'années, la baisse des effectifs s'établit à environ 2 % par an, avec des pics de suppressions d'emplois s'élevant à 25 % dans certaines agences de l'eau. Je recommande d'amorcer une trajectoire de remontée des effectifs des opérateurs et des services déconcentrés chargés de la police de l'eau, en fixant comme cible minimale la récupération des emplois supprimés depuis dix ans.
J'en viens à la démocratie locale de l'eau, modèle participatif dont la France peut être fière. Il conviendrait d'accroître le nombre de sièges dévolus aux associations environnementales et aux associations d'usagers au sein des comités de bassin et des commissions locales de l'eau (CLE). Cela permettrait d'adapter la composition de ces « parlements de l'eau » à la perspective de raréfaction de la ressource en eau, qui appelle à renforcer la défense de l'environnement et la priorité accordée à l'eau potable s'agissant des usages.
Autre cas emblématique d'accaparement allégué de la ressource en eau, le secteur de Vittel est caractérisé par une surexploitation de la nappe des grès du Trias inférieur, en raison de spécificités géologiques et de prélèvements industriels importants, notamment par la société Nestlé Waters. Se fondant sur une bonne connaissance de cet aquifère, les acteurs locaux ont finalement abouti à un projet de SAGE. Ce schéma trace une trajectoire qui devrait permettre la conciliation du développement du territoire et la préservation de la ressource. Toutefois, il faut insister sur la priorité qui doit être accordée à la réalisation d'une étude du fonctionnement global de l'hydrosystème du bassin de Vittel, en particulier des relations entre les différents aquifères et les milieux de surface. C'est la condition sine qua non de la réussite du SAGE.
Un enjeu majeur réside également dans le système d'imposition de l'eau et de financement de la protection de cette ressource. Ce dispositif de financement repose sur les principes vertueux de « l'eau paie l'eau » et du « pollueur-payeur ». Cependant, la réalité appelle à réaffirmer ces principes, afin de leur donner leur pleine effectivité.
En effet, le principe « l'eau paie l'eau » est battu en brèche par le fait que le financement du petit cycle de l'eau, comme de la biodiversité, repose essentiellement sur l'usage domestique de l'eau. La préservation de la biodiversité se doit d'être plus largement financée par le contribuable et moins par l'usager domestique. Cela devrait tout d'abord passer par une baisse des transferts opérés par les agences de l'eau au profit de l'Office français de la biodiversité (OFB), baisse compensée par un financement à due concurrence provenant du budget général de l'État.
S'agissant du principe « pollueur-payeur », les redevances liées aux atteintes à la ressource ne sont pas suffisantes ni équitablement réparties. Les redevances pour pollution portent de manière démesurée sur les usages domestiques et les taux de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau sont trop faibles pour que celle-ci soit incitative et lève des sommes intéressantes. Je propose donc de rééquilibrer le système des redevances pour pollution entre les différents types de pollutions – domestiques, industrielles et agricoles – en accroissant le taux de la redevance pour pollution diffuse et en élargissant l'assiette à d'autres produits polluants. Parallèlement, je suggère d'accroître les taux des redevances pour prélèvements sur la ressource en eau pour les usages lucratifs.
Dernier enjeu lié au grand cycle de l'eau que la commission d'enquête a tenu à aborder, l'hydroélectricité fait elle aussi l'objet de menaces liées à l'implication d'acteurs privés. Il s'agit d'un enjeu crucial, s'agissant d'un secteur essentiel pour la souveraineté énergétique et la transition écologique de la France, au vu de son poids dans le mix électrique français et de son importance pour l'environnement et les autres usages de l'eau. Concernant la grande hydroélectricité, nous soutenons la volonté des acteurs français d'éviter la mise en concurrence de l'octroi des concessions hydroélectriques à l'occasion de leur renouvellement. J'appelle donc à assurer la pérennité des concessions hydroélectriques existantes sans recours à une mise en concurrence. S'agissant de la petite hydroélectricité, il s'agit d'utiliser les structures existantes afin de ne pas pénaliser l'environnement.
Dans la seconde partie du rapport, nous nous sommes intéressés à la gestion de la distribution de l'eau potable et de l'assainissement par les acteurs privés.
Plusieurs questions ont été posées concernant les modes de gestion publics ou privés de l'eau, leur impact sur le prix et la qualité des services, sur l'entretien des réseaux, sur les processus de passation des délégations et de contrôle des délégataires. Sur tous ces sujets, il nous est apparu que des marges d'amélioration substantielles existent.
Il convient d'abord de rappeler que les services gérés par des opérateurs privés ne représentent plus que 31 % des services d'eau potable, même s'ils concernent encore 60 % de la population. Il y a vingt ans, 80 % de la population tirait son eau de services gérés en DSP. Le recul est donc bien réel. Cela peut s'expliquer par le fait que les DSP peuvent poser des problèmes de gestion. Par exemple, le contrat fait la loi entre les parties pendant de nombreuses années sans possibilité d'action pour les tiers. Par ailleurs, les responsabilités quant à l'entretien et au renouvellement des équipements ne sont pas toujours bien définies entre le délégant et le délégataire. On remarque aussi que les coûts de gestion des délégataires sont parfois opaques et que les collectivités ne disposent souvent pas des compétences suffisantes en matière de gestion et de contrôle.
À l'inverse, l'exploitation en régie permet une gestion évolutive du prix de l'eau, un contrôle plus étroit des coûts et des investissements, une meilleure connaissance directe de l'état du réseau, une cogestion plus facile avec les citoyens et une gestion plus sobre en emplois, en l'absence de coûts de publicité ou de dépenses de siège.
Cela expliquerait notamment, en partie, la différence observée de 6 % entre le prix des services gérés en régie et ceux exploités en DSP. Cependant, la commission d'enquête note que le prix du service de l'eau a augmenté en moyenne deux fois plus vite que l'inflation générale au cours de la dernière décennie.
Une autre difficulté relative aux DSP concerne les conditions de leur passation. La directive du 26 février 2014 relative aux concessions de services publics exclut toujours de son champ d'application les services publics d'eau et d'assainissement. Par conséquent, le choix des délégataires et le déroulement des procédures sont moins encadrés que pour les marchés publics. Nous proposons d'inclure les services de l'eau dans la directive européenne relative aux concessions de services publics.
Enfin, des marges de manœuvre existent pour améliorer le contrôle des délégataires. Il convient en particulier de renforcer le rôle des commissions consultatives des services publics locaux (CCSPL). Ces dernières ne disposent pas à l'heure actuelle d'un véritable rôle d'impulsion, de proposition ou de contrôle. La vigilance et l'association des citoyens aux procédures de sélection et de contrôle des délégataires sont les meilleurs garde-fous contre les dérives.
Il convient également de renforcer les contrats de délégation de services publics en prévoyant un certain nombre d'obligations minimales, comme la réalisation d'un audit de fin de contrat ou l'interdiction de toute modification du contrat hors cas de nécessité absolue dans les deux ans précédant son échéance.
Pour accompagner les collectivités, l'État a d'ailleurs un rôle important à jouer. Notre principale recommandation en la matière est de développer une assistance technique, juridique et financière au profit des collectivités sous la forme d'une autorité spécialisée dans ce domaine, comme cela existe pour les partenariats public-privé. Cette instance pourrait fournir des outils comptables, de l'expertise technique, des modèles de clauses contractuelles ou de tableaux de bord. Elle pourrait également prévoir des clauses minimales pour les contrats de délégation et sanctionner les abus.
Sur la question essentielle des réseaux, nous constatons que peu de progrès réels ont été enregistrés depuis les assises de l'eau de 2018. En effet, de manière générale, le rendement des réseaux d'eau n'est que de 80 % sur le territoire hexagonal, ce qui signifie que 20 % de l'eau qui passe par les canalisations est perdue. Atteindre un taux de 100 % est illusoire mais un rendement supérieur à 85 % est considéré comme conforme aux exigences réglementaires. Or, 18 % des services de l'eau ne sont pas en conformité avec cette exigence, notamment dans les services de petite taille. En Guadeloupe, le rendement est de l'ordre de 40 %.
Ainsi, avec une moyenne de 0,53 % du réseau d'eau potable renouvelé chaque année depuis 2010, 190 années seraient nécessaires pour renouveler l'ensemble du réseau, ce qui excède de loin la durée de vie des tuyaux, comprise, au plus, entre 50 et 100 ans.
Lors des assises de l'eau, il avait été acté qu'il manquait au moins 3 ou 4 milliards d'euros d'investissements publics et privés supplémentaires par an, en plus des 6 milliards actuellement investis, pour atteindre la cible minimale de renouvellement de 1 % du réseau chaque année. Nous en sommes encore trop loin, malgré l'effort du plan de relance, qui se traduit par l'affectation de 300 millions d'euros au secteur de l'eau. Nous demandons que les sommes prévues par le plan de relance soient au moins multipliées par cinq pour faire jouer un effet de levier suffisant permettant de déclencher, au moins à court terme, les investissements dont nous avons besoin.
Il conviendrait également d'inclure dans les contrats de DSP des éléments de transparence sur l'état des réseaux. S'agissant des régies, il faudrait aussi permettre aux communes et à leurs groupements d'abonder les budgets des services publics d'eau et d'assainissement lorsque l'objet de cet abondement est de permettre une amélioration du rendement du réseau.
Enfin, nous recommandons de renforcer les moyens et les effectifs des agences de l'eau, à charge pour ces dernières d'augmenter les budgets alloués aux investissements dans les réseaux. Cela implique notamment une réflexion de fond sur le financement de la biodiversité, qui ne doit plus dépendre des agences de l'eau mais bien des crédits ministériels.
Notre commission d'enquête s'est également penchée sur le cas de l'offre publique d'achat (OPA) de Suez par Veolia. Depuis le lancement de l'opération, et jusqu'à ce jour, des interrogations multiples ont émergé. Si les conditions de la concurrence ne devraient pas être affectées à court terme en France, puisque Suez continuera à y réaliser le même chiffre d'affaires, à moyen terme, en revanche, le dynamisme de Suez risque d'être affecté par la perte, au profit de Veolia, de certains marchés extérieurs dynamiques, comme le marché américain.
On a parfois eu du mal à suivre la position de l'État au cours des différentes étapes de l'opération. Le Gouvernement a d'abord mis en avant, dans plusieurs déclarations, l'intérêt du projet, avant que les administrateurs représentant l'État au conseil d'administration d'Engie ne votent contre la vente de ses parts, à la demande du ministre de l'économie et des finances.
L'État n'a pas su s'opposer à la cession des parts de Suez – ce qui, à mes yeux, est la question essentielle – parce qu'il a trop réduit sa participation dans le capital des entreprises concernées, ce qui l'a empêché de conserver une minorité de blocage. Il n'a pas non plus cherché à se doter d'outils tels que des « golden shares », qui permettent de conserver un droit de veto sur l'ensemble du capital d'une société dans certaines circonstances. À l'avenir, il conviendra de veiller à ce que les engagements en matière d'emplois de Veolia, ainsi que ceux du consortium à majorité française qui a repris Suez, soient véritablement respectés.
Enfin, j'en viens à la situation particulière des départements et régions d'outre-mer, où protection de la ressource et accès à l'eau sont insuffisamment garantis.
À Mayotte et à La Réunion, la commission d'enquête a organisé deux tables rondes réunissant les acteurs du monde associatif et les responsables des autorités organisatrices et de l'État.
La situation à Mayotte est la plus grave : la ressource en eau y est limitée, le réseau de distribution d'eau restreint et défaillant, l'assainissement balbutiant. Les plans d'investissement restent souvent inachevés, car l'autorité organisatrice ne dispose pas des capacités pour en assurer la maîtrise d'ouvrage.
À La Réunion, la ressource en eau est abondante, mais les investissements effectués pour organiser un transfert d'eau de l'est vers l'ouest et la qualité de l'eau potable distribuée ne sont pas satisfaisants.
En Martinique, la concentration de la ressource et l'organisation complexe de la distribution conduisent à des pénuries. Il faudrait réfléchir à une gouvernance unifiée de l'eau.
En Guadeloupe, la commission d'enquête a tenu vingt-quatre auditions pour entendre tous les acteurs de l'eau, passés et actuels, et comprendre la crise de l'eau que connaît ce territoire depuis plusieurs années. En outre, le déplacement d'une délégation de la commission d'enquête a été l'occasion de constater sur place les difficultés auxquelles sont confrontés les gestionnaires et les usagers, pour lesquels le droit fondamental d'accès à l'eau n'est pas respecté.
Pour comprendre l'intrication des problèmes auxquels la Guadeloupe est confrontée, je prendrai un seul exemple. La délégation de la commission d'enquête s'est rendue à l'embouchure de la rivière du Galion, au sud de Basse-Terre, accompagnée de représentants de l'association des usagers Eaux de Guadeloupe, pour constater qu'un regard de canalisation d'évacuation débordait en se jetant directement dans l'embouchure du fleuve. Malgré l'odeur, à quelques dizaines de mètres, des enfants se baignaient dans une eau non contrôlée, l'endroit n'étant pas considéré comme une zone de baignade déclarée par la mairie et testée par l'agence régionale de santé (ARS). Les enfants s'y trouvaient un jour de semaine parce que leur école était fermée, du fait de l'absence de distribution d'eau : c'est un cercle infernal.
Cette situation résulte d'un sous-investissement dans le renouvellement des réseaux, ainsi que des défaillances du propriétaire concernant la maintenance. L'état des réseaux est imputable à la Générale des eaux, mais aussi au propriétaire délégant, qui ne peut se défausser de sa responsabilité.
La distribution de l'eau potable en Guadeloupe s'inscrit dans un cercle vicieux depuis plusieurs années. Elle se caractérise par un service médiocre et intermittent, qui n'encourage pas les usagers à régler leurs factures d'eau ; par une facturation et un recouvrement décrits comme un « accident industriel » ; par l'absence de recettes, qui met en péril les finances des autorités organisatrices ; par une situation de quasi-faillite, qui les empêche d'accomplir les investissements dans les réseaux ; par une dégradation de l'état des réseaux, qui explique les pertes et la nécessité de recourir aux coupures d'eau tournantes – les « tours d'eau ». Les usagers, qui ne reçoivent pas de réponse, sont en colère ; ils ont été contraints d'investir dans des citernes et des réservoirs, ce qui représente parfois des coûts élevés.
J'ajoute que l'on subit actuellement, à la Guadeloupe, des coupures d'eau importantes liées à la réparation de l'usine de Belle-Eau-Cadeau, que nous avons visitée.
En raison d'une absence de contrôles et d'investissements dans le renouvellement des équipements et de dysfonctionnements de la facturation, les autorités organisatrices de l'eau et de l'assainissement, qui ont parfois repris la gestion en régie sans planification, se sont révélées incapables, sur les plans technique et financier, d'assumer les tâches nécessaires pour garantir un service régulier de l'eau et de l'assainissement.
Nous avons constaté nombre de mauvais choix d'équipements, lors de visites sur le terrain. La préférence donnée à certains matériaux est rendue responsable de la défaillance des réseaux. Des technologies non adaptées au climat et aux besoins – et plus coûteuses – ont également été retenues, sur les conseils de cabinets et de services de l'État.
La première mission du syndicat mixte ouvert qui sera mis en place, par la volonté du législateur, au 1er septembre 2021, sera de restaurer la confiance des Guadeloupéens dans la gestion de l'eau et de l'assainissement. Pour cela, je formule trois propositions.
Premièrement, je préconise de maintenir, à titre transitoire, les équipes techniques de chaque régie existante au sein du futur syndicat mixte unique, tout en mutualisant les fonctions stratégiques et de support.
Deuxièmement, je propose d'annuler les factures d'eau anciennes non réglées, lorsqu'elles ne correspondent pas à une consommation normale ou à la capacité financière des usagers.
Troisièmement, je suggère d'élaborer un plan de renouvellement général des compteurs d'eau en Guadeloupe.
L'État doit aujourd'hui prendre sa part de responsabilité. Il ne peut se contenter de la posture attentiste consistant à rappeler que l'eau et l'assainissement sont des compétences locales, quand la défaillance de ces services publics a des conséquences sur la vie et la santé des populations de la Guadeloupe.
La question de l'avenir des dettes et des créances des opérateurs reste en suspens, malgré les déclarations des responsables de l'État. Si les dettes d'investissement doivent revenir au futur syndicat unique, la loi prévoit que les autres dettes seront in fine à la charge des intercommunalités. Il me semble indispensable de faire apurer par l'État les comptes de liquidation des syndicats et régies afin que le nouveau syndicat mixte ouvert et les communautés d'agglomération n'aient pas à supporter les conséquences de la gestion passée.
L'état des réseaux et les difficultés financières rendent nécessaire un plan d'investissement massif, qui excède les capacités des autorités locales. Il faudra donc faire jouer la solidarité nationale. Or, dans le cadre du plan de relance, seuls 50 millions d'euros ont été fléchés vers les territoires ultramarins, alors qu'il est impératif d'avoir une maîtrise d'ouvrage dotée de moyens suffisants et une ingénierie publique à la hauteur.
Plusieurs personnes auditionnées ont estimé que le montant de l'investissement nécessaire à la remise en service d'un réseau d'eau potable satisfaisant, à la mise aux normes et au déploiement d'un réseau d'assainissement, est supérieur au milliard d'euros, sans pouvoir cependant en fournir le détail. Ce plan exceptionnel de remise en état devra s'accompagner d'un effort continu d'investissement pour renouveler les équipements.
Cependant, il ne faudrait pas oublier le problème de l'assainissement en Guadeloupe : l'abandon du réseau d'assainissement peut avoir des conséquences tout aussi fâcheuses – voire plus graves – que les difficultés d'approvisionnement en eau potable. Selon l'agence régionale de santé, chaque année, nous perdons de 6 à 10 % d'eaux de baignade de qualité suffisante. Si cette évolution se poursuivait, dans dix ans, il ne resterait plus, en Guadeloupe, aucune eau de baignade conforme, autrement dit de qualité excellente. Il faut faire de l'assainissement un objectif prioritaire, au même titre que le rétablissement de la distribution d'eau potable, notamment en protégeant les aires d'alimentation des captages.
Enfin, la Guadeloupe et la Martinique doivent vivre avec l'héritage du chlordécone. Plusieurs captages présentent des traces de ce pesticide persistant, qu'il faut éliminer. Si le coût de remplacement de ces filtres reste limité, il n'en reste pas moins que le coût du traitement supplémentaire n'a pas à être supporté par l'usager mais pourrait être pris en charge par l'État au titre de sa responsabilité, reconnue récemment, dans la dissémination de ce polluant.
Il s'agit d'un rapport extrêmement intéressant, où j'ai retrouvé mon expérience d'élue de terrain, ayant notamment participé aux travaux d'une commission locale d'évaluation des charges transférées (CLECT). J'ai en effet exercé les responsabilités de maire d'une ville dotée d'une régie municipale des eaux avant qu'elle ne transfère en 2005 la compétence à la communauté d'agglomération de Grenoble, devenue métropole. J'étais également vice-présidente de la communauté d'agglomération, chargée des déchets urbains, et j'ai, à ce titre, géré le transfert, qui nous a pris une bonne année ; ce fut extrêmement instructif. Je précise que je n'exerce plus ces mandats locaux, mais je me rends compte à la lecture de vos remarques et de vos propositions, d'ailleurs pertinentes, que les pratiques de la métropole grenobloise relevaient de la bonne gouvernance, ce qui ne semble pas être le cas dans tous les territoires.
Vous avez raison, il faut analyser finement les avantages et les inconvénients des DSP et comparer les différents modes de gestion – régie, DSP, société publique locale (SPL), société d'économie mixte à opération unique (SEMOP), etc. Ce fut le cas à Grenoble lors du renouvellement de la DSP relative à l'incinération des déchets. Il s'agit de questions extrêmement techniques, mais également politiques, au sens noble du terme. Le choix est toujours complexe, les implications, nombreuses, et le travail, très long. Les élus s'appuient sur les services des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des municipalités ou sur des cabinets recrutés spécialement pour les aider, car ils n'ont pas la science infuse – pour ma part, j'étais professeure d'anglais avant d'être élue, et n'étais pas spécialiste en matière de gestion des déchets.
Prend-on toujours la bonne décision ? Nous n'en sommes jamais sûrs, mais c'est à nous de la prendre et de la faire appliquer, car il s'agit bien d'un choix politique – je pense en particulier à la gratuité des premiers mètres cubes d'eau. Au sein de l'agglomération grenobloise – j'en reviens à mon expérience locale car il ne faut pas faire de généralisation hâtive –, nous n'avions pas fait le choix de la gratuité. Je ne sais pas ce que feront les nouveaux élus, mais cela nous avait semblé difficile à mettre en place, le nombre de mètres cubes gratuits assigné à chaque ménage dépendant, entre autres, de sa taille, ce qui entraîne d'importantes lourdeurs administratives et des coûts – pour vérifier les déclarations des ménages, la taille de ces derniers évoluant très régulièrement. Or, l'eau payant l'eau, les coûts induits doivent être répercutés soit sur l'usager, soit sur le contribuable.
Avec M. Vuilletet – qui me prie de l'excuser d'avoir quitté la salle car il devait assister à une autre réunion –, nous prendrons le temps de vous transmettre notre contribution par écrit.
Je reviens sur la notion de responsabilité des élus. Représentants du peuple, ils doivent se montrer dignes de la confiance qui leur a été accordée. Ils doivent donc prendre leurs décisions en connaissance de cause et en affronter les conséquences si jamais elles ne sont pas bonnes, la sanction ultime étant la non-réélection.
C'est pourquoi je suis d'accord avec vous : même si l'élu fait confiance à un délégataire de service public, il doit mettre en place des processus de contrôle idoines ou embaucher des personnels qualifiés pour exercer ce contrôle. Dans tous les cas – régie ou DSP –, un rapport annuel doit être présenté à l'assemblée délibérante compétente et publié, comme le prévoit la loi. Il faut rappeler ces exigences de contrôle et de transparence, voire prévoir des sanctions si elles ne sont pas respectées. Ce n'est qu'à ce prix que nos concitoyens retrouveront peut-être confiance en leurs élus. Je me réfère ici aux propositions nos 37 à 43, ainsi qu'à la proposition n° 56, qui sont d'ordre législatif ou réglementaire, et de niveau national ou local.
Je ne suis pas favorable à la codécision avec les usagers, mais la discussion est évidemment nécessaire en amont avec les différentes parties prenantes de la politique de l'eau, notamment dans le cadre des CCSPL.
Il me semble que le plan de relance finance l'eau et l'assainissement à hauteur de 2 milliards d'euros. Vous avez raison, ce n'est pas suffisant car il faudrait déjà 1 milliard pour la Guyane. Au sein de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Véronique Louwagie et moi allons bientôt remettre notre deuxième rapport sur la territorialisation du plan de relance. Nous avons beaucoup échangé avec France relance, dont le site est remarquable. À cette occasion, j'ai sollicité les collectivités de ma circonscription, située en zone de montagne. Nous retrouvons les mêmes problèmes, de bassins versants ou d'investissements non réalisés. Ainsi les collectivités utilisent-elles toujours des tuyaux datant d'après la seconde guerre mondiale, et les fuites sont-elles de plus en plus importantes.
Tant pour la distribution de l'eau que pour l'assainissement, dans l'intérêt collectif, il nous faut peut-être inciter les élus, voire les obliger, à prévoir un plan pluriannuel d'investissement. Cela passe nécessairement par des mesures financières. C'est pourquoi votre proposition de TVA à 5,5 % sur la partie assainissement du coût de l'eau me semble une bonne idée, mais uniquement si des investissements sont votés, programmés, puis engagés. La décision devrait être prise localement – ce sera peut-être possible si le projet de loi 4D ou 3DS est examiné et adopté –, car tout le monde ne peut pas avancer au même rythme, les problématiques n'étant pas les mêmes partout, comme l'illustrent les cas de la Guadeloupe ou de Mayotte.
S'agissant de la proposition n° 66, je ne suis pas sûre qu'on ait besoin de déclencher le plan ORSEC – organisation de la réponse de sécurité civile – en cas de défaillance de la distribution d'eau. Lors des sécheresses, les communes, ou les collectivités compétentes, organisent déjà l'approvisionnement en eau potable.
Effectivement, j'y ai pensé en même temps que je le disais…
S'agissant des dettes, on le sait bien, parfois, l'apurement est nécessaire pour repartir de zéro. Mais je préférerais que l'on parle de moratoire, dans l'attente d'une enquête permettant de déterminer ce qui relève de la responsabilité effective de la collectivité – elles gèrent l'eau et l'assainissement depuis très longtemps, tout de même – et ce qui relève de la faute de l'État, ou de l'impondérable et de l'insurmontable. Dans ce dernier cas, l'apurement de la dette est effectivement assez logique. Mais il faudrait une décision de justice, après enquête.
S'agissant de la proposition n° 71, les formations aux métiers de l'eau existent déjà.
Cette proposition et celle relative à l'apurement des dettes visent uniquement la Guadeloupe. Il y a des gens qui ont des factures de 17 000 euros.
Je l'avais noté, mais mon propos était plus large, car il y a des dettes ailleurs. Je ne nie nullement l'urgence de la situation en Guadeloupe ; c'est d'ailleurs pourquoi j'insiste beaucoup sur la responsabilité des élus, qui doivent assumer les conséquences de leurs décisions ou de l'absence de décision.
S'agissant de la proposition n° 73, l'assainissement doit effectivement être un objectif prioritaire, puisque c'est lui qui nous rend la ressource en eau et améliore les eaux de baignade. Mais, pour que l'assainissement fonctionne bien et à moindre coût, il faut passer par un réseau séparatif – d'un côté, les eaux usées ; de l'autre, les eaux pluviales – ou bien par un service public d'assainissement non collectif (SPANC). Dans l'un et l'autre cas, il faut prévoir les investissements nécessaires.
La proposition n° 74 relève de l'évidence, mais il est parfois bon de le répéter.
J'en viens à votre avant-propos, madame la présidente. Il reprend – ce n'est pas une critique – un article présenté il y a un an par le président de votre groupe, M. Jean-Luc Mélenchon, lors de l'assemblée représentative 2020 de La France insoumise. Votre position n'est pas critiquable en soi, je la partage d'ailleurs en grande partie sur le fond, mais, sur la forme, il serait intéressant d'en indiquer les sources – c'est la professeure d'université qui parle.
De même, il conviendrait de mentionner la source des citations insérées dans l'avant-propos du rapport. Par exemple, lorsque vous évoquez des propos de M. Santini, vous faites référence non pas à son audition par notre commission d'enquête mais, si j'ai bien compris, à une remarque très désagréable qu'il vous a adressée à l'extérieur de l'Assemblée nationale.
En effet. Lors d'une réunion du comité du SEDIF faisant suite aux travaux de la « mission 2023 », M. Santini a annoncé qu'il portait plainte contre X, pour diffamation publique, compte tenu de certains propos tenus au cours de l'audition des dirigeants du Syndicat par notre commission d'enquête. Lors d'une autre réunion du même comité, il a demandé la protection fonctionnelle du Sedif dans le cadre de cette procédure judiciaire. Alors que je répondais à la presse que les propos tenus devant une commission d'enquête ne pouvaient pas donner lieu à poursuite, il a rétorqué : « Ma chérie, on se retrouvera au tribunal et tu rigoleras moins. »
Il serait bon de le préciser dans une note de bas de page ou une annexe. Le fait de circonstancier ces propos ne peut que vous protéger.
À la page 214, monsieur le rapporteur, vous écrivez : « Enfin, alors que la presse s'est fait l'écho de rumeurs concernant d'éventuelles pressions exercées par l'exécutif, et notamment par le secrétaire général de l'Élysée, M. Alexis Kohler, les administrateurs salariés ont confirmé sous serment ne pas avoir reçu de coups de téléphone ou d'autres pressions concernant leur vote. » J'ai l'impression que cette phrase contredit l'avant-propos de Mme la présidente.
Voilà les hiatus que j'ai pu relever après une lecture très rapide du rapport – et pourtant, je connais un petit peu la question ! Que diront ceux qui n'en sont pas spécialistes, par exemple les journalistes, qui se contenteront peut-être de lire l'avant-propos ? Le sujet est fondamental car l'eau est le bien le plus vital. Si les polémiques peuvent être tout à fait normales, il ne faudrait pas que certaines accusations, sur lesquelles je ne me prononce pas, éclipsent les nécessaires réflexions et actions à mener pour améliorer le fonctionnement du système d'eau et d'assainissement, au bénéfice de l'ensemble de nos concitoyens.
La commission d'enquête a effectué un travail remarquable. J'ai eu beaucoup de plaisir à participer aux différentes auditions.
J'ai pris part au déplacement de la commission d'enquête à Vittel, qui était très intéressant et a donné lieu à la rédaction de la très bonne proposition n° 23. Dans ce genre de ville où des compagnies privées s'octroient un quasi-monopole sur les nappes phréatiques, la situation devient préoccupante, y compris pour les citoyens eux-mêmes, qui s'inquiètent pour l'avenir de la ressource bien que ces entreprises soient leurs premiers employeurs. Comme partout, il faut que des lois ou des règlements viennent protéger la ressource en eau, qui n'est pas éternelle.
Vous disiez, madame Kamowski, que l'assainissement faisait revenir l'eau dans le réseau. Mais à Vittel, à Volvic ou à Évian, ce n'est pas le cas !
À l'échelle de la planète, vous avez raison. Mais des millions de litres de Volvic, d'Évian et de Vittel sont vendus à l'étranger ; la ressource intègre alors les cycles de l'eau dans d'autres pays.
En tant qu'élue d'un territoire très rural, je suis sensible à la proposition n° 14. Lorsqu'un petit village de quelques centaines d'habitants, entouré de terres agricoles, connaît un problème au niveau de la zone de captage, le maire a souvent beaucoup de mal à faire reconnaître la source du problème. Si un professionnel est en cause, le maire ne peut pas se le mettre à dos. Il faut donc qu'une entité indépendante intervienne. Or l'Office français de la biodiversité (OFB), qui joue aujourd'hui ce rôle de contrôleur et devrait même le jouer mieux, subit dans mon territoire des intimidations. Il y a vraiment quelque chose à faire dans ce domaine. En outre, je suis tout à fait d'accord avec l'idée de ne pas faire payer à l'usager la protection de la biodiversité.
En 2026, toutes les communes devront avoir transféré leurs compétences eau et assainissement à la communauté de communes. Je ne suis pas sûre que cela se fasse partout dans la plus grande sérénité. Certains villages se sentent propriétaires de leur eau, un peu comme dans Manon des sources ; ce sera donc compliqué. Comment pourrons-nous suivre la bonne réalisation de ce transfert ? Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que le rendement des réseaux d'eau était de 80 % à l'échelle nationale. Mais dans certaines communes rurales, notamment celles qui n'ont pas refait leur réseau d'eau depuis de nombreuses années, les pertes sont plus importantes, de l'ordre de 30 à 40 %. N'aurions-nous pas intérêt à réaliser, sous forme cadastrale, une évaluation de l'état des réseaux et de leur transformation ? Certains villages sont encore ravitaillés par des citernes ; ils paient l'eau encore plus cher à Veolia ou à Suez.
Merci, mes chers collègues, pour vos contributions et remarques.
S'agissant de l'implication des usagers dans la gestion des réseaux d'eau, madame Kamowski, la codécision va dans le sens de l'histoire, même si elle n'est pas toujours possible aujourd'hui. On ne peut plus se prévaloir d'une qualité d'élu pour imposer des décisions.
Le plan de relance prévoit non pas 2 milliards, mais bien 300 millions d'euros d'investissements dans les réseaux d'eau : 220 millions sont destinés aux agences de l'eau, 50 millions aux outre-mer et 30 millions à la rénovation des bornes d'épuration.
Il existe deux plans ORSEC : le plan ORSEC classique et le plan ORSEC « eau potable ». Il faut donc distinguer deux régimes différents. Le plan ORSEC « eau potable » prévoit notamment qu'en cas de coupure d'eau, comme il s'en produit en Guadeloupe, les autorités organisatrices doivent fournir aux usagers une solution de remplacement, par exemple des packs d'eau. Or elles ne le font pas, faute de moyens financiers.
Une commune de l'Isère a connu ce problème il y a trois ou quatre ans : il y a eu une rupture de l'approvisionnement en eau, et la ville a livré des packs d'eau sans qu'il ait été nécessaire de déclencher le plan ORSEC. Mais je peux comprendre que, dans certaines situations, il faille aller jusque-là.
C'est ce que j'étais en train de dire. Dans la situation que vous avez évoquée, il a été possible de fournir des packs d'eau à la population parce que la coupure était ponctuelle. En Guadeloupe, les coupures sont longues et récurrentes, et les autorités organisatrices n'ont pas la possibilité de livrer des packs d'eau de façon régulière et intensive. Il faut donc trouver d'autres solutions.
J'ai parlé non pas d'effacement, mais d'apurement des dettes. Chacun reconnaît qu'il y a eu un accident industriel, subi non par l'État mais par le délégataire de service public, à savoir la Générale des eaux. En principe, le régime juridique de la prescription quadriennale des créances s'applique, mais parmi ces créances, il faut séparer le bon grain de l'ivraie. Il faut libérer des poursuites d'huissier et autres mises en demeure les usagers qui ne bénéficient pas d'une eau de bonne qualité et faire en sorte que le nouveau syndicat mixte ouvert ait des créances saines.
S'agissant de l'assainissement, nous sommes d'accord : il faut construire des réseaux d'eau séparés, en profitant des subventions européennes, qui sont importantes, et s'assurer que les technologies employées sont les bonnes.
En tant que rapporteur, mon rôle se limite à traduire ce qui ressort de nos échanges ; il ne m'appartient donc pas de réagir à l'avant-propos de Mme la présidente, qui n'engage qu'elle. Quant à la page 214, dont vous avez lu un passage, elle correspond à la position du rapporteur de la commission.
Effectivement, madame de Courson, les transferts de compétences à l'horizon 2026 posent un vrai problème. Nous devons regarder cela de façon très précise.
Merci à vous tous pour ces discussions autour du rapport, qu'il serait intéressant de poursuivre.
Le débat sur la gratuité des premiers mètres cubes d'eau traverse l'ensemble des acteurs du secteur, y compris les associations d'usagers de l'eau. La gratuité des premiers mètres cubes, avec suppression de l'abonnement, du compteur et tarification différenciée selon les usages, a déjà été mise en place dans certaines villes. Vous opposez à cette mesure, madame Kamowski, une certaine lourdeur administrative et les contrôles importants qu'elle implique, notamment en cas de changement dans la composition du ménage. Je conviens qu'il faut examiner ce point, mais nous savons faire de tels contrôles, qui sont d'ailleurs tout aussi nécessaires lorsqu'on applique une tarification sociale. Qui plus est, dans le cas de la tarification sociale, le taux de non-recours est parfois très important. C'est pourquoi je donne ma préférence à la gratuité des premiers mètres cubes, qui permet de garantir réellement le droit humain universel à l'eau reconnu par l'ONU.
Madame de Courson, vous avez évoqué l'état des réseaux. Cet aspect fait l'objet de la proposition n° 3 , « rendre obligatoire et systématique la collecte des données relatives à l'eau et à l'assainissement dans la base SISPEA […] » – une tâche qu'une partie des collectivités n'accomplissent pas –, et de la proposition n° 4, « rendre obligatoires l'harmonisation et la mise en ligne des données relatives aux réseaux d'eau et d'assainissement ». Je souscris par ailleurs aux propos de M. le rapporteur à ce sujet.
La réunion est suspendue de quinze heures vingt à quinze heures vingt-cinq.
Mes chers collègues, je vous informe que M. le rapporteur et moi-même avons transmis le rapport de notre commission d'enquête au procureur de la République. Il pourrait en effet justifier l'ouverture d'une enquête sur d'éventuelles malversations commises dans le cadre de l'attribution et de la gestion des marchés d'eau et d'assainissement en Guadeloupe.
Mon expérience d'élue rejoint toutes les conclusions de notre commission d'enquête ; c'est pourquoi j'exprime, en mon nom propre et en tant que membre du groupe La République en marche, un avis très favorable au rapport. Néanmoins, je maintiens mes réserves s'agissant des accusations qu'il contient et des citations qui mériteraient d'être mieux sourcées.
La commission d'enquête adopte le rapport à l'unanimité.
La réunion s'achève à quinze heures vingt-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences
Réunion du jeudi 15 juillet 2021 à 14 heures
Présents. – Mme Yolaine de Courson, Mme Catherine Kamowski, Mme Marie-Ange Magne, Mme Mathilde Panot, M. Olivier Serva, M. Guillaume Vuilletet.